Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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MOURIR POUR DES VOLEURS

mercredi 8 octobre 2008

Le monde est entré dans le 3ème millénaire par un événement majeur : l’effondrement des tours du WTC (World trade center) de New York. De tous points de vue - symbolique, médiatique ou psychologique - l’attentat du 11 septembre 2001 a marqué l’histoire mondiale. Cet effondrement est la résultante de deux tendances lourdes de cette société : l’extension sans fin de la misère et la montée du fait obscurantiste. Si l’extension de la misère est bien la conséquence du triomphe du capitalisme, il convient de s’arrêter sur la question de l’obscurantisme.

L’humanisme n’a pas de frontières, l’obscurantisme non plus

En effet, on a trop facilement tendance à associer l’obscurantisme à la religion, et en particulier bien sûr sous nos latitudes, à la religion islamique. Or, l’obscurantisme n’est en aucune manière lié exclusivement au fait religieux. On ne le sait que trop, toutes les religions ont une aptitude considérable à développer l’obscurantisme ; mais l’obscurantisme peut se développer tout aussi bien en l’absence de religion.

C’est ainsi que le capitalisme, puissant producteur d’une matière intellectuelle dont l’abondance et la diffusion massive ne suffit pas à masquer les médiocrités, est un puissant producteur d’obscurantisme. Aussi, montant des décombres encore fumants des tours jumelles, il y avait la nuit de la pensée, cette nuit étouffante qui s’abat sur le monde. Mais cette nuit, contrairement à ce que voudraient nous faire croire les "élites" dirigeantes, n’est pas le fait d’antagonismes entre des populations aussi éloignées que les Pachtouns et les Texans, elle est, tout au contraire, le résultat palpable de la domination de ces "élites" sur la planète.

Face à l’obscurantisme, les humanistes, qu’ils soient du levant ou du ponant, se sont toujours donnés la main par-dessus des ténèbres. De toutes les origines, de toutes les croyances, juifs, athées musulmans, réformés, catholiques ou rationalistes, ces hommes et ces femmes, en dehors de tout réflexe de blocage identitaire, le plus souvent en hérétiques, se sont passés à travers les âges la flamme de la Liberté comme on se passe un relais. Ce fait doit être rappelé pour dévoiler cette première escroquerie : la lutte contre l’obscurantisme que représente l’humanisme et plus généralement tout le travail de civilisation n’est pas la propriété d’une culture, ni d’un "peuple", d’une religion et encore moins de Messieurs Bush ou Sarkozy. L’humanisme est une capacité de remise en question perpétuelle, au nom de la liberté et au nom de l’être humain, à l’intérieur de chaque société. Dire le contraire, c’est prôner l’affrontement entre des civilisations conçues comme autant de blocs monolithiques, c’est participer à fomenter un mensonge préfigurateur de toutes les croisades.

Du mensonge au mépris

A force de représentations simplistes, destinées à promouvoir un modèle de société au détriment du reste de la planète, il arrive qu’on se trompe sur soi et sur les autres. Comme la première qualité du stratège, c’est de savoir analyser objectivement les forces en présence ; il s’ensuit que la déformation, ou carrément la dénégation de la réalité (que les motifs en soient la propagande, la vanité ou tout simplement le calcul politique le plus bas) est la première raison de bien des échecs futurs.

L’illustration parfaite et actuelle de cet aveuglement de l’esprit, nous la trouvons dans les propos du ministre français de la Défense, Hervé Morin, qui dit, au sujet de l’Afghanistan : "Le durcissement des combats est la preuve que la situation s’améliore" [1]. Il fallait oser. Un tel propos nous replonge bien en arrière, au temps des discours imbéciles de la vieille ganacherie militariste, dont la mentalité étroite était issue du plus pur esprit réactionnaire. Les dires du sieur Morin rappellent immanquablement, tant ils leurs ressemblent, ceux du fameux Maréchal Leboeuf qui s’écriait, en 1870, à la veille de la guerre entre la France et la Prusse : "Nous sommes prêts, archi-prêts ; quand la guerre devrait durer un an, il ne nous manquera pas un bouton de guêtre" avant de conclure, l’imbécile, d’un tonitruant : "L’armée prussienne n’existe pas. Je la nie !" [2]

