jeudi
20 mars 2003
"Sainte-Trouille, mère de toutes les soumissions, priez pour nous, pauvres richards, afin que notre règne dure encore et toujours", tel est bien le credo qu’ont entonné à gorges déployées les divers dépositaires du Pouvoir, à toutes les époques et sous toutes les latitudes.
La Peur a toujours servi avec un zèle constant l’Autorité ; dans les systèmes de domination archaïques ou dictatoriaux la soumission des sujets s’obtient par la crainte immédiate, viscérale : la force de répression est très largement présente, incroyablement brutale, bestialement dissuasive. C’est "l’Ennemi intérieur" qu’il s’agit d’anéantir. A contrario, les oligarchies modernes et pseudo-démocratiques vont s’ingénier à susciter la peur du "pire", la frayeur de "ce qui pourrait advenir si..." (si nous, vos bons maîtres, n’étions pas, ou hélas plus, là, pour vous défendre), le contrat social reposant alors sur une "vérité" massivement diffusée : "Ici, mieux qu’en face".
Or, à trop vouloir unifier et soumettre le Monde, nos maîtres s’en sont pris, peut-être avec une certaine inconséquence, à l’autre monde, l’anti-monde, la planète rouge, coco-land. En implosant, la frayeur qu’il inspirait s’est volatilisée et le monde "libre" s’est brutalement retrouvé sans ennemi ; quel ennui ! Il est des victoires qui peuvent rapidement se transformer en défaites. Un monde sans Peur aurait pu annoncer un monde sans Pouvoirs. Il fallait remédier à cela, et, sans tarder l’on découvrit et l’on instrumentalisa un nouvel Ennemi, l’islamisme radical, qui fut rapidement doté de moyens pour atteindre un certain niveau de crédibilité. (Rappelons que Ben Laden, recruté à Istanbul en 1979, a été un agent de la C.I.A. pendant presque10 ans).
La Peur est constitutive du Pouvoir au même titre que le mépris et le secret : c’est dans l’emploi du contre-terrorisme ou terrorisme d’Etat, aux limites toujours floues entre infiltration et manipulation, qu’apparaît de façon manifeste la duplicité perverse du Système qui prétend combattre un ennemi qu’il arme dans le même temps.
A ce jeu hélas pas très nouveau du contre-terrorisme, c’est sans conteste au pouvoir algérien qu’il faut attribuer la palme d’or (et de sang) pour ces dernières années. Menacés dans leur existence et leurs privilèges par un ras-le-bol général de la population, les nantis du FLN ont choisi d’instrumentaliser à grande échelle le terrorisme. Les maquis islamistes ont été infiltrés, voire créés de toutes pièces par l’armée et les services de sécurité, afin de massacrer la population algérienne (des dizaines de milliers de morts en quelques années). Rarement un pouvoir aura coopéré de façon aussi flagrante avec ses soi-disant ennemis, pour assurer sa survie en massacrant sa propre population. (Des témoignages nombreux de militaires repentis confirment l’implication directe des services d’Etat dans les tueries ou la non-intervention voulue lors des nuits d’épouvante).
La Russie "désoviétisée" mérite également de figurer en bonne place à ce triste palmarès ; si les maîtres ont changé de discours, les méthodes demeurent, l’arrogance cynique et le mépris total de la population sont toujours de mise. On se souvient qu’en été 99 la famille Eltsine (famille étant à prendre ici au sens maffieux du terme) passablement aux abois, cherche à préserver ses privilèges : le déclenchement d’une seconde guerre en Tchétchènie permettrait de dissiper certain parfum de scandales et autoriserait vraisemblablement la réalisation de juteux bénéfices. La Russie accéderait par ailleurs au club fermé des "victimes du terrorisme international". Après une incursion ratée dans le Daghestan par les boevikis ("combattants tchétchènes") de Khattab [1] et de Chamil Bassaev [2] (très vraisemblablement commandité par Berezowxki [3], éminence grise de Eltsine - des écoutes téléphoniques divulguées et parues dans la presse en font foi), les stratèges du Kremlin décident de frapper fort pour rendre inévitable le déclenchement de la seconde guerre. Entre le 31 août et le 17 septembre une série d’attentats à l’explosif secouent la Russie (un centre commercial près du Kremlin, deux immeubles dans un quartier populaire de Moscou, etc.). Le bilan est lourd : 300 morts, des milliers de blessés. Les Tchétchènes sont accusés d’être les auteurs des attentats. A la suite d’un "malheureux" cafouillage à Ryazan (Russie centrale) le 22 septembre 1999, la police locale intercepte trois individus qui venaient de déposer de fortes charges d’hexogène (explosif militaire), utilisé également lors des attentats précédents. L’enquête tourne court, le FSB [4] mis en cause n’hésite pas à prétendre qu’il s’agissait d’un exercice de simulation, destiné à tester la vigilance de la population et de la police : circulez, il n’y a rien à voir !
