Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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L’insurection de Kwangju en Corée du sud (1980)

jeudi 25 octobre 2007

Dans les deux siècles passés, deux évènements se détachent comme symboles de la capacité spontanée de milliers de personnes à se gouverner elles-­mêmes : la Commune de Paris en 1871 et l’insurrec­tion de la population de Kwangju en 1980.

Dans les deux villes, les habitants désarmés, en op­position à leurs propres gouvernements, gagnèrent effectivement le contrôle de l’espace urbain et le tinrent malgré la présence de forces militaires bien armées cherchant à rététablir « la loi et l’ordre » ; des centaines de milliers de personnes se levèrent à ces occasions et créèrent des organes populaires qui, avec efficacité et efficience, remplacèrent les formes traditionnelles de gouvernement ; les taux de crimi­nalité chutèrent en flèche durant la période de libé­ration, et les gens éprouvèrent entre eux des formes de parenté inexpérimentées auparavant. Les réalités libérées des Communes de Paris et Kwangju contredisent le mythe largement propagé que les êtres humains sont essentiellement mauvais et ont en conséquence besoin de gouvernements forts pour maintenir l’ordre et la justice. Plus exac­tement. le comportement des citoyens durant ces moments de libération révèlent une capacité innée à l’auto-gouvernement et à la coopération. Ce furent les forces du gouvernement, pas les gens ingouver­nés, qui agirent avec une grande brutalité et injus­tice. Les évènements de Kwangju se déroulèrent après que le dictateur de la Corée du Sud, Park Chung­Hee, fut assassiné par son propre chef des services de renseignements. Dans l’euphorie qui suivit la mort de Park, les étudiants menèrent un vaste mou­vement pour la démocratie mais le général Chun Doo-Hwan prit le pouvoir et menaça de réprimer violemment si le mouvement continuait. Dans toute la Corée, avec la seule exception de Kwangju, les gens restèrent chez eux. Avec l’approbation des Etats-Unis, le nouveau gouvernement militaire dé­gagea des limites de la Zone Démilitarisée quel­ques une des unités parachutistes les plus aguerries pour donner une leçon à Kwangju. Une fois que ces troupes atteignirent Kwangju, elles terrorisèrent la population de façons inimaginables. Au cours de la première confrontation le matin du 18 mai, des ma­traques spécialement conçues brisèrent les cranes des étudiants sans défense. Alors qu’ils refluaient précipitamment pour se mettre en sécurité et se re­grouper, les parachutistes attaquèrent brutalement : « un groupe de parachutistes attaqua chaque étu­diant individuellement. Ils éclataient sa tête, co­gnaient son dos, lui donnaient des coups de pieds dans le visage. Quand les soldats avaient terminé, il ressemblait à un tas de vêtements dans de la sauce à la viande. » [Lee Jae-Eui, Kwangju Diary : Beyond Death, Beyond the Darkness of the Age, p. 46] Les corps furent empilés dans des camions où les soldats continuaient à les frapper et à leur donner des coups de pieds. A la nuit, les parachutistes avaient dressé leurs camps dans plusieurs universités.

Comme les étudiants ripostaient, les soldats utilisè­rent leurs baïonnettes sur eux et arrêtèrent des dou­zaines de personnes supplémentaires qui furent mi­ses à nu, violées et encore davantage brutalisées. Un soldat brandissait sa baïonnette à des étudiants arrê­tés et leur hurlait « C’est la baïonnette que j’ai utili­sé pour couper 40 seins de femmes Viet-Cong ! » La population entière était choquée par la réaction extrême des parachutistes. Les parachutistes étaient tellement hors contrôle qu’ils poignardèrent à mort le directeur de l’information de la radio de la police qui tentait de les convaincre d’arrêter de brutaliser les gens. [Kwangju Diary, p. 79] Malgré de sévères tabassages et des centaines d’ar­restations, les étudiants se regroupaient continuelle­ment et ripostaient avec ténacité. Comme la ville se mobilisait le jour suivant, des gens de toutes condi­tions sociales éclipsèrent le nombre d’étudiants par­mi les protestataires. [The May 18 Kwangju Demo­cratic Uprising, p. 127] Cette génération spontanée d’un mouvement populaire transcenda les divisions traditionnelles entre la ville et l’université, un des premiers indices de la généralisation de la révolte. Les parachutistes eurent recours à une brutalité sans coeur - tuant et mutilant les gens qu’ils rencontraient dans les rues. Même des taxis et des chauffeurs de bus cherchant à aider des gens blessés et saignant furent poignardés, battus et parfois tués. Quelques policiers essayèrent de relâcher secrètement des pri­sonniers et eux aussi reçurent des coups de baïon­nettes. [Kwangju Diary, p.113] Beaucoup de poli­ciers entrèrent simplement chez eux et le chef de la police refusa d’ordonner à ses hommes d’ouvrir le feu sur les protestataires malgré l’insistance des militaires. Les gens ripostèrent avec des pierres, des battes, des couteaux, des tuyaux, des barres de fer et des mar­teaux contre 18 000 policiers anti-émeutes et 3000 parachutistes. Bien que de nombreuses personnes aient été tuées, la ville refusaient d’être pacifiée. Le 20 mai, un journal intitulé Le bulletin des militants fut publié pour la première fois, fournissant des nouvelles fiables - à la différence des médias offi­ciels. A 17H50, une foule de 5000 personne surgit sur un barrage de la police. Quand les parachutiste les repoussèrent, ils se regroupèrent et s’assirent sur la route. Ils choisirent alors des représentants pour essayer de diviser encore plus la police et l’armée. Dans la soirée, la manifestation enfla à plus de 200 000 personnes dans une ville qui comptait alors 700 000 habitants. La foule massive unifiait des ou­vriers, des paysans, des étudiants et des gens de toute condition sociale. Neuf bus et plus de 200 taxis menaient la marche sur l’ave­nue Kumnam, de la zone mar­chande du centre-ville. Une nou­velle fois les parachutistes attaquè­rent avec brutalité et cette fois la ville entière résista. Durant la nuit des voitures, des jeeps, des taxis et d’autres véhicules furent incendiés et poussés au milieu des forces mi­litaires. Bien que l’armée attaquait de manière répétée, la soirée termi­na dans une impasse à Democracy Square. A la gare de nombreux ma­nifestants furent tués et à la préfec­ture, à coté de Democracy Square, les parachutistes ouvrirent le feu sur la foule avec leurs M-16, tuant de nombreuses autres personnes.