Le recours systématique au mensonge (dont un des derniers et des plus monstrueux de l’histoire a été celui sur les armes de destruction massive, mensonge destiné à "légitimer" la guerre en Irak) finit par auto-intoxiquer la classe dirigeante elle-même à tel point qu’elle en

perd toute capacité d’analyse. J’ai conservé, pour illustrer cette incapacité mêlée à la volonté de manipuler, deux articles du journal "Le Monde", tous deux en date du 20 décembre 2001, quelques semaines donc après l’effondrement du WTC.

Le premier, dédié à se féliciter par avance de la victoire US, n’est ni plus ni moins qu’un vil catalogue de marchands d’armes vantant les mérites des drone prédator, de la bombe GBU 16 ou de missiles intelligents et autres robots meurtriers. La conclusion qui en est tirée est un monument où l’ineptie le dispute au cynisme : "Ce sera la guerre zéro mort, sauf pour les populations soumises à leurs bombardements" (sic) écrit Jacques Isnard [3]. Le deuxième, sous la plume de Jérôme Jaffré, toujours dans le même Monde, s’intitule "Les Français inquiets, les politiques déphasés". Ce "spécialiste" en opinion publique nous informe sur nos attentes, à nous lesdits français, selon lui elles auraient été à ce moment-là les suivantes "le rétablissement de l’autorité à l’école, l’aggravation des peines contre les mineurs délinquants et l’établissement d’un service minimum dans les transports". Quant au pouvoir d’achat, aux conditions de vie et de travail ou aux questions d’environnement, ça n’intéressait absolument personne, si on en croit l’impayable Monde. Bref, pour Monsieur Jaffré, tout ce qui pouvait intéresser les Français n’était qu’un programme ridicule et réactionnaire. Encore avait-il oublié le traditionnel couple contre les travailleurs sans papiers et leurs familles, certes remplacé dans son papier par l’affaire de la Marseillaise sifflée au stade de France qui aurait soi-disant "fortement marqué l’opinion publique".

Les intentions que Le Monde nous prête, à nous tous, répétons-le au nez et à la barbe des plumitifs, n’a strictement rien à voir, ni de prés ni de loin, avec les attentes réelles de la population, encore moins avec l’humanisme, ni même tout simplement avec l’intelligence la plus élémentaire de ce qui est en jeu. Ce n’est que l’expression bornée d’une pensée mercenaire destinée à permettre au Pouvoir de parvenir à ses fins inavouables. Son but est bien précis : faire monter à son paroxysme l’idéologie sécuritaire, cet obscurantisme moderne, dont on reconnaît à la petitesse des perspectives offertes la mesquinerie des ambitions.

Du mépris à la défaite

Le mépris dans lequel le Pouvoir et son expression médiatique tient toutes les populations, quelles qu’elles soient et où qu’elles se trouvent, explique ce décalage entre les besoins de ces dernières et les traitements auxquels elles sont soumises. Pour preuve supplémentaire, voici un extrait du blog officiel du 18éme régiment de Normandie, en date du 21 août 2008 :

"La patrouille s’enfonce dans la coulée verte de la vallée de Nijrab, coincée entre deux murailles de montagnes pierreuses. Une heure et demie de piste plus tard, le convoi, passablement secoué dans les ornières, atteint sans encombre un village isolé (...) Peuplée de Tadjiks, partisans de l’Alliance du Nord de feu le commandant Massoud, (...), la vallée a la réputation d’être hostile aux talibans et favorable à la coalition. Réputation confirmée à l’arrivée des troupes françaises qui se déploient rapidement sur les crêtes pour parer toute attaque talibane. Les officiers sont conviés par le directeur de l’école des filles à une "choura" improvisée, assemblée des notables locaux. "Nous n’avons pas de crayons, pas de cahiers, nous avons 1.200 élèves et pas d’eau", déplore Abdulle Subhane, "Notre objectif est de maintenir toutes les classes et de faire en sorte que toutes les jeunes filles aillent à l’école". Quand la patrouille repart, les deux F15 surgissent brusquement au raz du sol dans un grondement infernal"

