Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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ASPERITES ACTUELLES ?

vendredi 14 novembre 2003

Aspérités actuelles ?

L’échec du mouvement social du printemps 2003, aura été cuisant.

Une fois le Bac passé, seule véritable aspérité qui menaçait le gouvernement, ce dernier a pu enfin voir un boulevard s’offrir à lui. Les gens ne pourront bien sur pas bosser jusqu’à 70 ans, mais, sans pré-retraites, lorsque malades ou fatigués, ils devront cesser de travailler, ils partiront avec une "retraite" très amoindrie.

Là est la véritable opération, sans que le capital du MEDEF ait lâché une miette. En effet, sur la base du produit intérieur brut, seule la masse salariale est sollicitée pour les retraites (avec une population vieillissante et une jeunesse précarisée), pour le chômage (toujours en croissance puisque les grandes boites avec l’automatisation et la main d’oeuvre pas cher des pays pauvres et aussi précarisée des pays riches permettent de supprimer des emplois), pour la sécurité sociale (avec moins de salariés, des gens plus âgés, plus de souffrances et de maladies.

La part de capital dans ce PIB est en pleine expansion, mais plus personne ne parvient à trouver le rapport de force pour lui arracher ce qu’il a spolié, pour les salaires, la sécurité sociale, les retraites, le chômage, le temps libéré... Malgré l’agitation intermittente des travailleurs du spectacle, justifiée en réponse à la situation agressive du même MEDEF contre la société du spectacle ;

Malgré les 15000 morts d’un système débordé par la canicule, car dépareillé par l’Etat et le capital ; La fameuse "rentrée chaude", promise comme chaque année se sera révélée être une rentrée plate avec son lot de mauvaises surprises (Livret A à 2,25%, chèques payants à la CE...).

Mieux, le pathétique dédouanement du ministre de la santé lui aura permi de présenter sous un jour favorable (avec la bienveillance des médias) différentes attaques paupérisantes sur la santé, comme le plan hôpital 2007 (année d’élections), l’augmentation du forfait hospitalier, les déremboursements divers, les contrôles accrus pour les arrêts de travail (ultime solutions pour des travailleurs de plus en plus éreintés si ce n’est harcelés).

Marche où crève, c’est l’alternative !

Le gouvernement n’a plus à craindre les contradictions car il communique sur les paradoxes. On nous dit qu’il est sur le point de craquer, qu’il est affaibli... mais cela a-t-il une importance ? La capacité de riposte efficace est d’une telle faiblesse, que la force du gouvernement ne se mesure qu’à sa "communication" en jouant sur les contradictions les plus vives de la société.

Et puis "au cas ou", grâce au sécuritaire qui sait prospérer sur cette matière première irremplaçable qu’est l’insécurité civile issue de l’insécurité sociale, les pouvoirs en place savent qu’ils pourront toujours compter sur une armée et une police de plus en plus aguerrie contre les populations civiles.

Sur le front social et syndical, l’humilation est à son comble : Le dégoût est grand, c’est une révolte refoulée, mais plus fort encore restent le désarroi et même la dépression et son impuissance corollaire. Le domaine de la lutte s’étend et s’éparpille aux quatre vents pour chaque acte coûteux de l’existence, sans que la force d’attention et de concentration sur l’essentiel, comme fédérateur collectif ne soit actuellement possible. Seul enjeu, pour les abonnés de la maison FO, après lecture d’une main de "la vie syndicale de Jean Claude M." la tentation de voter pour ces Jean-Claude M. ou de s’abstenir...

Gouvernement, MEDEF et même opposition, savent pourquoi il n’ont plus à craindre de ces ripostes efficaces, sans grands efforts ils peuvent opposer leur cynisme à toute épreuve face à un fatalisme populaire désenclavé de toute histoire. C’est bien cela l’évènement, c’est la non riposte efficace, à la hauteur des attaques, d’autant qu’elles sont commises par des gens qui sont loin d’être infaillibles. Nous aurions tort de trop surestimer l’adresse du gouvernement, et de dénigrer la valeur populaire en matière de mobilisation sociale. Les gens ne sont pas à blâmer de ne pas trouver les aspérités permettant des actions incarnées et ayant de l’effet. L’époque a changé complètement, la parenthèse des "30 glorieuses" est définitivement refermée, bien que le vécu d’une continuité an-historique semble être la réalité. Les vieux outils de lutte, radicaux, révolutionnaires ou réformistes, c’est fini, même s’il y a du monde dans les manifs il faudra - si possible - inventer du neuf !

Et cela va prendre du temps.