Les médias censurés dissimulèrent les tueries. A la place, ils fabriquèrent des fausses nouvelles d’actes de vandalisme et d’action de police mineures. La brutalité de l’armée ne fut pas mentionnée. Après la nuit les informations négligèrent une nouvelle fois de rendre compte de la situation, des milliers de per­sonnes encerclèrent l’immeuble de la MBC. Rapide­ment la direction de la station et les soldats qui la gardaient battirent en retraite et la foule fit irruption à l’intérieur. Incapable de faire marcher les équipe­ments de la radio, les gens incendièrent le bâtiment. La foule frappa les bâtiments intelligemment : «  A 1 H du matin, les citoyens vinrent en foule à l’Hôtel des Impôts, le saccagèrent et l’incendièrent. La raison en était que les impôts qui auraient dû être utilisés pour la vie et le bien-être des gens avaient été utilisés pour l’armée et la production des armes qui tuaient et frappaient les gens. C’était une chose très inhabituelle d’incendier les stations de radio et les bureaux des impôts pendant que le commissariat et d’autres bâtiments étaient épargnés et protégés. » [The May 18 Kwangju Democratic Uprising, p. 138]

En plus de l’Hôtel des impôts et de 2 immeubles de médias, le Bureau de Supervision du Travail, le dé­pôt de véhicules de la préfecture et 16 voitures de police furent incendiés. La bataille finale à la gare vers 4H du matin fut intense. Les soldats utilisèrent de nouveau leurs M-16 contre la foule, tuant de nombreuses personnes dans les premiers rangs. D’autres grimpaient sur les corps pour poursuivre le combat contre l’armée. Avec une incroyable force d’âme, le peuple l’emporta et l’armée battit en re­traite précipitamment.

A 9H le matin suivant (le 21 mai), plus de 100 000 personnes se rassemblèrent de nouveau sur l’avenue Kumnam face aux parachutistes. Un petit groupe cria que des gens fe­raient bien d’aller à Asia Motors (un entrepreneur militaire) pour saisir des véhicules. Quelques douzaines de personnes y allèrent, en ramenant seulement sept (le nombre exact de rebelles qui savaient conduire). Comme ils faisaient la navette avec de plus en plus de chauffeurs, ce fu­rent bientôt plus de 350 véhicules, incluant des transports de troupes blindés, qui furent aux mains du peu­ple. Conduisant ces véhicules expro­priés tout autour de la ville, les mani­festants rallièrent la population et allèrent aussi dans les villes et villages avoisinants pour répandre la ré­volte. Certains camions amenaient du pain et de la boisson en provenance de l’usine Coca-Cola. Des négociateurs furent choisis dans la foule et envoyés auprès des militaires. Soudain des coups de feu per­cèrent une atmosphère déjà épaisse, éliminant l’es­poir d’un arrangement pacifique. Pendant 10 minu­tes l’armée tira de manière indiscriminée et des dou­zaines de personnes furent tuées et plus de 500 bles­sées dans le carnage.

