Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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MECANISMES DE LA MANIPULATION DE MASSE

dimanche 7 juillet 2002

A la veille de la bataille d’Azincourt, Shakespeare fait dire à son héros, le roi Henry V, "Tout est prêt si nos esprits le sont". Six siècles plus tard, nous n’en finissons pas de redécouvrir les méfaits du conditionnement. Les experts de la manipulation, les spécialistes de la propagande, les artistes de l’intoxication ne sont pas nés d’hier ils existent depuis la naissance du pouvoir.

Certains intellectuels font semblant, de temps à autre, de découvrir que les médias sont des chiens de garde, que les thèmes sécuritaires ont contribué à la lepénisation des esprits ou que le capitalisme est une horreur. Forts de ces découvertes tardives, ils s’ingénient à calquer quelques néologismes sur des concepts anciens. Nous n’en avons pas fini avec leur "ultralibéralisme", leur "mondialisation". Cette façon de nous expliquer le monde satisfait leur ego mais surtout développe, chez le dénommé "citoyen", une forte amnésie (puisque tout est neuf) et participe ainsi à la mystification. De l’aube de la tyrannie à nos jours, on n’observe qu’une différence d’échelle dans la manipulation politique, le conditionnement des troupes ou l’utilisation des ressorts de la psychologie de masses. La radio, la télé, Internet, ont permis, à des niveaux de plus en plus importants, la propagation du savoir mais également son inverse : La diffusion du mensonge d’Etat. Pour discerner entre l’un et l’autre , l’individu, en dernier recours, ne possède que son esprit critique. Pour s’exercer dans des conditions convenables cet esprit critique doit s’appuyer sur la mémoire, l’expérience qui permet la comparaison des faits, mais aussi la sérénité, qui donne le recul vis à vis de l’actualité. C’est pourquoi les idéologues du pouvoir ont deux objectifs : dénaturer ou détruire la mémoire collective et troubler les esprits. L’actualité nous montre que l’oubli et la peur sont les instruments du pouvoir.

TECHNIQUES DE L’ AMNESIE

1) Dénaturation de l’histoire

Tout débat social ou politique se constitue à partir de réminiscences historiques. A tort ou à raison ces bribes du passé constituent des arguments pour les différentes parties. Le pouvoir ne peut donc pas toujours oublier l’histoire. Il va lui donner le sens qui l’intéresse . Il peut utiliser une référence historique forte et chargée d’émotion pour la plaquer sur l’actualité, hors de son contexte. Le but recherché est d’engendrer l’émoi pour éviter la réflexion. Le slogan "No pasaran !" est attribué à la députée hyper-stalinienne Dolores Ibarruri, dite la Pasionaria. Il avait déjà à l’époque une connotation passionnelle, destinée à pousser le mouvement populaire espagnol vers la défense de la république bourgeoise plutôt que vers la révolution sociale. Dans le Monde du 27 avril 2002, Miguel del Castillo fait justice de l’in-congruité, en avril 2002, de ce mot d’ordre asséné par des militants peu poin-tilleux, repris par les médias et répété à foison "S’il est difficile d’imposer un devoir d’intelligence, écrit-il à ce propos, rien n’oblige à féliciter la niaiserie". Niaiserie, la comparaison de la guerre civile espagnole avec le psychodrame de l’entre deux tours de la présidentielle française ? Oui, certainement, mais niaiserie fort utile au pouvoir ; puisqu’elle a contribué au score abradacabrantesque de Jacques Chirac.