Ce témoignage est divulgué dans le but évident de mettre l’émotion au service de la propagande et de rassurer, au lendemain de l’embuscade du 18 août 2008, l’opinion sur l’action de l’armée française en pays Afghan. Mais, et ce n’était certainement pas son but, il nous démontre surtout que les dirigeants politiques n’ont aucune volonté d’aider en quoi que ce soit les habitants de ces territoires. Sans quoi ils auraient commencé par fournir, au moins à leurs alliés potentiels, les moyens de vivre un peu plus décemment que ce qui est décrit ici par les militaires eux-mêmes. Or après 7 ans de "présence" française et occidentale, il n’en est rien : ni eau, ni le moindre cahier, ni le moindre crayon. Les petites filles afghanes peuvent toujours se brosser et compter en attendant les millions dépensés en drones, F15 et autres engins de mort. Ce blog de l’armée en dit bien plus qu’il ne pensait dire. Il prouve que le but du Pouvoir n’est pas de lutter contre l’obscurantisme des talibans mais bien d’entretenir une guerre permanente grâce à la permanence de la misère.

C’est en méprisant de la sorte les valeurs qu’elle prétend défendre que la bourgeoisie continue à peupler les cimetières avec les enfants des prolétaires, car ce ne sont pas nos gouvernants qui crèvent ou qui vont crever les prochains mois, dans des montagnes désertiques, ni leur fils. D’ailleurs, "de nombreux Français", comme écrirait Le Monde, en lisant la liste de morts du 18 août 2008 ont fait cette réflexion que ce n’était pas le fils Sarkosy4 [4] , que les médias nous présentent pourtant comme si passionné de politique et si patriote, qui était là- bas, ni ses copains les rejetons de la jet-set, mais bien des jeunes issus des classes populaires que leur propre misère a poussé à s’engager. Finalement la défaite militaire, comme la crise économique, n’est qu’un moyen de plus pour les classes dirigeantes de s’enrichir en volant le sang et la sueur des autres, le tout sur fond de gabegie de moyens technologiques soi-disant les plus avancés, en tout cas, les plus onéreux.

Science sans conscience, disait ce bon vieux Rabelais un humaniste, lui-, n’est que ruine de l’âme. Aujourd’hui, se serait plutôt science sans conscience est source d’enrichissement ; car tout ne sera pas perdu pour tout le monde. Les marchands d’armes et de gadgets technologiques s’en frottent encore les mains, ils ont vendu du vent, le "zéro mort" (slogan destiné aux militaires, qui l’ont cru !), et cher. Quant aux champs de pavot afghans, comme par miracle, ils restent épargnés par le conflit. Pendant le bain de sang, les affaires continuent. Surtout les plus torves.

Paix et liberté

Cet hiver, coincé entre les montagnes de Kaboul, privé de bases arrières, à la merci d’un soutien logistique aléatoire, menacé d’une insurrection générale, le soldat de base pourra réfléchir avec amertume, et avec une forte probabilité de finir les tripes à l’air, sur ceux qui fabriquent les guerres. Il aura également le temps de réfléchir au rôle qu’on lui prépare, s’il en réchappe. Pour nos dirigeants en effet, les "théâtres d’opérations extérieures", comme ils disent dans le jargon militariste, ne sont essentiellement là que pour justifier aux yeux des naïfs "citoyens" l’existence même d’une armée.

