Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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ISRAËL : L’APARTHEID "SOCIAL - DEMOCRATIQUE"

jeudi 11 avril 2002

Le "conflit israélo-palestinien", comme le nomment le plus souvent bien pudiquement les journalistes occidentaux, génère dans la presse libertaire soit des articles conventionnels renvoyant dos à dos Israéliens et Palestiniens, soit - et c’est le cas le plus fréquent - un effroyable silence. Pourtant, les libertaires devraient avoir bien des choses à dire tant ce drame reflète l’état de domination de la société occidentale sur le reste de la planète. Mais, s’agissant d’Israël, le sujet devient tabou, dangereux. Devant le risque d’être traité d’"antisémite de l’ultra gauche" ou d’"anarchiste de droite", beaucoup se taisent.

Me reconnaissant dans la pensée libertaire, adhérent au projet anarchiste d’une société sans Dieu ni maître, je refuse sans ambages et sans hésitations ce chantage à l’ignoble. Parce que j’adhère au projet politique de construire un monde libre, je réfute toute Eglise et tout Etat. Judaïsme, catholicisme, islamisme, bouddhisme et j’en passe, je rejette toutes ces Eglises, toutes ces religions qui ne sont que des formes odieuses d’asservissement des individus par quelques-uns. De la même façon, je n’accorde nul crédit à aucun Etat, car il s’agit là encore d’une forme de domination où quelques-uns exploitent le plus grand nombre sous couvert de démocratie et de nécessité d’organisation rationnelle des rapports entre les hommes. Issu d’une famille catholique française, je ne me définis ni comme catholique, ni comme français, mais comme "un homme du monde", au sens d’humain né sur la planète Terre.

La chose étant dite, j’en viens à ce qui me révulse, m’atterre et m’enrage : je veux parler du drame de la région Palestine. Et je ne parle pas là de plan d’Oslo ou de paix négociée sous la houlette d’une quelconque instance internationale. Aucune patrie à défendre, aucun dieu à vénérer. Etat israélien ou Etat palestinien, Sharon, Peres ou Arafat, Likoud ou Hamas, lieux saints ou lieux d’histoire, tout cela m’est étranger, tout cela est oppression et manipulation, les mille visages de la même domination. Bondieusards ou bourgeoisie sournoise, ces gens-là, qu’ils se drapent de démocratie ou de droit divin, n’ont pour ambition que d’exploiter mes semblables pour leur seul profit. Et pourtant, je n’en conclus pas que ce conflit est un conflit comme un autre. Je ne peux pas renvoyer dos à dos juifs d’Israël et Arabes de Gaza ou de Jérusalem . Non pour des raisons d’Etat souverain, non pour des déraisons de culte ou de race, mais par humanité, tout simplement, et par la nécessité absolue, si l’on a encore l’ambition d’être militant, de dénoncer encore et toujours les visages les plus fourbes et sanguinaires de la domination occidentale. Car l’Etat israélien est l’un de ces visages les plus hideux, par son discours, par ses lois, par ses pratiques et par sa violence d’Etat. Présenté comme un exemple avancé de démocratie moderne, l’Etat d’Israël montre tous les signes d’un lieu d’apartheid, de colonialisme et d’exploitation. A l’heure où les journaux nous submergent de litanies voyeuses sur les actes "terroristes" perpétrés en territoire israélien, il me semble important de rappeler quelques réalités quotidiennes de la "belle social-démocratie" israélienne. En Israël, en premier lieu, mieux vaut être blanc que de type arabe. Dans le premier cas, on est forcément juif, on peut se balader un fusil à l’épaule, passer les barrages, toiser les uniformes. Dans le second, on est forcément suspect, se déplacer en ville relève du parcours du fugitif. On sort peu de son quartier, on évite les barrages, on baisse la tête devant les porteurs de fusils, on ne parle pas de choses sérieuses dans la rue ou au café. Dans le premier cas, on peut travailler, se déplacer, acheter de la terre, faire des affaires, manifester. Dans le second, on n’a que le droit de se taire quant l’armée éventre une maison, occupe un carrefour, boucle un quartier. En Cisjordanie, il y a les routes pour les Blancs, protégées par des barbelés et des automitrailleuses bienveillantes qui font le va-et-vient, et puis il y a les routes pour les autres, avec les contrôles, les points de passage, les fouilles, les insultes. Il y a aussi les plantations d’oliviers et d’arbres fruitiers. Lorsqu’elles sont vertes, irriguées, ce sont celles des Blancs, des Israéliens, même si bon nombre des hommes qui s’y usent le dos pour des salaires de misère sont arabes. Lorsque ces plantations sont à l’abandon ou arrachées, ce sont celles des non-Blancs, celle des Arabes. Dans cette région du monde, l’eau a une couleur : le blanc. 81 % de l’eau des territoires colonisés est monopolisée par les Israéliens, qui piochent leur main-d’œuvre pas chère dans les camps palestiniens voisins et contrôlent 90 % du commerce extérieur palestinien. Dans cette région du monde, il y a deux sortes de villes : des villes de Blancs, comme en Europe ou au USA, avec des pelouses que l’on arrose, de larges boulevards luisant de bitume, et le soleil en plus. Et des villes pour les autres, entre des barbelés, avec des routes sans asphalte et des quartiers de misère surpeuplés. Sur la plage d’Haïfa, les Blancs vont bronzés. Sur les plages de Gaza, les gosses cherchent quelque chose à vendre, quelque chose à manger. Et comme dans toute bonne "social-démocratie", en Israël, le citoyen a des papiers. S’il est juif et blanc, pas de problème : une seule pièce d’identité. Mais, s’il est arabe, tout se complique, tout devient aléatoire. Il y les papiers pour les Arabes israéliens, ceux pour les Arabes de Jérusalem et ceux pour les parias des territoires occupés. Et là, à chacun ses droits, ou plutôt ses non-droits. Les points de contrôle sont un casse-tête au propre comme au figuré. Je pourrais multiplier les exemples de ce quotidien de l’apartheid dans un pays qui se prétend une démocratie et où la religion et la couleur de la peau servent de passeport. Je pourrais parler de l’armée Israélienne qui abat froidement chaque jour sa cohorte de gosses au nom de la démocratie, qui expulse encore des familles entières au nom de la sécurité, qui exécute en pleine rue des hommes au nom de la liberté. Je pourrais parler des prisons où des hommes et des enfants sont enfermés et torturés depuis des années sans le moindre procès, sans la moindre explication. Je pourrais parler des hôpitaux pour les juifs et des hôpitaux pour les autres. En Israël proprement dit, sans même parler des territoires colonisés, la mortalité infantile est deux fois plus élevée dans la population arabe que dans la population juive. Je pourrais aussi y parler des élections, où la plupart des partis politiques pro-arabes sont interdits tandis que des partis religieux extrémistes juifs qui prônent la déportation des populations arabes hors d’Israël participent au gouvernement. Oui, on peut le dire, Israël est un pays qui pratique l’apartheid, puisque suivant la couleur de leur peau et leur religion, les hommes n’y ont pas les mêmes droits. Ségrégation, déportation de populations, droits civiques discriminants, force répressive au service d’une fraction de la population, c’est l’archétype de l’Etat raciste. Alors pourquoi tant de silence face à cette situation honteuse ? Pourquoi tant de retenue de la part des libertaires européens ? N’y a-t-il pas nécessité absolue pour tout libertaire de dénoncer cet exemple criant de la brutalité et du cynisme des valeurs soi-disant démocratiques des sociétés occidentales ?