Le renouveau d’incantations idéalistes désincarnées les plus diverses comme fuite au désespoir ne changeront rien à ces faits, quelle qu’en soit l’ampleur.. Elles ne feront qu’accompagner l’époque, sans en modifier les enjeux, au pire sans contrôle sur elle même et sans recul analytique, elles alimenteront les cohortes "d’idiots utiles" à l’émergence de nouvelles tyrannies... On ne fera pas l’impasse sur la nécessité d’un travail incarné, libéré des totémismes et fétichismes des anciens militantismes..

Le temps fracassé, distordu, la précarisation, ont désarticulé toute pensée sur le futur. Reste l’attente, au jour le jour, et l’occupation du temps qui passe. Difficile, dés lors de se projeter sur l’âge de la retraite, donc de se mobiliser sur cette question, puisque le vécu au jour le jour bloque toute aspiration à un futur quel qu’il soit. L’écart entre un secteur public retranché se rendant compte trop tard qu’il a couvert paritairement et dans la cogestion le travail précaire non titularisable et un secteur privé déjà très précarisé au sein desquels les gens travaillent de plus en plus au jour le jour, a rendu difficile le fait que le secteur privé s’engage significativement contre la réforme des retraites. En effet, plus la précarité salariale est grande, dans le sens où une journée de travail perdue compromet un équilibre domestique et quotidien précaire et plus la gêne ressentie par les grèves de transports et les fermetures d’école est importante, donc mal vécue... Et cela ne pourra pas être contré par le seul volontarisme de militants idéologiquement engagés.

Inefficacité, inadéquation plus exactement des anciens outils de lutte à l’actuelle situation.. Malgré quelques trop rares initiatives de luttes censurées sinon réprimées portant justement sur des grèves et actions de gratuité. A l’échelle de la droite gouvernante la parenthèse issue de la résistance au nazisme semble aussi définitivement refermée. Fini les filous de droite ayant fait leurs humanités dans la culture de la résistance au nazisme et qu’il était toujours possible de contrarier par des mouvements de lutte. Nous somme face à une jeune génération cynique qui fait la sourde oreille - ce sont des murs - jusqu’à lassitude, dont un bon nombre a fait ses premiers pas politiques dans l’engagement fasciste des années 60 et 70. D’où l’aspect fortement idéologue et propagandiste du discours libéral.

D’ailleur, si l’on se souvient que l’ancien concurrent du FN dans les années 70, le PFN (Parti des Forces Nouvelles) se dissout pour rentrer en masse dans le RPR (avant l’UMP), on aura compris cette émergence. Dés lors tout ceux qui à gauche, à l’extrême gauche, chez les libertaires même, auront appelés à voter pour la droite, pour contrer le FN, auront en fait cautionné une politique co-héritère des aspirations fascisantes du PFN ! Heureusement qu’au deuxième tour des législatives 2002 l’abstention, malgré sa mise au pilori, aura pris une belle revanche, ne cautionnant pas l’actuel gouvernement tout en sanctionnant le précédent (Il ne faut donc pas oublier que la majorité politique légale est minoritaire à l’échelle de la France). Il ne faudra donc pas s’étonner que le FN rajeuni ambitionne de faire du social son nouveau cheval de bataille, et il a de l’avenir lorsque la révolte généreuse a échoué et que précarité et misère continuent à prospérer.

En fait le possible en matière de progrès social semble être devenu impossible. L’économie virtuelle mais surpuissante a quitté la société des humains et toutes ses contradictions, désormais le capital financier domine et surdétermine de ses aléas tout un univers social mondialisé incluant celui de l’économie réelle des biens et des services et si des conflits restent possibles ils ne peuvent opposer que des intérêts divergents entre des gens de toute façon embarqués, dans des cabines de confort inégal, dans une même galère. C’est pourquoi il est de plus en plus difficile d’articuler autrement que dans l’espérance militante idéologique souvent illusoire, des conflits sociaux de plus en plus catégoriels, de plus en plus dispersés, même si l’accroissement des difficultés à exister offre l’occasion d’une multiplication de ces conflits.. Qu’il s’agisse de conflits micro-collectifs type luttes de classes, de conflits ethniques, guerres aussi etc...

Aujourd’hui le sujet social peut se parer de toutes les identités virtuelles comme réelles, ce qui multiplie, dans l’atomisation et l’anomie, les cas de figures. C’est titanesque... Un passage du salariat vers le post-salariat qui réhabilite aussi un certain esclavage... Le capital financier tout puissant, l’économie a cessé d’être à échelle humaine, le travailleur est devenu inessentiel et interchangeable dans nombre de cas, il n’est donc plus respecté y compris comme ennemi potentiel. On peut licencier en masse des gens travaillant dans des boites faisant du bénéfice, car le bénéfice capitalistique et attendu de ces licenciements est désormais plus important que les bénéfices productifs de la boite. Cela fera toujours moins de participation salariale aux cotisations de retraites, de sécurité sociale et de chômage.. Alors que les gens seront un peu plus chômeurs et/ou malades. Les deux valeurs, nécessaires à la paix sociale, reconnues au "travail du travailleur" sont la valeur occupationnelle et la valeur consommatrice anonyme qui rapporte de l’argent à des gens qui visent l’accession en bonne place dans la bulle financière virtuelle.

