Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Comment lutter ?

lundi 6 octobre 2003

Notre camping annuel a été l’occasion, du 3 au 10 août, de revisiter certains thèmes sociaux à la lumière de l’actualité.

Dans leurs débats, militants et sympathisants -en dehors de toute intrusion de journaliste- ont tenté de répondre à des questions que finalement tout un chacun a pu se poser dès lors qu’il s’est confronté à l’arbitraire de l’État et à la toute puissance du patronat. Cela peut se résumer en deux mots : comment lutter ?

La synthèse faite ci-dessous, si elle est personnelle, s’inspire en grande partie de ce qui s’est dit au cours de cette semaine.

Rompre avec les institutions de l’opposition

En France et dans le monde, des mouvements de lutte et de contestation se poursuivent contre l’évolution inexorable du capitalisme vers toujours plus d’exploitation et de crimes. Ils prennent parfois des formes très médiatiques, comme ces journées "anti G8" ou "anti OMC" dont nous avons déjà évoqué les graves carences dans ce journal. La question de fond qui se pose dans ce cas, c’est de savoir si la construction d’un autre monde est possible à partir des débris idéologiques de l’ancien. Plus précisément de savoir si la transformation des relations sociales est compatible avec la délégation de pouvoir dont pratiquement tous les partis, syndicats et associations sont les partisans convaincus. Tous trouvent normal qu’un individu (qu’il soit appelé "citoyen", "camarade syndiqué", "cher adhérent") remette à un autre (en général, "délégué" ou "élu") le droit de décider, en son nom, des choses les plus diverses. Cette délégation de pouvoir est tellement poussée qu’elle s’accompagne du lancement sur le marché de figures qui ciblent une clientèle, comme une lessive cible "la ménagère de plus de quarante ans". Ainsi sont lancés les Laguillier, le jeune "facteur" Besancennot [1], ou l’inévitable Bové, censés "représenter" la contestation.

L’histoire a montré que la contestation des mécanismes d’oppression n’empêche pas leur reproduction. L’actualité nous démontre que la critique des médias et des procédés marketing n’empêchent pas leur utilisation : l’intelligentsia de gauche peut savamment disséquer le rôle des médias, l’extrême gauche peut traiter les journalistes de "nouveaux chiens de garde", tous courent derrière les caméras, multiplient les interviews et font de leur apparition médiatique la base de leur stratégie.

Or, l’incohérence entre les discours et les pratiques produit toujours le même résultat. Les organisations d’opposition, même les plus radicales, qui fonctionnent et agissent dans cette incohérence, sont inexorablement récupérées et institutionnalisées par le système, comme tant d’autres avant elles. En fonction de la conjoncture et des choix que font les maîtres du système, elles sont appelées à croître quelquefois et souvent, à stagner. Mais dans tous les cas, elles perdent progressivement leur sens initial. Un autre monde n’est pas possible avec les mêmes mécanismes, les mêmes schémas d’organisation, les mêmes représentations que l’ancien.

Aucun sigle n’est à l’abri de telles dérives. Il faut en tenir le plus grand compte dans notre manière de concevoir une organisation. Le rejet de l’institutionnalisation, de la délégation de pouvoir et de la médiatisation constituent des bases indispensables.

Autre conséquence de cette analyse : la rupture avec les groupes d’opposition qui fonctionnent avec cette incohérence est le préalable à poser dans les luttes. Remarquons que beaucoup de gens (souvent en dehors des milieux militants), profondément dégoûtés par le décalage entre les mots et les actes, font spontanément cette rupture. En "politique" cela prend la forme d’une abstention de plus en plus massive, mais c’est plus difficile à concrétiser dans le domaine social. Car la rupture apparaît comme un abîme dans lequel nombre d’individus ont peur de s’engouffrer.

LIBERER LES CAPACITES D’AUTO-ORGANISATION

Or, la seule solution, c’est de s’auto-organiser. Pour cela, il faut que les exploités aient confiance en leurs propres capacités. Et cette confiance ne s’acquiert qu’au bout d’un certain temps, un temps qui permet la maturation des esprits. Nous devons donc penser des formes de luttes qui permettent aux individus et aux groupes en rupture de trouver leur propre dynamique de manière à étendre aux autres la confiance et donc l’envie de s’auto-organiser. Pour cela, le bilan des différentes interventions sur le terrain social que nous avons pu avoir -en France ou ailleurs- est essentiel. Il permet de comprendre que ces processus de maturation et d’auto-organisation sont liés. L’auto-organisation doit permettre la maturation des consciences et celle-ci doit renforcer l’auto-organisation. En conséquence, tout mouvement social doit avoir la préoccupation de durer suffisamment pour permettre cette maturation. L’expérience apportée dans le débat par des compagnons galiciens fut à cet égard riche d’enseignements. Pour reprendre les propos de l’un d’entre eux, nous devons être conscients que, dans le fond, nous irons de défaite en défaite jusqu’à la victoire finale. Ceci mérite une explication. De quelles défaites parlons-nous ? Nous parlons de ces défaites que les autres brandissent comme des victoires ; des victoires à la Pyrrhus qui bénéficient à une corporation, à un secteur, à une région et qui se transforment en défaites pour tous. En fait, dans la lutte que nous menons, ce n’est donc pas tant l’acquis matériel qui compte que l’acquis moral. Les questions à se poser sont alors : est-ce que la lutte a renforcé la conscience de classe ? Est-ce qu elle a permis l’émergence de la confiance de classe ? Cette conscience de classe et cette confiance retrouvées permettent-elles de créer (au moins partiellement) de nouveaux rapports sociaux ? La lutte a-t-elle affaibli l’appareil d’État ? A-t-elle miné la croyance dans les partis et les syndicats ? A-t-elle entamé les institutions d’oppression comme l’administration, les médias, le patronat ?

