Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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QUI SONT LES SANS PAPIERS ?

Témoignage de sans-papiers toulousains

samedi 31 août 2002

INTRODUCTION

La CNT a décidé de publier les témoignages de membres du collectif toulousains des sans-papiers. Ces témoignages racontent leur lutte quotidienne pour rester là où ils ont choisi de vivre, au mépris des enjeux et stratégies de la société capitaliste.


TRACT DIFFUSÉ PAR LA CNT-AIT

FRANCAIS OU PAS :

MÊME GALERE, MÊME COMBAT !

Les prétendues races, les prétendues qualités supérieures des uns ou des autres ne sont que des prétextes qui servent à cacher les causes véritables des inégalités sociales qui existent aujourd’hui.

Smicard, Rmiste, travailleur on futur chômeur ... nous sommes dans une une galère. Quelle que soit la couleur de notre peau, notre âge ou notre sexe. Nous sommes tous des exploités, des anonymes, des dirigés, des opprimés.

Nous devons nous unir contre le système capitaliste et ses rouages politiques et religieux. Nous devons êtres solidaires pour pouvoir construire ensemble un autre futur libertaire et égalitaire. Ne nous laissons pas faire. Défendons nos libertés, notre dignité.

Dans les lycées, les facs, les usines, les quartiers,

ORGANISONS-NOUS !


OUVRIER EN FRANCE PENDANT 17 ANS : ON NE PEUT PAS RAYER UNE VIE COMME ÇA

Mon père est arrivé en France en 1967. Il va vous expliquer : " Je suis venu par le bateau. A l’époque, pour venir en France, il fallait s’inscrire dans un bureau, et on faisait passer une visite médicale, plus qu’à l’armée. Après la visite, ils donnaient un certificat médical avec le photo. Sur le bateau, on était très serré, tous assis par terre, sans place pour bouger.

A l’arrivée à Marseille, pour pasqer la douane, il fallait juste le certificat de bonne santé avec la photo. Aprèsje suis allé au Creusot chez un ami, et j’ai commencé à travailler, dans les travaux publics. Ma femme était en Algérie. Un garçon et une fille sont nés en Algérie. En 1974, j’ai fait venir ma femme et mes enfants. Tout ce temps où je restais sans eux, j’avais très mal. Les autres enfants sont nés au Creusot. J’ai 5 enfants français. Pendant 17 ans, j’ai travaillé en France : passer le goudron sur les routes ou dans des usines. En 84, mon père est tombé malade en Algérie. Alors j’y suis retourné pour lui avec ma femme et mes enfants. "

Moi, je suis français. Je suis né ici. J’avais 9 ans quand on est parti. En Algérie, ça ne m’allait pas. En 93, je suis revenu en France. J’ai habité dans un foyer, et j’ai de suite trouvé du boulot. J’ai pris un appartement, et j’ai fait venir mes 2 frères français. Tous les 2 travaillent ici. En Algérie, mon grand-père est mort. Moi, j’ai demandé un visa pour mon père. On a attendu 3 mois pour avoir le visa pour venir un mois. Quand il est arrivé, j’ai demandé une carte de séjour pour mon père. C’était sous le gouvernement Juppé. Refusé.

A nouveau, j’ai fait la demande dans le cadre de la circulaire Chevènement. Refusé à nouveau ! Motif : il n’a pas un visa de long séjour !

Pendant 17 ans, mon père a été ouvrier en France. Il a travaillé à faire des routes, et dans les usines... Et la préfecture fait comme s’il n’avait jamais été là, comme s’il n’avait jamais vécu dans ce pays. Il a cinq enfants français, et l’état le traite comme un touriste !

"Rien ne prouve qu’il peut rester ici, il ne rentre dans aucun critère. " Voilà ce que nous a dit la femme qui nous a reçus lors de l’entretien. 17 ans ouvrier en France, père de cinq enfants français. Ce ne sont pas des critères suffisants, ça ? Elle a ajouté : "Oui, mais si on vous fait la carte, vous allez faire venir votre femme. "

Eh alors ? Bien sûr qu’il va faire venir sa femme. C’est normal de vivre avec sa femme, non ? Même Le Pen si on lui demande (si on ne lui dit pas que c’est pour un arabe) il trouvera ça normal. Déjà, quand on est allé déposer le dossier à la préfecture, l’employé n’a pas voulu le prendre, et j’ai dû me disputer avec lui pour qu’il l’accepte.

