samedi
2 juillet 2005
Ils étaient quatre à comparaître devant la Cour d’Appel de Toulouse, ce jeudi 9 juin 2005. Quatre, arrêtés le 20 mars 2005 dans un contexte d’échauffourées à Reynerie. Quatre à avoir été jetés immédiatement en prison -et à y être toujours au moment ou ces lignes sont écrites. Si leur procès en première instance, d’où ils sont pourtant sortis lourdement condamnés (de 6 à 9 mois de prison), avait fait sérieusement tanguer les arguments de l’accusation, leur procès en Appel a pris des allures de tsunami judiciaire. Il n’y avait déjà, dans ce dossier, aucun élément matériel. Les débats ont montré que, les dépositions policière contenaient d’innombrables contradictions. A tel point qu’un des avocats a pu conclure son implacable démonstration en martelant qu’il s’agissait "au mieux d’une erreur, au pire d’un mensonge". Dans ces conditions, le maintien de ces jeunes en prison n’a plus rien à voir avec la “justice”. Il s’affirme comme une décision politique, un inadmissible message adressé “pour l’exemple” à tous les habitants de banlieue.
D’après les procès verbaux, ils sont quatre policiers à incriminer les emprisonnés. Bien qu’ils aient été expressément convoqués par le Parquet, trois d’entre eux ne daigneront venir ni à l’audience de comparution immédiate (qui sera de ce fait reportée) ni à la suivante (celle qui prononcera les condamnations).
Ils ne seront pas plus présents devant la Cour d’Appel. Le rapporteur (c’est-à-dire le magistrat qui a établi le rapport de synthèse, lu en introduction au procès) a souligné qu’"ils ont écrit pour dire qu’ils ne viendraient pas, sans dire qu’ils ne pouvaient pas". Difficile pour un magistrat d’être plus clair : si ces fonctionnaires ne sont jamais venus, c’est par choix. Deux remarques s’imposent dès lors.
La première concerne la forme. Le principe juridique de base dans ce domaine, c’est que "la police judiciaire est exercée sous la direction du Procureur de la République" (art 12, Code de procédure pénale). Or, en l’espèce, trois policiers, dont les dépositions étaient indispensables au bon fonctionnement de la justice, n’ont pas déféré à sa demande. Simple incivilité ou claire insubordination ? A chacun d’en juger. Ce qui est certain, c’est que par leur attitude, ces trois fonctionnaires ont infligé un camouflet retentissant au Tribunal, et cela à un moment ou le "rappel à la loi" et le "respect des institutions" est au centre des préoccupations judiciaires.
Sur le fond maintenant. Si ces policiers ont refusé de comparaître, c’est, bien sûr, qu’ils avaient une raison. Et une bonne. Après trois heures de débat devant la Cour d’Appel, elle saute aux yeux : ils ne voulaient pas avoir à répondre des incongruités et des contradictions flagrantes consignées dans leurs procès-verbaux successifs. De ce point de vue, on les comprend un peu : en ne venant pas, ils ont évité de s’effondrer lamentablement sous le poids des évidences.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir mobilisé des ressources importante que la police n’a pu apporter la moindre preuve matérielle de ce qu’elle avance. Un des prisonniers est accusé d’avoir jeté une "bouteille d’hydrocarbure", les trois autres, des morceaux de béton et des cailloux. Pour prouver les accusations, dès leur arrestation, "les policiers leur ont fait mettre des gants de latex à tous" (rapport introductif). Ensuite, ces quatre paires de gants ont été envoyés pour expertise au laboratoire de police scientifique. Première curiosité, alors qu’un seul est poursuivi pour jet de cocktail, la police a demandé pour les quatre la recherche de traces d’hydrocarbures... comme si elle n’était tellement sûre de ce qu’elle affirmait sur l’identité du "lanceur". Manque de chance pour elle, "la police scientifique n’a rien trouvé de cet ordre pour aucun. Résultat négatif" (ibid.). Pour information , précisions que, sur le plan scientifique, le résultat d’une telle recherche est positif si l’on est simplement passé à la station service dans la journée. Deuxième curiosité, alors que trois sont accusés d’avoir jeté des cailloux, "on n’a pas demandé de vérifier s’il y avait des poussières et qu’elle nature de poussières il pouvait y avoir sur les mains" (ibid.), peut-être parce que "on" savait d’avance que les résultats seraient également négatifs sur ce plan ? Toujours est-il que la police a fait elle-même la preuve qu’il n’y avait pas le moindre lanceur de "cocktail" parmi les quatre, et elle n’a pas apporté la preuve qu’il y ait eu des lanceurs de cailloux.
Le rapporteur l’a également indiqué "le policier a beaucoup insisté sur cette preuve". La preuve en question -un des rarissimes détails précis du dossier-, c’est le pull "Bullrot" que portait un lanceur de cocktail molotov. Las pour la police, Jean, incarcéré pour ce motif n’était pas en Bullrot au moment de son arrestation. Malgré des recherches frénétiques, allant jusqu’à une perquisition complète de son domicile, personne n’a jamais vu l’ombre d’un tel pull dans ses affaires. Alors, à quoi d’autre a-t-il été "reconnu" par un gardien de la paix ?... le dossier nous apprend que c’est parce qu’il était vêtu de sombre, plutôt grand, plutôt mince et ... franchement noir... ce qui n’est pas vraiment original à Reynerie. C’est pourtant sur une "description" aussi floue qu’un gardien de la paix l’a reconnu "formellement", tout en avouant lui-même qu’il n’avait vu le lanceur de cocktail “qu’à 30 ou 40 mètres”. Et cela alors que la scène s’est déroulée pratiquement de nuit. L’ accusateur a-t-il du moins reconnu Jean à son visage ? Ses tergiversations semblent indiquer qu’il aurait peut-être été tenté de le dire... mais, il lui était difficile de s’engager dans cette voie : les PV des autres policiers indiquent que les "émeutiers" -comme ils les appellent- portaient des cagoules.