Autre technique, celle qui consiste à rappeler un épisode historique sorti de sa continuité. C’est la cas de la comparaison avec la situation de l’Allemagne des années 30. Les biens pensants attribuent aux abstentionnistes de ce pays la montée des voix nazis. Mais pour expliquer le pourquoi du fort taux d’abstention, il aurait fallu en revenir au massacre quelques années plus tôt des révolutionnaires allemands par les socialistes Noske, Scheidemann et compagnie. Evidemment, les médias dominants occultent ce paragraphe et ne donnent du roman que le chapitre qui les intéresse. Enfin, la répétition à outrance d’une analyse historique arbitraire transforme les thuriféraires de l’urne en modernes Bouvard et Pécuchet, qui, parmi leurs idées reçues développent le parallèle entre le droit de vote et les acquis sociaux. Qu’en est-il ? Le suffrage universel apparaît en France en 1792 lors de l’élection de la Convention Nationale. Il y a 90 % d’abstentions ! Nonobstant, la révolution suit son cours. Les mesures les plus avancées sont prises en 1793, sous l’impulsion du mouvement sectionnaire parisien, qui constitue un embryon de démocratie directe. Puis, le suffrage universel disparaît de la scène politique française pour réapparaître en mai 1848 avec l’élection d’une Assemblée Constituante. La première "oeuvre" de cette Assemblée est de massacrer des ouvriers parisiens révoltés en juin 1848 (4000 morts). Si personne en France n’est mort pour le droit de vote, contrairement à ce qu’on entend régulièrement, il est plus juste de spécifier qu’un bon nombre de révolutionnaires ont été assassinés avec la caution de ce droit de vote. Enfin rappelons que les conquêtes de 1936 n’ont pas été obtenues grâce au gouver-nement de Blum, contrairement à une autre idée reçue, mais parce qu’un mois de grève, avec occupation d’usine, ont poussé l’Etat et le patronat à des concessions. Il ne vient à personne l’idée de dire que si le salaire minimum a été augmenté de 35 % en juin 1968 c’est grâce à De Gaulle. Les accords de Grenelle furent le résultat de la pression des luttes de Mai et Juin 1968.

2) Du négationnisme

Moins subtil que les techniques qui dénaturent les événements, le négationnisme consiste purement et simplement à nier le réel, à nier l’histoire immédiate, celle pour laquelle il existe parfois enco-re des témoins oculaires. Ainsi a-t-on pu voir nier, à des fins partisanes, l’existence des camps de la mort pour nier le géno-cide des juifs et des tsiganes en Europe. Si cet épisode du négationnisme est célèbre, d’autres exemples existent qui montrent que cette technique (définie par Goebbels par "Plus c’est gros mieux ça passe",) a encore des adeptes. La thèse du président du Réseau Voltaire appartient à cette catégorie. Meyssan, par ailleurs expert en droit de l’homme auprès de la Commission pour la Sécurité et la Coopération en Europe, nie qu’un avion se soit écrasé contre le Pentagone le 11 septembre 01, pour lui ce serait un missi-le, tiré par les militaires américains eux mêmes, qui se serait écrasé contre l’édifice. Pour "preuve" il réfute des centaines de témoignages visuels, qui seraient arbi-traires puisqu’émanant d’américains, et s’appuie sur des documents photographiques diffusés par le Pentagone sur Internet. Ce genre de procédé pourrait prêter à rire s’il ne trouvait un large écho parmi la population. Il y eu à Toulouse, après l’explosion d’AZF, des rumeurs qui niaient ainsi l’explosion accidentelle de l’usine pour l’attribuer à une attaque terroriste (ou, pour les plus frapadingues, martienne). Cette prédisposition des foules à croire l’incroyable est un atout dans les mains des négationnistes et des manipulateurs de tous poils. Parmi ces manipulateurs on trouve, les services de renseignements des états. Un des pre-miers internautes à mettre en doute la réalité des attentats du 11 septembre n’est rien de moins qu’un haut fonctionnaire des RG (Renseignements Généraux, police politique française). Le 18 septembre 02, sur son site Internet, il déclare "Comment peut-on trouver simul-tanément 19 kamikazes ?... que l’on trouve par-ci par-là, un, deux ou trois kamikazes, comme en Palestine, O.K., mais à ce point là, sûrement pas". En Palestine il y a eu depuis cette date des centaines de kamikazes. Simple manque de perspicacité de la part de ce responsable des renseignements français ? Plus loin nous lisons chez le même auteur "Que faisait un photographe avec un appareil au pied de la tour à ce moment là ? Il avait une intuition faramineuse" [1]. Ainsi, les touristes, photographes et cameraman amateurs, "prouvent" le complot par leur présence d’esprit, car, c’est sous entendue, elle est préméditée. A l’inverse, il n’y a pas de touriste qui photographie l’avion du Pentagone ? Dans ce cas, l’absence d’images prouve le complot...

