Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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B’n F (Bunker’n Farenheit 451) 2005

Sur la Bibliothèque nationale, première partie.

mardi 13 décembre 2005

La Bibliothèque Nationale de France, fleuron du patrimoine culturel national, célébrée partout et par tous les médias à grands renforts d’exposition prestigieuses cAomme le temple de la culture française dans ce qu’elle a de plus haut, fin et élevé, cette vitrine du goût et de l’intelligence n’est plus que cela en fait : une vitrine. Comme dans certains commerces de centre-ville, cela scintille, brille et rayonne pour le visiteur (que l’on nomme encore ici usager, non plus lecteur mais qui assurément sera prochainement désigné comme client) mais dès que l’on met le pied hors les rouges tapis veloutés et les boiseries hors de prix pour se diriger vers l’arrière-boutique, le fard tombe et l’on déchante sitôt entouré par l’ enceinte grisâtre et bétonnée de la vérité sociale blafarde qui y règne.

Dans un ouvrage qui avait fait grand bruit dans le Landerneau des métiers du livre [1], le polémiste Jean-Marc Mandosio avait brillamment expliqué l’enfantement de ce monstre bicéphale qu’on baptisa la Très Grande Bibliothèque puis la Bibliothèque nationale de France, née de la volonté rouée et régalienne de feu Mitterrand de créer un centre de savoir populaire de taille monumentale d’une part et d’autre part de la nécessité pour cette vieille institution monarchique puis républicaine qu’était la Bibliothèque Nationale de sortir de ces murs de la rue Richelieu qui la corsetaient de plus en plus violemment. Réunissant en un tour de passe-passe, les deux projets, l’un apportant la taille, l’autre le prestige, une équipe de bureaucrates et intellocrates issus des cercles mitterrandiens et tournant peu ou prou autour de Laure Adler a engendré ce corps bizarroïde et dont la viabilité est tout sauf assurée. La concrétisation de tous ces efforts mégalomaniaques a été la construction du bâtiment de Tolbiac, fosse quadrilatère avec quatre tours en coin surplombant la Seine aussi magnifiquement qu’on peut dire qu’une succursale du Crédit Agricole est jolie. L’ouverture, catastrophique, eut lieu à l’automne 1998 [2].

En effet pourrait-on dire : encore ce corps eût-il été gracieux... Les fonctionnaires de cette bibliothèque ont hérité d’un Quasimodo architectural comme il n’est même pas permis d’en rêver et qui est dû à l’architecte Dominique Perrault, lequel a assurément gagné au loto le jour-là car en pondant un bâtiment laid, non fonctionnel et destructeur, il s’est offert la gloire et la richesse [3]. Une aberration dont le lecteur ne connaît que peu de côtés néanmoins : à part les distances mirifiques à parcourir, l’invraisemblable cloisonnement géographique des domaines intellectuels en différentes salles et l’alimentation en sandwichs SNCF, il dispose d’un mobilier luxueux et d’un cadre de travail beaucoup moins austère que celui qu’il connaissait avant 1998 [4].

L’ORGANISATION SPATIALE DE LA DOMINATION...

Pour le personnel, il en va tout autrement. Il faut savoir que la bibliothèque vit non pas horizontalement mais verticalement. Dans les tours de dix-huit étages en verre, l’on trouve dans la partie haute des magasins et du stockage de matériel ; la partie basse est réservée à l’administration et à la direction, c’est là où l’on trouve les catégories de fonctionnaires A et B, bibliothécaires et conservateurs. Ce sont des endroits clairs avec vue sur la Seine ou sur l’espèce de forêt intérieure (des cèdres étêtés soutenus par de gigantesques haubans depuis la tempête de noël 1999). Il existe ensuite un sous-sol de six étages dont quatre sont totalement aveugles et qu’on appelle le "socle". Les deux étages supérieurs sont constitués de locaux gris mais avec fenêtres donnant sur quelques mètres carrés d’une pelouse de toundra et d’herbes folles, comme on en voit en bordure des parkings de supermarchés. La joyeuseté de ces bureaux où les gens travaillent plutôt individuellement en fait un des endroits où l’on déprime le plus (sachant que ce bâtiment de Tolbiac est, avec celui de Bercy -Ministère des Finances-, celui de la sphère publique où les dépressions sont les plus nombreuses). Plus bas se situent les magasins les plus usités et y travaillent les magasiniers catégories C, constitués pour un tiers de personnels vacataires et donc précaires. Ce sont donc des locaux aveugles et pour donner une idée de la beauté de l’endroit, imaginez un parking souterrain lambda et vous aurez une bonne approche de la chaleur des lieux (la Gare Montparnasse, c’est Versailles en comparaison ! [5]).

