samedi
13 janvier 2007
Kropotkine est un militant “historique” de l’anarchisme, un des “pères fondateurs” avec Bakounine, Proudhon et Reclus. Partisan dans sa jeunesse de la propagande par le fait et l’illégalisme, il s’est ensuite orienté vers l’anarcho-communisme et l’action anarchiste révolutionnaire organisée. Quand il écrit ce texte en 1914, il est agé de 72 ans. Au soir de sa vie militante qu’il a remplie d’une façon riche et entière, connnaissant entre temps la prison, une évasion, l’exil, l’expulsion de plusieurs pays, de nouveau la prison, et toujours l’exil, il n’en demeure pas moins toujours fidèle à l’espoir libertaire qui peut naitre des révoltes populaires.
Dans la vie des sociétés, il est des époques où la Révolution s’impose d’une manière absolue. Des idées nouvelles germent de partout, mais elles se heurtent continuellement à la force d’inertie de ceux qui ont intérêt à maintenir le système en place, elles étouffent dans l’atmosphère suffocante des préjugés et des traditions. Les idées reçues sur la constitution des Etats, sur les lois d’équilibre social, sur les relations politiques et économiques des citoyens entre eux, ne tiennent plus devant la critique sévère qui les sape chaque jour, à chaque occasion, dans les médias comme dans la conversation quotidienne. Les institutions politiques, économiques et sociales tombent en ruine ...
Un besoin de vie nouvelle se fait sentir. Le code de moralité établi, celui qui gouverne la plupart des hommes dans leur vie quotidienne ne paraît plus suffisant. On s’aperçoit que telle chose, considérée auparavant comme équitable, n’est qu’une criante injustice. Le conflit entre les idées nouvelles et les vieilles traditions éclate dans toutes les classes, dans tous les milieux, jusque dans le sein de la famille. Le fils entre en lutte avec son père : il trouve révoltant ce que son père trouvait tout naturel durant toute sa vie ; la fille se révolte contre les principes que sa mère lui transmettait comme le fruit d’une longue expérience. La conscience populaire s’insurge chaaue jour contre les crimes qui se commettent au nom du droit du plus fort, pour maintenir les privilèges. Ceux qui veulent le triomphe de la justice sont bien forcés de reconnaître que la réalisation de leurs idées généreuses, humanitaires, régénératrices, ne peut avoir lieu dans la société, telle qu’elle est constituée : ils comprennent la nécessité d’une tourmente révolutionnaire qui balaie toute cette moisissure et apporte à l’humanité le dévouement, l’abnégation, l’héroïsme, sans lesquels une société s’avilit, se dégrade, se décompose.
La machine gouvernentale, chargée de maintenir l’ordre existant, fonctionne encore. Mais son fonctionnement devient de plus en plus difficile, et le mécontentement excité par ses défauts va toujours croissant. Chaque jour fait surgir de nouvelles exigences. « finance, impôts, tribunaux, police, tout est à réorganiser, à établir sur de nouvelles bases. » disent les réformateurs. Et cependant, tous comprennent qu’il puisque tout se tient ; tout serait à refaire à la fois ; et comment refaire, lorsque la société est divisée en deux camps ouvertement hostiles ? Satisfaire les mécontents, serait en créer de nouveaux.
Incapables de se lancer dans la voie des réformes, puisque ce serait s’engager dans la Révolution ; en même temps, trop impuissants pour se jeter avec franchise dans la réaction, les gouvernements s’appliquent aux demi-mesures, qui peuvent ne satisfaire personne et ne font que susciter de nouveaux mécontentements. Les médiocrités qui se chargent à ces époques transitoires de mener la barque gouvernementale, ne songent plus d’ailleurs qu’à une seule chose : s’enrichir, en prévision de la débâcle prochaine. Attaqués de tous côtés, ils font sottise sur sottise... ; ils noient le prestige gouvernemental dans le ridicule de leur incapacité.