"Depuis que je suis là, mes enfants sont mieux. Je m’occupe d’eux, je prépare le repas pour quand ils rentrent du travail. Moi aussi je vais mieux. Je suis malade. L’estomac et surtout j’ai de l’asthme. Ici en France, ce n’est pas grave, parce qu’on trouve les médicaments. En Algérie, j’habitais un village, il n’y avait pas de remèdes ou alors très chers. J’ai eu plusieurs crises graves. " Beaucoup de gens, même à la préfecture, trouvent que ce n’est pas normal qu’il n’ait pas la carte. Nous, on veut vivre avec notre père.

Toulouse, le 6 novembre 1997


TOUT CE QU’ON VEUT, C’EST LA LIBERTE

On ne veut pas la richesse des autres. J’ai préféré partir, laisser mes parents là-bas en Algérie. Je suis venu pour demander une liberté que je n’avais pas dans mon pays.

Chaque personne ici en France a ses raisons. Parfois, quand je suis tout seul, je réfléchis à comment ça se fait que je sois ici en France. Ce n’était pas ça, mon rêve. Mon rêve, c’était de réussir, de fonder une famille avec mes parents, pas de les laisser, de les quitter. Chacun de nous, avec ou sans papiers, a ses racines et ses origines, mais la terre a été créée pour tout le monde, pas pour Chirac ou Jospin ou pour le président algérien ou italien.

Elle nous appartient à chacun. En plus, on n’est pas des millions mais 150 000 sans-papiers.

On n’est pas venu voler, prendre le pain des autres, profiter des richesses. On travaille dur, la pelle, la pioche, les restaurants... Depuis que je suis en France, j’ai appris plein de métiers. Oui, j’ai beaucoup appris. Avant, quand j’étais chez mes parents, j’avais la belle vie : je travaillais pour moi, j’avais la voiture, etc Mais on m’a convoqué pour service militaire. C’était juste quand les problèmes en Algérie commencé, l’armée faisait des opérations dans les villages, les maquis. Moi, je veux bien risquer ma vie pour des gens qui n’ont pas les moyens de se défendre, mais pas pour des colonels qui dorment au chaud chez eux et qui ont bouffé tout l’argent de l’Algérie. Au moment de l’indépendance, mon père avait fait son choix. Moi aussi, j’ai le droit de choisir. Pour moi c’était grave de quitter mes parents, mais je ne regrette pas.

Mais ici en France, je suis en liberté, et en même temps, du fait que je n’ai pas les papiers, je suis prisonnier. C’est comme un prisonnier à qui on dit : "Tu es libre", mais on ne lui donne pas la clé pour sortir. Nous, on mène une vie de risque. Le risque il existe toujours.

Plusieurs fois, le patron m’appelle le soir pour du travail. Le lendemain matin, je prends le métro, mais arrivé au Capitole, je trouve la police. Demi-tour. Au bout d’un moment, les patrons ne m’appellent plus. Une autre fois, je travaillais tard le soir, je posais des fenêtres. Il fallait finir. Arrivé chez moi je devais manger, faire ma gamelle pour le lendemain. Je n’avais rien. Je décide d’aller à l’épicerie de nuit, sur le chemin je vois des CRS. Demi-tour. Ce soir-là je n’ai pas mangé, et le lendemain, je suis allé au travail et j’ai passé la journée sans gamelle, sans rien. Même les courses, on ne peut pas les faire tranquillement. Combien de fois je vais au Géant, et je dois faire demi-tour à cause des CRS.

