Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Projet Fillon sur l’école

tu seras pauvre, mon fils...

jeudi 2 décembre 2004

Quiconque s’intéresse un tant soit peu à l’éducation ne peut qu’en convenir : oui, comme le rappelle le ministre la main sur le coeur, il faut travailler à combler les inégalités, offrir à chaque élève une éducation de qualité et épanouissante, permettre à chacun de maîtriser les compétences nécessaires à une vie libre et consciente. Les principes sont inattaquables, consensuels dans l’absolu. Mais la façon dont les interprète Fillon, pour peu qu’on étudie dans le détail ses propositions, est bien éloignée de ces généreux élans du coeur. Encore une fois, la langue de bois politicarde vient fort à propos farder et rendre présentable la vieille idéologie ultra-libérale, toujours plus féroce et sanglante, que l’on travestit en noble dame patronnesse pour mieux nous vendre le projet de société le plus régressif et le plus violent qu’une réforme de l’école puisse porter. Jugez-en plutôt :

1) Trois objectifs, quatorze propositions, et déjà des contradictions.

Fillon nous annonce sa volonté, ô combien louable, de « réduire l’échec scolaire en prenant l’engagement de garantir à tous les élèves, au terme de leur scolarité obligatoire, la maîtrise des savoirs et des compétences indispensables afin de poursuivre leur scolarité dans les meilleures conditions, ainsi que d’ « élever le niveau général de tous les élèves pour atteindre effectivement les objectifs de 100 % de qualification et de 80 % au niveau du baccalauréat » » (Cf. « Les 14 propositions de F. FILLON pour l’école », introduction). Pour cela, il se donne trois objectifs à atteindre : rendre l’école « plus efficace », « plus juste », plus « ouverte ». Ces trois axes reposent sur quatorze points précis qu’il serait fastidieux de reproduire ici, mais que l’on peut déjà regrouper en tendances bien marquées, lesquelles sont, malheureusement, parfaitement en contradiction avec les buts fixés. Ainsi :

- « Garantir à tous les élèves la maîtrise d’un socle commun », socle qui sera « validé tout au long de la scolarité obligatoire » (propositions n°1 et 2) : on nous présente ceci comme une garantie d’offrir des possibilités de soutien et d’aide à ceux qui en auront besoin, dès le primaire et jusqu’à la troisième. Dans la réalité, les enfants qui manifesteront aisance et rapidité pour acquérir ce socle miminum auront la possibilité de choisir des options, de diversifier les domaines de connaissance, tandis que les autres, ceux qui, pour telle ou telle raison, connaîtront des difficultés et des retards, peineront sur leur socle pendant plus de temps, se consacreront exclusivement aux matières de base (français et maths), et n’auront jamais l’occasion de découvrir autre chose, d’enrichir leur personnalité au contact de domaines d’exploration cognitive variés et re motivants. Et oui, après tout, un futur ouvrier n’a pas besoin d’être cultivé. Dès lors, les propositions du ministre quant à la possibilité, dès l’école primaire, de suivre certaines options, revient à opérer une sorte de sélection ultra précoce (dès l’âge de 8 ans !) qui déterminera les choix futurs. Quid de la fameuse « école plus juste » ??

Ceci sera encore plus évident au collège : le jeu des options, notamment en 3e avec cette recommandation de « généraliser l’option découverte professionnelle » (Document de travail pour la Loi d’orientation publié par le ministère de l’Education Nationale, p.10), aggravera encore la fracture entre les enfants doués pour les matières « académiques » et ceux qui manifesteront des capacités pudiquement évoquées comme des « talents » différents. Là encore, aux meilleurs les options ouvrant la voie générale du lycée, et aux autres, les manuels, les lents, les élèves à problèmes, une option fourre-tout et mal définie qui, pouvant occuper jusqu’à 6 heures de l’emploi du temps, ferme donc purement et simplement la porte du lycée en empêchant l’étude d’une deuxième langue vivante notamment. Combien d’élèves jugés trop peu brillants finiront donc par grossir les rangs des formations professionnelles sans l’avoir véritablement choisi, par défaut, par ignorance des stratégies à adopter, par manque de familiarité avec un système retors et adepte du double langage ? le choix de cette option est bien une pré-orientation de fait. Quid de l’école » plus juste » ??