Des milliers de morts plus tard ... (100 000 Tchétchènes, 1/10ème de la population, sont morts au cours de la 1ère et de la 2ème guerre, ainsi qu’environ 10 000 russes) la guerre et ses profiteurs prospèrent. La récente prise d’otages au théâtre de la Doubrovska à Moscou (du 23 au 26 octobre 2002) prouve s’il en était encore besoin que le pouvoir russe entretient de bien étranges relations avec ses terroristes ainsi qu’avec la population qu’il est censé protéger. Depuis la déconcertante facilité avec laquelle le commando tchétchène (une cinquantaine de personnes lourdement armées) a pu franchir les très nombreux barrages établis dans Moscou, jusqu’au terrifiant gazage du théâtre par les Spestnaz (forces spéciales) -130 morts parmi les otages-, tout dans cette affaire fleure délicieusement bon la Raison d’Etat...
L’emploi du "terrorisme islamiste" comme moyen de police n’est évidemment pas l’apanage des seuls régimes dictatoriaux (façon algérienne ou façon russe). Nos pseudo-démocraties n’hésitent non seulement pas à en user mais semblent bien fonder toutes leurs politiques (intérieures et extérieures) sur une gestion avisée de la crainte que ce terrorisme suscite, crainte qu’il convient donc d’entretenir. Les bénéfices de cette campagne mondiale sur le thème de l’insécurité s’annoncent prometteurs : il s’agit tout bonnement de se repartager ce monde, le seul empire restant en lice (USA et associés) s’apprêtant à assurer enfin sa mainmise globale sur la planète ; les citoyens consommateurs étant priés, durant le grand jeu guerrier "l’Axe du Mal II, le Retour" de se tenir cois et d’assister, sans résistance, à la disparition d’un certain nombre de fragments de liberté octroyés par le passé, guerre oblige.
Conquête guerrière à l’extérieur, paix sociale à l’intérieur pour cause d’union sacrée (les opposants radicaux sont criminalisés et assimilés aux terroristes), on voit bien l’immense profit que dégage l’exploitation de la peur, l’orchestration wagnérienne de la Trouille. Poussées brèves de folle panique ou d’épouvante blême, effroi persistant, insidieux, frousse chronique bien gorgée d’insécurité quotidiennement réadministrée... qu’importe la manifestation clinique de la maladie, l’important est que l’épidémie soit largement répandue.
Tremblez mortels, nous ordonnent nos Maîtres, pendant ce temps nous ferons le reste (nos petites affaires notamment).
Gargamel
[1] Khattab : Chef de guerre d’origine saoudienne. Intègre la rébellion tchétchène après un passage en Afghanistan.
[2] Chamil Barraev : Chef de guerre tchétchène.
[3] Berezowski : Richissime homme "d’affaires", éminence grise de Boris Eltsine. Actuellement en exil à Londres, il a vraisemblablement été un des maîtres du jeu politique en Russie à l’époque Eltsine. Propriétaire de chaînes de télévision, de journaux ; BAB (Boris A. Berezowski) fait aussi dans le pétrole, l’aluminium, etc.
[4] F.S.B. : Digne héritier du KGB. A l’époque, c’est un certain Vladimir Poutine qui dirige le service
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