Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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NOTRE PLACE DANS LE MOUVEMENT OUVRIER FRANÇAIS

par Xavier FROLAN

dimanche 15 septembre 2002

Avant-propos

A l’heure où les travailleurs se détournent chaque jour davantage des Confédérations syndicales dites représentatives parce qu’elles représentent de moins en moins (ou plus du tout) leurs intérêts et aspirations, il est bon que ceux qui ne baissent pas les bras et souhaitent voir se développer un syndicalisme authentiquement autogestionnaire, aient conscience du chemin parcouru et des pièges tendus contre le syndicalisme. Par sa concision et sa clarté, ce texte est excellent pour une première approche de ce que représente la CNT dans son état d’esprit, ses idéaux et ses pratiques. Il sera très utile à tous ceux qui désirent avoir un apercu exhaustif de notre mouvement.

"Liberté, Egalité, Fraternité" ; c’est en gravant cette fière devise - que nous faisons volontiers nôtre - sur le fronton des édifices publics que la Révolution Française ouvrait une ère d’une immense portée politique et sociale.

Mais cette liberté, maintes fois affirmée, ne s’appliquait pas à tous les domaines, et, en particulier, pas au domaine syndical.

Au contraire même, puisque, dans le but d’anéantir les corporations qui s’étaient avérées si néfastes sous l’Ancien régime, la loi "LE CHAPELIER" venait interdire en 1791, la défense de ce qu’elle osait appeler les "prétendus intérêts communs" des ouvriers.

C’est pourquoi à cette époque, les travailleurs n’avaient d’autre possibilité que de s’organiser clandestinement. Bien entendu, cette clandestinité, était un obstacle important au développement du mouvement ouvrier. Cependant, la nécessité de se défendre étant impérieuse face à un capitalisme féroce, le mouvement qui allait devenir le syndicalisme se développa peu à peu.

Pour essayer de canaliser ce mouvement naissant, et aussi pour essayer de s’attirer les bonnes grâces des ouvriers, le dictateur NAPOLEON III supprima en 1864 le "délit de coalition", c’est-à-dire l’interdiction faite aux ouvriers de se grouper entre eux pour se défendre. La levée de cette interdiction favorisa le développement numérique du syndicalisme.

En 1871, après que la bourgeoisie, uniquement guidée par la recherche de son plus grand profit, eut jeté la Nation dans une guerre aussi lamentable que meurtrière (contre la Prusse - 1870), en imposant de ce fait privations et misères au peuple, les ouvriers les plus actifs de la capitale, souvent regroupés au sein de. L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS (A.I.T.), renversèrent cette tyrannie et proclamèrent la COMMUNE DE PARIS (Mars 1871)

Malheureusement, le mouvement insurrectionnel ne put s’étendre à l’ensemble du pays, et, dans les semaines qui suivirent, une véritable "terreur blanche", dirigée par le sinistre THIERS, élimina pratiquement le mouvement ouvrier.

Les militants les plus actifs furent pourchassés, fusillés (comme Eugène VARLIN), déportés en Nouvelle-Calédonie (comme Louise MICHEL), ou emprisonnés.

Aussi, dans les années qui suivirent la COMMUNE, ne restait-il en France que bien peu de syndicats ouvriers. Et eux qui restaient étaient lamentablement réformistes.

Malgré cela, comme le souligne Fernand PELLOUTIER, de réunions en congrès "... les syndicats se multiplièrent, et comme la propagande qu’y faisaient les ouvriers intelligents, toute active qu’elle fut, était silencieuse et n’éveillait pas l’attention des sphères officielles, les idées socialistes allaient se propageant de jour en jour."

Grâce à cette propagande ouvrière, aussi active que discrète, le réformisme qui, soit dit en passant, faisait à cette époque comme à la nôtre la preuve de son inefficacité chronique, était progressivement abandonné par les ouvriers.

Il était cependant difficile aux organisations ouvrières de mener à bien leur lutte sans une véritable organisation.
C’est pour répondre à cette préoccupation que se créa à Lyon en octobre 1886 la "FEDERATION DES SYNDICATS ET GROUPES CORPORATIFS OUVRIERS DE FRANCE". Mais, dès le début, cette fédération fut entièrement contrôlée par un parti politique, le Parti Ouvrier Français, (P.O.F.) qui lui dictait sa loi.

UNE IDEE NEUVE : LES BOURSES DU TRAVAIL

Vers la même époque, et sous l’influence de bourgeois qui voulaient assurer la mobilité de la main d’œuvre dont ils avaient besoin, la loi invita les municipalités à mettre des locaux à la disposition des syndicats : ce furent les BOURSES DU TRAVAIL.

Au début, de nombreux syndicats, flairant la possibilité d’un piège dans cette soudaine bonne volonté bourgeoise, se montrèrent réticents. Ils craignaient que l’Etat ne leur marchande de la sorte un droit de contrôle sur leurs activités. En fait, par leur dynamisme, non seulement ils préservèrent toute leur indépendance, mais surtout, ils réussirent à détourner les BOURSES de leur objet initial : ce qui ne devait être qu’un lieu de régulation du marché du travail (une "bourse" au sens économique du terme) devint rapidement un centre de lutte sociale.

La première Bourse du Travail ouvrit ses portes à Paris le 3 février 1887. Cet exemple fut suivi en province, en particulier dans les municipalités socialistes. C’est ainsi que BEZIER, MONTPELLIER, SETE , LYON, MARSEILLE, ST ETIENNE, BORDEAUX, TOULON, et quelques autres communes eurent bientôt leur Bourse.

Chaque fois, le même phénomène positif se produisit : l’ouverture d’une Bourse favorisait la coordination des syndicats jusque là éparpillés, et désormais réunis sous un même toit ; ce qui impulsait localement la solidarité ouvrière, base du syndicalisme.

