Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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DU REFERENDUM AUX PRESIDENTIELLES : QUELLES STRATEGIES POUR LES LUTTES ?

vendredi 25 novembre 2005

Ce texte a été écrit début octobre, soit avant la révolte des banlieues, qui sont venues renforcer l’analyse faite ici.


Le 29 mai dernier, c’était le référendum sur l’Europe. Dans une quinzaine de mois (en principe), ce sera l’élection présidentielle. Hier comme demain, politiciens et médias feront tout pour rabattre les exploités vers les urnes. "Le gouvernement et sa politique doivent être chassés par la rue et par les urnes" dira l’extrême-gauche (c’est la formule de la LCR, mais d’autres ont des incantations semblables) qui ajoutera"la victoire dans les urnes redonnera confiance dans les luttes". Tout ça, c’est beau comme du "Petit livre rouge". Mais c’est tout aussi faux. Entre le fait de voter et de lutter, il n’y a aucune synergie. Il y même, dans la pratique, un antagonisme total. Les exploités sont donc placés devant un choix stratégique essentiel : soit, bon gré mal gré, se rendre aux urnes et enterrer une nouvelle fois les luttes, soit rompre avec l’électoralisme et s’ouvrir ainsi le champ de tous les possibles.

LE “NON”, UNE VICTOIRE A LA PYRRHUS

L’importante participation électorale obtenue le 29 mai dernier à force d’une campagne frénétique, le triomphe du "non"... et le peu de mobilisation sociale qui a suivi constituent un exemple de ce que nous avançons.

Rappelons tout d’abord les conclusions qu’ont tirées les "vainqueurs" du jour. Le communiqué d’Alternative Libertaire nous en fournit un excellent exemple : "Ce que nous attendons de cette victoire du Non, c’est qu’elle regonfle le moral des classes populaires, qu’elle serve de tremplin pour un renouveau des luttes sociales ... Le MEDEF s’inquiète déjà des suites de ce coup de tonnerre" (communiqué du 29 mai 05). Et, comme tout le camp du Non pariait officiellement sur un regain des luttes sociales et un recul du MEDEF, la CGT lançait dans la foulée un appel à la grève nationale pour le 21 juin, soutenue en cela par le Parti communiste et tous les "non". Le journal Lutte Ouvrière ne se trompait pas sur l’importance de cet appel : "Le 21 juin est une occasion de montrer qu’on choisit la lutte" proclamait-il en couverture (édition du 17 juin). Et bien, avec un petit millier de manifestants à Paris et à Bordeaux, une cinquantaine à Toulouse et aussi peu ailleurs, ce que les salariés ont démontré le 21 juin, c’est que, quand ils votaient en masse, ils restaient ensuite à la maison. Et quelque part, c’est logique. Après chaque élection, les gens se sentent trompés. Mais cette tromperie ne les révolte pas, elle les assomme.

Le 21 juin il ne s’est rien passé. Pire, après le référendum, l’État s’est senti les mains totalement libres. Il ne s’est pas gêné : poursuites contre les lycéens et les grévistes, mise à la rue de mal-logés, accélération des expulsions de sans-papiers -traqués jusque dans les écoles-, et, clou de la rentrée, mise en place d’un véritable régime de travail obligatoire pour les chômeurs avec la possibilité de leur couper les vivres. Quant à l’affirmation que le MEDEF se serait alarmé de ce "coup de tonnerre", la suite ininterrompue des délocalisations, des licenciements, la confirmation de la ligne politique ultra-libérale du patronat et la "bonne" tenue de la Bourse suffisent à souligner le caractère ridicule de l’affirmation.

Loin d’entraîner une renaissance des luttes, la mobilisation électorale a contribué à étouffer celles qui existaient. L’affaire de Bègles en témoigne.

LE CAS DE BEGLES

Le 26 mai 05 le GIPN (Groupe d’Intervention de la Police Nationale) intervient, armé jusqu’aux dents et cagoulé, contre les postiers en grève du Centre de tri de Bègles. Suite à cela, quatorze grévistes, parmi la centaine qui retenaient cinq cadres, sont suspendus de leurs fonctions. Ce sont des militants de la CGT, de SUD et, pour l’un d’entre eux, de la CNT-Vignoles. A la veille du référendum, c’est une incroyable provocation. Que va-t-il se passer après la victoire du 29 mai ? Une mobilisation d’ampleur va-t-elle bloquer la répression ? Que nenni, la seule chose qui répond à la provocation policière et à la "victoire" électorale, c’est une indifférence croissante.

