lundi
1er avril 2002
Nous connaissons l’importance des médias dans la véhiculation des idées. Surtout en milieu militant. Bourdieu, après les nouveaux philosophes et après Sartre... Le Diplo, Charlie, après Libération et après Combat. Tous ont ce point commun qu’il s’agit du point de vue de l’élite intellectuelle, qui n’est jamais en faute de se tromper. Le recul est cruel. Ainsi, il y a des paroles, un temps à la mode, qui vivent ce que vivent les roses. Rappelons simplement l’article "Septembre rouge" dans lequel "Le Monde Diplomatique" prévoyait une flambée de luttes sociales pour la rentrée 1996 ...
Cette tendance à se tromper avec son maître, nous devrions en être vacciné, nous qui ne connaissons pas de chef.
Ce que dit tel militant vaut, en effet, ce que dit tel autre et doit être passé au tamis de notre libre arbitre, au travers de la discussion et du débat collectif. C’est souvent une très bonne protection contre les idées reçues et les idéologies dominantes.
Comme cela a été vérifié dans notre fonctionnement, cette démarche nous a permis historiquement de résister au fascisme, de ne pas nous laisser séduire par les nationalismes, bolchevisme, religions, mysticisme et autres dogmes. Voilà pourquoi les titres universitaires, les décorations, les fonctions, les honneurs.... la vie a pu nous en affliger, mais c’est au vestiaire du syndicat que nous devons les laisser. Or, il est fréquent dans les milieux libertaires que, par une espèce de perversion, la soif de connaissance se transforme en appétit de reconnaissance. On devient alors universitaire-libertaire, chercheur-en-anarchie, docteur-es-syndicalisme... Rien de plus ridicule et de plus dangereux.
Car passer de la connaissance à la reconnaissance, est une attitude qui à toujours conduit le mouvement révolutionnaire à des déboires. " Ce sont toujours les hommes à casquettes qui meurent sur les barricades et ceux en chapeaux qui en profitent ", disait-on autrefois. Quand ces derniers ne trahissent pas purement et simplement !
Aujourd’hui, on peut constater que cet état d’esprit où la flagornerie côtoie la prétention, pour finir en ridicule, a parfois cours dans notre propre organisation... Untel a eu un prix en linguistique, un autre a écrit un livre bateau ou réalisé un film, un troisième descend d’un compagnon illustre, et les voilà propulsés sur le devant de nos publications avec titres honorifiques à la clé. Les Vignoles, en leur temps, ont eu le ridicule d’annoncer en première page de leur journal l’adhésion d’un auteur de romans policiers de série Z et d’un dessinateur très moyen de Charlie Hebdo. Comme si ces adhésions avaient plus d’importance que d’autres.
Pour ma part, même s’ils s’étaient appelés Michel Ange ou Victor Hugo, j’aurais trouvé cela déplacé dans une organisation qui réclame l’égalité.
Maintenant, ce sont Halimi ou Chomsky que certains d’entre nous transforment en adhérants virtuels, voire en porte-parole de l’anarcho-syndicalisme. Si respectables soient-ils, ces hommes n’en sont pas moins, comme nous tous, imparfaits, et il est dangereux de les investir d’un pouvoir intellectuel par délégation. Cela est d’autant plus étonnant que cette absence d’esprit critique vis-à-vis des gens, qui somme toute ne sont pas des compagnons et qui ne participent donc pas à la vie confédérale (et à ses vicissitudes), se double à l’égard des compagnons militants, qui eux paient de leur personne, d’accusations de prise de pouvoir... par domination intellectuelle.
Pense-t-on réellement qu’après avoir bien écrit que Chomsky ou Halimi sont des anarcho-syndicalistes, qu’après les avoir bien flattés, ils attendront pour s’exprimer publiquement le mandat d’un congrès, d’un C.C.N. ou d’une simple assemblée de militants ? Non, car ce sont des intellectuels professionnels qui par essence, et cela est leur droit, sont indépendants de toute pensée collective, et qui bien souvent, hélas, auront une trop haute idée d’eux-mêmes pour s’y confronter.
Le danger est là : en nous réclamant d’eux, nous nous lions à leurs actes. Ils auront toujours les moyens de faire et dire ce que nous pensons, certes, mais ils auront aussi quelquefois celui de faire et dire ce que nous ne pensons pas. Rien de plus éloigné du pacte associatif qui est le nôtre.
La C.N.T. à parfois souffert par le passé de ce type de dérives où le culte de la personnalité prenait le pas sur la défense des idées mais, cette fois, ce n est pas dans des circonstances exceptionnelles, comme une révolution ou un coup d’état fasciste, que cela se passe. Nous vivons au contraire à une époque dans laquelle nous pouvons agir avec un minimum de cohérence.
La C.N.T. doit choisir sa voie entre une organisation de masse libertaire et égalitaire ou un cénacle de sociologues byzantins, d’étudiants éternels et d’exégètes de bouquins à la mode.
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