Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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L’anarchosyndicalisme questionné

lundi 18 décembre 2006

Rappeler “nos évidences”, les grandes lignes de ce que nous pensons, ne suffit pas, et il faut aller plus dans le détail. Voici l’état de notre réflexion sur quelques unes des grandes questions qui agitent le milieu libertaire en ce moment

Voter, est-ce agir ?

Nous refusons toutes les élections, qu’elles soient politiques ou professionnelles. Car jamais un élu, de quelque bord qu’il soit, n’a à parler ni à décider à notre place. Face au pouvoir des canailles, nous appelons en toutes circonstances à l’abstention.

On nous dit que les élections seraient le moyen pour les opprimés de renverser la situation. Observons tout d’abord que les alternances gouvernementales n’ont rien produit de semblable. Abusivement présenté comme démocratique, le parlementarisme, produit de la délégation de pouvoir, favorise la démission au quotidien, déshabitue les individus de l’exercice du pouvoir politique et favorise les "spécialistes" de la politique et autres nantis. Défendre le parlementarisme, c’est accepter de se soumettre aux résultats des urnes, aux 82 % de suffrages qui ont hissé Chirac sur le pavois, c’est légitimer la politique anti-sociale qui en découle. C’est aussi attendre éternellement la "prochaine" élection pour espérer un changement, et, dans l’attente, continuer à se faire piétiner. C’est transformer la lutte sociale en champ clos de conflits entre fractions parlementaires qui, lorsqu’elles sont minoritaires se présentent comme "la" solution de rechange, avant de continuer toujours la même politique quand elles reprennent le pouvoir. Un mouvement de lutte qui chercherait à s’appuyer sur le parlementarisme ne peut que s’affaiblir et se diviser et oublierait la masse croissante d’exploités qui refuse le jeu électoral et s’abstient consciencieusement à chaque élection.

Si l’électoralisme divise, l’action directe construit au contraire le rapport de force puisque, par définition, elle est l’action collective et sans intermédiaire des opprimés en lutte. L’action directe est la base originelle du syndicalisme, celle qui lui a permis, un temps, de contrer les attaques du capital. Il est grand temps de renvoyer les bureaucrates, les permanents politiques et syndicaux, les "partenaires sociaux", les élus (politiques ou professionnels), les spécialistes du paritarisme (qui participent à la gestion anti-sociale des caisses et de l’administration) aux poubelles de l’histoire.

Nous refusons tous les partis politiques, toutes les chapelles, tous les États et toutes les cliques d’arrivistes et de possédants, qui, au nom de la démocratie, de dieu ou d’un drapeau vivent en parasites sur la misère matérielle et morale qu’ils nous imposent à coups de lois et de milices. A bas l’État, le parlementarisme et les partis politiques !

La violence des masses est-elle contre-révolutionnaire ?

La violence révolutionnaire n’est autre chose que la quantité d’énergie nécessaire à produire une rupture historique. L’étude attentive de l’histoire montre que se sont les mouvements de réaction, et non l’action révolutionnaire, qui produisent la Terreur ou la guerre. Les événements les plus sanglants sont le produit du reflux révolutionnaire et non les causes de son insuccès.

Il est dans l’air du temps de prôner une sorte de "non-violence politiquement correcte", en imputant à l’utilisation de la violence les échecs des différentes luttes révolutionnaires. Et loin d’approfondir les leçons du passé, on s’enfonce de plus en plus dans des raccourcis faciles, imprégnés d’imagerie scolaire. Ces simplifications sont très utiles depuis deux cents ans à tous les réactionnaires qui utilisent la confusion entre la violence de masse et les épisodes de la Terreur.

Pour les anarchosyndicalistes, il est au contraire fondamental de repérer dans l’histoire ces moments de rupture (qu’ils se situent en 1789, 1917 ou 1936) pendant lesquels la population quitte son rôle passif pour passer à l’action [1]. A l’inverse, les épisodes de réaction se caractérisent par le retrait de la scène historique des masses populaires, qui laissent ainsi la place à des fractions politiques. Ces dernières mettent un terme à toute destruction du pouvoir pour, au contraire le reconstruire, le défendre et finalement le conquérir. Le résultat est un mouvement centralisateur, étatique et militariste. Une lecture plus fine de l’histoire montre que se sont ces mouvements de réaction -et non l’action révolutionnaire—, qui produisent la Terreur comme la guerre. Les événements les plus sanglants sont le produit du reflux révolutionnaire (Exemple : la Bataille de l’Ebre, en 1938) et non les causes de son insuccès.