En février 1892, les Bourses se réunirent pour la première fois en Congrès, à ST ETIENNE. Il n’existait, alors que 15 Bourses dans le pays ; 10 d’entre elles étaient représentées. Le Congrès décida de créer la "FEDERATION DES BOURSES DU TRAVAIL DE FRANCE", qui fut à l’origine de ce que le syndicalisme a pu inventer de plus novateur et de plus constructif en France.

Le programme de la FEDERATION DES BOURSES, qui doit sa substance à Fernand PELLOUTIER, est à la fois précis, ambitieux et remarquablement adapté à la réalité sociale du moment. Certes, par manque de moyens financiers, de temps, parfois même de clairvoyance ou de conviction, il ne put jamais être mis en application dans toute son étendue.

Quel peut être l’intérêt de ce programme pour les militants d’aujourd’hui ?
Un siècle après, son contenu est bien entendu périmé. Mais la méthode qui a permis de le concevoir reste quant à elle d’une grande actualité. Et, cette méthode, c’est une analyse serrée, aussi complète que possible, de la situation de la classe laborieuse dans son réel, c’est-à-dire dans sa vie de tous les jours.

Pour proposer des solutions, pour envisager un changement de société qui ait des chances d’aboutir, il faut en effet savoir exactement "comment ça se passe" dans chaque entreprise, dans chaque secteur de la production et de la consommation. Savoir comment les échanges sont organisés, au niveau régional, national, planétaire ; connaître les rouages de la vie sociale, connaître tout aussi bien les conditions de vie des travailleurs, savoir ce qui leur fait défaut, ce à quoi ils aspirent ; voir où se trouvent les dispositifs de blocage qui maintiennent la classe ouvrière en servitude... Bref, une foule de connaissances sans cesse renouvelées par l’évolution de la société.

Certes, il serait illusoire et quelque peu délirant de demander à chacun d’entre nous de maîtriser toutes ces informations. Mais chacun d’entre nous est, à son poste de travail comme dans sa vie, un observateur et un acteur irremplaçable. Et le syndicat est là pour cela : chacun y apporte sa parcelle, et c’est collectivement que s’élabore la stratégie nécessaire pour conduire les profonds changements de société qui s’imposent. C’est à cela que servirent les BOURSES DU TRAVAIL.

"BIEN ETRE & LIBERTE" , LA C.G.T.

Pendant une paire d’années, les deux fédérations (Fédération des syndicats et Fédération des Bourses) mènent leur activité chacune de leur côté.

En 1894, par un hasard plus ou moins provoqué, les voici qui convoquent séparément leur Congrès respectif dans la même ville, NANTES. La volonté de la Bourse du travail de cette ville fait le reste : les deux fédérations tiennent leur Congrès en commun et s’entendent pour adopter le principe de la GREVE GENERALE, principe condamné la veille par ... le Congrès du P.O.F. ! Ce parti, qui jusque là tenait en tutelle la Fédération des syndicats est donc rejeté par la majorité des délégués. C’est de ce rejet de la politique politicienne, de cette indispensable clarification idéologique que va véritablement naître l’organisation syndicale, la C.G.T.

C’est en effet un en plus tard, en 1895, à LIMOGES, que les délégués des syndicats des deux fédérations entament le processus de constitution de la CONFEDERATION GENERAL DU TRAVAIL.

La C.G.T. n’est pas créée par des "théoriciens", elle n’est pas le fruit des cogitations de quelque génial penseur que ce soit. Au contraire, elle est une création ouvrière collective, ce dont elle tire, en même temps qu’une forte saveur libertaire, une bonne part de sa valeur d’exemple.

Elle se constitue peu à peu par tâtonnements, par retouches successives. Ses militants, aguerris par les expériences précédentes, lui apportent la quintessence de ce que le mouvement ouvrier a vu fleurir de meilleur jusque là : ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS (1ère INTERNATIONALE), COMMUNE DE PARIS, FEDERATION DES SYNDICATS et surtout, FEDERATION DES BOURSES DU TRAVAIL. Et ce sont des hommes pétris de l’idéal libertaire qui, par leur dynamisme, leur dévouement, leur rejet de tout dogmatisme, ont permis la synthèse de tout ce que ces différents apports contenaient de positif, forgeant de la sorte la notion de SYNDICALISME REVOLUTIONNAIRE. C’est ce concept de Syndicalisme Révolutionnaire qui entraînera dans son sillage les forces vives de la C.G.T. et qui rendra inopérant, pour un temps du moins, les autres courants présents dans la Confédération (réformistes, marxistes orthodoxes ...).

L’idée de base du Syndicalisme Révolutionnaire, c’est qu’il faut mener en même temps, l’action revendicative quotidienne et la préparation des changements révolutionnaires. C’est comprendre que l’on ne peut valablement faire l’un après l’autre ou l’un sans l’autre ; qu’il faut toujours faire l’un avec l’autre.

La force de la Confédération Générale du Travail, c’est d’avoir réalisé dans sa structure, dans son organisation interne, cette liaison entre présent et futur, et de s’être dotée de méthodes d’action en concordance avec ses buts.

1) LA C.G.T. INVENTE L’ACTION DIRECTE :

L’objectif à long terme de la C.G.T., c’est la libération de la classe ouvrière par la libération de chaque être humain. Or, Il n’y a pas de libération individuelle sans prise de conscience, sans prise en main par chacun de ses propres affaires ; c’est pourquoi l’ACTION DIRECTE est le maître mot des méthodes de lutte de la C.G.T.
Mais, "ACTION DIRECTE", c’est aussi une expression par laquelle il ne faut pas se laisser abuser, même si une actualité récente l’a fait dévier de son sens réel. L’expression parle pourtant d’elle-même : c’est l’action DIRECTEMENT entreprise par les travailleurs syndiqués, sans intermédiaires. C’est bien entendu ainsi qu’Emile POUGET, qui en fut son principal théoricien à l’époque, la définit : "ACTION SYNDICALE INDEMNE DE TOUT ALLIAGE, SANS COMPROMISSION CAPITALISTE OU GOUVERNEMENTALE, SANS INTRUSION DANS LE DEBAT DE PERSONNES INTERPOSEES".