Pourquoi donc de haut responsables du Renseignement s’évertuent-ils à nier des faits réels ? Le pouvoir politique, qui s’appuie sur la peur et la soumission des masses, ne peut exploiter cette soumission que si lui même donne une impression de force. C’est toute l’histoire de la féodalité et du servage.

CULTURE DE LA SOUMISSION

1) Apprentissage de la peur

L’omniprésence du pouvoir spirituel ou temporel est une réponse à la peur de la mort et à l’angoisse devant les risques du quotidien. L’état a tout intérêt à cultiver ces sentiments dans la collectivité qu’il domine pour justifier son oppression. Tour à tour, et en fonction des civilisations, prêtres, nobles et bourgeois ont assuré ce rôle intéressé de protection et d’assistance.

Il y a quelques années un hebdomadaire se définissait ainsi "Le poids des mots, le choc des photos". C’est bien de ça qu’il s’agit. L’information est moins cachée qu’utilisée dans un sens principal décrire un monde sauvage, violent, devant lequel l’individu doit se sentir impuissant, devant lequel il doit trembler et supplier les hommes forts, les financiers, les guerriers et les politiciens qui dirigent le monde, de le défendre.

Le téléspectateur est pris à la gorge devant l’image d’une personne agressée, d’un lieu dévasté. On joue sur la réaction primale et instinctive, la télé de sa place privilégiée et centrale envoie un message fort, il est reçu per un individu isolé. La télé puis l’isoloir. Rien qui permette la confrontation, le débat, l’échange ; et rien qui, quelque part, permette de prendre conscience de la force collective On a peur de l’insécurité vue à la télé d’abord puis de Le Pen ensuite, vu à la télé, la genèse de cette peur est identique. Télérama titre "Abstention piège à cons", d’autres antifascistes réclament l’interdiction de l’abstention, sans se douter du caractère dictatorial de leur revendication. Alors, résultante du choc reçu seul et en direct, voilà les solitudes qui s’additionnent et se laissent prendre en main dans un spectacle organisé par les RG ici, par le PS et le petit Besançonnot là-bas.

Les manifestations massives de l’entre deux tours des présidentielles 2002 sont des manifestations massives de solitudes additionnés. D’amples cortèges d’individus si bien conditionnés dans leur impuissance qu’ils ne prennent pas même conscience de leur propre force collective. Le pouvoir se frotte les mains : voilà qu’on le réclame, voilà qu’on le supplie à corps et à cris, et mieux que tout à travers une symbolique autrefois contestataire, savamment retournée en sa faveur. La manifestation de rue et ses calicots deviennent une procession à la gloire des puissants. Tout est prêt si les esprits le sont. Contre ceux qui osent parler de s’abstenir c’est la réprobation générale argumentée par l’histoire dénaturée. Dans la grande tradition des hommes forts, la soumission à Chirac va de soi, comme allait de soi les pleins pouvoirs à Pétain et à Papon, comme allait de soi l’élection de Thiers, le fusilleur des Communards. Ceux-là ne se justifient que par la force que l’on leur prête.

