lundi
13 février 2006
La Bibliothèque Nationale de France, fleuron du patrimoine culturel national, célébrée partout et par tous les médias à grands renforts d’exposition prestigieuses comme le temple de la culture française dans ce qu’elle a de plus haut, fin et élevé, cette vitrine du goût et de l’intelligence n’est plus que cela en fait : une vitrine. Comme dans certains commerces de centre-ville, cela scintille, brille et rayonne pour le visiteur (que l’on nomme encore ici usager, non plus lecteur mais qui assurément sera prochainement désigné comme client) mais dès que l’on met le pied hors les rouges tapis veloutés et les boiseries hors de prix pour se diriger vers l’arrière-boutique, le fard tombe et l’on déchante sitôt entouré par l’ enceinte grisâtre et bétonnée de la vérité sociale blafarde qui y règne. (seconde partie du texte publié ici)
La BnF s’enorgueillit par ailleurs dans le monde de la culture de multiplier les expositions prestigieuses à grand retentissement médiatique et invités d’honneur. Tous les moyens sont bons pour faire parler de soi et c’est d’ailleurs la seule chose qui compte à la vérité. On confond rayonnement culturel et communication d’entreprise. On ira même jusqu’à friser le pathétique lors d’une exposition, en décembre 2003, des croquis du story-board du film de Peter Jackson Le Seigneur des Anneaux dont on peut se demander encore aujourd’hui le rapport avec la choucroute [1]. On accepte par ailleurs le sponsoring (France Loisirs [2], Orange, Prada, France 5 [3]). Oui, pour ce genre de choses, de l’argent il y en a [4]. Mais lorsqu’on regarde loin des projecteurs, on ne trouve évidemment plus rien pour la piétaille. Ainsi la précarité va-t-elle bon train dans cet établissement public renommé. Les vacataires ou contractuels sur crédit [5] ont au départ été créés pour des étudiants qui bouchaient quelques trous, notamment pour le travail en soirée. Rapidement et suivant en cela la dégradation constante et importante du monde du travail au niveau national, les postes n’ont plus été pourvus par des étudiants mais par des demandeurs d’emploi fuyant le chômage et, au final, les vacataires effectuent leurs tâches en journée à la place des magasiniers titulaires dont le nombre va lui aussi s’amenuisant [6]. Contrat signé à la va vite dans un hall, embauche pour deux mois, renouvelable puis non, horaires chaotiques et farfelus, des concours de titularisation peau-de-chagrin où relations personnelles et inimitiés sont les principaux critères de recrutement, tous ces procédés sentent une façon de faire sur laquelle on ne cracherait pas dans le privé. Et les magasiniers titulaires ne sont pas mieux lotis qui n’ont aucun espoir de promotion interne, celle-ci n’existant plus sauf à être dans les petits papiers de la direction. L’avenir d’une ou d’un catégorie C est aussi radieux que le mur de béton Bouygues imperméable infiltré par les eaux qu’il a chaque jour devant lui.