C’est à travers ces questions que doit se tirer le bilan des luttes. Sur ce plan, le bilan du mouvement contre la réforme des retraites est plus mitigé que le pouvoir semble le croire. Evidemment, c’est zéro quant aux acquis matériels. En ce qui concerne le moral de la population, sans tirer de conclusions définitives, il est assez possible que l’image de l’État protecteur en ait pris un coup. De plus, de nombreux grévistes ont constaté que la contestation classique, gérée par les professionnels du syndicalisme, est devenue trop routinière et prévisible. Cette prévisibilité par l’adversaire est une des causes de la défaite matérielle. Et là, il apparaît un avantage immédiat à l’auto-organisation : parce qu’il libérera d’autres formes de pensées, un mouvement auto-organisé trouvera ses ressources ailleurs que dans des actions que le pouvoir sait parfaitement gérer. D’autres formes de pensée, d’autres formes de lutte sont le véritable prélude d’un autre monde. Imaginer d’être et d’agir différemment, c’est déjà la mise en pratique de l’utopie, de ce qui n’existe pas encore, mais dont personne ne peut prédire que cela n’existera jamais. Ceci signifie que, même si cela n’est pas encore dit clairement, c’est bien la reprise en main de nos vies, face aux diktats de l’argent, qui est à l’ordre du jour. Cette nécessité de tirer des bilans moraux, de clarifier en permanence nos idées, d’aider à la création, au maintien et au surgissement d’une dynamique de lutte de plus en plus collective, auto-organisée et imaginative, définit à la fois la nécessité pour les anarchosyndicalistes de s’organiser dans la cohérence mais aussi le sens de leur intervention. Que cela soit dans les manifs, dans les Assemblées Générales, dans les coordinations, ils doivent encourager la libération des capacités collectives qui permettront la création d’un véritable rapport de force. Ils doivent favoriser l’imagination en fonction de chaque situation. C’est en fonction des critères ci-dessus et de chaque situation locale, que doit s’apprécier, à la base, la pertinence d’une action, ce qu’il convient de faire et comment.

QUELQUES POSSIBILITES

nous avons déjà évoqué par voie de tracts ou dans des textes les formes d’action suivantes :

1) Délégations massives de grévistes vers les autres entreprises, celles qui ne sont pas encore en lutte.

2) Ouverture des lieux en grève. Par exemple, il faut souligner que les grèves dans l’enseignement ont surtout posé le problème de la gestion des gamins. L’occupation des écoles avec les parents d’élèves doit permettre l’organisation d’activités sociales pour les enfants, comme des petites fêtes de solidarité, le montage de pièces de théâtre... L’intervention d’autres secteurs en lutte, comme les intermittents, peut ainsi aider à donner une ambiance bien éloignée de l’esprit scolaire classique. Avec l’avantage de faire participer le quartier vivant autour de l’école et de contribuer à la culture générale de tous. Et les directives (notations, examens, compétitions entre élèves, hiérarchies...) imposées par le ministère passent à la trappe.

3) Occupations massives de bâtiments administratifs. Les manifestations de masse peuvent se diriger vers les lieux du pouvoir, en particulier les rectorats, préfectures, les occuper pacifiquement ou les encercler.

4) Grèves de gratuité. Nous avons plusieurs fois abordé ce thème (Cf, le précédent C.S).

5) Grèves avec occupation et occupations sans grèves. Par exemple dans le secteur de la santé, il est hors de question de faire la grève classique et encore moins la grève générale paralysante, qui serait meurtrière pour les plus démunis. Mais d’autres formes d’action, beaucoup plus intéressantes, existent. Lors de la canicule, qui a fait des ravages dans la région parisienne cet été, un nombre considérable de chambres d’hôtels de luxe, confortables et climatisées, était disponible de par la baisse du tourisme dans la capitale. Qui aurait pu empêcher un mouvement de professionnels de la santé et de gens solidaires de réquisitionner ces chambres climatisées pour y mettre ces malades que la canicule allait tuer ? Ce qui empêche ce type d’action c’est essentiellement la paralysie de l’imagination des travailleurs qui se laissent téléguider vers l’impasse classique de l’opposition institutionnelle et spectaculaire. C’est à dire vers des formes d’action gérées et souvent subventionnées de A à Z par l’État.

Ironie de l’histoire, le 10 août 2003, alors que des milliers de pauvres gens crevaient dans leur HLM aux murs chauffés à blanc par 40° à l’ombre, 200 000 personnes guidées par les médias applaudissaient un Bové, réclamant un automne... brûlant ! Pour le capitalisme, mieux valait s’offrir ce spectacle plutôt que d’avoir à faire face à un petit millier d’infirmières et de médecins mettant à l’abri les personnes âgées dans les lits des hôtels de la grande bourgeoisie.

Un campeur


[1] Présenté dans les médias comme un sympathique facteur de base, souvent photographié près de son vélo jaune, Olivier BESANCENNOT est, à sa façon un intermittent du spectacle... médiatique : une fois rangée sa panoplie, le petit facteur redevient l’attaché parlementaire d’Alain KRIVINE, inamovible leader de la LCR et député européen. Le parti communiste et la CGT nous avaient gavés pendant des années de ces apparatchiks, prétendus "métallo" ou "électriciens", qui n’avaient pas mis les pieds dans une usine ni même touché un tournevis depuis belle lurette.


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