Deux éléments importants donc dans cette définition toujours valable :

-  L’Action Directe est avant tout une ACTION SYNDICALE, c’est-à-dire une action de masse, décidée par l’ensemble des travailleurs syndiqués, dans un contexte de lutte ouvrière ; et pas du tout une action guerrière obéissant à une logique groupusculaire ;
-  Elle est l’affirmation qu’il appartient aux travailleurs et à eux seuls, groupés dans leur syndicat, de gérer leurs luttes et de mener les éventuelles négociations comme ils l’entendent, en rejetant l’intrusion de tous ceux qui veulent s’immiscer dans ce débat pour parler en leur lieu et place, que ce soit les professionnels du syndicalisme réformiste (permanents...) ou de la politique (députés ... ), les administrations, les partis et groupuscules, ou même l’archevêque du coin ! Le syndicalisme rejette leur rôle de direction ou de conciliation dans la lutte, ne leur reconnaissant au besoin, et pour certains d’entre eux seulement qu’un rôle technique auquel il leur enjoint de se limiter (inspection du travail...).

L’Action Directe est donc le principe constant autour duquel s’articule l’activité syndicale de la C.G.T. selon des modalités de mise en pratique très diverses :
-  Grèves  : arrêts ou ralentissements du travail sous toutes ses formes (grèves générales, perlées, tournantes, du zèle...)
-  Boycottages : mise à l’index d’un produit ou d’une entreprise hostile au mouvement ouvrier,
-  Labe1 syndica1 : estampille qui permet au consommateur de reconnaître qu’un produit a été fabriqué dans de bonnes conditions, c’est-à-dire avec des matières de première qualité par un personnel syndiqué, donc consciencieux et normalement rétribué,
-  Sabotage du bénéfice patronal : ici aussi, il convient d’éviter toute confusion et de bien comprendre ce que des syndicalistes peuvent entendre à SABOTAGE. Il ne s’est jamais agi de mettre sur le marché des produits dangereux ou de mauvaise qualité, et encore moins de faire courir des risques au public. Au contraire, preuves à l’appui, nous affirmons que ce sont les patrons qui, pour augmenter leurs profits, n’hésitent pas à mettre en danger la santé des consommateurs en produisant des produits frelatés et en polluant gravement la nature. Faire du sabotage, pour un syndicaliste, c’est prendre le contre-pied de cette attitude néfaste. C’est faire perdre de l’argent au patron en favorisant le consommateur, par exemple, suivant les circonstances, en mettant plus de matière première dans un produit, en organisant la gratuité de la distribution, en mettant hors d’état de nuire des machines dangereuses, ou encore en neutralisant momentanément l’appareil de production, lors des grèves, pour rendre inefficace l’embauche de jaunes par le patron.

2) L’ORGANISATION DE LA C.G.T. : TOUT LE POUVOIR AUX SYNDICATS

Mais il serait illusoire d’avoir de bons principes et d’excellentes méthodes de lutte si l’organisation syndicale n’était pas elle aussi en étroite concordance avec le but poursuivi.

A l’encontre des autres mouvements, hiérarchisés, autoritaires, qui cherchent à diriger, à commander les travailleurs, la C.G.T. de cette époque élabore une organisation dans laquelle le pouvoir de décision et le dernier mot, restent toujours à base.

Les adhérents s’expriment dans le SYNDICAT. Tout part de lui et tout y revient. Le syndicat est la cellule vivante, organiquement indivisible, autonome et fédérée de la C.G.T. Il est l’unité de base, l’aune à laquelle se mesure la puissance la C.G.T. Aussi, pour paraphraser une déclaration célèbre, pourrait-on écrire qu’à la C.G.T., "les syndicats naissent et demeurent libres et égaux en droits". C’est dire que l’échelon confédéral respecte scrupuleusement leur pouvoir de décision. C’est dire aussi qu’ils jouissent dans les diverses instances de l’organisation des même droits, quelle que soit leur taille, leur nombre d’adhérents ; et qu’en particulier, au Congrès, chaque syndicat dispose d’une voix.

Les syndicats se coordonnent entre eux selon deux grands axes :
-  un axe professionnel, national, dont le rôle est essentiellement technique ; ce sont les fédérations professionnelles. Chaque syndicat fait partie de la fédération qui regroupe à travers tout le territoire l’ensemble des syndicats de sa profession ;
-  un axe régional, interprofessionnel, dont le rôle est essentiellement décisionnel ; ce sont les Bourses du travail ou les Unions régionales. Chaque syndicat fait également partie de la Bourse qui regroupe dans sa région l’ensemble des syndicats, quelle que soit leur profession.

Enfin, le Bureau Confédéral "n’est pas un organe de direction mais de coordination" (E. POUGET).

3) LA C.G.T.. : FORCES ET FAIBLESSES.

Par sa méthode (Action directe), par son organisation (fédéralisme), par son idéologie (libertaire), la C.G.T. est alors un mouvement de classe parfaitement original puisque tout repose en dernière analyse sur l’auto-libération des travailleurs selon la belle formule de l’A.I.T. : "L’Emancipation des Travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes".

Pour avoir impulsé des luttes nombreuses et vigoureuses, la C.G.T. est à la base de l’amélioration remarquable des conditions de travail et de vie de la classe ouvrière, du début du siècle à ce jour. Il ne s’agit pas ici de retracer les faits et gestes des syndicats de cette époque. Mais il faut rappeler qu’à une époque où l’on travaillait 12 à 14 heures par jour, 6 jours par semaine pour un salaire incroyablement bas, à une époque où les ouvriers n’avaient jamais de vacances, ils furent à l’origine de grandes revendications dont plusieurs, telles "les 3 x 8" (8H. de travail, 8H. de repos, 8H. de loisir par jour"), la "semaine anglaise" continuent d’avoir des répercussions.

