Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Résignation d’une mouvance libertaire

samedi 20 octobre 2001

Mon cher Fernand, j’ai lu avec attention votre drôle de texte intitulé : " Nullité d’une mouvance libertaire " [1], écrit avec la complicité du comique troupier libertaire Roger Pierre. Quel humour ! Quel phrasé ! Quel esprit visionnaire ! En un mot, quel talent ! Assurément, vous êtes les nouveaux chansonniers de la scène libertaire, donc parisienne. Je vous z’y vois déjà sur une affiche au fond rouge et noir avec en lettres d’or vos noms de duettistes : Roger Pierre et Fernand Raynaud / tous les soirs à l’ex-TLP / matinée le Dimanche. Billetterie de la FA et de la FNAC.

Trente sept pages d’une écriture dense et pourtant simpliste, toute en images, en croquis serrés, en contre vérités assénées, en glissades contrôlées, en démission revendiquée, en reniement ambitieux, en naïveté calculée, en prétention dérisoire. Du bel ouvrage, mon cher Fernand. Si de Bonaventure, vous retournez à l’école, n’oubliez pas d’y enseigner la valeur rédemptrice de la résignation.

En tout cas, voilà un ouvrage libertaire bien construit et drôle : cela commence très fort, tout en fougue, avec un préambule où l’on apprend que " 1+1=3 ", que " le capitalisme n ’en est ni à sa première, ni à sa dernière crise, et l’actuelle (laquelle ?, NDLR) a peu de chances d’être plus (ou moins) majeur que celles du passé ou de l’avenir ", et que les libertaires devraient s’unir car ils sont peu mais plein, et qu’unis on est plus fort pour supporter ce monde qui est le plus fort. Et ce préambule se termine par de drôles de questions telles que " La révolution mérite-t-elle que l’on s’entre-tue pour elle à tous les coins de rues ? Le capitalisme se résume-t-il à quelques patrons, bourgeois, flics, militaires ... ? Comment s ’entendre avec des non-libertaires ? " On dirait du Zeller, ce sénateur ex-soixante huitard.

Le second chapitre s’intitule " L’unité sur quelles bases ? " Ça commence tout aussi fort par un historique de la lutte anarchiste à travers les siècles (de Kronstadt à Barcelone en passant par la Sorbonne). Et le tout en trois pages enlevées et alertes comme un clip de Lio. Mon cher Fernand, une page de plus et vous nous contiez le " big-bang ". Quel dommage !

Ça se poursuit avec un passage en revue de vos troupes, pardon des troupes. Tout ce que Paris et les grandes villes de France comptent comme orgas, groupes, groupuscules ou grappes libertoïdes est répertorié. Et vous ratissez large jusqu’à la caravane anticapitaliste, les squats et les non violents consommateurs de produits bio. Là, je pense mon cher Fernand que vous avez commis quelques oublis, notamment la bande à Bonnot, les GARI, les Situs et pourquoi pas " l’anarcho-syndica-liste " José Bové, le père Blondel et la coordination des sages femmes ? Et vous expliquez, non sans humour ; que nous sommes divisés à cause... je vous le donne Emile... " des petits chefs sans troupe... et des querelles de chapelles ". Humoriste rompu à la fulgurance, vous proposez aussitôt une solution " l’anarchisme social ". Et vous vous lancez avec larmes et bagages dans l’exposé d’un plan de sauvetage de l’anarchie dans la société capitaliste, qui fera date au moins 5 ans dans l’histoire de la scène libertaire parisienne. Je résume votre " projet libertaire pour le XXIème siècle " pour les psychorigides qui, comme leur nom l’indique, n’ont pas un poil d’humour. Votre drôle d’ouvrage est au fond un drôle d’appel à tous les libertaires (à l’exclusion " des chefs, des psychorigides, des dogmatiques, des porteurs de valises, des ploum-ploum autonomes " dont il convient de se " méfier comme de la peste " et à tous les non-libertaires qui accepteraient d’adhérer aux idées libertaires ( ?), pour créer une " alternative au capitalisme ". Pour cela, point de révolution sanglante : on expérimentera, sans doute avec la permission du capitalisme (puisqu’il paraît qu’il est indestructible et pour longtemps), des espaces de liberté, voire même une société libertaire. Mais attention : celle-ci devra d’abord être " longuement discutée, élaborée, profilée et expérimentée dans ses grandes ligues comme dans ses petits détails " avant de la proposer (enfin !) au bon peuple avachi et sans cervelle, que vous nommez dans une envolée Célinienne " le marais du tout venant d’une espèce humaine solidement installée dans un équilibre névrotique ". Le tout sans haine ni violence parce que le sang, c’est barbare. Ne voulant pas desservir votre humour ; respectueux d’une prose si bizarrement révolutionnaire, je ne résiste pas, mon cher Fernand, à l’humble plaisir de vous citer dans le texte : " Rêver de barricades et de guerre civile est lamentable. ", " lI est carrément stupide de croire ou de laisser croire que nous allons refaire le monde en 3 jours. . ", " I1 faut avoir le courage de le dire : le capitalisme est un système social et sociétaire d’une extrême complexité. Ses victimes, pour innombrables qu’elles soient, ne sont ni unies ni demandeuses d’un changement social radical surtout quand il est frappé du sceau de l’aventurisme révolutionnaire " Ce n’est plus du Céline, c’est du Souchon !