Le discours dominant nous habitue à un concept de violence aussi polyvalent que creux. Est dès lors réputée violente toute action qui ne rentre pas dans le moule de la protestation "citoyenne", du syndicalisme intégré ou des autres formes de contestation politiquement correctes. Globalement, le qualificatif "violent" est essentiellement une étiquette qui permet de stigmatiser l’adversaire. Par ce tour de passe-passe, il n’y a de violence que chez ceux qui contestent le système, tandis que les oppresseurs, qu’ils bombardent une cité, affament la moitié d’un continent ou torturent dans les commissariats et les camps, sont toujours les gardiens du droit et de la justice et finalement de véritables non-violents auxquels rien (si ce n’est une regrettable bavure de temps en temps) ne saurait être reprochée. Les révolutionnaires qui se prennent à singer cette rhétorique nous font assister à un étonnant spectacle et donnent l’impression de chercher à s’excuser de vouloir renverser l’ordre établi.

La révolution libertaire ne peut triompher que par la participation des masses. C’est cette participation, qui détermine le rapport de force. Plus celui-ci est élevé et plus la violence est limitée. C’est donc quand ce rapport de force est élevé (et non quand on est en état de "légitime défense" ou pire, "lorsque la violence est imposée par une provocation", comme on le lit parfois) que les masses peuvent détruire le pouvoir qui les exploite et les domine. Ceux qui prônent la non-violence à ce moment là (quand tout est possible et que la violence peut être très limitée) pour ensuite réfuter la non-violence en période de reflux (par exemple en légitimant alors seulement la "légitime défense"), prouvent simplement deux choses : qu’ils utilisent la non-violence comme concept tactique (et non comme un postulat philosophique qui mériterait d’être discuté autrement) et qu’ils l’utilisent mal. En effet ils sont à rebours de toute la dynamique révolutionnaire, car ils raisonnent en dehors des masses, comme si le mouvement anarchiste devait être coupé d’elles. Certains en arrivent à tant les mépriser (à force de confusion historique et légaliste) qu’ils peuvent tenir des propos, tels que "Les pauvres par eux-mêmes ne peuvent que foutre le bordel" [2], qui constituent la négation même des capacités d’auto-organisation des masses. Ce qui revient à nier la base de la philosophie libertaire.

Cette façon de tourner en rond de pseudo-penseurs provient d’une incapacité à concevoir la société autrement que telle qu’elle existe à ce jour. La question doit donc être posée autrement : Est-ce qu’une société viable, non impuissante, c’est-à-dire capable d’organiser les rapports inter-individuels, ne peut, pour fonctionner, que reproduire éternellement les mêmes rapports de domination ? C’est dans notre capacité à modifier radicalement les rapports que nous vivons actuellement, à penser d’autres formes de société, dans lesquelles le pouvoir appartiendrait à l’ensemble de la collectivité, et non à une classe, ne s’imposerait à personne en permettant à tous de s’impliquer, que réside la réponse. Cette capacité collective, l’humanité la possède, comme de nombreux faits le prouvent, que ce soit l’existence fort ancienne de sociétés sans État [3] ou les pratiques contemporaines des collectivités et assemblées (soviets, conseils, collectivités de 1936..). Les anarchosyndicalistes doivent tout mettre en œuvre pour faciliter, dans les moments de rupture historique qui se produiront, ce basculement, sous peine de voir se reconstituer, une fois de plus, l’État. Car c’est effectivement l’incapacité à produire ce basculement, à abolir les divisions sociales qui, laissant le champ libre à la réaction, est la cause de la reproduction du pouvoir ; et pas, comme on voudrait nous le faire croire, la violence révolutionnaire des masses.

Le syndicalisme doit-il être non-idéologique ?

Tout discours sur les choix de société, que ce choix consiste en un maintien ou un changement, est idéologique. Seule l’idéologie permet de saisir et d’élaborer du sociétal. Tout groupe qui poursuit un but social ou politique est mû par une idéologie, qu’il s’en réclame ouvertement ou qu’elle soit implicite. Le syndicalisme n’échappe pas à la règle. Comme les autres forces sociales, il est à la fois production et producteur d’idéologie.