Il faut aussi rappeler que la C.G.T. avait compris qu’une lutte efficace contre le capital doit s’accompagner d’une lutte contre tous les instruments d’oppression qu’il utilise, en particulier la religion et le militarisme.

Ecole d’action, la C.G.T. était également une école de réflexion qui sut, malgré les énormes difficultés financières, se doter d’une presse de qualité, avec " LA VIE OUVRIERE" (dès 1909, avec MONATTE, MERRHEIM, ROSMER ... ), "LA VOIX DU PEUPLE" (avec POUGET), ou "LA BATAILLE SYNDICALISTE" (à partir de 1911), qui se transformera par la suite en "LE COMBAT SYNDICALISTE", organe actuel de la C.N.T.

Mais à côté de ce qui faisait sa force , la C.G.T. . devait faire face, à d’importants obstacles :

1. LA REPRESSION  : pour essayer d’enrayer les progrès de la C.G.T., les patrons et l’Etat n’hésitaient pas à faire tirer sur les travailleurs. En 1907, 9 ouvriers furent tués et 167 autres blessés ; en 1908, il y eut 10 ouvriers assassinés par la troupe et 50 autres blessés.

De très nombreux fonctionnaires (instituteurs, postiers,...) furent révoqués par le gouvernement de CLEMENCEAU qui leur refusait le droit de se syndiquer. Dans le secteur privé, les licenciements pour fait de syndicalisme, les listes noires interdisant aux militants de retrouver du travail, ne se comptaient pas ; les emprisonnements non plus : GRIFFUELHES, secrétaire national de la C.G.T. fut lui-même arbitrairement emprisonné ainsi que de nombreux autres compagnons.

Enfin, la police - surtout sous CLEMENCEAU - infiltra des taupes et des agents provocateurs dans les rangs de la C.G.T. Leur rôle était, bien entendu, de faire dévier l’organisation de son chemin en pratiquant un extrémisme violent, en calomniant les véritables militants, ce qui aggravait les problèmes internes.

2. LES PROBLEMES INTERNES  : Formée à partir de courants idéologiques différents, la C.G.T. est un peu un habit d’Arlequin. A côté de la majorité libertaire, il existe de forts courants politiques. Ceux-là veulent transformer la C.G.T. en une masse de manœuvres qui obéissent à leur parti. Ces politiciens (socialistes de tous bords et futurs communistes), tenus en échec depuis le Congrès de Nantes (1884) n’ont pas désarmé : sous des prétextes de tactique, ils réfutent l’Action directe pour préconiser une concertation permanente avec le patronat, une politique contractuelle. Au nom d’un pseudo-démocratisme, ils réclament que dans les Congrès le vote soit proportionnel au nombre d’adhérents, ne tenant aucun compte de la fonction sociale de chaque syndicat. Au nom d’une prétendue "efficacité", ils cherchent à limiter la marge de manœuvre des syndicats de base, à liquider le rôle décisionnel des Unions régionales (Bourses du travail), à favoriser au contraire les fédérations nationales - plus faciles à contrôler par une petite équipe - et surtout à mettre en place le contrôle strict du Bureau Confédéral sur l’ensemble de l’organisation. En un mot, ils travaillent à rendre possible l’assujettissement de la C.G.T. à un parti politique.

14 - 18 : VICTOIRE DE LA BOURGEOISIE.

Alors survient un évènement dramatique pour l’ensemble de la population : la guerre de 1914.

Sans vouloir en rechercher les causes profondes ni en connaître toutes les conséquences, plusieurs éléments majeurs sont à retenir du point de vue de l’histoire du syndicalisme.

Tout d’abord, la guerre est le prétexte au transfert des compétences de l’autorité civile à l’autorité militaire, ce qui se traduit par la suspension des libertés acquises par le peuple : restrictions au droit de réunion, censure de la presse ouvrière ...

Bien plus, elle permet de faire, avec un cynisme méthodique, un véritable massacre de militants : plus que les autres, les syndicalistes révolutionnaires sont envoyés au front, aux endroits les plus dangereux, là d’où ils ont le moins de chances de revenir vivants. C’est ainsi par exemple que les trois quarts des adhérents des syndicats C.G.T. du bâtiment (une des fédérations les plus actives) sont mobilisés et envoyés au front dès le tout début de la guerre.

Par ailleurs, la guerre accélère la mutation de l’économie, les restructurations. Les techniques de production traditionnelles sont abandonnées, le système TAYLOR (travail à la chaîne) est appliqué à grande échelle, ce qui permet à la bourgeoisie d’exploiter une main d’œuvre nouvelle qui n’a pas été "contaminée" par le syndicalisme : plus de 600 000 femmes, 200 000 immigrés des colonies, 300 000 prisonniers allemands...
Enfin, si l’effort de guerre ruine la Nation, il profite amplement aux marchands de canons puisque les finances de l’Etat - les impôts - servent essentiellement à payer leurs productions.

Les gros patrons trouvent donc leur compte dans cette situation qui leur permet de diminuer les salaires, d’augmenter les cadences, de liquider les gêneurs.

De la même façon, elle permet aux alliés de la bourgeoisie dans les rangs de la C.G.T. de prendre le contrôle de celle-ci. En effet, pour les socialistes réformistes, c’est également une bonne affaire : la guerre désarticule les courants révolutionnaires (libertaires, socialistes révolutionnaires, syndicalistes purs ... ). Ce sont eux qu’on a pris soin d’appeler les premiers sous les drapeaux -où ils provoqueront de sérieuses mutineries. Certains se sont insoumis, et sont réduits à la clandestinité. Ceux qui ont échappé à la militarisation continuent d’impulser la C.G.T. ( il aura d’assez nombreuses grèves en France en 14-18), mais ils traversent une période de désarroi puisque malgré tous leurs efforts, ils n’ont pu empêcher cette boucherie. Ils ne sont plus en position de bloquer les réformistes.

