Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

[ Imprimer cet article ] [ Envoyer cet article ] [ Nous ecrire ]



L’ère médiatique casse-t-elle des briques ?

vendredi 13 avril 2007

« Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir jeté avec l’eau du bain. », J. Séguéla

« Kuwabunga ! », Les Tortues Ninja

Comme dans les feuilletons à épisodes, il nous est donné de voir en ce moment lors de la campagne présidentielle, un coup de théâtre tous les deux jours... de peur que les gens s’intéressent à autre chose. Dans cette lutte des places impitoyable, un casting exceptionnel nous est proposé avec des acteurs de haute volée, au rôle fort bien scénarisé, et le tout servi avec un suspense digne de « Plus belle la vie ».

Il est étonnant d’y voir des personnages convaincants dans l’interprétation de la Platitude : Ségolène Royal tel Steven Segall bat tous les records d’expressivité et de profonditude dans ses réflexions politiques et ses prises de position furieusement enragées. On ne remerciera jamais assez les militants du PS d’avoir poussé sous les feux de la rampe une protagoniste aussi brillante par son absence d’idées que par sa réserve permanente sur tous les sujets.

Autre personnage récemment porté en haut de l’affiche : un petit jeune encore inconnu il y a peu, aux positions franchement radicales, et qui n’a de cesse de clamer son opposition au système : François Bayrou. Ce jeune rebelle est connu des services de police pour avoir un programme purement de droite sous couvert de position apartidaire et centriste. Cette forte tête s’oppose sans relâche aux discriminations qu’il subit de la part de ses concurrents sans pitié.

Sarkozy, acteur né, a réussi à s’imposer comme pièce centrale du scénario. Véritable illusionniste, il parvient à nous faire croire qu’il peut incarner la rupture alors qu’il est au gouvernement depuis cinq ans : il s’inscrit en cela dans la plus parfaite continuité des gouvernements précédents qui ont, chacun leur tour, accru les inégalités et la violence étatique, Sarkozy s’étant contenté d’accélérer le processus... bref que des claques dans la gueule pour la plupart des spectateurs. Et ce n’est certainement pas l’éternelle « victime » qui siège à sa droite, toujours blousée par un complot judéo-médiatico-poule-au-pot-maçonico-clandestin-tchécoslovaque qui, dans la course aux signatures, incarnera la rupture avec le système à travers son sketch indigeste et sur joué maintenant. Comment parler de rupture alors que ces deux derniers sombres comédiens ne poussent qu’à l’extrême l’idéologie déjà en place, dans sa forme la plus coercitive, xénophobe -voire totalitaire- ? Le jeu de Le Pen, depuis le temps qu’il a ce rôle de composition, est clair : masquer les différences de classe par des pseudo différences « nationales », stigmatiser le collègue « non français » afin de faire oublier l’universalisme des exploiteurs, et ce pour le plus grand bien des patrons.

Feuilleton dans le feuilleton : La gauche du PS. A côté d’Arlette, seule actrice à jouer toujours le même rôle depuis trente ans, s’ajoutent des seconds rôles plus ou moins issus de la profession dont des génies de l’improvisation comme José Bové, et même dans le rôle de l’homme invisible : Gérard Schivardi. Toujours prompts à pointer les abstentionnistes comme responsables des maux de la démocratie, et n’ayant pas réussi à proposer une unique candidature « antilibérale », Bové, Buffet et Besancenot ont chacun entrepris leur propre campagne unitaire (sic).

Ce feuilleton fleuve n’a rien à envier aux émissions électoralistes comme Star académy et consorts : les votes hebdomadaires par textos sont remplacés par les sondages et les guest-stars ne manquent pas au tableau pour venir soutenir leur candidat (J. Hallyday, Doc Gynéco, D. Debbouze, Diams, Trust...) Cette campagne se réduit à un espace de divertissements où tout le monde -journalistes et politiques- s’attache à mettre en avant les petites phrases et les questions de forme des candidats au lieu de profiter d’une aussi longue période pour développer les idées de fond que prétendent porter chacun-e. Les médias s’évertuent à déclarer que la campagne présidentielle est avant tout une rencontre entre des hommes/femmes politiques et les « Français ». Les émissions télévisuelles s’évertuent ainsi à présenter les protagonistes sous un registre humain. Mieux placés que quiconque, les candidats connaissent évidemment les « préoccupations-des-Français ». Mais lorsque celles-ci se portent sur le trafic d’influence et autre ristourne immobilière accordée à Mr Sarkozy [1], ou les fausses déclarations au Fisc de Mme Royal [2], les journalistes et les politiciens préfèrent soudainement se recentrer sur les « programmes » politiques des candidats.