Cela pose alors le problème crucial des moyens de défense que peuvent avoir ceux qui travaillent face à un pouvoir intransigeant et qui ne tolère pas la moindre remontrance. Les syndicats ? Si l’on excepte une courte et intense période de lutte ayant viré à l’autonomie durant les grèves du printemps 2003, les syndicats à la BNF font hélas eux aussi partie de la vitrine et du spectacle de ce triste barnum. Ne parlons pas là de la CFTC ni de la CFDT [7], translucides à force d’être jaunes mais bien, pour commencer, de la CGT qui, ailleurs, arrive parfois à faire figure d’épouvantail quand ici elle sert de tapis de sol à la direction [8]. La CGT faisant office de CFDT, c’est la FSU qui prend sa place habituelle à gauche. Elle est épaulée par deux syndicats quasi inexistants, à savoir SUD et la CNT- Vignoles (celui-ci étant tacitement mais non officiellement reconnu), et qui, conséquemment, dépendent fortement d’elle. Déclarations fracassantes, grandes dénonciations d’un jour sont le lot de ce trio, belle incarnation de ce que le syndicat est par essence : réformiste et avant tout garant de sa propre aise, de son propre pouvoir. Quitte à envoyer les plus fragiles dans le mur comme ce fut le cas à l’hiver 2004 avec une grève des vacataires décrétée pour coller à la journée contre la précarité mais qui fut et suicidaire et caricaturale [9]. Un seul mot d’ordre : toujours dans les bons coups mais jamais prêts à renoncer aux ors et délicats plaidoyers avec la direction. Celle-ci a bien compris que ceux qui daignent la rencontrer ont beau faire mine de hurler fort, ils se satisfont amplement d’une poignée de croquettes. Chacun trouve son content, le personnel est bien gardé. Quand, sur une agression à caractère raciste contre une femme de ménage, l’un monte au créneau, les autres de peur de trop en faire, ne le suivent pas, laissant la direction enterrer l’affaire. Sachant que nul ne la perturbera, la direction a en effet toujours le champ libre pour étouffer tout ce qui nuirait à l’image de ce Moloch qu’est la B.N.F. et qui dévore et ses employés et ses livres. Un homme meurt durant l’été 2003 dans des toilettes de l’établissement [10] ; cet homme est, comme tout autre, soumis au contrôle d’une pointeuse [11], l’obstruction de l’endroit est signalé dès le lendemain mais il faudra une semaine et que le cadavre se soit décomposé pour que la direction alerte police et pompiers. L’affaire est connue de tous mais rien ne filtrera dans la presse [12]. Le considérable entregent des responsables et du Ministère de la Culture fait que rien, vraiment rien, ne transparaît dans les médias de ce qui se passe réellement dans ce quadrilatère sépulcral. Jamais un article, jamais une dépêche qui ne dénonce ce qui s’y passe. Etrange silence [13]. Seules les affaires du vol et de la revente de manuscrits hébreux [14] et celle, récente, de l’amiante [15] ont réussi à se frayer un chemin dans les médias tant elles étaient grossières et indissimulables. La première vient de se clore plus ou moins sur un surprenant vice de forme juridique et la seconde prendra assurément le chemin de toutes les histoires amiantées : jugées aux calendes grecques.
Mandosio écrivait dans son bouquin que la Très Grande Bibliothèque nationale de France, ainsi qu’il la nommait ironiquement, serait dans dix-quinze ans, lorsqu’à nouveau il faudra qu’elle ressorte de ses murs où elle est déjà aujourd’hui trop à l’étroit, un scandale économique supérieur à celui des abattoirs de la Villette sous Pompidou (le bâtiment de Tolbiac représente, pour information, à lui seul 10% du budget national du Ministère de la Culture ; 10%...). Sans doute y aura-t-il alors, ainsi que de coutume, du tumulte à la Chambre et dans la presse hebdomadaire, mais qu’est-ce en regard de la catastrophe en cours ? Cet abîme de gabegie et d’inconséquences a été voulu et la destruction humaine et patrimoniale qu’il ressert devra être mise au jour tôt ou tard. Penchons plutôt pour tard lorsque l’on connaît ce qu’est la justice en France... Les pieds de ce colosse, enfoncés dans la vase humide des marais d’Austerlitz, sont d’argile car ce ne sont point ces parois de béton, de métal et de verre qui le soutiennent mais bel et bien la non prise en main des travailleurs par eux-mêmes et leur soumission silencieuse aux desiderata d’une direction dont la morgue capitaliste utilise de moins en moins de masque pour se cacher. Refus de l’injustice, du mépris, du népotisme et remise à plat du fonctionnement complet de cette institution ubuesque, voilà ce qu’il faudrait, voilà ce qui doit être.
Michaël Y.
[1] Le vernissage en sera d’ailleurs brillamment interrompu par des précaires et intermittents, les VIP devant se retirer hors les murs pour continuer à savourer champagne et petits fours.
[2] "Pour amener les visiteurs vers le monde de la lecture et de l’écrit" (sic) (comme si ces mêmes personnes pensaient que l’établissement vendaient des carottes et des petits pois...).