Quand le "syndicalisme" se prétend non-idéologique il est soit un simple conglomérat d’individus qui n’ont pas grand chose en commun (et qu’un débat un peu profond sur quelque problème sociétal d’envergure ferait exploser), soit un conglomérat de gens qui ont tellement intégré l’idéologie dominante qu’ils ne peuvent plus s’y soustraire et qu’ils se satisfont d’un profil revendicatif (éventuellement d’un "syndicalisme de combat") mais sans remettre en cause le principe même de l’exploitation (comme le font aux USA des syndicats hyper-activistes dans la forme mais hyper-réformistes dans le fond), soit, le plus souvent, une courroie de transmission. Dans ce dernier cas, le syndicat soit disant non-idéologique a subi en fait un travail d’anéantissement théorique de ses options de départ pour le compte d’une autre force (qui pratique dans le syndicat l’entrisme, le noyautage). Le refus affiché de l’idéologie et l’apolitisme sont alors la marque de cette prise en main de l’intérieur. L’expérience sur ce point est ancienne. En France, la "Charte d’Amiens" (1906) qui prétendait aux principes de neutralité, d’apolitisme, d’indépendance et de non-intrusion entre les sphères d’activité du syndicat (revendications salariales immédiates...) et celles des partis (auxquels reviendrait le choix de société et sa future gestion) a assuré successivement le triomphe des réformistes puis des marxistes-léninistes dans le mouvement social.

C’est contre cette conception que s’élève l’anarchosyndicalisme. Celui-ci reconnaît que la société actuelle est façonnée par trois grands types d’ordres : idéologique, politique, économique. La société dans laquelle nous vivons s’organise sur la base de l’exploitation d’une classe sociale et découle de la co-action dans le monde entier de ces trois ordres : économique (capitalisme, quelle qu’en soit la nature juridique), politique (étatisme, quel qu’en soit le régime), idéologique (domination, quelles qu’en soient les variantes), ce qui les rend consubstantiels au système social en vigueur. Ils se corroborent et se pérennisent dans leurs modes et rapports. Dès lors, ne viser à changer, pour des raisons tactiques, qu’un seul des trois ordres est une erreur, car les deux autres ordres travaillent à rétablir continuellement celui qui se trouve momentanément en situation de faiblesse. Choisir un seul angle d’attaque, c’est, on le comprend dès lors, s’engager dans l’impasse du parcellaire et du fragmentaire.

Les syndicats réformistes sont-ils un "mal nécessaire" ?

Nous rejetons le syndicalisme de collaboration de classe, qu’il soit porté par les vieilles centrales (CFDT, CGT, FO) ou par leur progéniture alternative (SUD, UNSA,...) Ce ne sont que les rouages d’un vaste système d’exploitation, de division et de domination. Parce qu’ils cogèrent notre domestication avec l’État et le patronat, ces syndicats réformistes sont aussi le pouvoir. Ils sont nos ennemis de classe. Nous n’avons rien à faire avec eux.

Par leur intégration dans l’État (à travers les commissions administratives paritaires, la participation à la gestion des organismes dits sociaux...) comme par leur collaboration au plus haut niveau avec le patronat (élections prud’homales,...), les unes et les autres ne sont que des rouages d’un vaste système d’exploitation, de division et de domination. Oubliant leur visée transformatrice initiale, les réformistes, pris dans la tactique électorale, oublient le fond car, pour eux, gagner des places dans les institutions est devenu l’essentiel. La tactique a fini par aboutir au tacticisme en détruisant toute la théorie révolutionnaire qu’il pouvait y avoir au départ. Il n’y a plus ni finalité, ni sens, ni principe. Le tacticisme n’est pas la maladie infantile ou sénile du révolutionnaire. C’est sa transmutation. De facto, réformistes anciens et néo-réformistes défendent les institutions, tantôt discrètement, souvent ouvertement, parfois brutalement. Ils s’opposent à la résistance populaire autonome, contraire à leurs buts et intérêts. Ils sabordent toute lutte n’entrant pas dans leur conception étroite. Ils affaiblissent toute riposte efficace aux réactions violentes de la bourgeoisie. Par-là, ils font le jeu des totalitarismes. Ils pérennisent les instruments de la domination bourgeoise, consolident l’appareil étatique (qui sert à manipuler ou à réprimer les prolétaires, les opprimés). En échange, combien nombreux sont ceux qui peuvent obtenir de bonnes places, des privilèges, des revenus !

