Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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III. Une longue reconstruction (1973-début des années 90)

jeudi 19 octobre 2006

Étudier la reconstruction de la C.N.T. permet de connaître le parcours de quelques militants, une vingtaine, qui se sont obstinés à remettre sur pied une organisation devenue quasi-inexistante. Cette tâche, loin d’être aisée, aboutira à la construction d’un courant anarcho-syndicaliste organisé au sein de ce qu’on appelle les nouveaux mouvements sociaux. Cependant, ce développement ne se fit pas sans divisions, les problèmes tant théoriques que pratiques conduisant à une scission.

1- Un modèle de développement : l’interprofessionnel

La renaissance de la C.N.T. ne se fit pas par la création de sections syndicales sur les lieux de travail. Pendant quelques années, elle n’eut aucune base syndicale. La priorité était en réalité de consolider et de multiplier des noyaux de militants dans les villes, à partir desquels des créations de sections syndicales pourraient alors être envisagées. Il fallait donc dans un premier temps se lancer à la conquête des villes.

a) Évolution de l’implantation géographique

La reconstruction de la C.N.T. dans les années soixante-dix, se traduit tout d’abord par une volonté de développer les unions locales correspondant essentiellement à des noyaux de militants. Au lendemain du congrès de 1973 tenu à Paris, la C.N.T. ne comptait que six U.L. qui fonctionnaient réellement : Toulouse, Paris, Bordeaux, Marseille, Perpignan et Lyon. Il faut cependant nuancer le terme utilisé par l’organisation lorsqu’elle parle d’Unions Locales. Il ne s’agit pas d’unions qui regroupent les différents syndicats des villes, mais de noyaux de militants. Il peut arriver que des syndicats existent, comme à Toulouse où l’on trouve un syndicat du bâtiment, mais celui-ci n’était animé que par un militant, Joseph Vincent. Ces syndicats sont le plus souvent des structures sans fonctionnement réel et qui correspondent simplement aux professions des différents militants du noyau C.N.T. de telle ou telle ville. Cette situation amène à constituer des syndicats interprofessionnels permettant le regroupement de militants isolés sur leur lieu de travail [1].

Ce sont ces noyaux que la C.N.T. s’efforce de multiplier. Par le biais de contacts, le plus souvent des individus isolés dans leurs villes, la C.N.T. parvient à mettre en place des groupes de militants dans des villes où elle était jusque-là absente. Lors du XVème congrès de l’A.I.T. qui se tient à Paris en 1975, le représentant de la C.N.T. explique de cette façon leur manière de se développer : “Cette section (la C.N.T.F.) reprend un peu “du poil de la bête” depuis quatre ans. Dans certaines régions, les contacts d’abord individuels ont donné naissance à des groupes, puis à des U.L. Notre activité est de structurer, d’implanter des U.L. Ainsi, si il y a 5 ans, seules six U.L. fonctionnaient réellement, ce sont aujourd’hui quinze qui travaillent” [2].

Si la C.N.T. s’implante dans de plus en plus de villes, certaines sections ont toutefois une existence éphémère. Prenons l’exemple de Tarascon qui apparaît lors du congrès de 1979. Cette section ne réapparaît plus par la suite, alors que dans son compte-rendu d’activité elle déclarait pourtant avoir une douzaine de militants. Entre 1979 et 1981, des sections ont également été créées comme à Troyes, Nogent-le-Rotrou, Bonneville, Cannes, pour disparaître rapidement, puisqu’au congrès de 1981 le B.C. déclare ne plus avoir de nouvelles de ces sections. Dans le cas où elles ne disparaissent pas totalement, leur existence reste fragile. C’est notamment le cas de la section de La Rochelle qui apparaît en 1979. Mais du fait des difficultés d’implantation, elle ne réapparaît qu’en 1985. L’implantation par le biais de noyaux de militants connaît donc certaines limites.

Géographiquement, la C.N.T. se développe essentiellement dans la région parisienne, où l’on voit des sections apparaître dans les départements de l’Ile de France. Dans les années soixante-dix, la C.N.T., dans cette région, n’existait qu’à Paris avec un local situé rue de la Tour d’Auvergne. Après un conflit entre militants, la C.N.T. de Paris se divisa en deux, avec une section à Saint-Ouen, et l’autre rue de la Tour d’Auvergne. La section de Saint-Ouen s’installa rapidement au local de la C.N.T.E. en exil au 33, rue des Vignoles, qui restera le local de la C.N.T. de Paris, mais aussi le siège de la C.N.T. La C.N.T. basée rue de la Tour d’Auvergne fut exclue en 1977 [3]. Dans les années quatre-vingt, deux sections émergent à Choisy et à Plaisir. Entre 1989 et 1991, le mouvement s’accélère et la région parisienne compte huit sections.

