Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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RETOUR SUR CARCASSONNE : UN "ACCIDENT" QUI EN DIT LONG ...

samedi 12 juillet 2008

Dimanche 29 juin 2008, c’est journée “portes ouvertes" dans la caserne du 3ème Régiment Parachutiste d’infanterie de marine (RPIMA), basé à Carcassonne. Le public familial est convié à fêter l’armée française. Il va y avoir une démonstration. Soudain, une rafale de FAMAS fauche 17 personnes, parmi elles, une fillette a le bras sectionné. Un projectile traverse le coeur d’un autre enfant pour finir par se loger dans ses poumons. Il est âgé de trois ans. Du sang, des cris, des larmes, de la panique... le spectacle "à blanc" que voulaient donner les militaires du 3ème RPIMA est devenu réalité. Une réalité guerrière : c’est un massacre.

En moins de deux secondes, un chargeur de FAMAS vide 25 balles. La cadence du tir de ce fusil d’assaut est de 1 000 coups à la minute. De plus, il peut projeter des grenades et autres projectiles de mort. Le progrès a donc pris des chemins effroyables, que la fiction des jeux vidéos ne peut pas toujours nous masquer. Quelques années à peine après le drame de l’usine AZF et ses engrais explosifs, le massacre de Carcassonne nous rappelle douloureusement les véritables menaces qui pèsent sur nos enfants.

Ecoutons justement le témoignage d’un père de famille qui rapporte le calvaire subi par son fils : "Mickaël a couru. Malgré un mollet atteint par un premier éclat de projectile... il a couru quand même, il boitait. Quelques mètres plus loin mon fils a été à nouveau touché par un deuxième impact à l’arrière de la cuisse droite" [1]. Ce témoignage nous révèle que la rafale a duré au moins le temps que le garçonnet fasse quelques mètres, en boitant. Ce parcours terrible a-t-il pu prendre moins de deux secondes, c’est-àdire le temps qu’il faut pour vider "normalement" tout un chargeur ? Cela paraît bien improbable. Même pour ne faire que quelques mètres, un enfant met plus de deux secondes, surtout s’il est blessé au mollet.

D’autres témoins évoquent une fusillade qui a duré trente secondes... De nombreuses interrogations La durée des tirs n’est qu’une interrogation qui se rajoute à beaucoup d’autres. Contre toute évidence, les autorités militaires ont "expliqué" qu’il n’y avait eu qu’une seule rafale, d’un seul chargeur, d’un seul tireur. Or, nous l’avons dit, une rafale dure moins de deux secondes. D’après la version officielle donc, en moins de deux secondes, le tireur aurait pu, avec seulement 25 balles, blesser 17 personnes éparpillées (15 civils et 2 militaires, certains ayant plusieurs blessures). Si c’est vrai, c’est un exploit dans l’horreur, même pour le "professionnel formé au tir" qu’on nous décrit. Un professionnel haut de gamme, puisque, même après la boucherie, le Procureur de la République a tenu à lui faire compliment en déclarant que tout ceci était bien dommage car le tireur "aurait pu faire une grande carrière dans l’armée". On en frémit de rage. Mais c’est certainement sur cet argument, qui semble à lui seul constituer une circonstance atténuante sinon exonérante de toute responsabilité, que le Procureur a remis en liberté l’individu en question immédiatement après sa mise en examen. Après tout, pourquoi pas. Nous n’avons pas, quant à nous, pour principe de juger les individus, mais nous aimerions bien que les quelques 65 000 hommes et femmes détenus en France dans des prisons qui regorgent, bénéficient de la même compréhension de la part de la justice, surtout qu’eux n’ont certainement pas blessés aussi grièvement autant de monde en aussi peu de temps !

Après Malakoff, Carcassonne

Ceci dit, essayons de comprendre. Un an pratiquement après la tuerie de la caserne Malakoff, le 13 juillet 2007 (ce jour-là, à Paris, un gendarme exterminait un adjudant puis ses deux enfants avant de se suicider), l’affaire de Carcassonne nous repose la problématique de la fragilité de l’être humain, surtout lorsqu’il est plongé dans un environnement qui le met sous pression. Si nous relevons ici la dangerosité de certains de nos semblables, c’est d’abord pour insister sur le fait qu’on ferait bien de mettre à la poubelle toutes les armes qu’ils possèdent, qui sont de plus en plus sophistiquées et donc de plus en plus dévastatrices. Pourtant, l’option politique choisie par le gouvernement va à l’inverse de cet élémentaire bon sens.

Malgré la chute du mur de Berlin en 1989, la course aux armements a continué et s’est doublée de technologies sécuritaires de plus en plus coûteuses. C’est donc pour le plus grand profit de puissantes industries mortifères et liberticides, pour justifier toutes leurs macabres productions, que le pouvoir politique a entretenu le sentiment d’insécurité, qu’il a mis en avant la lutte contre le terrorisme pour, en bonne logique, en arriver à produire la fiction d’un ennemi intérieur. Pour cela, il a fait feu de tout bois. Il a stigmatisé, voire insulté, certaines franges de la population. Des teufeurs à qui l’on reproche d’être trop "bruyants" aux anarcho-autonomes emprisonné pour des clous tordus ; des sauvageons caillasseurs aux propriétaires de chiens, le pouvoir a exagéré les périls, brisé les solidarités. Les "jeunes" en particulier ont subi les campagnes de presse les plus abjectes, qui ont précédé des lois de plus en plus répressives dont l’arsenal s’agrandit chaque jour : interdictions de stationner dans les halls d’immeuble, incarcération d’enfants dans les EPM, ou fichage de gamins de 13 ans ..., c’est une avalanche qui donne la nausée... sans compter les fachos dans l’âme, qui, pendant les révoltes de 2005, demandaient qu’on envoie l’armée dans les banlieues, histoire de massacrer quelques jeunes.