Maniant le discours comme une arme de guerre, salissant les mots et les souffrances humaines sans aucun scrupule, les sionistes et leurs alliés - les dirigeants occidentaux - ont su depuis les années 60 faire de l’antisémitisme une épée de Damoclès planant au-dessus de toute tête osant la critique du système et dénonçant le colonialisme et l’oppression permanente que l’Etat israélien impose aux non-sionistes. Et c’est là une des facettes les plus ignobles de cette domination. Avec un cynisme effroyable, rappelant sans cesse le devoir de mémoire à l’égard des victimes du nazisme, se prétendant les seuls dépositaires des souffrances de l’Holocauste, les défenseurs de l’Etat d’Israël nous dénient le droit de dénoncer leurs pratiques de bourreaux (les rares juifs qui osent dénoncer ce sinistre chantage sont immédiatement mis à l’index). Faisant cela, les sionistes pratiquent, bien sur, une censure et une désinformation efficaces, mais ils réduisent à néant tous les efforts faits par des milliers d’hommes et de femmes pour que les horreurs du nazisme ne réapparaissent jamais. Il nous faut refuser ce chantage odieux et rappeler que les morts des camps de concentration allemands, juifs comme non-juifs, n’avaient pas tué d’enfants d’une balle dans la tête, ne s’étaient pas accaparés des terres, ne pratiquaient pas le racisme quotidien, ne déportaient pas des populations.

Ces quinze derniers mois, plus de mille palestiniens sont morts sous les balles et les obus Israéliens, sans compter les dizaines de milliers de blessés, la plupart graves. Des gamins palestiniens meurent toujours pour ne pas avoir accès aux hôpitaux. Les soldats qui enferment des populations entières entre des barbelés portent des uniformes israéliens. L’état du monde étant ce qu’il est, l’avenir ne présage rien de bon pour les enfants de Palestine. Entre les extrémistes du Hamas et leurs bondieuseries, et la clique corrompue de la bourgeoisie d’Arafat, il y a peu de place pour l’espoir d’une vie digne et libre en Palestine. Les chacals, déguisés en libérateurs, sont déjà aux aguets. Mais cela ne nous dédouane pas du devoir de dénoncer l’oppresseur actuel, celui qui tue, humilie et torture aujourd’hui : l’Etat israélien et ses alliés occidentaux. Il y a quarante ans de cela, la France de la république avait les mêmes discours et les mêmes pratiques en Algérie. Certains l’ont dénoncé contre vents et marées, sans pour autant soutenir le FLN, dont on savait déjà les tristes ambitions. Ils ont eu raison. Et ce serait une bien grave erreur aujourd’hui de faire silence sur les bourreaux de la Palestine au prétexte que le capitalisme et sa frangine la religion installent dès aujourd’hui les oppresseurs de demain.

Jean-Paul D.

(Article éxtrait du CS Février Mars 2002)


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