Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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SUR LA MISERE DE NOS SERVICES DE SANTE

samedi 28 juin 2008

L’état de nos services de santé, qu’ils soient publics ou privés, ne cesse de se dégrader de toutes parts ; la situation, quant à la seule question des effectifs du personnel, risque fort de tourner purement et simplement au catastrophique, aussi bien pour les travailleurs que pour les patients.

Par ailleurs, l’état de division dans lequel nous maintiennent à la fois l’habitude, parfaitement ancrée dans les mentalités de chacun, d’un fonctionnement hiérarchisé de fond en comble, et les revendications partielles des syndicats, tend toujours à barrer le chemin d’une vue globale de ces problèmes - produits directs de la logique de profit qui pourrit notre société tout entière - a fortiori de toute lutte qui serait en mesure de s’en proposer la critique adéquate, en vue de la refondation et la reconstruction collective du service de santé. Se donner la possibilité d’une telle critique effective est aujourd’hui la tâche qui s’impose de plus en plus urgemment.

Chacun sait bien aujourd’hui que nous manquons de plus en plus cruellement de personnels médicaux et paramédicaux (médecins, infirmiers, aides soignant), dans les campagnes, les villes, comme en milieu hospitalier. La cause la plus évidente, pour le cas des médecins, en est le maintien, contre toute logique, du principe du numerus clausus qui limite arbitrairement le passage de la première à la deuxième année des études médicales depuis 1972. Ces dix dernières années, les gouvernements successifs n’ont fait que reconduire le problème en proposant des augmentations de postes particulièrement ridicules au vu de l’ampleur de la difficulté.

Le manque de médecins s’est ainsi mué depuis déjà bien longtemps en une véritable pénurie. Dans les petites villes, aucune embauche ne vient pallier le départ de plusieurs médecins ou infirmiers et les postes vacants se multiplient. Certains services en hôpital psychiatrique se trouvent souvent placés sous l’exclusive direction de psychologues non qualifiés pour la pratique médicale.

Cette pénurie se ressent de plus en plus dans les délais d’attente pour la consultation de certains spécialistes : un minimum de trois mois pour un ophtalmo ou un gynéco, souvent le double pour d’autres domaines. Elle se répercute également sur les conditions de travail de l’ensemble du personnel hospitalier, donc aussi sur la qualité des soins et, pire encore, remet en cause la dignité même des conditions de la vie quotidienne en milieu hospitalier, celle des patients et du personnel soignant.

Ainsi, les internes, qui sont, en principe, à la fois des étudiants encadrés par des médecins dits "seniors" plus expérimentés et des médecins praticiens, avec toutes les responsabilités que cela implique, subissent, comme un des effets de cette pénurie, la négligence partielle ou complète de cette fonction d’encadrement. Les patients peuvent être pris en charge de bout en bout par des internes inexpérimentés eux-mêmes débordés de travail, au même titre que l’ensemble du service. Les internes sont donc eux aussi en sous-effectif, contraignant ainsi certains services à passer outre le droit du travail par la suppression du repos de garde (repos de douze heures le lendemain d’une garde de nuit aux urgences). Ils sont amenés à enchaîner souvent trente six heures de travail, jusqu’à sept fois par mois. Ces cadences étaient connues depuis longtemps dans les services de chirurgie ; elles s’étendent aujourd’hui, toujours plus, dans d’autres spécialités médicales. Leurs conséquences sont évidentes et ont déjà commencé à se faire sentir, l’Etat aura de plus en plus de mal à les dissimuler : elles signifient la mise en danger pure et simple de la vie même de patients confiés tout entiers à des étudiants inexpérimentés d’une part, et de surcroît, éreintés.