- Le principe de l’attribution de « bourses au mérite » (proposition n°10), grande marotte de ce gouvernement, choque par son caractère arbitraire et profondément inique : il s’agira de favoriser les élèves certes nécessiteux mais doués, sans vouloir même admettre que les résultats des enfants sont aussi, trop souvent, la conséquence d’un milieu social, d’un contexte favorable ou défavorable. Cela revient à pénaliser les enfants pauvres et peu doués, ceux qui auraient justement besoin que tous les moyens soient mis en oeuvre pour pallier aux insuffisances financières, sociales, familiales, médicales de leur situation personnelle. Quid de l’école « plus juste » ??

- Le retour d’une notion jusqu’à présent illégale, les « groupes de niveau » (proposition n°13), notamment en langues dans le secondaire : voilà en effet une mesure compatible avec l’idée d’égalité... Toutes les études effectuées sur le sujet prouvent que des classes hétérogènes profitent aux élèves en difficulté sans pénaliser ceux qui, de toute façon, comprennent le fonctionnement du système et savent dès leur plus jeune âge se conformer au moule académique. C’est donc bien un choix idéologique et démagogique, celui de trier les élèves, de séparer le bon grain de l’ivraie, pour sélectionner les gagnants de demain et leurs futurs subalternes... Quid de l’école « plus juste » ??

- Une école plus « ouverte »... sur l’entreprise : toutes les mesures annoncées évoquent, en creux, l’obsession ultralibérale du gouvernement. Toutes les prétendues innovations (et surtout les fameuses options et filières professionnelles si chaudement recommandées), concourent à livrer les élèves les moins performants, le plus tôt possible, au marché économique et à ses exigences, à ses besoins. Cette idéologie est clairement revendiquée dans le projet Fillon : les experts consultés par le ministre le déclarent sans ambages : « L’école se doit de prendre en considération le fait que la vie en société implique une différenciation des fonctions assumées par les différents individus(...) S’il est souhaitable que tous les citoyens d’un pays soient compétents en lecture, tous ne peuvent devenir chirurgiens, avocats ou informaticiens » ((“ Le collège en Europe. Entre culture de l’intégration et culture de la différenciation”, rapport de M. Crahay / A. Delhaxe, rapport remis au PIREF, www.recherche.gouv.fr). On sait que l’inégalité existe, mais de là à l’encourager et à l’orchestrer dès le plus jeune âge, il y a un pas, que ce gouvernement n’hésite pas à faire... Quid de l’école plus « efficace, plus juste, plus ouverte » ??

2) Un modèle peu rassurant : l’Allemagne

D’autres spécialistes de l’éducation, curieusement peu fréquentés par notre ministre, s’alarment de ces choix clairement politiques : ainsi, François Dubet (dans son ouvrage intitulé L’école des chances. Qu’est-ce qu’une école juste ?, Ed. du Seuil, septembre 2004) souligne qu’ « à l’école comme à la guerre, ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, pas les vaincus ». Vae victis, donc, et tant pis pour les pauvres, les faibles, les lents... ceux-là seront orientés précocement sans deuxième chance possible.

Ce modèle de sélection précoce existe depuis longtemps en Allemagne, il est donc assez tentant de vérifier sa prétendue efficacité sur la réduction des inégalités sociales... L’Allemagne pratique « l’enseignement séparé » dès la fin de l’école primaire. Un test, vers l’âge de 10 ans, permet d’orienter les élèves vers trois grandes filières : les meilleurs fréquentent le Gymnasium, qui débouche sur un diplôme type bac, ouvrant seul la porte de l’université ; les moyens fréquentent la Realschule, les moins bons la Hauptschule, deux voies professionnalisantes. Les compétences, les niveaux, la durée de l’enseignement, y sont si différents, qu’il est dans les faits pratiquement impossible de passer de l’une à l’autre. Et, bien plus grave, des études montrent que, plus que les résultats obtenus aux tests, ce sont les caractéristiques sociales et familiales qui déterminent vraiment l’orientation des élèves. Ainsi, un tiers des élèves de Realschule ont un meilleur niveau général que le plus mauvais quart des élèves fréquentant le Gymnasium... et 80% des élèves dont les parents ont le bac vont au Gymnasium, contre seulement 28% de ceux qui ne l’ont pas (Cf. à ce sujet l’excellent dossier consacré à l’école d’ « Alternatives économiques », n°229, octobre 2004)...

La sélection précoce, l’enfermement des enfants dans des catégories hermétiques ne constitueraient donc pas, visiblement, la panacée vantée par Fillon et sa clique ! Voilà une découverte... Pour une école véritablement juste, refusons ce projet violemment ultra-libéral, qui ne peut que renforcer les déterminismes sociaux et accroître les inégalités.

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