Au contraire, les réformistes se retrouvent en position de force dans la C.G.T., d’autant que ce sont leurs amis qui gouvernent. Albert THOMAS, ministre socialiste de la guerre, très lié avec eux, crée les "comités de travail" dont les délégués sont nommés par les instances syndicales. C’est grâce à cette cohabitation que, sans aucun conflit sont promulguées en 1918 la journée de 8 heures et les Conventions collectives. C’est de ce prix, somme toute modique, que le patronat paye le musellement de la C.G.T.

Ces victoires sans combat accroissent le prestige de la C.G.T. et cela lui attire de nombreux adhérents qui ne viennent y chercher qu’une protection individuelle, une assurance, quand ce n’est pas de l’avancement. Ces adhérents qui se désintéressent totalement de la vie du syndicat sont trop heureux de déléguer toutes leurs responsabilités à leurs dirigeants.

En 4 ans, de 1914 à 1918, ces réformistes liquident l’Action directe, l’effort collectif des ouvriers pour se prendre en charge. Ils font de l’Etat le pseudo-arbitre auquel les syndicats ont obligatoirement recours pour obtenir satisfaction aux moindres revendications. Pour eux, il n’est pas question de changer la société, mais de quémander des améliorations par-ci par-là.

A la fin de la guerre, les socialo-réformistes ont la majorité. Leur leader est Léon JOUHAUX exemple type du politicien qui sait retourner sa veste, passant du syndicalisme révolutionnaire (c’est sur ces positions qu’il fut élu secrétaire général de la C.G.T. en 1909) au réformisme le plus plat (il deviendra le chef incontesté de Force Ouvrière). Les réformistes s’appuient sur une masse de cotisants. Mais c’est une baudruche que les révolutionnaires vont assez vite dégonfler.

Au congrès de PARIS, en 1918, les réformistes sont largement majoritaires par plus de 75% des mandats. L’année suivante, à Lyon, ils ne disposent plus que 68% des mandats. Dès la fin du Congrès, autour de Pierre MONATTE, naît un COMITE PROVISOIRE qui regroupe les révolutionnaires des différents courants. En décembre 1918, l’ECOLE EMANCIPEE, minorité syndicaliste révolutionnaire de l’enseignement, avait déjà lancé un appel à la formation de COMITES SYNDICALISTES REVOLUTIONNAIRES (C.S.R.). A partir de janvier 1920, "LA VIE OUVRIERE" (organe de la C.G.T.) consacrera une rubrique régulière à la minorité révolutionnaire.

Au Congrès de 1921, les réformistes tombent à moins de 55% des voix (1 556 mandats contre 1 300 aux révolutionnaires).
Menacés dans le pouvoir qu’ils ont usurpé pendant la guerre, les réformistes réagissent : lors du COMITE CONFEDERAL NATIONAL (C.C.N.) qui suit le Congrès de 1921, ils excluent purement et simplement toutes les tendances révolutionnaires par 5 voix de majorité sur 120 ! Ils rompent de la sorte l’unité des travailleurs afin de garder les manettes de commande de la C.G.T.

L’ESPOIR SE LEVE A L’EST

Les exclus vont aussitôt fonder la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL UNITAIRE (C.G.T.-U.). On y trouve donc tous les révolutionnaires : libertaires, syndicalistes purs, communistes.

Mais entre eux également, la concurrence va jouer, et durement. Pour comprendre ce qui va se passer, il faut se rappeler que dans les années 20, la classe ouvrière était traumatisée par la guerre. Elle a laissé des millions de cadavres dans le sol européen. Il y a des millions et des millions de blessés, de gazés, de mutilés, d’orphelins, de veuves. La population est vieillie (ce sont les jeunes qu’on a tués). Si la bourgeoisie fête sa victoire sociale au champagne dans le tourbillon des années folles, les classes populaires se referment sur leur douleur, deviennent moins entreprenantes, plus frileuses, bien que... bien qu’un grand espoir se lève à l’EST.

Dans cette ambiance d’échec, il y a enfin une raison d’y croire : c’est la grande révolution russe, dont l’onde de choc traverse le monde. C’est l’avènement de la " patrie des travailleurs ". C’est cet espoir fou qui va entraîner derrière lui la majorité des militants révolutionnaires, de ceux qui n’ont pas abandonné tout idéal. Les communistes utiliseront adroitement cet élan pour prendre le pouvoir dans la C.G.T.-U., puis(à la libération) dans la C.G.T., et cela d’autant plus que les modifications survenues dans la machine économique française leur sont favorables.

En effet, le système TAYLOR, en pleine expansion conditionne les travailleurs dans un sens mécanique et autoritaire, il les habitue à l’obéissance passive vis-à-vis des chefs d’atelier. Le travailleur n’est plus un professionnel fier de son savoir-faire, de ses connaissances ; il n’est plus qu’un rouage de l’usine parmi tant d’autres. Les communistes calquent leur modèle organisationnel là-dessus : les travailleurs ne sont que des rouages du syndicat. C’est ce qu’exprime cyniquement LENINE :"la discipline et l’organisation sont assimilées bien plus facilement par le prolétariat grâce (...) à cette école de fabrique".

Les communistes ont donc le vent en poupe. Mais les libertaires gardent encore du poids dans l’organisation syndicale nouvellement créée ; et, dans une moindre mesure, les syndicalistes purs aussi. La division entre communistes et libertaires devient rapidement très vive. Ce sont les syndicalistes purs qui vont être en position d’arbitrer ce combat.

