Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Réflexions à propos du débat sur l’unité du mouvement libertaire. (suite)

samedi 23 février 2002

L’un est cénétiste, l’autre pas. Tous deux nous ont envoyé un article à la suite d’une réunion publique tenue à Toulouse par les promoteurs de l’appel pour "l’unité du mouvement libertaire". L’abondance de l’actualité ne nous a pas permis de les publier immédiatement, mais, même avec retard, il nous semble intéressant de continuer à contribuer au débat sur "l’unité", comme nous avons commencé à le faire dans nos précédents numéros.

Etant militant de la CNT/AIT -Union locale de Toulouse- et ayant assisté à la réunion du 21/10/2001 au Clandé sur le thème "Unité pour le mouvement libertaire", je tiens à apporter mon point de vue sur les débats qui ont animé cette soirée. Mais, en préambule, bien qu’étant de toute évidence classé par Jean-Marc Raynaud (voir le forum sur le site " a.orga ".) dans le camp des "dogmatiques" et des "violents", je tiens à préciser que je ne souhaite pas participer ici au jeu des échanges de noms d’oiseaux et autres excommunications péremptoires. Je souhaite juste, en quelques phrases, argumenter mon désaccord profond avec "L’appel à l’union des libertaires", et avec le texte de Jean-Marc Raynaud et Babar intitulé "Unité pour le mouvement libertaire" qui, sinon sur la forme, ne diffère en rien de l’appel à l’unité.

En premier lieu, je relève qu’aucun des textes et discours produits pour appeler à l’unité ne pose les bases politiques claires de ce que leur auteurs entendent par "être libertaire" ou "avoir une démarche et un projet politique anarchiste". On ne peut lancer un tel appel à l’unité des libertaires sans définir ce que l’on entend par le mot "libertaire". Pour ma part, être libertaire, c’est s’inscrire dans un projet politique qui :

(1) dresse le constat que la majorité des hommes de cette planète vivent sous la domination de quelques uns qui, par l’exploitation, la contrainte et le conditionnement moral et matériel, les oppriment et les privent des conditions nécessaires à l’épanouissement de leur vie, (2) a pour objectif d’abattre un tel système de domination (qui ne se réforme pas) pour y substituer un projet de vie sociale basé sur l’abolition du profit et de la propriété, et la promotion de la solidarité par la mise en place de rapports sociaux égalitaires sans délégation de pouvoir ni hiérarchie.

Le "catalogue d’idées libertaires" proposé par Jean-Marc Raynaud ne peut en aucun cas constituer une base politique crédible et identifiable. C’est donc le premier écueil -de taille- que je relève. Il ne suffit pas d’une couleur de drapeau -même noire- pour avoir un projet politique.

En second lieu, l’objectif présenté par les tenants de l’unité serait de faire nombre pour peser sur les luttes sociales. J.C., intervenant constamment lors du débat de Toulouse, n’a eu de cesse que de répéter cette phrase énigmatique, "peser sur les luttes sociales", citant même quelques luttes : la mal-bouffe, le nucléaire, les sans papiers, la mondialisation ... Nous sommes là bien loin d’un projet libertaire. Tout au long des interventions orales lors du débat toulousain, comme en nombre d’endroits du texte de Jean-Marc Raynaud, on voit défiler des exemples de luttes où il faudrait "peser" sans aucune analyse de ces luttes, de leurs contenus, de leurs limites. On finit par se demander si l’objectif n’est pas, très modestement, d’exister dans le paysage contestataire français voire occidental, un point c’est tout. Pour des libertaires -si nous n’avions que cela pour ambition- ce serait dérisoire sinon dangereux. Car il n’échappe à personne que nombre de ces luttes ne sont en rien des remises en cause du système. Elles en sont les garde-fou, les écarts autorisés à l’ordre, les soupapes de sécurité ; et le plus souvent des opérations de récupérations. N’avoir pour objectif que de "peser" sur ces "conflits autorisés" réduirait l’idéal libertaire à une gesticulation médiatique à la Bové. Mais Bové lui ne se trompe pas d’objectif, puisqu’il a pour idéal un monde marchand... de qualité. Pour ma part, les luttes sociales auxquelles je participe se déroulent le plus souvent ailleurs que dans les journaux ou à la télé. Et elle ne sont pas pour moi un aboutissement, mais un lieu privilégié d’entraide, de culture de lutte et de propagande pour les idées et les principes anarchistes.