En dévoilant nos vies et nos problèmes, on peut toucher des gens. On ne peut pas comprendre quelqu’un si on ne connaît pas la situation qu’il vit. J’espère pour tout le monde qu’il n’aura pas besoin de vivre notre vie. Heureusement, j’ai du soutien, des gens d’accord pour ce qui est bien pour tout le monde. Quand je parle avec eux, ça me fait l’effet d’un calmant. Je suis bénévole dans plusieurs associations, et comme ça je rencontre beaucoup de gens, je peux aider. La France, c’est comme si elle ne savait pas profiter de l’intelligence de la personne. Moi, je cherche ma liberté pour m’exprimer avec mes paroles et ma pratique, je veux montrer que j’existe. Or maintenant, je n’existe pas, c’est comme si je n’étais personne. Ce n’est pas des papiers qui vont changer la personne. Ils vont seulement lui enlever les obstacles. Les papiers, c’est la clé qui ouvrira notre prison.

Toulouse, le 4 novembre 1997


JE SUIS VENU POUR FAIRE MES ETUDES EN FRANCE

Je suis titulaire d’une maîtrise en électronique, mais au Maroc, je ne peux pas m’inscrire en troisième cycle, à cause de mes activités politiques, car je suis membre du PC marocain. Je suis donc venu en France. Je suis arrivé en août 97, avec un visa de courte durée. Le 9 septembre, j’ai déposé une demande pour obtenir un titre de séjour. J’ai contacté plusieurs directeurs de recherche, ici et à Dijon, qui me prendront dans leur équipe sans problème vu que j’ai la mention. Pour les étudiants étrangers mention à la maîtrise est obligatoire pour, faire une thèse. Cette année, je me suis inscrit à un centre de langue françaîse pour me perfectionner dans la langue et rédiger ma thèse l’an prochain.

Quand je suis allé déposer mon dossier, au début, la dame a refusé de me le rendre. Elle m’a simplement dit : " il faut que tu rentres chez toi. ". J’ai demandé pourquoi. Elle a répondu : "Tu n’as pas de ressources, tu dois rentrer chez toi". Pourtant, je n’ai pas de problème de ressources, je suis pris en charge par la famille. De ce point de vue là mon dossier est bon. J’ai dû insister pour qu’elle le prenne. Elle n’a pas voulu accepter les photos d’identité. Elle a dit : " Ce n’est pas la peine. " Pourtant, cela faisait partie des pièces qui étaient demandées.

La semaine dernière, j’ai reçu la convocation pour aller chercher la réponse. C’est un refus, parce que je n’ai pas le visa de longue durée. Mais j’ai fait ma demande avec un visa de courte durée au départ, quand j’ai demandé le dossier. Je l’ai bien spécifié. Et maintenant, ils me refusent parce que mon visa est de courte durée ! Pourquoi m’ont-ils envoyé un dossier alors ?

Par rapport à ce qui m’arrive, je voudrais dire deux choses : D’abord, on naît par coup de chance, il n’y a pas de mérite à naître dans un pays plutôt que dans un autre. Pourquoi est-ce que je n’aurais pas le droit de faire un troisième cycle, puisque jusque là j’ai prouvé que j’en suis capable, et que des directeurs de recherche sont d’accord pour suivre ma thèse ? Au Maroc, cela m’est impossible. Ensuite, par rapport à la façon dont la dame de la préfecture m’a reçu, je trouve que ce n’est pas normal. Elle n’a pas à faire de remarques quand on lui donne le dossier. Elle doit juste le prendre et regarder s’il est complet, si on a bien fourni les papiers demandés. Elle n’a pas à refuser les photos et à dire "Rentre chez toi".

Toulouse, le 1er novembre 1997


SI ON SE BAT POUR RESTER ICI C’EST QU’ON A ENVIE DE VIVRE ICI

Je vis en France depuis 1985. Je suis venu parce que j’ai beaucoup de famille qui vit ici, mon frère et des cousins. En Tunisie, j’ai fait l’école de maçonnerie, j’ai le CAP. Ça m’a permis de toujours travailler.

En 89, je suis allé deux ou trois fois à la préfecture me renseigner pour les papiers. La réponse était toujours négative. Sans même demander mon nom au bureau d’accueil, ils disaient toujours non. Ça m’a découragé. En 91, je suis rentré en Tunisie deux mois. Je me suis marié là-bas. A mon retour ici, j’ai retrouvé du boulot sans problème.