Une certitude bien établie

De fil en aiguille, voilà donc que le pouvoir, sans autre débat que l’agitation médiatique entretenue par des journalistes payés pour ça, a donné aux armées une nouvelle mission. De la lutte antiterroriste, on est passé insensiblement à la lutte anti-guérilla urbaine, en vertu de quoi, comme en pleine guerre, il est fréquent de croiser dans nos couloirs de métro et nos gares, outre les innombrables variétés de flics, des fantassins à l’uniforme suranné mais armés du fameux FAMAS, le même justement qu’à Carcassonne. Or, s’il est quelque chose de bien certain dans tout le flou volontairement entretenu par la hiérarchie militaire autour de l’affaire de Carcassonne, c’est que le but de l’opération "portes ouvertes" était de présenter au public l’exercice suivant : une prise d’otage par un ennemi pas si bien déterminé que ça... mais une prise d’otage qui se déroulait dans des coursives. C’est du moins ce que le “décor” de l’exercice évoquait ouvertement. Le calcul des angles de tir était adapté lui-même à cette configuration. Des coursives comme ça, il n’en existe pas dans les lieux que fréquente la haute société. Par contre, il y en a plein dans toutes les cités (bien qu’il n’y ait jamais eu de prise d’otage en de tels endroits !). L’ennemi indirectement désigné n’était donc pas le "terroriste", le "preneur d’otage" mais bien l’habitant des cités.

Il faut avoir vécu une rafle de sans-papiers ou de jeunes, dans une cité, avec des flics qui déboulent pistolet au poing et quelques balle perdues pour comprendre que la mise en scène présentée à Carcassonne n’est déjà pas qu’un exercice

On ne développe pas un tel conditionnement centré sur la peur de l’autre sans induire, chez certains de graves dégâts psychiques. Si la série d’erreurs qui a engendré le drame de Carcassonne semble, à première vue, "inexplicable", c’est parce qu’elle est irrationnelle. Comme est totalement irrationnel le discours de guerre civile que développe le gouvernement dans un pays ultra-pacifié. C’est dans cette irrationalité qu’il faut chercher la clef de l’histoire. Les dysfonctionnements qui ont produit le bain de sang de Carcassonne sont tout simplement des "actes manqués" [2] . De tels actes manqués sont la conséquence directe de l’intoxication des mentalités par des discours haineux et indignes.

Nettoyer la racaille au Karcher

Souvenez-vous seulement des propos de l’individu, qui est tout de même le chef des armés, et qui est donc le chef suprême du tireur de Carcassonne, celui-là même qui proposait, d’ailleurs en violation des lois les plus basiques, de "nettoyer la racaille au Karcher". De tels propos, l’homme qui a tiré à Carcassonne sur des enfants, il les a entendu pendant ses huit années de service. Il les a intégré. Il en a été imprégné, jusqu’au plus profond de sa moelle. C’est avec ça qu’on a fabriqué le "très bon professionnel" qu’on nous a décrit avec complaisance. Pendant huit ans, ce professionnel a donc appris qu’il fallait se méfier des civils, surtout des jeunes, même des très jeunes et encore plus des mamans et de leurs poussettes, car les poussettes, pendant la guerre d’Algérie, ça servait au transport d’explosifs. Les poussettes, les mamans qui les poussent, les valises abandonnées, les civils, les jeunes, les vieux... dans tout ça, un bon militaire doit voir un danger.

Karcher ou FAMAS, le discours est le même

C’est ça que le discours officiel lui martèle. SI, contre toute logique, contre toute humanité, un soldat de l’armée française a chargé pour un exercice des balles réelles dans son FAMAS, s’il a tiré sur les civils venus l’applaudir, s’il a mis plus de 30 secondes à réaliser qu’il massacrait des gamins inoffensifs, c’est parce que sa tête était pleine de ce discours ignoble, c’est parce qu’il était devenu un pantin entre les mains des salopards qui ont développent le discours paranoïaque récurrent sur l’insécurité.

Ce qui s’est passé à Carcassonne, c’est le pouvoir qui en porte l’entière responsabilité. C’est lui qui désigne quotidiennement les jeunes et les enfants comme cibles. Qu’il ne fasse pas maintenant semblant de s’étonner que ceux qu’il a formaté pour qu’ils lui obéissent au doigt et à l’oeil leur tirent dessus.

C.Q.F.D.

Article du Journal Anarchosyndicalisme ! http://cnt-ait-toulouse.fr


[1] “La Dépêche du Midi”, 2 juillet 2008.

[2] En psychiatrie, un "acte manqué" consiste à faire (inconsciemment) le contraire de ce qu’on croit avoir fait (par exemple, mettre des balles réelles dans un chargeur alors qu’on pensait n’avoir mis que des balles à blanc). C’est parceque, au fond de soi on est plus en accord avec ce qu’on a fait (dans notre exemple, mettre des balles réelles) qu’avec ce qu’on devait faire (mettre des balles à blanc). Le mécanisme de l’acte manqué est du même type que celui du lapsus. Il est aussi révélateur que ce dernier.


CNT-AIT



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