Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Dernieres nouvelles d’Italie :
Happy end pour l’Oncle Giulio dans l’affaire Moro

lunedì 5 gennaio 2004

L’inoxydable, comme on appelle là-bas Giulio Andreotti, 84 ans, grand ponte de la démocratie chrétienne, 7 fois président du Conseil, 21 fois ministre, sénateur à vie, vient d’être le 30 octobre dernier, entièrement et définitivement innocenté par la cour de cassation de Rome. Un précédent jugement, de la cour d’appel de Perugia, en novembre 2002, l’avait condamné à 24 ans de prison. Quel magnifique retournement de situation, on en reste saisi ! A n’en pas douter, cet homme doit pouvoir compter sur d’excellents amis.

Mais de quoi-t’est-ce-qu’on accuse-t’on-mon-pauvre -client ? Souvenez-vous, allons ! Dans les années 80, un certain Tommaso Buscetta (aujourd’hui décédé), parrain repenti de la Cosa Nostra, accuse formellement Andreotti d’avoir commandité le meurtre du "journaliste d’investigation" Peccorelli qui enquêtait sur l’affaire Aldo Moro. Vous vous souvenez peut être de ce président de la Démocratie Chrétienne dont l’enlèvement et l’assassinat furent revendiqués par les Brigades Rouges en 1978 ? A cette époque lointaine, l’État italien est confronté depuis dix ans à une lutte sociale intense (une sorte de Mai 68 en version longue). Grèves, occupations d’usines, sabotages, émeutes frisant l’insurrection se succèdent. Pour rétablir la paix sociale, la bourgeoisie hésite entre différentes options : certains au sein de la démocratie-chrétienne (dont Aldo Moro) prônent le rapprochement avec le Parti Communiste Italien (PCI) afin de lui donner les moyens de jouer avec plus d’efficacité son rôle d’éteignoir des révoltes. D’autres, parmi les petits camarades de Moro misent sur des recettes de retour à l’ordre plus traditionnelles, plus éprouvées, c’est le choix de la "stratégie de la tension", à l’œuvre depuis plusieurs années déjà dans la péninsule : services spéciaux et fascistes italiens, gentiment encadrés par la CIA, organisent des attentats hyper-sanglants qui sont attribués par la police et la justice aux anarchistes, aux autonomes, à l’ultra-gauche -l’objectif étant de discréditer les révolutionnaires aux yeux de la population et une fois leur culpabilité "dûment" établie de les mettre sous les verrous.

Dans les hautes sphères, la perspective d’une paix sociale négociée avec le PCI a été jugée suffisamment dérangeante (sans doute trop contraire aux intérêts américains, très importants en Italie) pour que l’on décide d’écarter le porteur du projet politique de "compromis historique". Les velléités des Brigades Rouges de porter un coup décisif à l’État arrivent à point nommé ; de roués manipulateurs sauront leur apporter l’aide nécessaire à ce coup d’éclat. L’hyperprofessionnalité avec laquelle l’opération d’enlèvement du président Moro est menée révèle à elle seule que les brigadistes n’ont pas agi seuls (mitraillage intégral de l’escorte de la voiture présidentielle, seul Aldo Moro reste indemne) ; la suite de l’histoire est du même acabit : le lieu de détention de l’otage présidentiel échappé, des semaines durant, à la plus gigantesque battue jamais organisée (notre grand disparu était vraisemblablement bien "à l’abri" dans un lieu diplomatiquement inviolable).

Le rapt, puis l’exécution du président donnent le signal d’une énorme répression dont tout le monde va faire les frais. L’objectif triple de la machination est atteint : élimination d’un gêneur, démantèlement d’un groupe de lutte armée et criminalisation générale des radicaux. L’ordre règne (pour un certain temps).

Notre cher "Oncle Giulio" a sans aucun doute trempé dans ce règlement de comptes au sommet de l’État. Le meurtre du journaliste Peccorelli n’aura pas empêché ses thèses de se répandre, sans aucune conséquence réellement fâcheuse (hormis le désagrément de multiples et fastidieux procès) pour l’Inoxydable. Honorable correspondant probable de la Cosa Nostra en milieu politique, grand ami des américains, "l’Oncle Giulio" est parfaitement indéboulonnable, il aura régné plus d’un demi-siècle sur la péninsule.

En quoi cette affaire présente-t-elle de l’intérêt pour l’étude des mœurs étatiques ? Elle nous prouve, si besoin était, qu’en cas de nécessité l’État n’hésite pas à sacrifier sur l’autel de ses Raisons ses plus grands commis, fussent-ils de rang présidentiel (cf Kennedy, Rabin, etc.).

La récurrence de telles machinations (au sein des pseudo-démocraties occidentales) et l’ampleur des connivences qu’elles présupposent (entre le crime organisé et l’appareil d’État de l’oligarchie politique) devraient suffire à elles seules à faire apparaître les rêveries citoyennistes d’un État virginal au service de l’intérêt général pour ce qu’elles sont : des élucubrations naïvement utopiques, fondées sur la méconnaissance de la nature profonde de l’État, qui est de servir des intérêts bien particuliers (de même que l’essence du commerce est de dégager du profit et d’ignorer toute équité sous peine de mort).

Jamais totalement élucidées, ces affaires obéissent aussi à une loi du genre : plus le scandale éclate et plus l’opacité se fait. Singeant les truands qu’ils emploient pour leurs basses œuvres, les politicards respectent la consigne du silence, l’omerta. Si l’opposition proteste bien un peu, dans ce genre de circonstances, on évite en général, soigneusement, d’essayer d’évaluer le degré d’implication des rouages étatiques dans la conception et la réalisation de la "conjuration", pour la bonne raison que ces rouages pourront resservir.

Les conclusions judiciaires enfin (acquittement, non-lieu ou autre blanchissement d’actions fort sales) contribuent -et c’est aussi une fonction de ces affaires- à donner le sentiment aux misérables sujets que nous sommes qu’il est vain de vouloir se mesurer aux maîtres : leur puissance sans limite leur garantit une impunité totale.

Aux comploteurs de haute volée, la mansuétude et le pardon ; aux révoltés, aux militants, le châtiment des longues années d’emprisonnement sans espoir qu’une cour de cassation ne vienne jamais abréger leur souffrance.

"Peuple trop oublieux, si jamais tu te lèves, ne sois pas généreux", comme le dit la chanson.

# Gimli


CNT-AIT



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