Il faut ici faire remarquer qu’aucun syndicat ne s’est ne serait-ce que proposé l’objectif de remédier à de telles absurdités. On préfère toujours se remplir les poches, parler d’augmentations d’honoraires que l’Etat accordera de bonne grâce, protégeant ainsi les intérêts financiers communs qu’il partage avec une élite médicale dont il a besoin, plutôt que soulever la question de la qualité des soins reçus par le patient et celle de leur suivi ; question autour de laquelle nous pourrions tous unir nos forces, aides soignants, infirmiers, médecins,internes et patients. Or, les personnels médicaux et paramédicaux, dans ce contexte, se voient de plus en plus dépossédés de leur pouvoir de réflexion et de décision sur la question de l’organisation de leur propre service, donc aussi sur la question de leur propre pratique. Ce pouvoir et cette légitimité demeurent entre les mains de quelques cadres dirigeants qui, loin des préoccupations de chacun et de l’intérêt collectif, n’avancent que des projets de réductions budgétaires.

Ils multiplient les coupes franches et feignent de se satisfaire d’une organisation malsaine et inefficace, qui conjugue pénurie de médecins à temps plein, augmentation des cadences donc travail bâclé, exploitation des externes et internes inexpérimentés (un externe ne touche actuellement pas plus, après quatre ou cinq ans d’étude, de 200 euros par mois pour ce qui est plus qu’un mi-temps : quatre à cinq heures de travail par jour, parfois aussi le samedi, et plusieurs gardes, souvent de 24 heures) et surexploitation des infirmiers et aides soignants.

Aujourd’hui ce sont des boîtiers électroniques de sécurité qu’ils entendent distribuer à l’ensemble du personnel psychiatrique sans que personne ne s’en émeuve. Comment se fait-il alors que personne ne pose la question de savoir combien ces boîtiers ont coûté, combien d’embauches ils permettent d’éviter ? Mieux encore, comment, en cas d’agression, un simple signal électronique, censé alerter les vigiles au moment précis, déjà critique, où son hôte se voit plaqué au sol, pourra-t-il jamais remplacer l’attention que chacun doit porter à l’autre, au sein d’une équipe sereine et soudée ? Comment se fait-il que personne ne se scandalise à l’idée qu’un jour - et c’est le chemin dans lequel nous nous engageons si cette logique persiste - un machin attaché à nos ceintures puisse remplacer la prise en charge collective, seule véritablement efficace, de la sécurité de chacun ? C’est précisément l’existence de telles équipes soudées, et une telle prise en charge collective, que l’on s’interdit en acceptant ces mesures de substitution dont nos enfants, au passage, font déjà les frais dans leurs collèges et lycées, à titre cette fois de mesure de contrôle pur et simple, avec la surveillance biométrique.

Nous ne pourrons plus laisser longtemps une poignée de bureaucrates amputer ainsi les services petit à petit de leurs moyens, de leurs personnels, de leur autonomie, et dégrader ainsi, sans que nous n’ayons notre mot à dire, notre vie quotidienne ellemême, ainsi que celle des patients, allant jusqu’à mépriser leur propre dignité. En milieu hospitalier comme partout, c’est la logique du profit, c’est-à-dire celle de l’exploitation des travailleurs, et celle du mépris de l’individu en souffrance, qui dicte sa loi. Une telle logique ne peut être combattue que par une critique des causes profondes du dysfonctionnement des services médicaux, au-delà de la simple accumulation de mesurettes elles-mêmes incapables par ailleurs d’en effacer les symptômes.

Les difficultés dans lesquelles s’enfoncent toujours plus les travailleurs du service public en général nous concernent tous. Le service public est notre propre bien. C’est à nous qu’il appartient de le reprendre en main pour le repenser, en prenant pour point de départ ce que jamais nous ne devrions perdre de vue : notre propre compréhension de la tâche que nous nous proposons de rendre effective dans cette société. Il nous faut plus que jamais faire émerger ces questions, nos critiques et nos révoltes, dans le but de nous donner les moyens de les mettre en oeuvre collectivement, en commençant par refuser tout ce qui nous divise, tout ce qui empêche la libération et la circulation de la parole collective.

Un interne et un militant.

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