En gros, nous avons là une architecture et une disposition spatiale du personnel à l’instar de la mentalité des gens qui la dirigent : paternaliste, hiérarchique et aristocratique. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. La BnF est architecturalement aussi démocratique que l’est le Royaume de Tachicardie du Roi et L’Oiseau. Evidemment, cela a été voulu.

BRAZIL À LA BNF...

Par nature, cette bibliothèque n’a rien à voir avec le monde capitaliste. Aucune idée de productivité ne peut lui être associée, son seul but étant la préservation du patrimoine livresque commun et la communication de celui-ci à des fins précises de recherche. Et pourtant... Depuis sa refondation voici sept ans, la B.n.F. n’a eu de cesse de se voir infliger une marche à suivre de plus en plus proche du monde de l’entreprise. Ce n’est précisément pas une d’enteprise mais qu’à cela ne tienne. Les différentes directions, chapeautées par le Ministère de la Culture, veulent à tout prix dénicher de la productivité là où elle ne peut exister (nombre de communications par département, nombre d’emprunts en libre-accès [6], nombre de places réservées en salle, nombre de livres rangés par chaque magasinier, statistiques de tous ces nombres faites par d’obscurs sous-chefs de bureau et recadrées comme il sied par la direction elle-même). Cela va même, comme en entreprise, jusqu’à faire des sondages de satisfaction auprès du personnel qui, naturellement, tournent au plébiscite, ne servent à rien, coûtent très cher (et ce n’est pas l’institut de sondage qui s’en plaindra [7]). Avec qui est-elle en concurrence, me direz-vous ? Personne, sinon elle-même. L’absurde n’est pas une denrée rare à notre époque... On aboutit donc à une institution bâtarde qui, d’un côté, se complaît dans l’autoritarisme et la morgue, bénéficiant en cela de la docile servilité d’une partie de ses membres, et de l’autre, se pousse du col en étalant sa modernité d’entreprise comme si elle s’appelait Thalès ou Avantis.

DE L’INTERET DU LAMPISTE EN BOUC-EMISSAIRE ...

Le problème est que cette politique ne se fait pas sans pots cassés et qui les paie ? Comme à l’accoutumée, les gens et principalement les plus petits, les moins considérés, bref, ceux qui font tourner la boutique. La logique d’entreprise a ses contraintes. Il s’agit donc de faire des économies et où peut-on les faire ? Sur le matériel certes mais surtout sur la "mauvaise graisse" : les magasiniers. Aussi recrute-t-on de moins en moins, précarise-t-on de plus en plus et augmente-t-on concommitamment la charge de travail. Selon ce dicton capitaliste empli de non-sens, "qui peut le moins peut le plus", on en arrive à ce qu’une personne fasse ce qui autrefois était la tâche de trois, quatre ou cinq et comme elle ne le peut pas, le travail n’est pas fait ou fait à toute vitesse, par dessus la jambe, la mauvaise humeur monte, l’atmosphère générale se dégrade, les arrêts de maladie pleuvent. A l’arrivée, la lectrice ou le lecteur met entre deux et trois heures à avoir son livre en milieu de journée lorsqu’il attendait une demi-heure il y a encore trois-quatre ans. Encore est-il satisfait si l’ouvrage lui parvient car, corollaire de la désorganisation due au manque de personnel, le nombre des livres non communiqués a connu une élévation prodigieuse en deux ans atteignant presque 20% sur certains secteurs (livres mal rangés, égarés, perdus, partis à la conservation pour dégradation, etc). Or la faute provenant de l’aberrante politique des gens d’en-haut, elle incombe, ainsi qu’il en va dans notre belle société de non droit, automatiquement à ceux d’en-bas lesquels, de leur côté, n’en peuvent mais de s’échiner encore et encore pour les beaux yeux d’une direction dont ils savent que, de toute façon, elle ne le leur rendra jamais. Pour pallier tous ces problèmes, sans doute des “dysfonctionnements” au sens où une chaise à deux pieds est un dysfonctionnement, la Bibliothèque n’a de cesse de recourir à des prestataires privés (sécurité, informatique, photocopie, impression, restauration, reliure, nettoyage, etc [8]), ce qui a pour conséquence une augmentation des prix pour le lecteur et la disparition de ce que l’on appelle l’esprit de la maison [9].