Les réformistes (sociaux-démocrates, verts, voire communistes) et les néo-réformistes (communistes, trotskistes, issus de divers courants d’extrême-gauche, voire de l’anarchisme) se querellent entre eux, mais, sur le fond, ils visent les mêmes choses. Depuis quelque temps, ils sont plus nombreux à se revendiquer "anarchistes", "libertaires", "municipalistes", "syndicalistes révolutionnaires"... ils tentent une manipulation théorique, historique, sémantique. Ces soi-disant "anarchistes" militent dans des syndicats réformistes (certains y sont même permanents) et préconisent la participation aux élections syndicales. Certains voudraient même nous faire croire qu’au niveau municipal ils pourraient créer des sortes de communes autogérées, libertaires ; prenant vraiment les libertaires pour des imbéciles. Les vrais anarchistes, les vrais révolutionnaires, ne visent pas à conquérir les moyens de la domination mais à les détruire.

L’unité, avec qui ?

Nous avons déjà souligné la contradiction insoluble entre ceux qui poursuivent des problématiques électoralistes et ceux qui veulent pratiquer l’action directe. Leur cohabitation est impossible dans une lutte. Il n’y a rien à discuter. Nous récusons tous les partis politiques, des plus grands aux plus groupusculaires car, par définition, ils aspirent à prendre le pouvoir et donc à exploiter la population. C’est pourquoi, nous affirmons qu’il n’y a aucune possibilité, même ponctuelle, d’accord, d’alliance ou de signature avec eux.

A chaque lutte d’envergure, “la question de l’unité” se pose. On voit tantôt refleurir les cartels d’organisations syndicales (derrière lesquelles pontent le nez les organisations politiques), tantôt les coordinations plus ou moins autoproclamées.

"L’unité syndicale", constitue souvent la 1ère manœuvre de division : loin d’élargir l’action, elle est une étape classique de reprise en main et de contrôle des mouvements de lutte apparus à la base. Ainsi, lors des dernières luttes dans la fonction publique, la reprise en main a consisté pour une grande part à réunir tous les petits mouvements épars sous la houlette de l’encadrement syndical et politique traditionnel. C’est-à-dire à opérer la jonction des forces vives de la lutte avec les professionnels de l’inertie. Notre expérience de terrain nous amène à penser que le plus efficace, c’est de faire l’unité loin des appareils, dans les structures qui regroupent tous les individus (syndiqués ou pas) en accord avec les buts que poursuit la structure en question.

Comment de telles structures doivent-elles fonctionner ? Le mode de fonctionnement vertical (ou hiérarchique) est souvent présenté comme efficace sous prétexte que les débats démocratiques freineraient la prise de décisions. Or, une structuration verticale induit un appareil non-démocratique, des jeux de pouvoir, la quête de bonnes places au détriment des principes, et, finalement l’institutionnalisation. A l’inverse, le mode de fonctionnement horizontal est, à terme, réellement efficace car il implique tous les membres dans les décisions et favorise une connaissance collective des enjeux, empêche ou rend difficile l’instrumentalisation de la lutte à des fins personnelles.

Le fait que chaque membre soit à égalité de droit est réellement démocratique. L’horizontalité permet la mise en réseau des structures de résistance sans qu’aucune ne prive l’autre de ses prérogatives. Elle permet la coordination et l’action collective, favorise l’équilibre du singulier et du pluriel, harmonise l’intérêt particulier et général dans ce qu’il a d’indissociable. Ce choix du fédéralisme offre d’autres avantages en multipliant les centres de décision, il stimule l’empirisme par la multiplication des expériences puis par la sélection des plus adéquates. Il fragilise également l’attaque de l’adversaire car il est plus difficile de soudoyer, corrompre, réprimer, contrôler, manipuler tout un mouvement que quelques personnes.

Nous appelons à la formation de comités de lutte partout où c’est possible, dans les entreprises comme dans tous les lieux de vie, communes, quartiers, lycées, facs,... Nous appelons au fonctionnement en assemblées générales autogérées, au rejet des intermédiaires syndicaux, au refus des délégués incontrôlables.

Nous appelons à la démocratie directe et à l’action directe. Les négociateurs syndicaux ont toujours négocié notre défaite à leur profit et à celui du patronat. Les jours de grève et les cortèges décidés par les syndicats ne servent qu’à nous faire retourner au travail sans rien avoir obtenu. Décidons nous même des formes de lutte : gratuité dans les services publics, baisse des cadences, contre-information sur les boîtes, ouverture au public des lieux de travail, blocage de la production. Inventons, réinventons nos luttes.

Qui a besoin de la représentativité ?