Mais parce que je n’avais pas les papiers, j’ai dû travailler très dur, beaucoup plus dur que les autres : je faisais 13 heures par jour, je devais faire le double de rendement par rapport aux gens qui ont les papiers. C’était presque de l’esclavage pour garder la place. Plusieurs fois, j’ai été arnaqué, et pour des sommes très importantes. Si le patron ne donne pas la paie à la fin du mois, tu ne peux rien dire, tu n’as pas de preuve que tu as travaillé, tu laisses tomber. Quatre ou cinq fois au moins ça m’est arrivé. Une fois quand j’ai demandé la paie, il a sorti le revolver, et m’a dit "tu pars".

Malgré toutes ces difficultés, je n’ai jamais volé. J’ai eu des moments très durs, où je me suis même parfois privé de manger. Surtout pour payer le loyer, parce qu’il faut aussi payer le loyer très cher pour habiter quand tu es sans-papiers. J’ai gardé toujours l’espoir d’avoir les papiers. On vit dans un pays démocratique. He me dis : un jour il y aura une loi pour qu’on ait les papiers. Depuis 92, je ne suis pas rentré en Tunisie, dans cet espoir.

Le 24 juin, quand ils ont sorti la circulaire, ils en ont beaucoup parlé à la télé. Je n’ai pas hésité à faire la demande à la préfecture. Je demande la régularisation de ma situation pour que je puisse vivre normalement, comme tout le monde, que je puisse payer mes impôts et respecter la loi française. Une semaine après, convocation. J’y suis allé le 23 juillet, avec les papiers que j’ai pu ramasser. En arrivant à la préfecture, j’ai présenté mon dossier. La femme, sans regarder les papiers, a commencé à me mettre des obstacles : comme quoi tous mes papiers ne valaient rien, j’avais les photocopies du passeport et des visas, le certificat d’hébergement de mon frère, une promesse d’embauche, des factures... " il faut que vous rentriez chez vous ". Moi, j’ai répondu : " C’est un début, je suis prêt à porter d’autres justificatifs. " Elle a fini par accepter mon dossier, mais m’a dit " Vous ne serez pas régularisé, parce que vous êtes marié en Tunisie, il faut,que vous rentriez chez vous. "

Deux ou trois semaines après, j’ai ramassé d’autres papiers. La femme n’a pas voulu me recevoir, j’ai dû tout laisser au bureau d’accueil. Ça fait maintenant plus de trois mois sans réponse.

Quand j’ai appris l’existence du collectif j’y suis venu. Au début, je n’osais pas parler des problèmes que je vivais. Je connais aussi des familles françaises. L’une savait déjà que j’étais sans-papiers, mais pas les autres. Quand je suis revenu de la préfecture, j’étais choqué, je leur en ai parlé. Ces familles françaises m’ont dit " Ce n’est pas normal. " Elles m’ont dit qu’elles allaient écrire au Premier ministre pour moi. C’est grâce à elles que j’ai pu tenir le coup ; elles m’ont aidé à respirer. De vous dire tout cela m’aide aussi à respirer.

Il y a aussi une chose que je veux dire : ce n’est pas parce qu’on n’a pas de papier qu’on est des bandits. On est des personnes comme tout le monde. Si on est ici c’est qu’on aime ce pays. Je voudrais monter mon eltreprise, j’ai déjà bien réfléchi à toout le projet. Je peux créer des emplois. J’espère qu’ils vont me donner une chance de m’installer. Je veux montrer que quelqu’un qui n’a pas de papiers, est prêt aussi à enrichir ce pays.

Toulouse, le 29 octobre 1997


SI ON VEUT RESTER ICI, IL Y A DES RAISONS

Je vis chez mes parents depuis 1983. J’étais étudiant à Alger. Je suis venu terminer mes études en France (4 ans d’études). J’ai un peu travaillé aussi. En avril 96, je me suis marié avec une Française, mais le mariage n’a pas tenu, et après 8 mois, elle a quitté le domicile et a demandé le divorce.