2) Exhibition de la force

A l’instar du "barrage" chiraquien contre le fascisme, l’Europe se veut une forteresse derrière Bush et l’état américain, rempart du bien contre le mal. Du sens figuré au sens propre, de la muraille de Chine à celle de Cisjordanie, en passant par le mur de Berlin et la ligne Maginot, l’histoire est pleine de ces aberrations stratégiques destinées à convaincre l’opinion publique. Ce discours et ce comportement de châtelains vont permettre d’exercer l’exploitation en coupe réglée de la population mondiale. Ces contraintes, subies par les populations, sont la rançon des privilèges obtenus par leurs dirigeants. Ces privilèges ne se justifient que par l’existence d’un adversaire qui fasse suffisamment peur et, également, par la force et l’efficacité des nouveaux féodaux si chèrement entretenues par le contribuable et les tra-vailleurs. Cette force là est un fardeau qui veut qu’on l’entretienne au prix de la sueur et des larmes.

Pour l’administration américaine les attentats du 11 septembre se transforment en aubaine à deux conditions. D’abord, qu’ils puissent justifier des guerres à venir, sous prétexte de lutter contre le terrorisme ; ensuite, que l’armée puisse continuer d’inspirer la crainte, et non le ridicule.

En effet, l’adversaire, forcément sanguinaire est tout aussi forcément sour-nois et lâche, mais il ne saurait en aucune manière être plus fort que le rempart qui prétend nous défendre, d’autant que ce rempart est un gouffre budgétaire (les CIA, FBI, NSA et autres, coûtent l’énor-me somme de 30 milliards de dollars par an). Or, le 11 septembre 2001 les fautes grossières des services de renseignements américains sautent aux yeux, mêmes à ceux d’Alexandre Adler. C’est tout dire. Pour ces fautes, il réclame en direct l’exécution du directeur de la CIA. Rien que ça. L’effondrement des tours pourrait devenir ce que fût l’écroulement du mur de Berlin pour le STASI et le KGB. C’est ici que l’art du retournement de situation devient indispensable.

Mieux vaut dans ce cas brouiller les pistes, et plutôt que pour des imbéciles et des incapables, passer pour des méchants. "Une inclination aujourd’hui répandue conduit ainsi à imaginer aux bévues les plus flagrantes des services secrets des justifications magistrales quand elles n’ont pour cause qu’une très réelle niaiserie" [2]. Des services de renseignements pris à leurs propres pièges, ce n’est pas nouveau. Ainsi il est arrivé à l’armée française, pendant la guerre d’Algérie, d’armer des maquis FLN en croyant monter des contre maquis. Mais dans le cas présent, l’erreur est encore plus lourde de conséquences. Alors, il faut retourner le sens de l’effondrement des tours, qui est celui de la quintessence de la sottise militariste, pour lui donner un sens différent : "Nous avons les services de renseignements les plus machiavéliques et les plus cruels du monde" ce qui, sommes toutes, sonne mieux que ceci : "En guise d’espions ; nous avons les crétins les plus coûteux de la planète".

Quoiqu’il en soit, grâce à ce retour-nement de perspective, à ce jour, la principale victime politique du 11 septembre, ce n’est ni un général ni un des chefs du renseignement, c’est le présentateur vedette d’une grande chaîne américaine, démissionné ce mois de juin. La faute de Bill Maer ? Avoir reçu, le 17 septembre 2001, un invité qui affirmait qu’il n’était pas approprié de traiter les kamikazes de lâches et lui avoir répondu en affirmant : "C’est nous les américains qui sommes des lâches, qui lançons sans risque des missiles contre les populations civiles". On ne saurait impunément désigner en ces termes, sauf à ce que s’écroule l’édifice du pouvoir, l’armée qui protège le monde de la grande menace...

P.P.

En espagnol

Lire aussi LE PRESTIGE DE LA PEUR de Georges Henein


[1] "L’effroyable mensonge, thèses et fou-taises sur les attentats du 11 septembre", de Dassuié et Guisnel , éditions La Découverte, 2002.

[2] " L’orchestre rouge" G Perraut, 1971.


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