samedi
9 novembre 2002
On a tous vu à la télévision les images des argentins qui défilaient en tapant sur des casseroles (casserolasos) ou ceux, plus déterminés, qui se servaient dans les magasins, malgré les flics à la sortie. Plus récemment, on nous a parlé d’une crise semblable en Uruguay, et on a vu des manifestants taper sur des casseroles ou même brandir des drapeaux argentins, montrant le lien étroit entre les situations des deux pays. Mais dans une société de spectacle, les images chassent les images et la désinformation change de sujet comme de chemise. On en oublierait presque l’existence du pays qui faisait la Une la semaine dernière.
Nous avons rencontré un argentin dont la famille habite en Argentine et nous en avons profité pour lui demander des nouvelles de ce pays où, à l’évidence, la crise économique dure. Comme on peut s’en douter, la situation des argentins ne s’est pas améliorée et les concerts de casseroles, dont on ne parle plus, se poursuivent. Les commandos de chômeurs qui coupent les routes pour réclamer du travail ou des aliments, se mêlent maintenant à ces manifestations qui avaient été initiés par la classe moyenne à cause du gel des comptes bancaires. Les politiques, les juges ou les syndicalistes sont hués pour ce qu’ils sont : des voleurs et des corrompus. En fait, la mafia en Argentine, ce sont eux, chacun à leur niveau. Savez-vous ce qu’est une "pizza en uniforme" ? C’est une pizza gratuite, parce que c’est un flic qui la mange, et qu’on ne fait pas payer un flic. Parmi ceux qui ne sont ni juges, ni syndicalistes, ni politicards, beaucoup ont perdu leur travail, d’autres travaillent gratuitement, leur salaire n’étant plus versé parce qu’ils ont trop de dettes et que le remboursement est prélevé directement. Mais ils continuent à travailler quand même, pour ne pas perdre leur boulot. Certains fonctionnaires ne sont plus payés, y compris des flics ou des militaires, ce qui permet de tout espérer (alliance avec le peuple) mais aussi de tout craindre (coup d’état militaire). La classe moyenne fond comme neige au soleil. Tous les dépôts de chèques bancaires libellés en dollars sont automatiquement convertis en pesos, dévalués de 75% entre janvier et mars 2002. De plus en plus, on est soit riche, soit pauvre : 65% des ménages sont en dessous du seuil de pauvreté. Les retraites avaient déjà été divisées par deux ; aujourd’hui, les systèmes de retraite et de santé ne fonctionnent plus. Des vieux, ne pouvant plus s’acheter à manger, sont venus se pendre devant la maison du gouvernement. On les dépendait au matin ; les passants se sont habitués.
Comment font les autres pour survivre ? Normalement, ils paient avec des bons, dont la valeur est incertaine car fluctuante et dont beaucoup de commerçants ne veulent même pas. Alors, de plus en plus, tout le monde troque. Des soins médicaux contre du pain ou des oeufs, ou même des impôts locaux sous forme de réparations de voitures. Cela s’est tellement développé que c’est déjà récupéré, dans le sens où c’est encouragé par les pouvoirs publics comme économie parallèle. Mais cela a aussi fait naître une solidarité, nouvelle, entre ces argentins qui descendent d’émigrants européens, tous venus là pour "réussir".
On peut s’étonner que le mouvement de contestation dans les rues se réduise à des concerts de casseroles, et on peut aussi s’étonner qu’il soit toujours aussi spontané, non récupéré par des professionnels de la contestation. En fait, les manifestations sont infiltrées jusqu’au cou par les flics, qui poussent à la casse. Mais après plusieurs dictatures successives, on se méfie en Argentine, et si on peut en théorie descendre dans la rue sans autorisation de la préfecture, cela n’empêche pas de se faire tabasser par les flics qui chargent systématiquement. Ce qui fait que pour l’instant, même les pillages dans les magasins se sont arrêtés. Quant à la récupération, il faut savoir que toute contestation organisée a été liquidée lors de la dernière dictature. De nombreux militants ont fait plus de dix ans de tôle, peines qui se poursuivaient même au delà de l’effondrement de la dictature, quand les militaires n’en prenaient, eux, que pour quelques mois, au nom de la "réconciliation nationale". Il y a bien un journal "de gauche", mais pour continuer d’exister, il a fait comme tous ceux qui veulent continuer d’exister dans un paysage défavorable : il s’est complètement ramolli. Cette absence de structures capables de récupérer et d’enterrer les mouvements de révolte est certainement ce qui permet aujourd’hui aux gens de tenter de s’organiser entre eux, sans qu’aucun leader n’émerge.
Nul ne peut savoir ce que tout cela va donner. La crise argentine a déjà fait tâche d’huile sur l’Uruguay, le Paraguay, le Brésil, pays du marché commun sud-américain. Mais ses effets se font aussi sentir dans les autres pays d’Amérique latine.
Et si la fin de l’empire capitaliste nous venait d’Amérique ?
Perspective Libertaire a réuni sous ce titre, dans un CD autoédité, 11 chansons de révolte, populaires et variées et quelques concerts de cacerole. Il est vendu au profit de la FORA (Fédération Ouvrière de la Région Argentine, section de l’Association Internationale des Travailleurs) - 10 Euros, port compris. Vous pouvez passer commande au journal. Chèques à l’ordre du CDES.
Article du CS Midi-Pyrénées n°77
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