Depuis 96, j’ai eu 4 récépissés de 3 mois, un an en tout. Après, ils n’ont pas voulu me les renouveler, à cause de la demande de divorce. J’ai déposé un recours. Bloquer les papiers comme ça d’un coup, ce n’est pas logique. J’avais du travail, j’étais embauché, mais un jour, il y a eu une visite de l’inspection du travail sur le chantier. Ils m’ont demandé la carte de séjour, à ce moment-là, je n’avais plus de récépissé. J’ai dû quitter le chantier.

Quand il y a eu la circulaire, j’ai envoyé ma demande et j’ai refait le dossier. Depuis, je n’ai rien reçu. Il parait que la carte est prête, qu’elle est dans le dossier, et qu’il manque la signature du préfet. Aux dernières nouvelles, quand j’ai appelé, on’m’a dit que le préfet avait refusé. Pourquoi ça ? Sur quelle loi se base-t-il ? Je travaille ici, je reste ici. Mes parents sont là, mes frères aussi. Qu’est-ce que je vais faire en Algérie ? Mes frères ont eu les papiers. Moi je suis rentré régulièrement. L’armée là-bas, je ne l’ai pas faite. Je ne vais pas y retourner, surtout vu la situation, même en vacances.

Mon père lui avait fait les papiers là-bas pour travailler ici. C’était début 70. il a toujours travaillé dans le bâtiment, il vit toujours ici. Moi, maintenant, j’attends. J’ai présenté tous les papiers depuis que je suis entré, et les embauches. Je respecte la loi. La preuve, j’ai payé un PV de 1200F. Si on vent rester ici, il y a des raisons et il faut en tenir compte.

Toulouse, le 29 octobre 1997


JE VEUX FAIRE MA VIE A TOULOUSE

Moi, mon père est ancien combattant. Il a été blessé pendant la guerre. Je suis le plus jeune de la famille, tous mes frères sont en Europe, en Suisse, aux Pays-Bas, en France et en Italie. La première fois que je suis venu, j’étais encore apprenti coiffeur. J’ai habité en foyer. Jusqu’en 88, je rentrais et je revenais. En 89, je suis revenu avec un visa, et j’ai habité chez ma soeur à Paris. D’abord elle était locataire, puis elle a acheté son appartement. J’ai toujours travaillé, dans la coiffure, mais aussi des ménages, des gardes d’enfants... Depuis 94, je vis à Toulouse. J’ai des amis français, et j’ai rencontré une fille, avec qui je vis.

Mon père, je ne l’ai pas vu pendant 8 ans. En 96, il est mort. Il a été malade pendant deux mois avant de mourir. Comme je n’ai pas les papiers, je n’ai pas pu sortir de France pour aller le voir. Alors, j’ai demandé les papiers. Avant je ne les avais jamais demandés. Je ne m’en étais pas occupé. Je sortais, j’allais voir mes frères en Europe. Je ne m’inquiétais pas. Mais quand mon père est mort, sans que je puisse le voir, j’ai réfléchi. Ma mère est là-bas aussi il peut lui arriver la même chose. Alors j’ai fait la demande. Il faut que j’aie les papiers pour elle.

Moi je veux faire ma vie à Toulouse. J’ai envie de me perfectionner, de passer un diplôme. Avec mon amie, on pense à se marier.

Toulouse, le 29 octobre 1997


QUE FAUT-IL DE PLUS POUR PROUVER QUE JE VIS ICI, QUE JE TRAVAILLE ICI, QUE JE VEUX CONTINUER A VIVRE ICI ?

Je suis rentré ici on 1983. Je me suis débrouillé comme j’ai pu jusqu’en 1986 pour travailler pour pouvoir vivre.

En 1986, une première fois j’ai été arrêté. A 5 heures du matin, les gendarmes ont entouré le foyer. A 6 heures, ils étaient dans le foyer : contrôle d’identité. Ils ont fouillé les gens. Et ils ont arrêté 101 personnes : c’était les " 101 Maliens " ! Ils nous ont fait monter dans les cars et ils nous ont emmenés d’abord au commissariat de Bobigny, et de là, directement à l’aéroport, à l’hôtel Ibis. Et puis ils nous ont jetés de force, comme un caillou, tous dans le même cargo. Ils avaient fait un grand complot : ils n’avaient pas prévenu le Mali avant l’arrivée de l’avion à Bamako, sinon ils auraient été mal reçus ! J’ai fait deux ans au Mali.