Dans la veine des courants "antimondialistes" devenus sémantiquement "altermondialistes" le mouvement ATTAC a su mettre le doigt, avec nombre d’études, de rapports et d’informations, sur l’importance majeure de l’économie financière purement spéculative comme domination mondialisée sur l’économie réelle des bien et des services. Cependant en proposant comme solution, de mettre en place à l’échelle mondiale une taxation d’un certain pourcentage sur les transactions spéculatives, non seulement elle avalise le principe de cette domination financière comme inéluctable, mais son projet amènerait la nécessité d’indexer à l’économie virtuelle spéculative, l’ensemble des activités économiques qui résistent encore à cet alignement sur la domination financière, bien qu’elles en subissent de toute façon les effets.

Faut-il voir derrière cette façon de penser la chose un prolongement d’un vieux déterminisme historique et fataliste Marxisant, qui soutiendrait la situation comme définitivement acquise ? Toujours est-il que la perspective de la création de centres de prélèvements financiers à divers points de passage des transactions spéculatives à l’échelle du monde, attire plus d’une chapelle politicienne, laïque, progressiste, ou religieuse. La concurrence est rude pour se positionner dans les premiers à l’entrée de tel ou tel robinet à pognon et ainsi faire prospérer sa boutique. Gageons, que cet embryon d’Etat mondial régulateur du capitalisme actuel saura organiser démocratiquement et électoralement la course à la gestion des caisses. Si pour l’heure, ATTAC est encore présenté comme un mouvement subversif par la communication capitaliste, c’est dans le double intérêt d’une part qu’il occupe le terrain de la "subversion" en marginalisant les courants mécréants qui remettraient en question la valeur même de la bulle financière spéculative, et, d’autre part, parce qu’il n’a pas éprouvé encore la nécessité d’organiser sa pérénisation avec l’aide d’un Etat mondial régulateur et gardien financé par l’organisation de la taxation des flux financiers. . Cela viendra. Et l’on sait dés lors répétition historique oblige, que l’impôt sur la spéculation servira avant tout à financer la police et la soldatesque mondialisée formant le corps d’Etat protecteur et régulateur de la pérénisation de ce nouveau capitalisme.

D’ailleurs, l’altermondialisme, n’ayant point élaboré de politique autonome lui offrant un débouché historique, tant il est "plombé" par le concept ATTAC, il reste un mouvement d’agitation ne pouvant à court terme que servir bien malgré lui, de par sa sincérité - sinon sa naïveté-, l’avènement des protectionnismes et des souverainismes de certains Etat nations, Etats-régions, cités-Etats émergentes et consortiums privés. En coulisse, l’altermondialisme à la belle façade reste donc avant tout une mondialisation des antimondialismes politiques. La rude concurrence qui s’en suivra et le risque de guerres désastreuses, mondialisées et dangereuses aussi pour les dominants, comme continuité des négociations commerciales en échec, sera alors la situation qui précipitera le mouvement vers l’organisation de l’Etat mondial financé par les taxes sur le capitalisme financier lui-même. Inutile de dire que cet Etat financé par le capitalisme continuera de régner grâce à la peur de la misère matérielle(déjà..) entretenue artificiellement.

Il ne s’agit plus aujourd’hui face à cette marée montante inéluctable et d’une force colossale de s’épuiser à construire des digues de sable qui seront de toute façon balayée, mais de s’ancrer et de s’amarrer, afin de garder la tête hors des flots, de naviguer, de reconstruire une fédération d’amarrages permettant à l’existence, à la vie, de continuer. Ainsi des pistes essentielles contre la misère, pourraient se situer dans la négation (et non le déni) de la valeur de la finance virtuelle comme blasphème mécréant et contre la dévotion à ce capitalisme financier avec la constitution d’un projet monétaire conventionné sur la satisfaction des besoins essentiels.

Dans un contexte de retour de l’Etat régalien, mais aussi d’échec du jacobinisme centralisateur se dissolvant dans le féodalisme libéral et décentralisé, la réflexion réactivée sur le fédéralisme Proudhonien serait plus que jamais d’actualité, de même la réflexion sur l’universel et les solidarités concrètes comme formes la plus équilibrées de garantie de l’intérêt particulier de tout un chacun. Enfin, tout questionnement sur l’économie réelle des biens et des services doit prendre en compte l’entretien, le renouvellement, la préservation de notre milieu naturel.

Un militant STCPP (CNT-AIT 75)


CNT-AIT



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