A ces époques, la Révolution s’impose. Elle devient une nécessité sociale ; la situation est une situation révolutionnaire. Lorsqu’une situation révolutionnaire se produit dans un pays, sans que l’esprit de révolte soit encore assez éveillé dans les masses pour se traduire par des manifestations tumultueuses dans la rue, ou par des émeutes et des soulèvements, c’est par l’action que les minorités parviennent à réveiller ce sentiment d’indépendance et ce souffle d’audace sans lesquels aucune révolution ne saurait s’accomplir.
Hommes de coeur qui ne se contentent pas de paroles, mais qui cherchent à les mettre à exécution, caractères intègres, pour qui l’acte fait un avec l’idée, pour qui la prison, l’exil et la mort sont préférables à une vie restant en désaccord avec leurs principes ; hommes intrépides qui savent qu’il faut oser pour réussir, ce sont les sentinelles perdues qui engagent le combat, bien avant que les masses soient assez excitées pour lever ouvertement le drapeau de l’insurrection ...
Au milieu des plaintes, des causeries, des discussions théoriques, un acte de révolte, individuel ou collectif, se produit, résumant les aspirations dominantes. Il se peut qu’au premier abord la masse soit indifférente. Tout en admirant le courage de l’individu ou du groupe initiateur, il se peut qu’elle veuille suivre d’abord les sages, les prudents, qui s’empressent de taxer cet acte de « folie » et de dire que « les fous, les est impossible de refaire, de remanier quoi que ce soit, têtes brûlées vont tout compromettre. » Ils avaient si bien calculé, ces sages et ces prudents, que leur organisation, en poursuivant lentement son oeuvre, parviendrait dans cent, deux cents, trois cents ans peut-être, à conquérir le monde entier, et voilà que l’imprévu s’en mêle ; l’imprevu, bien entendu, c’est ce qui n’a pas été prévu par eux, les sages et les prudents. Quiconque connaît un bout d’histoire et possède un cerveau tant soit peu ordonné, sait parfaitement d’avance qu’une propagande théorique de la Révolution se traduire nécessairement par des actes, bien avant que les théoriciens aient décidé que le moment d’agir soit venu ; néanmoins, les sages théoriciens se fâchent contre les fous, les excommunient, les vouent à l’anathème. Mais les fous trouvent des sympathies, la masse du peuple applaudit en secret à leur audace et ils trouvent des imitateurs. A mesure que les premiers d’entre eux vont peupler les géôles, d’autres viennent continuer leur oeuvre ; les actes de protestation illégale, de révolte et de vengeance se multiplient.
L’indifférence est désormais impossible. Ceux qui, au début, ne se demandaient même pas ce que veulent les « fous » sont forcés de discuter leurs idées, de prendre parti pour ou contre. Par les faits qui s’imposent à l’attention générale, l’idée nouvelle s’infiltre dans les cerveaux. Tel acte fait en quelques jours plus de propagande que des milliers de brochures.
Surtout, il réveille l’esprit de révolte, il fait germer l’audace. L’ancien régime, armé de policiers, de magistrats, de gendarmes et de soldats, semblait inébranlable, comme ce vieux fort de la Bastille qui, paraissait imprenable aux yeux du peuple désarmé,. Mais on s’aperçoit bientôt que le régime établi n’a pas la force qu’on lui supposait. Tel acte audacieux a suffi pour bouleverser pendant quelques jours la machine gouvernementale, pour ébranler le colosse ; telle émeute a mis sens dessus-dessous toute une province, et la troupe, toujours si imposante, a reculé devant une poignée de paysans, armés de pierres et de bâtons ; le peuple s’aperçoit que le monstre n’est pas aussi terrible qu’on le croyait, il commence à entrevoir qu’il suffira de quelques efforts énergiques pour le terrasser. L’espoir naît dans les coeurs, et souvenons-nous que si l’exaspération pousse souvent aux émeutes, c’est toujours l’espoir de vaincre qui fait les révolutions.
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