En 1988, je suis revenu ici. Ce n’était pas du tout facile de revenir J’ai continué comme ça à vivre en me débrouillant pour travailler, jusqu’en 1992.

En 1992, j’ai été de nouveau arrêté : contrôle, gare de Lyon. Emmené à la Cité. Jugé. Ils ont voulu m’expulser, mais j’ai refusé de monter dans l’avion. Résultat : trois mois de prison ferme. Au bout des trois mois, ils m’emmènent encore à l’aéroport. Mais moi, je voulais toujours rester ici, continuer à vivre ici. Alors, retour en prison pour trois mois ferme, encore. Après ces trois mois de prison - en tout, ça fait six mois - ils m’ont relâché mais avec une interdiction de territoire de trois ans. A la fois j’étais relâché et j’étais sous le coup d’une interdiction de territoire pour trois ans. C’était comme ça.

Mon patron n’a pas voulu me reprendre quand je suis sorti de prison : il m’a dit que les papiers que j’avais n’étaient pas bons. J’ai voulu m’inscrire aux ASSEDIC pour toucher le chômage, mais ils ont fait un contrôle des papiers et ils ont refusé de m’inscrire pour le chômage. Ils ont dit que les papiers que je présentais n’étaient pas valables. Quand on n’a pas les bons papiers, c’est très difficile de trouver un patron qui veuille bien de vous. Et quand on en trouve un, on est obligé d’accepter un travail très dur pour garder le poste. Avant, le patron payait toutes les charges comme il faut. Maintenant ce n’est plus pareil.

Ça fait seize ans que je suis en France. Seize ans.. J’ai une centaine de fiches de paye. Quand j’ai déposé mon dossier de régularisation à la Préfecture, eux-mêmes m’ont dit, "monsieur, ça fait seize ans que vous êtes ici ". Et ils ont ajouté, on vous enverra un courrier. Je n’ai toujours rien reçu : ce n’est pas bon signe. Pourtant, si j’ai été expulsé, si j’ai été arrêté, mis en prison, c’est bien parce que j’étais là, non ? C’est parce que je voulais rester là.

Moi, je veux continuer à vivre ici. Mais ce qui fait vraiment mal, c’est quand tu sais que tu n’as rien fait et qu’on te prend comme ça, qu’on t’arrête, qu’on te traite comme un grand criminel. Ça, c’est vraiment insupportable.


L’ECOLE, C’EST POUR LES ENFANTS, C’EST PAS POUR LES AFFAIRES DE LA POLICE

Un jour, je laisse mon enfant à l’école maternelle, et en sortant on me tape sur l’épaule, c’était un policier en civil et un îlotier du quartier qui me disent de les suivre au poste des îlotiers de la Reynerie. Ils savaient tout sur moi, mes enfants et la situation de mon mari. Par la suite, une amie m’a dit qu’elle avait vu ma photo au poste des îlotiers quelques jours avant. On m’a aussi dit que ça faisait plusieurs jours que le policier en civil était devant l’école à surveiller, mais moi j’étais malade. Les policiers se sont adressés au directeur pour lui dire que je n’ai pas de papiers.

Après, ils m’ont emmenée au commissariat central pour me donner un papier pour l’expulsion. Ils me parlaient très mal, ils voulaient me faire peur. Puis ils m’ont mise dehors, ils ne m’ont pas ramené en voiture. Je n’avais pas d’argent sur moi, ils m’ont dit "débrouille-toi". J’avais honte de demander, j’ai parlé à une femme dans la rue, je lui ai tout expliqué, je lui ai montré le papier pour l’expulsion, elle m’a alors donné 20 francs pour rentrer chez moi.