Le public est spectateur de sa propre dépossession, organisée par une autre catégorie de professionnels : sociologues, politologues, commentateurs en goguette, et en dernier recours, les politiciens eux-mêmes. Ainsi le vote en soi n’exprime rien puisqu’il est besoin d’un arsenal de spécialistes -ultime caution de cette mise en scène, quelque soit le résultat-, pour tirer des interprétations des différents votes exprimés, preuve s’il en était que les programmes sont sans importance et que les médias et les hommes politiques ne croient pas eux-mêmes en ce qu’ils disent. L’électeur sincère qui votera pour une candidature d’extrême gauche se verra simplement « entendu » et ce seront les analystes sur les plateaux-télé, qui à sa place expliqueront son inquiétude sur les emplois etc., message que les politiciens feindront d’avoir entendu, ce dont l’électeur se fera une belle jambe.

Autre mythe perpétué par nos analystes : faire croire que le vote FN est un vote ouvrier. 30% des ouvriers voteraient pour le milliardaire du FN. Or les ouvriers ne votent pas plus pour l’extrême droite que la moyenne nationale, nos analystes n’ayant pas pris en compte le faible pourcentage de votants au sein de la classe ouvrière [3]. Par contre les classes moyennes supérieures votent plus pour l’extrême droite. On peut donc s’interroger sur les motivations profondes des médias, dont on ne saurait imaginer l’innocence, en colportant de tels mensonges. Que dire du fait que les journalistes ne reprennent généralement pas Le Pen lorsque celui-ci clame l’existence des races [4], ou autres manipulations et mensonges sur les statistiques ?

On ne nous a jamais autant répété que le vote était quelque chose de sérieux, alors que tout laisse à penser le contraire. Comment saurait-il en être autrement, dans la mesure où ces vingt dernières années d’alternance droite/gauche n’ont fait que démontrer l’impuissance des électeurs à influer sur le cours des choses, et l’absence de traductions concrètes de leurs aspirations (sauf dans le domaine sécuritaire) ? Ce ne sont pas les électeurs qui font les idées des élus, mais les élus qui fabriquent les aspirations de leurs électeurs, ainsi réifiées dans les intérêts de leurs représentants. L’absence d’illusions est la preuve patente aujourd’hui de l’insignifiance du vote. Le comble de l’insignifiance étant dorénavant que le vote pour Bayrou passe pour un vote protestataire...

Le vote est un acte individuel puisque c’est chacun dans l’isoloir qui va aller déposer un bulletin dans l’urne en pensant changer les choses, alors que c’est précisément le contraire qu’il faut faire : s’organiser collectivement. Ce n’est pas un acte politique au sens de l’organisation de la cité puisque chacun va voter selon ses propres intérêts immédiats, égoïstes et particuliers : le petit commerçant va voter pour payer moins d’impôts, l’enseignant pour le statut quo, au vu d’une situation matérielle satisfaisante dans l’état etc. Accepter le jeu « démocratique », c’est enfin se condamner à ne pas remettre en cause un système issu d’un vote majoritaire dit « légitime ». Pour oeuvrer à de profonds changements, la société doit pouvoir s’interroger sur elle-même. En dehors de ce questionnement collectif, les individus se condamnent à rester isolés et impuissants en terme de projet politique vers l’émancipation. Pour nous, un début de changement, est dans la désertion consciente des urnes.

Tiré de Espoir 7.


[1] Cf. le Canard Enchaîné, édition du 28 février 2007

[2] Cf. le Canard Enchaîné, édition du 7 mars 2007

[3] Ainsi, si on prend en compte l’abstention et les personnes non-inscrites sur les listes électorales, 15% des chômeurs et des ouvriers ont, en réalité, voté pour le Front National.

[4] France Europe Express du 15 mars 2007


CNT-AIT



-  Contacter des militants anarcho-syndicalistes
-  http://cnt-ait.info est le site d’actualité de l’Anarcho-syndicalisme.
-  La reproduction et la diffusion de l’Actualité de l’Anarcho-syndicalisme sont encouragées

Traduction(s):

[ Haut ]

L'Actualité de l'Anarcho-syndicalisme sur votre site : backend.php3.
Site developpé avec SPIP, un programme Open Source écrit en PHP sous licence GNU/GPL.