Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Barbares d’état !

dimanche 9 mai 2004

Le 1er septembre 2003, entre deux messes planétaires contre le terrorisme et des leçons présidentielles sur les droits de l’homme et les dangers de la barbarie des peuples, Canal Plus diffusait un reportage de Marie-Monique Robin "Escadrons de la mort, l’école française" dans lequel des généraux argentins témoignent de leurs exactions, tortures et exécutions clandestines d’opposants ou supposés tels. Quatre généraux argentins racontent sans état d’âme leurs exactions : Díaz Bessone, ministre de la planification de la dictature, Albano Eduardo Harguindeguy ministre de l’intérieur, Benito Bignone, ex-dictateur, et Álcides López Aufranc, chef d’Etat-Major de l’armée de terre. Mais ces "braves" soldats parlent aussi de leur "collègues et maîtres" de la glorieuse armée française. Ainsi ils citent le général Paul Aussaresses, dont le livre Services spéciaux, Algérie 1955/57 a secoué la France il y a deux ans, et l’ex ministre des armées, Pierre Mesmer, qui a envoyé Aussaresses aux États Unis où il a instruit l’armée de ce pays sur les techniques qu’ils ont ensuite appliquées au Vietnam. Deux de ses disciples, le général John Jons et le colonel Carl Bernard décrivent les enseignements d’Aussaresses et la façon dont on les a appliqués au Vietnam, où ils ont produit l’assassinat de 20 000 civils au cours du plan Phénix. Le général chilien Manuel Contreras, qui purge actuellement une peine judiciaire à Santiago, témoigne également qu’Aussaresses a entraîné à Manaus, Brésil, les tortionnaires de la DINA, et que la dictature de Pinochet entretenait un échange fluide de renseignements avec le gouvernement français de Valéry Giscard d’Estaing. Harguindeguy admet la même chose. Voici, comme une piqûre de rappel, une vaccination contre le cynisme des gouvernants de tout poil, quelques morceaux choisis des confessions de ces barbares d’état.

Interrogé à propos des commandos spéciaux de parachutistes français qui ont agi en Algérie, Díaz Bessone explique : "Une des formes de transmission des enseignements français a été la lecture de Jean Lartéguy, Les Mercenaires, Les Prétoriens et les Centurions, dans les lignes duquel la torture et l’assassinat de prisonniers sont décrits sans euphémisme. Les conseillers français nous ont recommandé ces livres. C’était le complément de cette expérience, qui nous a donné à penser comment s’est développée la guerre révolutionnaire en Algérie, et qu’ensuite nous avons dû affronter en Argentine. La méthode d’interrogatoire était explicite dans les livres de Lartéguy. C’était la seule possible pour obtenir l’information et démonter l’appareil de la guérilla révolutionnaire".

Selon Bignone il n’y a eu aucune différence entre ce qu’on appelle "la bataille d’Alger" et la guerre militaire contre la société argentine. "C’était une copie. Renseignement, quadrillage du territoire divisé en zones. La différence, c’est que l’Algérie était une colonie et ici le problème était intérieur. C’était une différence de fond, mais pas de forme dans l’application de la doctrine. Les (instructeurs) français faisaient des conférences et des consultations. Ce n’est pas pour rien qu’ils étaient ici. Ils n’étaient pas payés pour ne rien faire", dit-il. Celui qui a introduit en Argentine l’intérêt pour la lutte contre la guerre révolutionnaire était le colonel puis général Carlos Jorge Rosas, qui a suivi l’École de Guerre française au milieu des années 1950. "Il en a tiré l’inquiétude de ce que toute la préparation à la guerre classique ne servait à rien, parce que la guerre moderne, la guerre révolutionnaire, était tout à fait différente. Il a été sous-directeur de l’École de Guerre et sous-Chef d’État Major, il est à l’origine du fait que nous ayons reçu une instruction française". Bignone a aussi mentionné son amitié avec l’instructeur français Robert Servent, vétéran d’Indochine et d’Algérie qui a fait partie de la mission militaire à Buenos Aires : "Nous sommes devenus très amis, entre 1962 et 1964. A Madrid, on commençait à s’y intéresser (à la guerre révolutionnaire). J’ai proposé un exercice qui s’est réalisé pendant la deuxième année. C’était dans une colonie française imaginaire d’Afrique".

En argentine, l’officier qui obtenait les meilleures qualifications à l’École Supérieure de Guerre était envoyé à des cours de perfectionnement à Paris, lesquels comportaient un stage pratique d’un mois en Algérie. "la lutte contre la guerre révolutionnaire intéressait, et son berceau était la France. En Espagne, l’intérêt ne revêtait pas le caractère d’actualité qu’il avait ici. Là-bas, l’enseignement était plus tourné vers la guerre classique, et très peu vers la guerre révolutionnaire" dit Bignone. Le colonel Alcides López Aufranc, également interviewé dans ce reportage, avait suivi ces cours. A son retour, il a dirigé à Buenos Aires le premier cours inter-américain de Guerre contre-révolutionnaire, auquel ont participé des officiers de quatorze pays. Jusque là "notre doctrine était la vieille doctrine allemande, ensuite l’américaine. Nos règlements étaient extraits de l’Armée des États-Unis, qui n’avaient presque aucune doctrine dans ce domaine. L’École des Amériques de Panamá étaient la seule qu’ils avaient. Les autres qui allaient aux États-Unis, c’était pour y étudier la guerre classique".

Comme l’explique encore Bignone "La façon de s’opposer à la guerre révolutionnaire a été envisagée à partir du modèle français que nous apprenions à connaître par des publications et des officiers qui accomplissaient des stages dans des instituts en France. A la fin des années 60 ont été publiés les premiers règlements pour la lutte contre la subversion, LC82 Opérations contre les Forces Irrégulières, tomes I, II et III, écrits par nous qui les copiions des français. L’influence française a été celle qui nous a tout donné. Notre doctrine a rempli les règlements, et c’est ce que nous avons appliqué par la suite".

Harguindeguy lui se souvient que le gouvernement français d’alors, présidé par Valéry Giscard d’Estaing, appuyait la junte militaire, et raconte que son collègue français Michel Paniatowski "est venu avec des lettres de recommandation au nom de l’Armée Française pour établir des relations coordonnées, un échange de renseignement".

A écouter ces sinistres témoignages, on ne peut que se rappeler le discours officiel de l’état français lors de l’emballement médiatique autour du livre d’Aussaresses, parlant d’inévitables bavures et d’actes sans rapport avec les décisions politiques de l’époque. Et l’on se souvient des interminables palabres journalistiques sur la taille de la bavure : actes isolés ? dérive de militaire ? Réponse à la barbarie du FLN ? Parmi ces dociles journalistes et intellectuels médiatiques, très peu d’entre eux ont posé la vraie question. Et si la torture et la barbarie en uniforme étaient une doctrine d’état, un règlement militaire, une arme de guerre internationale contre les populations ? Et si la barbarie codifiée et réglementée, la barbarie d’état, était la pire des barbaries ?


CNT-AIT



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