mardi
5 novembre 2002
Mercredi 23 octobre, vers 23 heures, un commando de nationalistes tchétchènes surgit dans un théâtre moscovite et prend en otage 700 personnes. Le conflit en Tchétchénie, " pacifiée " cet été selon Poutine, oublié par les médias depuis des années, est réapparut dans les titres des actualités depuis le coeur même de Moscou. Ce n’est certes pas la première fois que des actions terroristes exportent le conflit hors de la Tchétchénie. Cette deuxième guerre de Tchétchénie avait d’ailleurs commencé suite à des attentats faisant environ 300 morts à Moscou. Et aujourd’hui encore, on ne sait pas si ces attentats avaient réellement été commandités par des indépendantistes ou s’ils sont l’oeuvre des services secrets russes. C’est d’ailleurs grâce à ces attentats que Poutine avait été élu. En mai dernier, dans la ville de Kaaspiisk, un attentat avait fait une cinquantaine de morts. Et en Tchétchénie même, malgré les proclamations estivales de Poutine sur la fin de la guerre, un attentat à la voiture piégée avait causé 25 morts le jeudi 10 octobre. Ce qui a changé le 23 octobre, c’est que cette guerre, oubliée y compris dans le nord de la Russie, est cette fois réapparut dans la capitale elle-même, et avec une ampleur nouvelle : 700 personnes étaient prises en otage par un commando d’une cinquantaine de terroristes, menés par le neveu du défunt Baraïev, chef de guerre tchétchène pro-taliban. La revendication principale des preneurs d’otages était le retrait des troupes fédérales de Tchétchténie dans les sept jours. La " crise " du Théâtre musical du Nord-Est de Moscou s’est terminée le samedi 26, tôt dans la matinée, par l’intervention violente des troupes spéciales. Le premier bilan parle de 140 morts, 50 terroristes et 90 otages. Mais ce bilan ne fera que s’alourdir au courant de la journée, plus de 500 ex-otages sont hospitalisés, la plupart suite à l’empoisonnement provoqué par les gaz paralysant utilisés par les forces spéciales. On apprend aussi que parmi les otages tués, certains l’ont été par ces mêmes gaz.
Finalement, les spectateurs du théâtre musical n’étaient pas seulement les otages des terroristes mais aussi de l’intransigeance du gouvernement Poutine. Par son refus de toute discussion sur l’évacuation des troupes russes de Tchétchénie, par la méthode utilisée pour mettre fin à la prise d’otages, il a clairement démontré que la vie de centaines de citoyens russes lui était indifférent. L’essentiel n’est pas, pour Poutine et la classe dirigeante russe, la vie des habitants de Moscou, non, le plus important, c’est que l’Etat russe ait le dernier mot. Ce qui n’est pas une nouveauté. Combien de vies de jeunes appelés ont déjà été brisées dans cette sale guerre du Caucase ? Sans compter bien sûr les habitants de la république tchétchène de toute nationalité (tchétchènes, russes, géorgiens, juifs, etc.) victimes de cette guerre qui n’en finit pas.
Les spectateurs du théâtre sentaient, physiquement, le poids des armes et de la guerre, tout comme les populations de Tchétchénie vivent quotidiennement la violence du terrorisme de l’armée russe. Mais, c’est bel et bien, de Moscou à Grozny, toute la population de la Fédération de Russie qui est prise en otage, otage de la guerre électorale et de rapine que mène le gouvernement dans le Nord du Caucase, otage des bandes armées et des chefs de guerre. A peine le théâtre libéré, il est question de nouvelles opérations militaires dans la république tchétchène. La prise d’otage des peuples de la Fédération de Russie par les militaristes et autres fauteurs de guerre, elle, n’est pas terminée.
Viktor Chenderovitch, écrivain et commentateur politique, s’est exprimé samedi 26 octobre, quelques heures après l’assaut final des forces spéciales :
"En tant que société, nous considérons la Tchétchénie comme une guerre lointaine, et nous considérons ce qui vient de se produire à Moscou comme du terrorisme. C’est une erreur inadmissible. Les morts d’aujourd’hui [dans le dénouement de la prise d’otages], sont des victimes de la guerre de Tchétchénie. Tant que la société russe continuera à considérer comme normal que tant de gens meurent en Tchétchénie, où nous nous livrons à des exactions, le terrain sera prêt pour le prochain acte terroriste. (...)
La question qu’il faut poser est qu’a bien pu subir une femme pour qu’elle décide d’attacher des explosifs sur son corps et qu’elle aille tuer d’autres femmes et des enfants ? (...)
Notre pays, immense, s’est révélé sans défense. La guerre n’a pas lieu dans le Caucase, elle n’est pas seulement en Tchétchénie, cette guerre se déroule en Russie. Et tant que nous crorons que nous sommes loin d’elle, ailleurs, en Europe, tant que nous continuerons à laisser tuer des gens, le risque terroriste sera là. (...) Nous sommes les otages d’une guerre de voleurs, de bandits. La première guerre [1994-1996] était une guerre des trafics, la seconde guerre [en cours] aura été une guerre électorale. Ces trois dernières années, combien de personnes sont-elles venues place Pouchkine [le lieu des manifestations démocratiques dans les années 1980-1990], pour dénoncer ce conflit ? (...) Pourquoi n’avons nous pas été des milliers ?"
Source : Le Monde, 26 octobre 2002
Article publié dans HOBOCTb n° 8
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