Ce qu’ils préparent, c’est surtout son utilisation contre ce fameux "ennemi intérieur" -vous, moi, les humanistes. Ce n’est pas pour rien que, lors de la manoeuvre militaire criminelle de Carcassonne [5] , le scénario ne mettait pas en scène des montagnes afghanes mais des corridors et des coursives comme il en existe dans toutes les Cités. Cette orientation stratégique est l’aboutissement monstrueux et imbécile de l’idéologie sécuritaire, qui est à la liberté ce que la nuit est au jour, qui transforme l’humain en sac de trouille. Cette évolution, que nous avons mise en lumière à plusieurs reprises dans ces mêmes colonnes,est maintenant confirmée par des militaires du plus haut rang. Ainsi at- on pu lire dans Le Canard Enchaîné [6]  : "L’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan n’est pas le seul point de désaccord du patron des armées, le général Georgelin avec le petit chef de guerre Sarko. Le 6 juin dernier, dix jours avant la publication du Livre Blanc sur la Défense, ce général s’est permis d’évoquer "sa préoccupation de soldat". Devant un auditoire choisi, réuni à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, il a tenu des propos qui n’ont pas eu le retentissement qu’ils méritaient. Dans ce Livre Blanc, sorte de bible pour l’avenir des armées, il décelait une certaine tendance à un "mélange des genres", voulu par le Président, lequel veut instaurer à toute force une coopération entre civils et militaires dans l’Hexagone. Evoquant "la distinction entre les menaces internes et les menaces externes, entre la sécurité et la défense", le général Georgelin a déclaré, avec un certain courage, car cela n’est pas politiquement correct : "Je reste convaincu que la confusion de ces deux types de situations et de logiques est source de plus de risques que d’avantages pour nos institutions". Se montrant plus précis, il a ajouté : "Un délinquant, c’est quelqu’un qui a enfreint une loi. Ce n’est pas un ennemi (..). L’armée, dans notre pays, a été progressivement déchargée du maintien de l’ordre interne. Revenir sur ce point (...) ce serait réintroduire la figure de l’ennemi au coeur de la cité [sic]". Et d’insister pour que l’on distingue "les rôles du policier et du soldat". A l’évidence, le patron de l’Etat-major critique une relative évolution des hommes politiques sur les questions de sécurité "intérieure". Avec, en tête, les hurlements de certains élus fanatiques, souvent de droite et parfois de gauche, qui réclamaient l’intervention de l’armée lors des "émeutes" de banlieues".

Ici et ailleurs, alors qu’il fallait de la générosité et de la solidarité les mercantis, pour faire fructifier leurs gains, ont insufflé la peur d’autrui, ils ont renforcé les frontières, élevé des murs, bâti de nouvelles prisons et des camps, fomenté des guerres et des massacres de population. Ils nous ont enfermés dans une régression idéologique qui, de la promotion du créationnisme (en vigueur chez les intégristes religieux chrétiens, islamiques et autres) au tout sécuritaire, en passant par les replis identitaires, est la négation même des valeurs humanistes. Ce faisant, ils conduisent l’humanité dans une impasse. Mais, les valeurs de liberté, de solidarité, d’humanité, d’universalisme n’attendent qu’un réveil des populations pour se raviver. Pour nous, elles doivent s’inscrire, elles ne peuvent que s’inscrire dans une démarche révolutionnaire qui abolisse le capitalisme et l’Etat. C’est cette perspective qui nous anime et à laquelle nous appelons tous et chacun à se joindre.

Peter


[1] Cité par Marianne

[2] Munie de tous ses boutons de guêtre, l’armée française prit une raclée historique dès le début du conflit.

[3] Isnard, Le Monde, 21 12 2001, "Afghanistan, du cavalier au prédator".

[4] Un magazine peopolesque vient de faire sa couverture, photo style romantico-bling bling à l’appui sous le titre : "Jean Sarkosy : Personne ne me manipule". Il aurait pu ajouter "Jean Sarkosy : Je me suis fait moi-même" personne n’étant assez impertinent pour écrire "Patriote mais de loin".

[5] Lire Week end à Carcassonne -> http://www.cntaittoulouse.lautre.net/article.php3 ?id_article=250&lang=fr

[6] Canard Enchaîné du 23 juillet 2008.


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