C’est ce que comprend tout de suite LOZOVSKY président de l’INTERNATIONALE SYNDICALE ROUGE (I.S.R., communiste). Il pose clairement le problème à MONATTE dans une lettre : "Dans le mouvement syndical français, nous avons trois courants : communistes, syndicalistes révolutionnaires (c’est-à-dire syndicalistes purs - N.D.L.R.) et anarcho-syndicalistes. Aucun de ces trois courants ne peut conduire par lui-même, isolément, tous les ouvriers révolutionnaires. Pour avoir une majorité solide, un bloc de deux courants est nécessaire. Deux possibilités (s’offrent) aux syndicalistes révolutionnaires : bloc avec les anarchistes contre les communistes, ou bloc avec les communistes contre les anarchistes".

La situation est chaude. Les amis de MONATTE doivent choisir. Ils vont faire bloc avec les communistes contre les libertaires, faisant basculer la C.G.T.-U.

Pourquoi les syndicalistes purs qui, idéologiquement étaient bien plus près des positions du syndicalisme libertaire que du Marxisme-léninisme prirent-ils une telle position ? Il y a plusieurs raisons, en particulier celles qui ont trait au contexte international, à la force d’attrait de la révolution russe, une révolution qu’ils analysent mal.

En effet, leur critique avait mis en lumière que, dans un système capitaliste, l’Etat défend les intérêts des privilégiés contre les travailleurs. "Si bien, note Gaston LEVAL, que lorsque triomphèrent les bolcheviques en Russie, le capitalisme ayant été détruit, l’immense majorité des syndicalistes pensa que l’Etat construit par les nouveaux dominateurs ne pouvait être dangereux pour les prolétaires, puisqu’il n’y avait plus de capitaliste privé à défendre". C’était bien sûr se leurrer sur la nature de l’Etat, faute lourde de conséquences s’il en est.

Mais, parmi les raisons qui expliquent la position des syndicalistes purs, dont MONATTE, il y a aussi des raisons d’ordre organisationnel, psychologique même pourrait-on dire. Pendant que les communistes leur font des sourires, les anarcho-syndicalistes font preuve à l’égard des syndicalistes purs d’intransigeance idéologique, pour ne pas dire de dogmatisme pur et simple. Ils tiennent davantage compte des "étiquettes" que des réalités.

Rapidement, avec l’aide des amis de MONATTE dont certains vont carrément basculer dans le P.C., les communistes prennent donc le pouvoir à la C.G.T.-U. Si dans la première Commission administrative on trouvait des libertaires (Pierre BESNARD, Louis LECOIN ... ), si au départ l’adhésion à l’I.S.R. n’était accordée que sous réserve de l’indépendance de l’organisation syndicale d’avec l’organisation politique, si le rôle des Unions régionales était préservé... tout cela ne fut rapidement qu’un souvenir.

Pour autant, les libertaires ne restent pas inactifs : la puissante fédération du bâtiment dénonce le noyautage et revendique le retour au véritable syndicalisme révolutionnaire.

En 1923, la minorité libertaire s’organise en MINORITE SYNDICALISTE REVOLUTIONNAIRE et lance un appel dénonçant le syndicat "armée du P.C."

En 1924, la majorité qui a pour organe "LA BATAILLE SYNDICALISTE" siège en conférence. Y sont représentés : la Fédération du bâtiment, 4 Unions départementales C.G.T.-U., 2 U.D. autonomes, 186 syndicats C.G.T.-U., 16 syndicats autonomes, 19 fractions minoritaires et les Jeunesses Syndicalistes. L’idée de scission fait son chemin, mais il faut attendre 1926 , pour que cette scission soit consommée, avec la création de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - SYNDICALISTE REVOLUTIONNAIRE.

Ainsi s’achève une nouvelle page du syndicalisme. De même que les socialistes réformistes avaient expulsé les tendances révolutionnaires de la vieille C.G.T., les communistes, par des tractations malsaines avec les syndicalistes purs, forcent les libertaires à se retirer de la Confédération unitaire, avant d’étouffer leurs compagnons de route.

Il y a donc à ce moment là trois organisations syndicales (auxquelles il faut ajouter les syndicats chrétiens) : la C.G.T., puissante et nettement réformiste, la C.G.T.-U., petite courroie de transmission du P.C. dans le mouvement syndical et la C.G.T. S.R. qui ne décolle pas.

En 1936, la C.G.T. et la C.G.T.-U refusionnent, mais la lutte d’influence entre les marxistes-léninistes et les socialistes réformistes se poursuivra. Dès 1939, les socialo-réformistes saisissent le prétexte du pacte germano-soviétique pour exclure tous les partisans du P.C. Le mouvement social de 1936, largement spontané lorsqu’il démarre, est rapidement pris en main par la C.G.T. La C.G.T.-S.R. (dont certains éléments ont également rejoint la C.G.T.) sera parfois l’étincelle qui donnera lieu localement au mouvement, mais elle ne parviendra pas à contrer la politique de collaboration qui se mettra rapidement en place.

1936, c’est aussi l’année d’une grande révolution dans un pays tout proche, l’Espagne. Les anarcho-syndicalistes de la CONFEDERACION NACIONAL DEL TRABAJO (C.N.T.) représentent la principale force populaire et révolutionnaire. Mais l’audience internationale de cette révolution est très faible, insuffisante en tout cas pour permettre à la propagande de s’appuyer sur elle pour renforcer le mouvement anarcho-syndicaliste mondial.

La réconciliation apparente de la C.G.T. en 1936 cache mal de violentes luttes intestines. Dès 1939, les socialo-réformistes saisissent le prétexte du pacte germano-soviétique pour exclure tous les partisans du P.C.

