Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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L’échec scolaire c’est l’échec de l’institution

dimanche 1er octobre 2006

Quand une génération entière de jeunes étudiants seront bardés de diplômes, truffés de mentions spéciales, titulaires de curriculum vitae en trois dimensions et en possession de recommandations toutes plus élogieuses les unes que les autres, il sera temps d’inventer autre chose pour reproduire la division sociale de notre société En attendant, l’échec scolaire reste encore massif dans notre système éducatif.

Aujourd’hui, on peut chiffrer l’importance du phénomène (voir l’État de l’école, DEP, p. 45, 1997) sont en retard scolaire d’un ou deux ans au CM2 (fin de l’école élémentaire) 20 % des élèves en sixième. 28 % ; en cinquième. 35 %. A partir de la classe de cinquième, le système d’orientation joue à plein, séparant progressivement les élèves jugés dignes d’une formation générale des autres, conduits vers les "filières" et les écoles de formation technique ou professionnelle. En 1997, sur 100 élèves sortants des différents niveaux du système éducatif, on comptait 38 % au niveau DEUG, 25 % au niveau baccalauréat, 24 % au niveau CAP et BEP et 8 % sortant sans qualification, soit 53 000 adolescents.

Par ailleurs, cette sélectivité est socialement déterminée. Un enfant d’ouvrier, entré en sixième en 1990, avait 25 % de chances d’obtenir le bac ; un enfant de cadres moyens, 59 % ; et un enfant de cadre supérieur, 74 %.

Il est clair que ces constatations sont inquiétantes. Les études classiques des sociologues de l’éducation ont mis en évidence, il y a déjà longtemps, le poids de l’appartenance sociale dans l’échec scolaire.

Mais l’échec individuel n’est pas l’échec institutionnel. Au début du siècle, Durkheim avait déjà identifié les deux grandes fonctions de l’école. D’abord, elle doit unifier le corps social à travers une idéologie commune. Cette fonction est assurée notamment par l’enseignement de l’Histoire avec un grand H (le peuple rassemblé autour des grands hommes de la nation). Ensuite, l’école diversifie, différencie pour mieux distribuer les rôles sociaux. Et là, rien n’est plus apte à faire admettre comme juste que la sélection sociale opérée par les examens publics et anonymes. Elle est l’instrument par lequel les classes dirigeantes font admettre le maintien de leurs privilèges comme le résultat naturel des compétences et du mérite.

Aujourd’hui, le peuple a assimilé la leçon et ses enfants n’ont pas ménagé leurs efforts pour mériter une vie plus facile que celle de leurs parents. Quand, par des efforts inouïs, quelques-uns d’entre eux ont réussi de prestigieuses études et obtenu le sésame de fin de parcours, ils constatent, souvent avec amertume au bout de quelques années de labeur, que leurs connaissances académiques sont nécessaires mais non suffisantes pour être affiliés à la communauté des élites dirigeantes des entreprises pour lesquelles ils travaillent (c’est l’effet plafond de verre). Pour les autres, la grande majorité des "nouveaux moyennement diplômés", la lutte des classes a cédé la place à la lutte des places. Ainsi, chaque année, de plus en plus de candidats (90 000 en 1999), pour la plupart surdiplômés, postulent au concours de postiers (3 000 places en 1999). Personne n’est choqué, mais tout le monde est frustré. Le candidat répondant au profil du poste n’a aucune chance de rivaliser avec des titulaires d’un bac plus 4, de plus en plus nombreux. Les reçus n’auront d’autre ambition que d’accéder rapidement à des fonctions d’encadrement.

Les résultats obtenus sont la conséquence logique des moyens utilisés pour y parvenir, et les pédagogues ont bien du mal à lutter contre le conformisme universel. Car l’éducation n’est pas seulement un lieu de relations interpersonnelles entre des adultes et des enfants, avec toute la complexité qui s’y rattache, c’est aussi une réalité institutionnelle, dans la mesure où elle prend la forme d’un ministère, d’établissements scolaires, de programmes, d’instructions et d’objectifs à atteindre. Mais ces objectifs ne peuvent être réalisés qu’à partir des choix plus fondamentaux encore que sont les finalités, impliquant une conception de l’homme et de sa signification dans le monde.

L’état du système scolaire et les discours patentés ambiants sur l’éducation, loin de clarifier le débat, ne font qu’ajouter à la confusion. Derrière des slogans d’apparence généreuse, la démocratisation de l’enseignement n’a pas le même sens selon que l’on parle d’égalité des chances ou de promotion généralisée. Les uns admettent la nécessité de la sélection, les autres cherchent à la repousser le plus loin possible dans le cursus des études. Mais personne ne remet fondamentalement en cause cette notion, non plus d’ailleurs que la légitimité des examens et des diplômes classants. Au mieux, le débat porte sur la nécessité de diversifier les parcours scolaires pour bien tenir compte de l’hétérogénéité des "publics", ou bien de maintenir le système unifié et de chercher la diversité dans les méthodes pédagogiques employées.

La même ambiguïté se retrouve dans le contenu des enseignements. Le savoir est officiellement un objectif commun. Mais, pour les uns, c’est un savoir factuel et mémorisable qui doit l’emporter, tandis que pour les autres ce sont les compétences transférables et l’interdisciplinarité. En réalité, toutes ces conceptions sont portées sur la place publique afin d’alimenter un pseudodébat démocratique. Nos décideurs, eux, ont l’intime conviction que le développement d’une société post-industrielle comme la nôtre n’exige qu’un petit nombre d’individus formés de haut niveau. Le chômage structurel engendré par la rationalisation du travail à travers l’automatisation et l’informatisation ne pourra être résorbé que par la création d’emplois faiblement qualifiés dans le secteur des services.

L’échec scolaire n’est donc pas un problème scolaire, c’est éminemment un problème de politique sociale. L’argumentation porte sur l’existence de deux classes d’hommes, l’une qui tire sa subsistance du travail de ses bras, l’autre qui vit du revenu de ses investissements ou de certaines fonctions intellectuelles. Et l’élitisme républicain reste avant tout de l’élitisme. Vouloir simplement étendre à tous la culture secondaire classique, jugée la plus noble, avec ses programmes et ses méthodes, celle qui était réservée dans les années 60 aux classes sociales supérieures, c’est-à-dire à 20 % de la population scolaire, sans favoriser l’amélioration du sort matériel et culturel des populations défavorisées, revient à faire porter l’entière responsabilité de l’échec scolaire aux seuls individus.

Dès lors, les jeunes de nos banlieues qui sont intuitivement conscients que ce système scolaire n’est pas fait pour eux, multiplient les actes de rejet et par là même renoncent à toute possibilité de recevoir une véritable formation intellectuelle. Ils préfèrent ne retenir du système que ses aspects les plus négatifs, comme l’école lieu disciplinaire et du contrôle social, où les retards, les absences, les exercices... sont pénalisés. L’école n’est plus qu’un lieu de dressage par punitions et gratifications qui participe de fait à la production d’individus dociles et producteurs, c’est-à-dire capables de s’adapter aux contraintes de l’appareil de production de biens et de services.

Philippe, Toulouse


CNT-AIT



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