Anarcho-syndicaliste chronique, dogmatique incurable, je ne résiste pas à l’envie de vous signaler l’oubli de deux concepts, certes mineurs, mais qui auraient je crois enrichi votre ouvrage : l’Anarchie et la Révolution. Et abusant de votre patience, je me risque à développer mon propos avec bien moins d’humour et de verve molle.

La révolution, c’est la rupture. Etre révolutionnaire, c’est concevoir que ce monde ne se réforme pas, qu’il faut le détruire si l’on veut en bâtir un nouveau de justice, de partage, de jouissance, de dignité et de liberté. Etre révolutionnaire, c’est avant toute chose faire ce constat : ce monde de la domination n’abandonnera jamais de lui-même le pouvoir ; n’acceptera jamais un monde sans pouvoir ; car sa raison d’être, sa structure, son fonctionnement, sa survie sont bâtis sur l’exploitation par le pouvoir. Etre révolutionnaire, ce n’est pas rêver de sang, c’est vouloir détruire le capitalisme et savoir qu’il utilisera toutes ses armes pour se défendre. Et c’est en avertir tous ceux qui veulent construire un monde libertaire, parce qu’un homme non averti est de la chair à canon. Je dois manquer d’humour ou d’imagination, mais votre nécessaire " redéfinition d’une rupture révolutionnaire crédible " me semble plutôt un abandon pur et simple de toute révolution. Voyez-vous Fernand, être révolutionnaire, c’est avant tout ne pas être démissionnaire.

Quant à l’anarchie, vous semblez en avoir une idée assez vague, un peu style catalogue de bricolage. On ne peut qu’être d’accord quand vous parlez d’un " combat permanent contre toutes les formes d’oppression... pour la liberté de chacun et de tous... pour l’égalité économique et sociale... la socialisation des moyens de production... l’autogestion généralisée... l’abolition des frontières, des armées, des prisons et des polices... ". Mais l’anarchie, c’est avant tout le refus de se soumettre, le refus de prendre ou donner un quelconque pouvoir ; c’est la soif de liberté dans la solidarité. Si vous aviez connu des anarchistes, mon cher Fernand, vous n’auriez jamais imaginé préparer entre élites libertaires une révolution pacifiste pour un peuple d’abrutis et de vendus. Et que penser de votre volonté de " dégager un maximum de consensus avec le plus grand nombre ", ce plus grand nombre n’étant pas du tout libertaire, puisque, débordant d’optimisme, vous estimez que " les anarchistes ne seront jamais majoritaires dans la société " ? C’est vrai, vous le répétez souvent, les anarchistes ne sont pas majoritaires dans la société capitaliste. Si c’était le cas, elle ne serait plus capitaliste. Mais quand on n’est pas encore abattu par le retour d’âge existentiel, on a d’autres ambitions que de tenter d’exister coûte que coûte dans un monde capitaliste. On ne se résout pas à chercher un consensus avec tous ceux qui ne partagent pas les principes de l’anarchisme, en faisant semblant de croire qu’ils vont tout d’un coup les défendre avec nous.

Le " maximum de consensus ", on peut parier qu’il n’aura rien d’un projet libertaire ! Alors, pourquoi cet appel au rassemblement, sinon pour combler " l’espace formidable " laissé à gauche par le glissement à droite de tous les partis politiques, quitte à se rabattre sur un consensus avec tout ce qui est vaguement critique sur la société actuelle ? Votre consensus, Fernand, il doit être du côté de la Confédération des Bras Tombés (ATTAC, Bové et consors).

J’ai bien peur, mon cher Fernand, que vous et votre bel éléphant ne trouviez mes critiques quelque peu psychorigides. Aussi, je tiens à vous renouveler mes très libertaires encouragements. Avec cet ouvrage, vous venez de pondre la plus belle fiente libertaire de ces dernières années. Car voyez vous Fernand, à condondre image et réalité, manif parisienne et lutte sociale, délire verbal et lutte des classes, scoop médiatique et événement historique, vous finissez par devenir une image de l’anarchie acceptable et façonnée par le pouvoir qui vous dicte ses limites. Attention Fernand, la télé vous guette ! En ces temps de rage muette, le pouvoir a besoin de clowns comme vous. Fumez-vous la pipe ?

Georges Henein Grup


[1] Le véritable intitulé de ce texte est bien sûr celui cité dans l’introduction générale


CNT-AIT



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