Bref, le seul élément descriptif (le fameux Bullrot, décrit avec insistance par le policier accusateur ainsi que par un autre) n’a jamais été retrouvé. Par contre, on nous offre une reconnaissance à 40 mètre, de nuit, d’un noir vêtu de sombre et portant une cagoule. Ce qui tient certainement de l’exercice de divination. Pas du témoignage. On comprend qu’en première instance le gardien de la paix ; soit devenu subitement dubitatif à la barre et ait avoué ne pas être en mesure de reconnaître Jean.
"Détail" qui tue : de nombreux témoins affirment que ce jeune homme avait passé la journée (y compris le moment ou se sont déroulés les faits) chez son amie, tout de blanc vêtu. Il venait de rentrer chez lui pour se changer avant de sortir en ville. Ce n’est qu’à partir de ce moment, c’est-à-dire quelques minutes avant son arrestation, qu’il a été vêtu de sombre.
Quand à Abdelrani, le motif de son arrestation est assez inédit. Figurez-vous qu’au moment ou la BAC s’est précipité sur lui (il venait de sortir de puis peu de son domicile -comme sa famille l’a attesté- et il attendait tranquillement l’ascenseur sur la coursive du cinquième étage), son cœur s’est mis à battre la chamade.
Devant une telle preuve de culpabilité, consignée dans un procès-verbal, la BAC n’a fait ni une ni deux, elle l’a embarqué. Par la suite, le hasard faisant bien les choses, il a été "reconnu" par un autre policier. Et, comme dans ce dossier le hasard ne fait pas les choses à moitié, c’est justement par le gardien de la paix qui avait également "reconnu" Jean. Enfin, si on peut appeler ça des reconnaissances. Car au "je suis formel ... je ne peux dire ce qu’ils faisaient, mais ils étaient dans le groupe" d’un PV (ce qui n’est déjà pas d’une grande précision) succédera "à l’oral", en première instance, une impressionnant marche arrière.
Non seulement, pour notre gardien de la paix, il n’est plus question de reconnaître Abdelrani, mais il déclare que ce seraient les hommes de la BAC qui l’auraient reconnu. Bref, Abdelrani n’a été reconnu formellement ni par la BAC ni par le gardien de la paix. Sur cette double non-reconnaissance, il est toujours en prison. Ça lui apprendra à avoir un cœur qui bat trop vite.
Pour Icham et Mohamed nous avons des versions de leur arrestation parfaitement contradictoires, mais tout aussi assermentées les unes que les autres.
Décrivant le moment ou elle redescend du 5ème avec Abdelrani, la BAC note "constatons en bas d’immeuble des mouvements de certains jeunes ...hostiles... alors que nous progressons en direction d’un groupe de jeunes... ils se dispersent. Remarquons deux individus [Icham et Mohamed] qui progressent le long d’un mur [ils vont vers l’immeuble en question qu’habite l’un d’eux] et qui à notre vue font demi-tour". Ces deux individus sont arrêtés dans la rue. Ce PV (pièce n°1 de la procédure), établi à 20 h 20, démontre que ce n’est pas parce qu’il ont été "reconnus" qu’ils ont été arrêtés. Trois heures plus tard, la version change du tout au tout. Le même rédacteur certifie tout aussi formellement (PV de 20 h 30) : "après l’interpellation d’Abdelrani, nous sommes redescendus ... nous reconnaissons ... [Icham et Mohamed] précédemment vus lors des violences ... un nord africain avec un bonnet, un autre plus petit avec un pantalon sombre". Arrêter des gens parce qu’on les a reconnu trois heures après les avoir arrêté... il fallait un expert pour nous éclairer ça. Et qui le fait ? notre valeureux gardien de la paix, toujours le même. Véritable témoin-étoile de ce procès, il affirme d’abord que lui -bis repetita placent doit-il croîre-, il les a reconnu tout de suite, cet Icham et ce Mohamed. Il nous explique même à quel moment : "... nous sommes arrivés au parking Gluck, le groupe suivi s’est dispersé. Certains membres se sont réfugiés dans la coursive. La brigade est monté et a interpellé trois individus [Abdelrani, Icham et Mohamed]". Le témoin a tout vu. Il nous certifie qu’Icham et Mohamet ont été arrêtés au 5ème étage.
A moins que la coursive ne soit aller miraculeusement se promener au rez-de-chaussée, force est de constater, avec l’avocat de la défense, que le témoin "nous décrit des conditions d’arrestations contraires à celles de ceux qui ont interpellé !".
Et ce n’est qu’un exemple choisi dans un véritable florilège.
Faut-il le rappeler, dans ce procès, il n’y a aucun élément matériel. Tout repose sur des déclarations de quatre policiers. Trois en refusant de déférer à la convocation du tribunal se sont soustrait à tout débat contradictoire. Ils ont également consigné dans des PV des affirmations contradictoires, comme on vient de le voir. Le seul qui soit venu s’est fait prendre dans de terribles contradictions. Il a finalement du avouer à l’audience qu’il ne reconnaissait personne. Malgré l’inanité de l’accusation, Jean, Abdelrani, Icham et Mohamed sont toujours en prison. Nous n’aurons de cesse qu’ils en sortent et qu’ils soient relaxés.
F.
(Une édition des notes prises à l’audience est en cours de préparation).
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