Le pouvoir a besoin de la représentativité, parce qu’il a besoin d’interlocuteurs afin de contrôler l’action éventuelle des opprimés et de garantir à la classe dominante l’ordre social. La représentativité, c’est donc le problème du pouvoir, non celui des anarchosyndicalistes. Nous refusons tout autant la comédie médiatique et la contestation spectaculaire, qui vident nos révoltes de leur sens en les réduisant à des images ridicules de manifestation-kermesses et de clowns champêtres. Aussi, “nous ne parlons pas” aux journalistes comme aux autres valets du pouvoir.

La pratique de la représentativité, tout comme celle de la visibilité médiatique est largement utilisée par le capitalisme et l’État pour maintenir la domination de classe. Il ne s’agit pas là de simples "outils" dénués de contenu mais au contraire d’instruments idéologiques, porteurs en eux-mêmes d’aliénation. De là leur incompatibilité de fond avec l’ensemble de la pensée libertaire.

Le premier argument que nous opposent les défenseurs de la représentativité repose sur une critique de la délégation suivie de l’affirmation que la représentativité est valable si elle est obtenue par l’action. Or, pourquoi une représentativité obtenue par l’action (même directe) n’aurait-elle pas les mêmes résultats négatifs qu’une représentativité obtenue par toute autre voie ? Voilà ce à quoi la réponse qu’on nous fait se garde bien de répondre ! Car c’est pourtant là que se trouve le cœur du problème : c’est la représentativité qui crée la subordination, pas la façon dont on acquiert cette représentativité. Pour ne citer qu’un exemple, qu’on se rappelle l’histoire du "syndicat de combat" Solidarnosc, en Pologne dans les années 1980, et le parcours de son leader le plus représentatif, Lech Walesa.

Un deuxième argument, plus tactique, est avancé : “on ne pourrait pas faire autrement, car sinon on n’aurait pas de droits”. Puisqu’on parle de droit formel, il est toujours utile de rappeler qu’en dépit d’une rumeur savamment entretenue par tous les professionnels du syndicalisme, les salariés du privé ont à ce jour, section syndicale ou pas, des droits. En particulier un droit essentiel : celui de se mettre en grève sans représentativité, sans délégué du personnel, sans délégué syndical, sans élu à quelque comité que ce soit.

En pratique, la représentativité n’apporte aucun droit essentiel à l’ensemble des travailleurs. Elle apporte des avantages particuliers aux délégués (mais se tourne facilement contre eux s’ils ne comprennent pas assez vite que les avantages légaux qui leur sont octroyés le sont en échange de leur collaboration avec le patron !)

Que représentent les revendications immédiates ?

Participer à des luttes sur des revendications immédiates, c’est être solidaire, mais c’est aussi et surtout faire de la propagande, par les discussions avec des gens plus à l’écoute que d’habitude et par la mise en pratique de nos principes. C’est ce long travail de sape qui permettra un jour d’abattre le capitalisme. Dire cela n’est pas mépriser les revendications immédiates ni ceux qui les portent, c’est seulement être lucide sur nos moyens d’action contre ce système.

Il est courant d’entendre que les revendications immédiates (celles qui visent à améliorer l’ordinaire, sans analyser le pourquoi des conditions d’existence ni remettre en cause le système) en jouant sur les effets et non les causes améliorent la situation des exploités. Certes, mais à y bien regarder, à terme, elles ne résolvent rien et empêchent la remise en cause du système. Mieux, elles le confortent en entretenant les illusions sur sa valeur. Le débat sur les revendications immédiates dans lequel beaucoup de libertaires s’enferrent est redondant, récurant voire obsolète. L’histoire a tranché. L’anarchisme n’est pertinent que social, c’est ainsi qu’il a inscrit ses actes les plus marquants [4] dans son combat avec et parmi les exploités, comme composante du mouvement ouvrier (CGT du début du siècle dernier, FORA argentine, CNT d’Espagne, tendance du Zapatisme, etc., etc.). Et cela, même si la tâche est ingrate, obscure, difficile, et parfois déroutante. Participer à des luttes sur des revendications immédiates n’a donc rien à voir avec le fait de rédiger une plate-forme de revendications au nom de la CNT-AIT. On peut s’imaginer que rédiger une telle plate-forme nous rapprocherait des préoccupations de nos "frères" de classe, tout en les incitant à pousser un peu plus loin leurs revendications. L’expérience montre pourtant qu’à vouloir "coller" aux préoccupations immédiates, on en oublie souvent l’analyse politique et la lucidité sur les moyens d’abattre le système ; à moins que ce ne soit le contraire : ce sont peut-être ceux qui manquent d’analyse politique et de lucidité qui s’imaginent avancer en prenant à leur compte des revendications que peuvent porter les syndicats réformistes. C’est ce que fait par exemple SUD depuis pas mal de temps, et apparemment, ça ne convainc pas tellement plus de monde que nos idées soi-disant trop radicales et surtout, ça ne nous rapproche pas beaucoup de la révolution sans laquelle on ne changera pas de système.

