Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Forum Social Libertaire
Sale coup de gueule

lundi 12 janvier 2004

Le voyage Toulouse-Paris avait été super. Départ vendredi 17 heures, arrivée à Paname, une heure du mat. Zique à fond dans la voiture, Chansons de révolte, rap de JL, Ferré, Desjardins, ça chantonnait souvent, ça braillait parfois, ça déconnait toujours. On était de bonne humeur, Julot et moi. On avait un Jeune Libertaire mélomane qui pionçait à l’arrière, et nous les vieux, on chantait Léo.

En montant au FSL, on était sûrs -indécrottables optimistes- que ça allait être intéressant, enrichissant, gai et drôle comme une bande d’anars en dérive. Julot lui, c’est le champion de la dérive. On rêvait fraternité et audace, ce fut marchandise et spectacle.

Le samedi matin, en entrant dans la grande salle du FSL, j’ai tout de suite pigé que ça allait être pénible. C’était aussi le salon du livre anarchiste ! J’avais oublié ! Le salon du livre anarchiste, c’est comme un vrai salon du livre sauf que les prix ne sont pas affichés. Il faut le demander au vendeur, en général un type ou une meuf plus tout jeune, placide et l’air habité par la sagesse. Il y a des stands avec des piles de livres, des CD, des vidéos, des tee-shirts (avec ou sans capuche, la tendance "chien noir sur fond rouge" fait fureur) des pin’s, des affiches. En anarchie comme ailleurs, tout est à vendre bien sûr. Même la révolte et le désespoir s’achètent, en pack, en promo, en "soutien", en leasing, à crédit. Les maisons d’édition parmi les plus prestigieuses du microcosme anar sont là : la FA, le Gallimard de la révolte, l’OCL, bien fourni dans le style fémino-écolo branché, AL ou l’Anarchie Liquéfiée, les zéditions Agone, rien que du beau papier et des textes truffés de phrases en français imbitables, et des zindépendants mi-bouquinistes - mi-militants.

Dans les autres salles, c’était un peu le désert. Salles de débats sans débatteurs, crèches sans gosses, salle "organisation" tout maigre d’organisation, mais la salle à bière fonctionnait à petit régime. Qu’est-ce qu’on foutait là ? Avec Julot, on est ressorti aussi sec de ce cirque, com-me pour s’enfuir. Le tôlier d’un bistrot d’à coté nous a ouvert. On a bu un café, discuté avec le patron et sa mère de l’Algérie, de Toulouse, du prix des clopes, de la connerie du monde et du nombre possible d’anars qui viendraient boire un coup chez lui s’il restait ouvert.

C’est Marie qui m’a remis les pendules à l’heure : "Et alors, tu croyais trouver Durutti ? On savait que c’était ça la mouvance en ce moment, fric et frime, cliques en toc et look rouge-noir. Et on sait ce qu’on vient y faire. On vient rencontrer des gens attirés par cette fausse lumière. On vient militer, discuter, dire qui ont est, et ce que l’on n’est pas. Au moment où certains expliquent à qui veut l’entendre que l’anarchosyndicalisme n’a rien à voir avec l’anarchisme, c’est plutôt nécessaire non ?". Elle avait raison Marie. Au fond les vrai-faux-non-anarchistes, on s’en foutait, on était là pour tchatcher avec les autres, encartés ou pas, ceux qui voulaient savoir, qui cherchaient, qui tiquaient du dé-cor. On voulait prendre contact, savoir ce qu’ils faisaient, ce qu’ils pensaient, savoir si on pouvait faire des trucs ensemble. Julot m’a botté le cul et on y est retourné. Et au fil des couloirs, devant notre table ou dans la cour en filant notre qua-tre pages, on s’est mis à discuter avec un tas de gens. Des djeune’s lookés destroy avec un appétit de savoir comme des ogres, des Vignoles de province tout étonnés d’apprendre qu’ils n’étaient plus anarchistes, des Allemands, des Anglais, des Tchèques, ... et un chien en bandana qui aimait bien la bière. De temps à autre, on croisait le regard sombre d’un apparatchik parisien, on entendait murmurer à notre encontre "dogmatique", "violent", "sectaire", ..., rien de grave. La seule embrouille, c’est que devant la furie d’acheter de certains visiteurs, un copain a vendu plusieurs brochures. Comme on avait décidé en AG à Toulouse de ne rien vendre, on a corrigé le tir : bien qu’on soit fauché, on ne vend rien ici ! On ne peut pas gueuler contre ces foires marchandes et venir y faire du business.