Alors que les passages devant le conseil de discipline se succèdent et que les sanctions tombent tout le mois de juillet, il y a certes 1 000 manifestants à Bordeaux le 21 juin 2005, mais que 500 le 07 juillet, puis plus rien. La CNT-Vignoles appelle tous les travailleurs de La Poste à se mettre en grève le 20 juillet. Comme on pouvait s’y attendre, c’est un échec cuisant. L’appel n’est absolument pas suivi. Conséquence : le militant des Vignoles est licencié, les autres sanctions sur le plan disciplinaire sont très lourdes (une exclusion professionnelle de trois mois, trois exclusions de un an et deux de deux ans) mais de plus neuf postiers sont poursuivis sur le plan pénal pour "séquestration", et risquent de ce fait des peines de prison.

Pourtant La Poste est un "bastion syndical" de SUD et CGT, et il y avait dans cette entreprise, avant le 29 mai, une réelle agitation sociale (dont témoigne l’action de Bègles) face aux divers plans de restructuration qui prévoient la suppression de 50 000 emplois (le quart des effectifs) d’ici 2010. Dans ce contexte explosif, on aurait pu s’attendre à quelque chose de la part de ces organisations (à la fois contre les suppressions d’emplois et pour défendre leurs militants poursuivis), ce d’autant que la victoire du non devait regonfler le moral des troupes.

L’échec de la journée de mobilisation nationale du 21 juin, le défaut de riposte à l’agression de Bègles, l’absence générale de luttes malgré le mécontentement populaire démontrent que les travailleurs sont dans une sorte de "vide énergétique" post-électoral. Cette espèce de dépression, qui suit les campagnes électorales, prouve combien les positions anarchosyndicalistes, qui prônent l’abstention, sont exactes et se vérifient sur le terrain des luttes.

LE QUATRE OCTOBRE OU LE COUP DU TREMPLIN

De ce qui précède, on peut d’ores et déjà déduire ce que sera le quatre octobre prochain [1]. Cette journée de mobilisation est appelée par l’ensemble des syndicats. Pour les dirigeants dudit mouvement social ce sera l’une de ces étapes obligées d’un processus qui applique à la lettre la maxime bien connue "la politique est l’art de gagner du temps". Car à n’en pas douter, cette journée aura lieu avec le soutien de toute la gauche et de l’extrême-gauche. Ce soutien placera cette action dans la perspective des présidentielles à venir, exactement comme les manifestations du 1er mai dernier et comme la journée de grève du 10 mars le furent dans la perspective du "non" au référendum. C’est ainsi que la journée de grève du 10 mars, avec ses millions de grévistes, fut une réussite, mais sans lendemain, car les seules perspectives qui s’en dégageaient étaient purement électoralistes.

A raison d’une journée de grève revenant périodiquement, que peut-on espérer si ce n’est de servir de tremplin aux thématiques électorales ? Oh, bien sûr, on entend déjà les militants trotskistes et les alternatifs libertaires nous dire que non ce coup-ci, c’est le bon. Tout comme ils ont leur "troisième tour social", ils ont leur "rentrée" chaude, rouge, ou de lutte (suivant les années), leur printemps social... mais ce n’est que pour masquer l’évidence : ce qui les intéresse, ce sont les échéances électorales. Déjà les rabatteurs sont prêts. Aux grévistes et aux manifestants du 4 octobre qui pensent lutter pour leurs revendications, ils présenteront, qui une grande manifestation contre Sarkozy (le 22 octobre), qui un forum national des "collectifs du non "(le 26 novembre).

Quant aux syndicats institutionnels, qui se revendiquent officiellement d’une soi-disant neutralité idéologique nous constatons que cela ne les empêche pas soit d’appeler directement à voter (tantôt pour Chirac, tantôt contre lui) soit à le faire indirectement. En effet, la déclaration derrière laquelle ils se retranchent, selon laquelle "l’essentiel n’est pas de voter" laisse entendre que voter ne peut pas faire de mal, et même peut faire du bien !. Au-delà de la contradiction flagrante dans laquelle ils s’enferrent, ce qui est grave, c’est qu’avec de telles pratiques, ils ne peuvent mener les exploités qu’à l’échec puisqu’ ils ne construisent pas les positions anti-institutionnelles nécessaires à la lutte de classe.

Il est temps de leur répondre ce que nous pensons de leur assommoir électoral, que si l’essentiel est de lutter surtout, il ne faut pas voter ! La participation électorale exclut l’action directe car la croyance aux élections paralyse l’action. A l’inverse, des mouvements largement hors-institution comme l’a été la grève du lundi de Pentecôte, ou la grève illimitée -elle aussi loin des stratégies institutionnelles- des ouvriers des raffineries Total (lancée le 16 mai, aboutissant à la satisfaction des revendications au bout de quatre jours) montrent que non seulement il est possible de lutter mais aussi de développer la conscience de classe, la solidarité et l’action directe, le tout avec des résultats. C’est cette analyse, ce sont ces perspectives, que nous appelons tous ceux qui se situent dans une perspective révolutionnaire à développer, partout où il sera possible, avec nous.

A.


[1] cet article a été écrit avant cette manif ... la suite à montré que l’auteur avait vu juste ...


CNT-AIT



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