[3] La Bibliothèque avait prêté ses locaux pour le pince-fesses de la chaîne de télévision et même coupé le courant des vestiaires avant la fermeture, plongeant les magasiniers vacataires qui y oeuvraient encore dans le noir le plus complet, ce afin qu’il y ait plus d’électricité pour les installations des agapes. Quand la réalité dépasse la fiction...
[4] Les fonds patrimoniaux servent dans les faits prioritairement à cela désormais : achalander les expositions.
[5] A ne pas confondre avec les contractuels stricto sensu, souvent des personnes catégorie A, qui gagnent entre 2 à 3 fois le salaire du fonctionnaire équivalent (par nature déjà élevé). Il sont légèrement plus nombreux que les vacataires (475 contre 425 en gros). Là encore, de l’argent est déversé qui sort on ne sait d’où puisque soi-disant, il n’y en a plus. Cette catégorie renferme, outre des gens spécialisés (en langue notamment), bon nombre de faux postes créés spécialement ou encore de postes pourvus par des incompétents mais qui sont les amis de gens bien placés.
[6] Le week-end, la bibliothèque tourne avec 80 % de précaires...
[7] F.O. a eu une très brève existance lors du pré-établissment qui précéda la B.N.F. mais les représentantes de la section démissionnèrent d’un bloc après avoir tâté de la largesse d’idées qui règne au sein de cette organisation.
[8] Seuls une responsable et un membre avaient activement participé au mouvement des retraites du printemps 2003. Une autre responsable CGT étant même venue interrompre une A.G. pour clamer (sic) qu’elle ne se mettrait pas en grève tant que 2000 personnes ne l’auraient pas faits... (nb : il y a 3000 personnes en gros sur l’établissement) ; une bonne marge d’inaction que n’aurait certes pas renié son mentor Bernard Thibault, principal responsable de la casse du mouvement social cette année-là.
[9] Cette grève, démarrée à trois semaines de Noël, absolument pas autonome mais dirigée de A à Z par les syndicalistes, se contenta de journées d’action qui n’eurent aucun effet sinon celui de faire rire les dirigeants et de dégoûter bon nombre des gens qui y participèrent, comme si le combat social avait besoin de cela.
[10] Pièce des toilettes dignes de figurer dans THX1138 par son aspect entièrement métallique sinistro-futuriste...
[11] Des pointeuses ont été installées (sans réelle protestation) voici deux ans et demi et les portillons automatiques de filtrage se multiplient pour contrôler toujours et encore le personnel.
[12] Le président Jean-Noël Jeanneney va jusqu’à publier sur l’intranet un communiqué d’hommage posthume au magasinier décédé dans lequel on apprend que la BNF avait été une rédemption pour le malheureux. La famille s’indignera et les lignes maladroites mais révélatrices de tout un état d’esprit paternaliste seront promptement retirées.
[13] Et qui va jusqu’au Canard Enchaîné qu’on a connu plus hardi sur des sujets bien plus épineux.
[14] En 2003, un conservateur en chef du département des Manuscrits Orientaux, Michel Garrel, fut arrêté mais laissé en liberté pour avoir volé et découpé au cutter plusieurs manuscrits hébraïques précieux datant, entre autres, du XIIIe siècle, fonds dont il avait paradoxalement la charge et la surveillance. Personnage aux relations importantes, il aurait fait cela sur au moins dix ans sans jamais avoir été inquiété, inaction qui peut paraître plus que surprenante quand on connaît le fonctionnement interne de la bibliothèque.
[15] Des fonds amiantés, jadis entreposés dans une ancienne annexe située à Versailles, ont été déménagés puis installés sur le site de Tolbiac en 1998, sans avoir été le moins du monde décontaminés alors que c’était obligatoire. Aucune information n’a été transmise sur leur dangerosité à la quinzaine de personnes travaillant avec ces fonds. Depuis lors, des taux ont été relevés, équivalant à 40 fois la norme maximale autorisée. Ce scandale local n’a éclaté qu’à l’été 2005 au bout de longues et insistantes rumeurs et de pesants dénis de la part d’une direction quelque peu embarrassée.
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