Vers 13 heures, on a laissé deux ou trois copains aux tables de presse, et on est parti en bande rejoindre la manif. Dans le métro, c’était gamin, c’était ludique, en troupe on sautait les barrières, on coinçait les portes en offrant la gratuité aux parisiens pressés, on tractait. Des Pieds Nickelés à la capitale quoi ! Puis vint la manif ! Ça aussi, on en avait débattu à Toulouse. On va à la kermesse ou pas ? Finalement, on avait décidé d’y aller pour tracter sur les bords, vers le public. Et même en rejoignant la super production FSE, on ne suivrait pas le cortège officiel, mais on tracterait les jeunes et les énervés. Et on l’a fait ! Ce fut à la fois triste et drôle. Fallait voir le tableau, un vrai mirage. Je gueulais les slogans comme on boit pour oublier, pour fuir le merdier. Un millier d’humains, de tous âges, mais blancs pour la plupart, déguisés en rouge et noir ou en noir, braillaient la révolution internationale en descendant, encadrés par quelques flics débonnaires, une rue étroite où d’autres humains, la plupart de couleur, sans habit rouge ni noir, les regardaient passer en silence, sans l’ombre d’un sourire, sans l’ombre d’un espoir. Je me sentais merdeux, j’ai pris mes tracts et j’ai tracté, tracté sans regarder. Au loin, au bout de la rue, place de la République, comme une cible, comme un appât, comme un appelant pour le tir au pigeon, flottait un immense ballon blanc aux couleurs du PS.

Arrivée à quelques pas de la place, la troupe de théâtre ambulant s’arrête. Un petit gars en keffieh armé d’un drapeau noir escalade une camionnette à musique où somnole Reynaud, l’auteur du fameux appel intersidéral au réformisme libertaire ("Appel à l’unité du mouvement libertaire"). Le genou posé sur le toit, le drapeau tendu comme en Espagne ou en Palestine, le gars prend la pose. Un écran de fumée s’élève en arrière plan tandis que les appareils photo et les caméscopes se mettent à mitrailler la scène. Julot reprend une gorgée de bière, rote et me lance : "Regarde, c’est la Star’Ac chez les bobos !". Ça se bouscule, des autonomes passent à l’avant en trottant, rigolards, suivis à la trace par les musclors à oreillettes. Et là, comme en apothéose, comme le point culminant du spectaculaire absolu, comme une dernière et définitive négation de ce que le mot anarchosyndicalisme veut dire, le Service d’Ordre de la CNT Vignoles claque un gars qui canardait les socialos à coup de canette, et se pose, air de chapons couillus et bras de gonflette, en rang serré entre les figurants socialistes et la manif libertaire. Des syndicalistes révolutionnaires qui assurent le SO des socialistes ! Qui peut accepter ça et se prétendre libertaire, anti-autoritaire, révolutionnaire ? Marie, Julot et moi, écœurés, on s’est barré tracter le FSE. Avec leur banderole demandant des crayons et leur tube de Manu Tchao, les étudiants des facs de Rennes nous auraient presque paru militants !

Le soir, des copains et copines ont dormi à droite à gauche, chez des potes à Paris ou en banlieue. On s’est retrouvé une dizaine chez Lulu, une militante des JL de Paris.

On a beaucoup parlé de la kermesse et de la foire aux livres, des idées, des espoirs et on a beaucoup bu et fumé aussi, et chanté jusque tard dans la nuit. Quand j’ai raconté ma vision de cette journée vide de sens, les copains m’ont trouvé sombre, nihiliste, méprisant. Et merde alors, même le mépris et la rage ont été vendus ? Il ne nous reste plus rien d’autre que le silence ou la révolte politiquement correcte ? Moi, je les emmerde tous, ces réformards rouge et noir, ces cheffaillons de bataillons de clowns, ces penseurs sans idées, ces anarchistes sans révolte. Je veux parler aux autres, à ceux qui se foutent du décor, à ceux qui ont mal au bide, à ceux qui ont définitivement tourné le dos à la combine, à l’apparence, à ceux que le mot Révolution libertaire ne fait ni rire, ni fuir. On dit de nous, militants de Toulouse, que nous sommes dogmatiques, puristes, sectaires et violents. A voir la guignolade parisienne, ce vide, cette absence sidérante de discours politique rupturiste, on mesure effectivement la distance ! Mais pour ce qui est de la violence, on n’en est pas au bord ! Où ont-ils trouvé ces mecs assez cons pour se croire anar en faisant partie du Service d’Ordre Socialiste ?

Le dimanche, on s’est tiré avec Julot, en voiture, sous la flotte, direction Toulouse. Julot la dérive a trouvé encore le moyen de se gourer de route. On s’en foutait, on parlait encore et encore, de ce monde de mort, de la lutte, de demain, de la Sociale.

# Paulo le cracheux


CNT-AIT



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