A SUIVRE ... Ici !

El incontrolado

Tiré de Espoir n°2


[1] Jean-Marc Mandosio : L’effondrement de la Très Grande Bibliothèque Nationale de France, éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 1999.

[2] Tout marchait si parfaitement, tout était si merveilleux qu’une grève dure éclata aussitôt, la seule qui ait plus ou moins marché jusque lors.

[3] Quant à savoir si c’était là le réel but de l’opération...

[4] Et s’il est par définition devenu dépendant de l’ordinateur depuis que tout le circuit de communication a été informatisé, ses recherches en sont beaucoup plus facilitées.

[5] Pour l’anecdote, l’architecte a longtemps refusé que l’on appose quoi que ce soit sur ces murs de béton nu tristes comme la mort (et qu’il voulait peindre en noir à l’origine, soi-disant pour augmenter la communication entre les gens) tout cela parce qu’il considérait que ce qu’il a osé commettre est une oeuvre d’art (ce qui juridiquement est le cas, il touche ainsi un pourcentage sur tout cliché photographique publié. Il n’y a pas de petit profit ....

[6] Le "libre-accès" désigne les ouvrages dont les rayons sont accessibles directement en salle (il s’oppose au "magasin", lieu où sont conservés les ouvrages du dépôt légal, censément donc tous les ouvrages existants). Plusieurs campagnes de relevés du nombre d’emprunts ont été effectués, souvent au moyen de pisteurs à pile dont la défectuosité le dispute à l’impéritie de ceux qui doivent les traiter et qui sont souvent aussi au courant du fonctionnement d’une salle de lecture que le cafetier du coin de la rue (mais cela permet de justifier bien des postes et des dépenses). Nous nageons en plein Courteline, le côté comique en moins.

[7] Là encore, de là à se demander si l’intérêt du sondage n’est pas avant tout celui du sondagier, il y a un pas que certaines mauvaises langues parfois franchissent...

[8] Un ouvrage mal rangé est considéré comme perdu à cause du très grand nombre de volumes sur place (7 millions) et du très faible nombre de récolement effectué, faute de moyens (à certains endroits, les derniers remontent à l’avant-guerre). La photocopie intensive (sur des machines inadéquates), le circuit de Transport Automatisé de Documents ainsi que les compactus (armoires géantes d’archivage, faites au départ pour peu bouger mais qui se meuvent plus de cent fois par jour, dont une partie est actionnée à l’électricité, ce qui a pour conséquence de nombreuses pannes coûteuses) sont à l’origine d’une détérioration accélérée des ouvrages patrimoniaux. On ne peut pas dire que celle-ci n’ait pas été pressentie puisque le directeur de la Bibliothèque nationale de l’époque, E. Leroy-Ladurie, avait avoué en 1995, au Collège de France, que c’était une de ses principales craintes, s’empressant en bon hiérarque de l’Etat de donner nonobstant son blanc-seing pour que ce projet se réalisât.

[9] Qui peut se traduire certes par de la soumission mais aussi par une grande connaissance de son travail et donc la résorption d’une foule de problèmes et d’incidents qui ont lieu lorsqu’on est envoyé pour trois mois sur un poste avec une pression constante (on ne peut pas demander la lune à quelqu’un qui est de passage, même d’un passage qui dure...).


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