Le peuple répondit rapidement. Moins de deux heu­res après les tirs, la première station de police fut attaquée pour trouver des armes. Plus de gens for­mèrent des équipes d’action et firent des raids sur les arsenaux de la police et de la garde nationale. Ils s’assemblèrent à deux endroits centraux. Avec l’aide des mineurs de charbon de Hwasun, les mani­festants obtinrent de grandes quantités de dynamite et de détonateurs. [The May 18 Kwangju Democra a tic Uprising, p.143] Sept bus remplis de travailleuses du textile se rendirent à Naju où elles prirent des centaines de fusils et des munitions qu’elles ramenèrent à Kwangju. Des saisies similaires d’ar­mes eurent lieu dans les comtés de Changsong, Yoggwang et Tamyang. Le mouvement s’étendit rapidement à Hwasun, Naju, Hampyung, Young­kwang, Kangjin, Mooan, Haenam, Mokpo - en tout dans au moins seize autres parties de la Corée du Sud-Ouest. [The May 18 Kwangju Démocratie Uprising, p. 164] La prolifération rapide de la ré­volte est un autre indice de la capacité du peuple à l’ auto-gouvernement et à l’initiative autonome. Es­pérant amener le soulèvement à Chunju et Seoul, des manifestants se mirent en route mais furent re­poussés par des troupes bloquant les autoroutes, les routes et les voies de chemin de fer. Des hélicoptè­res de combat dispersèrent des unités de manifes­tants armés des comtés de Hwasun et Yonggwang qui essayaient d’atteindre Kwangju. Si les militaires n’avaient pas contrôlé si étroitement les médias et restreint les déplacements, la révolte aurait pu tour­ner en soulèvement national.

Dans la chaleur du moment, une structure se déve­loppa qui était plus démocratique que les adminis­trations antérieures de la ville. S’assemblant à Kwangju Park et Yu-tong Junction, des cellules de combat et un commandement furent formés. Des mitrailleuses furent pointées sur la préfecture (où les militaires avaient leur poste de commandement ). A 17H30 l’armée battit en retraite, à 20H le peuple contrôlait la ville. Des acclamations retentissaient partout. Bien que leurs armes de la seconde guerre mondiale aient été de loin inférieure à celle de l’ar­mée, la bravoure et les sacrifices du peuple s’avérè­rent plus puissant que la supériorité technique de l’armée. La Commune Libre dura six jours. Des as­semblées quotidiennes de citoyens donnaient voix à des années de frustrations et aux aspirations profon­des des gens ordinaires. Des groupes locaux de ci­toyens maintenaient l’ordre et créaient un nouveau type d’administration sociale- une qui était de, par et pour le peuple. Par coïncidence, le 27 mai, le même jour que l’écrasement de la Commune de Pa­ris plus d’un siècle plus tôt, la Commune de Kwang­ju fut écrasée par la force militaire malgré une résis­tance héroïque. Bien que brutalement supprimé en 1980, le mouvement continua à lutter durant les sept années suivantes, et en 1987 un soulèvement à l’é­chelle de la nation fut organisé qui obtint finalement un réforme électorale démocratique en Corée du Sud.

Comme le cuirassé Potemkine, le peuple de Kwang­ju a très souvent signalé l’avènement de révolutions en Corée du Sud - depuis la rébellion Tonghak en 1894 et la révolte des étudiants en 1929 jusqu’à l’in­surrection de 1980. Comme la Commune de Paris ou le cuirassé Potemkine, la portée de Kwangju est internationale, pas seulement coréenne (ou française ou russe). Sa signification et ses leçons s’appliquent également à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud. L’insurrection populaire de 1980, comme ces sym­boles plus précoces de la révolution, a déjà eu des répercussions mondiales. Après des décennies du­rant lesquelles les droits démocratiques furent répri­més dans tout l’Est de l’Asie, une vague de révolte et de soulèvements transformèrent la région. Les ré­volutions de 1989 en Europe sont bien connues, mais l’eurocentrisme empêche souvent la compré­hension de leurs homologues asiatiques. Six ans après l’insurrection de Kwangju, la dictature de Marcos fut renversée aux Philippines. Aquino et Kim Dae-Jung s’étaient connus aux Etats-Unis et les expériences de Kwangju aidèrent à inspirer l’ac­tion à Manille.

Dans toute l’Asie, des mouvements populaires pour la démocratie et les droits de l’homme apparurent : une fin de la loi martiale fut gagnée à Taiwan en 1987 ; en Birmanie un mouvement populaire explo­sa en mars 1988, quand les étudiants et les minorités ethniques prirent les rues de Rangoon. Malgré une répression horrible, le mouvement contraignit le président Ne win à se désister après 26 ans de pou­voir. L’année suivante, les activistes étudiants lan­cèrent un large cri public, seulement pour être abat­tus Place Tienanmen et pourchassés pendant des an­nées après. Le tour du Népal était proche. Sept se­maines de protestations commencèrent en avril 1990 et contraignirent le roi à démocratiser le gouverne­ment. Le pays suivant à expérimenter une explosion fut la Thaïlande quand 20 jours de grève de la faim par un leader politique de l’opposition amena des centaines de milliers de personnes dans les rues en mai 1992. Des douzaines furent tuées lorsque les militaires interdirent les manifestations de rues et, à cause de la brutalité, le général Suchinda Krapayoon fut forcé de se désister. En 1998 en Indonésie, les étudiants appelèrent à la « révolution du pou­voir populaire » et furent capables de renverser Su­harto. Des interviews réalisées par un correspondant américain dans les universités en Indonésie détermi­nèrent que le slogan de « pouvoir populaire » était repris des Philippines comme l’était l’innovation tactique de l’occupation de l’espace public.

Ecrit par George Katsiaficas.


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