Normalement la police ne doit pas venir à l’école. L’école c’est pour que les enfants apprennent à lire, à parler... Si la police vient, c’est pour protéger les gens, pas pour les embêter. Autrement on a peur d’emmener les enfants. Pendant plusieurs jours, j’ai eu peur, même pour acheter le pain je ne suis pas sorti.

Il faut dire ça aux gens.


DÉCLARATION DU COLLECTIF TOULOUSAIN DES SANS-PAPIERS

Depuis le 18 mars ; 1996, nous, sans-papiers, sommes sortis au grand jour et avons décidé de lutter pour, mettre fin à cette situation de précarité intenable dans laquelle les lois racistes et anti-immigrées, dont font partie les lois Pasqua et Debré, nous avaient jetés.

Le Collectif toulousain des sans-papiers existe depuis septembre 1996. Nous avons mené différentes actions, afin d’attirer l’attention de l’opinion publique et nous avons interpellé le préfet pour exiger la régularisation de notre situation.

Jusqu’à présent, sur 80 dossiers déposés, 7 personnes se sont vues remettre un récépissé de trois mois, sans droit au travail. Ces régularisations, si elles sont une première victoire, ne sont ni satisfaisantes ni définitives. Nous refusons ce traitement arbitraire basé uniquement sur le bon vouloir de l’administration, en l’absence de règles claires : les personnes régularisées se trouvent dans des situations identiques à celles d’autres membres du collectif auxquels le préfet refuse tout titre de séjour.

Nous invitons tous ceux et celles qui ont manifesté contre la loi Debré à se battre à nos côtés. Dans le pays, on a vu des gens de tous horizons, refuser la logique du bouc-émissaire qu’entraîne le durcissement constant des lois sur l’immigration. Ces durcissements successifs qui créent des sans-papiers, nous les connaissons bien. Avec ces lois, ce sont aussi -vos droits qui sont remis en cause.


SANS-PAPIERS : LA LUTTE CONTINUE !

Depuis la parution de la circulaire du 24 juin 97, qui n’a pas force de loi, la préfecture dit avoir recensé au 19 septembre 924 dossiers, en avoir traité 480, délivré 173 récépissés (avec ou sans autorisation de travail) et 24 titres de séjour de un an. 21 refus de régularisation sont en attente d’être signifiés.

Systématiquement les célibataires, les malades, les déboutés du droit d’asile et même certains parents d’enfants, nés et scolarisés en France, présents depuis plus de 5 ans, n’ont toujours pas reçu de récépissé. Leurs dossiers sont renvoyés de commission en commission. Parmi nous, ceux qui ont réussi à obtenir le récépissé se heurtent à d’autres obstacles : la précarité de ce titre, valable seulement 3 mois, ne donne pas accès aux allocations familiales et se révèle être un obstacle à l’embauche. De plus l’obtention d’un titre définitif est soumise au versement de sommes pouvant atteindre 2500 F par personne, enfants compris (Office des Migrations Internationales, chancellerie, timbres fiscaux).

Nous nous inquiétons du renouvellement futur des titres temporaires (carte de séjour d’un an) qui peut être empêché pour divers motifs : problèmes de ressources, de logements, divorce, "menace de trouble à l’ordre public"...

A toutes ces difficultés s’ajoutent la lenteur administrative et le comportement de certains fonctionnaires de la Préfecture. Un des points forts de la campagne des législatives qui a conduit à la victoire de la gauche, était l’abrogation des lois Pasqua-Debré et la régularisation des sans-papiers. Mais, maintenant au pouvoir, le gouvernement recule sur les engagements pris.

Les sans-papier maintiennent leurs revendications :
-   Régularisation globale de tous les sans-papiers.
-   Abrogation des lois Pasqua-Debré.
-   Gratuité des régularisations.
-   Arrêt des expulsions.
-   Retour des expulsés.
-   Suppression de la double peine.

Collectif toulousain des Sans-Papiers


CONSTRUIRE UN RAPPORT DE FORCE

(extrait de la lettre du CDES novembre - décembre 1997)

L’année dernière, de nombreuses familles d’immigrés ayant séjourné en France pendant plus de cinq ans se sont tout à coup retrouvées en situation irrégulière en vertu des critères d’attribution des cartes de séjour prévues par les lois Pasqua-Debré.