Enfin, et je conclurai par ce point : l’unité proposée là n’a aucun sens politique lorsque l’on est anarchiste. L’anarchie -et je ne parle pourtant pas ici au nom des anarchistes individualistes- c’est la richesse de la diversité, c’est la liberté de tous les possibles. Je ne souhaite pas une même solution pour tous à un problème, serait-elle la meilleure, mais mille solutions à un même problème, trouvées en mille endroits par mille groupes qui pratiquent l’échange et la tolérance. De même, pour lutter contre le fléau de la domination de la classe bourgeoise, je ne souhaite pas une "armée rouge et noire" et ses généraux altruistes, je souhaite mille groupes anarchistes, divers, autonomes, échangeant des stratégies, s’épaulant dans la lutte, mais ne se trompant pas d’adversaires, et n’abandonnant pas leurs principes au nom de l’efficacité.

J’espère que, loin des insultes et des anathèmes, ces quelques mots auront éclairé des compagnons sur le refus de beaucoup d’entre nous de cautionner cet appel à l’unité des libertaires. Ce genre de démarche unitaire est récurrent dans le mouvement anarchiste. Il apparaît à chaque période de crise, à chaque période de vide politique comme la solution évidente et miraculeuse. Cela ne marche jamais bien sûr car ces initiatives oublient toujours l’essentiel : être libertaire, être anarchiste, ce n’est pas se soumettre à la volonté de puissance de quelques-uns, ce n’est pas non plus se fondre dans le nombre et la troupe, ce n’est pas rêver de peser sur le capitalisme, c’est vouloir le renverser pour inventer enfin un monde fraternel où la liberté de chacun dépende avant tout de celle des autres.

Salutations libertaires,

Paul, militant cénétiste de Toulouse.


La révolution, telle qu’on peut la lire dans les discours des réformistes à prétentions libertaires, me semble liée (inconsciemment ?) au fait que, pour eux, un révolutionnaire ne peut en aucun cas être humaniste : il est violent par définition, et ne souhaite qu’une chose : prendre le pouvoir, même s’il ne l’avoue pas. Il me semble utile (voire facile ?) de montrer le contraire : on peut être à la fois humaniste et révolutionnaire, ce n’est pas incompatible, au contraire. C’est le débat qui aurait pu utilement s’instaurer au Clandé, voire même permettre de se mettre en route vers une unité de fond (et non de façade) en restant toutefois campés sur des positions plus strictement libertaires.

La différence entre le réformiste humaniste et le révolutionnaire, c’est à mon sens plus une question de quantité de changements revendiqués (tellement pour ce dernier que le système actuel ne peut que disparaître) que de rupture immédiate, ainsi que de continuité. On peut commencer dès maintenant, mais sans fléchir ; on est relativement pressés c’est vrai, mais la différence essentielle est qu’ on ne veut pas s’arrêter là. On ne se contente pas d’un petit changement, s’il ne s’inscrit pas dans une perspective de changement profond voire total de la société. Bref, la révolution n’est qu’un moyen effectivement ; mais elle correspond tout de même à un état d’esprit critique qui s’associe à un moment donné à une volonté d’action radicale. Et pourquoi passe-t-on de cet état critique à cette volonté irrépressible de changement ? C’est là que certains répondront que c’est uniquement par une attitude individuelle (ou de classe sociale ; voir Mai 68) qui a pour objectif d’améliorer son propre sort par rapport à celui des autres, mais pas de changer l’ensemble de la société. Pourtant, le révolutionnaire, s’il a réellement pour but le changement radical et profond du système social ne devrait pas s’arrêter à ne résoudre que ses petits problèmes personnels, encore moins que les autres en tout cas !

En conclusion, je dirai que toute personne réclamant et agissant pour la révolution sociale n’est pas forcément humaniste, en ce sens qu’il peut ne pas avoir pour seul but l’amélioration de la vie de l’ensemble des êtres humains. Mais ceux qui se qualifient d’humanistes et que l’on caractérise comme réformistes, qu’ont-ils pour perspectives ? A mon point de vue, ils ont comme seul objectif la "Bonne Action chrétienne" quotidienne, et se font plaisir, en attendant (quoi d’ailleurs ?... que Dieu résolve les problèmes ?). Et tout humaniste conséquent, particulièrement par les temps actuels, ne peut que souhaiter ardemment la révolution, c’est-à-dire un changement important et continu de l’organisation et des valeurs sociales. Ou alors son humanisme me paraît très douteux !

Plutôt que de parler de révolution et de se replacer dans cette perspective historique qui a le plus souvent échoué, je me placerais, pour une perspective unitaire, sur le terrain d’une volonté de changement important à commencer dès maintenant : on commence tout de suite, selon un plan croissant (nécessairement stratégique), mais pas forcément en cassant tout dès le jour J. La suite (les conséquences), on peut s’y attendre et donc s’y préparer (la violence de l’Etat et des exploiteurs), mais ne pas en faire un préalable nécessaire en anticipant cette violence. C’est un point important pour la vision (et donc l’adhésion) qu’en aura la population, qui n’a pas conscience de la violence institutionnelle quotidienne et ne souhaite donc pas y répondre.

A. Nanar


CNT-AIT



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