Quel mode d’organisation construisons-nous ?

L’organisation historique de la CNT-AIT comportant des niveaux décisionnels supra-syndicats avec mandatés et votes majoritaires (U.R., C.C.N, Congrès) a inévitablement généré, malgré toute la bonne volonté des militants, des lieux de pouvoir. Comme toutes les organisations syndicales et politiques issues des luttes et des idéologies de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle (c’est-à-dire la quasi-totalité des organisations existant actuellement) l’organisation de la CNT-AIT a reproduit en filigrane un modèle pyramidal, le modèle dominant de la société.

Or, tout système d’organisation par niveaux successifs d’intégration hiérarchisés produit du pouvoir. L’usage du vote majoritaire, qui constitue à ce jour le moyen essentiel d’assurer la cohérence des organisations, n’est pas un instrument de conviction, mais le moyen de soumettre les minorités aux décisions des majorités. Pour nous, anarchosyndicalistes, ce constat appelle une redéfinition du mode d’organisation.

Fidèle aux principes du fédéralisme, le mode d’organisation confédéral que nous préconisons repose sur la constitution d’un réseau d’entités anarchosyndicalistes autonomes et souveraines. Ces structures seront les seules à détenir un pouvoir de décision dans l’organisation. Le mode de fonctionnement interne de ces anarchosyndicats leur appartient, il doit simplement être non autoritaire et non hiérarchique et repose donc sur l’assemblée générale des militants, pour le reste ses membres prennent toutes les décisions utiles en fonction des bases de l’anarchosyndicalisme et de la réalité locale. Afin de faciliter l’échange d’information, la solidarité et l’entraide entre les anarchosyndicalistes d’une même région géographique, des unions régionales devraient être constituées. Leur objectif est de favoriser la coordination des activités entre les entités anarchosyndicalistes, et de mettre en commun des moyens d’action et de réflexion. Les Unions régionales ne doivent pas être des instances de décision mais des lieux de proposition et de débat. La Région est appelée à être une structuration pratique et ouverte des anarchosyndicalistes plus ou moins proches géographiquement. Toutes les autres formes de rencontres entre militants, de débats, et d’actions concertées de plusieurs entités (forum, camping, lutte sociale...) sont des éléments favorables au développement et à la cohérence de la confédération. De façon à coordonner l’action et la réflexion des anarchosyndicats et à faciliter l’unité de la confédération dans la région France, des congrès sont organisés chaque année au niveau national. Ils réunissent l’ensemble des entités pour débattre des principes généraux constituant les bases politiques et pratiques de la confédération, et pour proposer des stratégies d’action à mener pour construire une autre société. Les Congrès ne sont pas des instances de décision mais des lieux de proposition et de débat. Ainsi constituée en un réseau de groupes anarchosyndicalistes souverains, autonomes, et fraternels, la confédération pratiquera un fédéralisme de libre adhésion sans contrainte par soumission à la loi du plus grand nombre (tel que le vote majoritaire), mais par contribution volontaire des groupes à l’action commune et concertée. En respectant les principes de l’autonomie et en pratiquant l’auto-organisation, la confédération doit être la résultante de l’activité réelle des groupes anarchosyndicalistes et de leur coopération fraternelle.

Tiré du Combat Syndicaliste numéro 97 de la CNT-AIT de Midi- Pyrénées.


[1] C’est ce que fait par exemple Kropotkine qui, dans son ouvrage "La Grande Révolution", s’attache à montrer l’importance de l’action directe des masses dans la dynamique des événements révolutionnaires.

[2] Nous avons réellement trouvé cette phrase dans une publication "révolutionnaire". La révolte des banlieues a donné lieu, y compris dans certains milieux libertaires, à des propos aussi stupides et déplacés.

[3] De nombreux travaux ethnologiques, dont ceux de Pierre Clastres, en attestent.

[4] Commune de Paris, Russie de 1917, Ukraine, Argentine des années 20, Espagne 1936, etc.


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