Commencée à Paris, une lutte s’étendit très vite à toutes les grandes villes où se formèrent des collectifs de sans-papiers. Après les élections, le gouvernement Jospin exigea des sans papiers qu’ils déposent un dossier pour demander leur régularisation. En ce moment, le ministère de Chevènement (P.S.) est en train de les traiter. Le Collectif local des sans papiers a estimé que sur 1367 demandes d’habitants de Toulouse actuellement sans-papier, 125 ont été refusés, 315 acceptés... 727 espèrent toujours.

Beaucoup de sans-papiers ayant crû aux promesses du Parti socialiste qui avait centré une partie de sa campagne sur le thème de "l’abrogation des lois Pasqua-Debré", se trouvent aujourd’hui exposés à des expulsions pour avoir déposé un dossier avec leur nom, leur adresse et tous les renseignements utiles à la police pour les retrouver en cas de non-régularisation.

La responsabilité des partis politiques envers les sans-papiers ne s’arrête pas là : en fait, les actions menées l’an dernier ont surtout permis au PS de redorer son blason et de se donner une image "de gauche" nécessaire à la reconquête d’une partie de son électorat. Maintenant, au pouvoir, il ne parle plus d’abrogation mais d’une loi plus "ouverte", plus "généreuse" sans préciser d’ailleurs les limites de cette générosité.

A cause de la présence des partis politiques qui ne voulaient rien entendre d’autre, les sans-papiers ont été amenés à se positionner comme des personnes subissant un problème bien particulier alors qu’ils ne sont que les premières victimes d’un problème général, qui concerne tout le monde : la flexibilisation de l’emploi et la précarisation. Le fait que les sans-papiers aient été présentés à l’opinion comme des cas particuliers permet maintenant au gouvernement de mieux refuser les régularisations sans soulever de mécontentement généralisé.

C’est pour cela que le PS et le PC se sont bien gardés de relier les problèmes des immigrés à ceux des français. Pourtant les mesures que prend le gouvernement tant envers les uns qu’envers les autres vont dans le même sens.

Ainsi, en donnant des cartes de un an au lieu de carte de 10 ans, on pousse les immigrés à accepter n’importe quel salaire pour pouvoir obtenir ainsi le renouvellement Sur le marché du travail, on met de la sorte en place des mécanismes de baisse des salaires qui se répercuteront sur tout le monde.

Aucune conscientisation de la population n’a donc été faite par les partis qui soutenaient la lutte. Et les sans-papiers ne pouvaient le faire eux-mêmies, prisonniers des collectifs unitaires où l’analyse se noie dans les discutailleries, les mensonges et les arrières pensées électoralistes.

Les sans-papiers qui voudraient sortir de cette logique sont retenus par le manque de moyens financiers et par leur statut social qui les fragilise.

Le projet d’une grande manifestation nationale se situe dans ce contexte-là. On sent déjà tout le poids des partis politiques et des trentaines d’organisations dans le texte diffusé par la coordination nationale qui n’exige pas la régularisation de tous les sans-papiers alors que l’on y retrouve le verbiage sur des lois plus ouvertes et généreuses. On peut donc se demander sur quoi débouchera cette manifestation et qui tirera les marrons du feu en cas de succès. Vu les reniements et les manipulations auxquels on vient d’assister, on peut douter que ce soient les sans-papiers.

Au total, il me semble que les sans-papiers toulousains se retrouvent assez isolés. La véritable question qui se pose est celle de la construction d’un rapport de force non pas en jouant sur la sensibilité des habitants et l’aspect humanitaire mais en soulevant et en faisant comprendre les problèmes de fond.

Brochure éditée par la CNT AIT,

Union Locale de Toulouse

7, rue St Rémésy 31000 TOULOUSE

Version papier disponible contre 2 euros à l’adresse ci-dessus (chèques à l’ordre de CDES)

A lire également la brochure (que papier pour l’instant) : Réponse aux mensonges racistes


CNT-AIT



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