Viennent les années terribles de l’occupation nazie et de la collaboration. Les organisations syndicales sont dissoutes. Les forces s’éparpillent, mais de nombreux militants entreront dans la Résistance. En avril 1943, au PERREUX, dans la clandestinité, la C.G.T. est reconstituée dans toutes ses tendances historiques.

LA C.N.T.

A la LIBERATION, une fois de plus, la lutte pour prendre le contrôle de la C.G.T. reprend, plus vive que jamais.

Profitant de l’expérience durement acquise lors de leur première expulsion de la C.G.T., lors de la création trop tardive de la C.G.T.-S-R., sentant la main du P.C. serrer inexorablement les manettes de commande des syndicats, les militants syndicalistes libertaires (Pierre BESNARD ... ) ont le réflexe salutaire de provoquer les premiers une scission et de créer la CONFEDERATION NATIONALE DU TRAVAIL, dès mai 1946, c’est-à-dire à peine un mois après le Congrès C.G.T. de la Libération.

Le nom de la nouvelle organisation est un vibrant hommage rendu à la lutte héroïque menée par les militants de la "CONFEDERACION NACIONAL DEL TRABAJO" tant en Espagne (1936 - 1939), qu’en France pendant toute la Résistance (de 39 à 45) où ils contribuèrent grandement à libérer de nombreux départements du Sud (Gers, Ariège, Hautes Pyrénées ... ), ainsi que sur tous les champs de bataille européens et même en Afrique du Nord d’où partit la Division Leclerc (qui délivra Paris) qui atteste jusque dans le nom de ses chars une présence anarcho-syndicaliste massive (le char DURRUTI, pour n’en citer qu’un).

Comme on le voit, la contribution des militants de l’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS à la libération de notre pays ne fut pas mince- Il faut y ajouter la participation de compagnons d’autres nationalités (Italiens de l’U.S.I.) et une importante résistance libertaire autochtone (les frères LYON, dont une avenue de TOULOUSE porte le nom, par exemple). C’est d’ailleurs de cette dernière que naquit la C.N.T., plus que de l’affluence de militants espagnols. En effet, ceux-ci qui étaient en droit d’espérer que la Libération de l’Europe ne s’arrêterait pas aux Pyrénées, gardèrent continuellement leur organisation nationale sur le pied de guerre, afin de poursuivre une lutte clandestine audacieuse qui ne devait s’achever qu’avec la mort du dictateur espagnol. Dès 1945 donc, les militants espagnols s’arqueboutèrent pour soutenir contre vents et marées leur organisation en exil et leurs structures clandestines à l’intérieur, délaissant par contre-coup le militantisme syndical en France.

Aussitôt lancée, la C.N.T. se développe. Sa croissance en surprend plus d’un, même parmi ses responsables. En effet, la C.N.T., ça marche ! Rien de bien mystérieux là-dedans : en 1946, un militant de gauche n’a le choix qu’entre deux organisations pour se syndiquer : la C.G.T. - de plus en plus prise en main par le P.C. - et la C.N.T. ! Tous ceux qui sont allergiques au P.C. - et ils sont nombreux - ont tendance à rejoindre la C.N.T.

L’histoire de la C.N.T. à cette époque est encore à écrire et il ne s’agit pas d’écrire un mythe à sa place. Mais pour peu qu’on se donne la peine de chercher un peu, on trouve facilement la trace de la C.N.T. dans les principales luttes, en particulier à BERLIET, comme dans la grève historique de RENAULT en avril 47, sans parler des secteurs d’implantation traditionnels - comme le BATIMENT. Certains historiens donnent pour cette période le chiffre de 100 000 adhérents, chiffre que, pour notre part, nous n’avons pu vérifier.

De son côté, la C.G.T. se compose alors de communistes, de socialistes-réformistes, et de nombreux adhérents sans appartenance politique. Les communistes bénéficient, à juste titre, des fruits de leur présence massive et efficace dans la Résistance. On peut légitimement leur reprocher toutefois d’en avoir rajouté plus qu’un peu dans la propagande ("le parti aux 100 000 fusillés") et surtout d’avoir effacé quelques aspects qui ne cadraient plus avec la ligne politique du moment (la présence importante de communistes étrangers, en particulier juifs, polonais,... dans leurs rangs) ainsi que des aspects franchement sordides (assassinats de militants libertaires ou d’autres mouvements de gauche).

Outre leur activité dans la Résistance, les communistes profitent encore du prestige de l’U.R.S.S. (un des vainqueurs de la guerre). Il ne faut pas oublier non plus leur grande capacité de noyautage et. de magouille. Tout ceci explique qu’ils prennent rapidement le contrôle de la C.G.T.

Tel est le panorama syndical au début de 1947 : d’un côté une petite C.N.T. qui se développe sur des bases syndicalistes libertaires ; de l’autre, une puissante C.G.T., communiste, de plus en plus dure.

Cette situation est intolérable pour la bourgeoisie. Des intérêts de cette dernière va naître FORCE OUVRIERE, scission de la C.G.T.

Sa création fut habile. Un militant, historien du syndicalisme, écrit : "Beaucoup de militants caressèrent de grands espoirs. On rêva d’un large regroupement de tous les syndicalistes non communistes à l’intérieur d’une même centrale, rassemblant les éléments dispersés depuis la C.N.T. jusqu’à la C.F.T.C. " Et effectivement, F.O. prit apparemment la forme d’un tel regroupement. On y glorifie la CHARTE D’AMIENS (texte de compromis adopté en 1906 par la C.G.T.), on fit semblant de laisser les minorités s’exprimer. Mais en fait, l’appareil fut toujours bien tenu en main par les réformistes avec l’appui aussi discret qu’efficace des américains de la C.I.O. dont la bourse ne se trouvait jamais vide.

Grâce à beaucoup d’argent, à une publicité tapageuse, à l’appui des pouvoirs publics, le piège fonctionna bien. De nombreux anarchistes quittèrent la C.N.T. pour se fourvoyer définitivement dans F.O. Et surtout, une grande part de ceux qui étaient idéologiquement fluctuants quittèrent la C.G.T. et la C.N.T. pour y adhérer. FORCE OUVRIERE permit à la bourgeoisie de faire d’une pierre deux coups : elle liquidait pratiquement la C.N.T. en la vidant de ses possibilités, elle bloquait les actions de la C.G.T. en lui opposant un partenaire social "raisonnable".

Bloquée dans son élan, la C.N.T. fut en proie à une grave crise interne. On peut être effrayé à la lecture de certains comptes-rendus de Congrès de l’époque devant le dogmatisme stupide dont certains firent preuve. Des syndicats entiers (par exemple dans la région de Paris) furent exclus parce qu’ils ne se déclaraient pas à 100% "anarchistes" ! Ce procédé finit par ruiner la C.N.T., et - ironie du sort - beaucoup de ceux qui excommuniaient les autres et procédaient aux exclusions, se syndiquèrent par la suite à F.O. ou cessèrent de militer, sur le plan syndical.

La C.N.T. ainsi démantelée, devait subir une très longue traversée du désert. Il n’en restait que l’ombre d’un appareil, sans dynamisme ; appareil qui vieillissait et qui fondait au fil des ans.

Mai 1968 provoqua un soubresaut et l’adhésion de quelques militants d’une nouvelle génération. Cette petite crise de croissance faillit bien nous être définitivement fatale. Le choc des générations, le choc des mentalités fut particulièrement vif. Au Congrès de TOULOUSE, les départs - en claquant la porte, au sens propre du terme - de vieux responsables furent nombreux (presque toute la structure nationale, l’Union régionale de MARSEILLE ... ). Et ces départs furent suivis, dans les deux ans, du départ de ceux qui les avaient fait fuir.

Le Congrès de PARIS en 1973 marque certainement la période la plus critique de la C.N.T., dont la faiblesse était extrême. Mais c’est à peu près à partir de cette date que quelques rares militants anciens comme Antoine TURMO, ou nouveaux mirent en marche un processus de reconstruction qui pour être laborieux n’en est pas moins bien réel.

La situation de la C.N.T. et du syndicalisme libertaire qu’elle représente est aujourd’hui encore d’une extrême précarité. Cependant, si on mesure le chemin parcouru en une quinzaine d’années, sur tous les plans (actions syndicales, construction de l’organisation, clarifications idéologiques, presse ... ) on constate que bien peu d’organisations ouvrières ont fait dans cette même période le chemin -que nous avons su faire. Ceci autorise nos espoirs et justifie notre persévérance.

ANNEXE

SYNDlCATS CATHOLIQUES

Tout comme les politiciens ont rapidement compris l’utilité de récupérer le mouvement syndical, la hiérarchie catholique a tôt senti la nécessité de se doter d’une organisation qui maintienne une partie de la classe ouvrière sous sa coupe.

C’est pourquoi, LEON XIII précisa dans une encyclique qu’il convenait "d’encourager les sociétés d’ouvriers et d’artisans qui, instituées sous le patronage de la religion, savent rendre leurs membres contents de leur sort et résignés au travail, et les porte à mener une vie paisible et tranquille."

C’est sur cette base que se constitue en 1919, la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (C.F.T.C.). Cette organisation regroupait surtout, à l’époque, des employés de bureau et des mineurs. Les liens qui l’unissent à la hiérarchie catholique sont particulièrement étroits. Jusqu’en 1936 - au moins - la doctrine du mouvement, élaborée par le Bureau Confédéral est soumise à un Conseil ... théologique !

En 1940, la C.F.T.C. , comme toutes les organisations ouvrières, est dissoute, bien qu’elle soit dans l’ensemble favorable à la "Charte du Travail", pilier de l’idéologie fasciste de Pétain, comme le souligne le secrétaire de sa puissante Fédération des Mineurs, Henri MECK, dans le journal "La Croix", en 1941 :

"La collaboration entre syndicats patronaux et ouvriers, prévue par la nouvelle Charte du Travail au sein des comités sociaux, fut très préconisée par les syndicats chrétiens. Les syndicats chrétiens ont le mérite d’avoir été, à peu près les seuls, dans le mouvement social ouvrier, à défendre la collaboration des classes... La question sociale sera résolue sous le signe de la croix ou elle ne le sera pas".

Après ces heures peu glorieuses et devant l’échec de sa stratégie, la C.F.T.C. décida, dans sa majorité, de se refaire une virginité politique en se présentant sous une étiquette "laïcisée" : la C.F.D.T. (Confédération Française Démocratique du Travail). Bien entendu, la C.F.D.T. restait affiliée à l’internationale catholique et ses dirigeants continuaient de puiser leur inspiration sociale dans les évangiles.

Après les évènements de mai 68, la C.F.D.T. récupéra avec beaucoup d’habileté les principales idées forces du mouvement, en particulier l’autogestion. Et l’on entendit même ses principaux dirigeants se revendiquer explicitement de l’anarchosyndicalisme [1]

Bien entendu, leur objectif était tout autre et, par la suite, ils éliminèrent progressivement toute velléité révolutionnaire et autogestionnaire de leurs rangs.

FROLAN Xavier

Disponible sous forme de brochure, voir dans cette rubrique.


[1] Edmond MAIRE, secrétaire de la C.F.D.T. : "Il y a deux grands courants socialistes : celui qui est centralisateur, autoritaire, s’est établi dans les pays de l’Est. L’autre, le socialisme libertaire anarcho-syndicaliste, autogestionnaire, c’est celui que nous représentons. Il n’a pas à dire s’il choisit entre le socialisme jacobin ou la droite. Il se choisit lui-même."
("Le Monde, 19 octobre 1972)


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