Le bilan de l’implantation, malgré ces difficultés, reste positif. Alors qu’en 1973, la C.N.T. n’existe que dans 12 villes [4], en 1991 elle est implantée dans 30 villes ou départements et compte 26 syndicats professionnels avec une activité syndicale réelle, contrairement à 1973, où les syndicats étaient des structures fantômes. A la fin des années quatre-vingt, les sections qui se créent ne sont plus éphémères. Même si elles sont faibles en effectifs, elles maintiennent leur existence. Si entre 1973 et 1987 les noyaux de militants n’ont pas toujours donné lieu à de réelles implantations, c’est à dire à des sections qui se pérennisent, à partir du congrès de 1987, celles qui se créent ont une existence durable.

En terme d’effectifs, ce développement correspond à celui d’un groupuscule. En juillet 1978, à partir d’un rapport de la trésorerie confédérale qui fait état du nombre de cartes demandées par les U.L., on arrive à un total de 178 cartes. Ce nombre est donc le maximum que l’on puisse envisager dans la mesure où les commandes sont parfois supérieures à la réalité, dans l’espoir de voir arriver de nouveaux adhérents. Quand une U.L. ne demande qu’une carte [5] ou deux d’adhésion, le terme de “ noyau ” semble plus approprié pour qualifier le groupe. Il faut cependant souligner qu’une U.L. telle que Arles qui ne commande qu’une carte consolide au fil des années son implantation avec une section dans une entreprise de transports qui remporte les élections de délégués du personnel avec 85%. En revanche, lorsqu’une section telle que Grenoble commande à la trésorerie confédérale quinze cartes, cela relève du pur fantasme puisque cette U.L. disparaît rapidement pour ne réapparaître qu’à la fin des années quatre-vingt. On peut enfin remarquer à partir de ce tableau que les villes de Bordeaux, Paris et Toulouse restent les bastions historiques de la C.N.T. Ce sont en effet les trois villes où la C.N.T. n’a jamais réellement cessé d’exister [6]. Le nombre de 178 adhérents ne correspond pas à la réalité : le congrès de 1981 permet de faire une autre estimation. A partir des comptes-rendus d’activité, la C.N.T. semblerait compter environ 110 adhérents. Or, la section de Lille avance le nombre de 200 militants. On constate qu’il est bien difficile d’évaluer précisément ces effectifs. Ainsi, afin d’avoir une idée de l’état de la C.N.T. à la fin des années soixante-dix, début quatre-vingt, nous nous limiterons à une estimation d’environ 150 adhérents. Ce nombre aussi ridicule soit-il, n’en traduit pas moins une nette progression de l’organisation si on le compare à celui de 1973.

Durant les années quatre-vingt, l’organisation continue de progresser. Elle ne parvint pas cependant à dépasser son stade groupusculaire. Au moment de la scission, en 1993, il est peu probable qu’elle dépasse le millier d’adhérents. Il ne faut donc pas tenir compte de l’article paru dans la revue Liaisons sociales du 19 novembre 1992. Dans cet article, nous pouvons lire : “Aujourd’hui, la C.N.T. estime à 3000 le nombre de ses adhérents et déclare ne pas connaître de crise du militantisme”. Ce chiffre avancé par des dirigeants de la C.N.T. de Paris est grossièrement gonflé et suscite même de vives critiques de la part d’U.L. [7]. En effet, au moment de la scission, la C.N.T. encore unifiée devait compter un peu plus de 500 adhérents [8] dont une bonne partie dans la région parisienne qui connut un développement plus important que les autres U.L.

Afin de consolider et de développer ces sections, le travail effectué par les militants relève parfois plus de celui d’une organisation politique, c’est à dire qu’il s’inscrit dans une vision idéologique avec des prises de positions politiques, dépassant le cadre syndical de l’économie, à savoir l’entreprise.

b) La C.N.T. : un “syndicat-parti” [9] ?

La base de la C.N.T. est très souvent le syndicat interprofessionnel, appelé "l’interco" [10], et non la section d’entreprise. Son développement repose donc très peu sur ses activités syndicales [11]. L’originalité de la C.N.T. tient à sa dimension inter-professionnelle. Les activités des syndicats interprofessionnels consistent essentiellement à un travail de propagande : collages d’affiches, ventes du journal et parfois la parution de journaux propres aux intercos de certaines villes. Lille faisait paraître Action Directe, Paris Catacombes, et Toulouse La Castagne [12]. Ce travail de propagande abordait des thèmes souvent plus proches du politique que du syndicalisme. La C.N.T. ne se limite pas aux problèmes liés aux lieux de production. Elle traite en effet des problèmes de société tels que le chômage et la précarité, le racisme, l’antimilitarisme. A maintes reprises, elle participe à des mouvements relatifs à ces thèmes. Cette participation est bien entendue proportionnelle à son niveau de développement. Ainsi, en 1983, elle mène une campagne anti-militariste contre le protocole Hernu-Savary. En 1984, elle sort tout un matériel de propagande (autocollants, affiches, nombreux articles dans le C.S.) contre les T.U.C. (Travaux d’Utilité Collectifs) en dénonçant le caractère précaire de ces contrats. Mais la participation de la C.N.T. à divers mouvement commence surtout à partir des années quatre-vingt-dix. En janvier 1991, la C.N.T. se mobilise pour lutter contre la guerre du Golfe. Outre la présence de cortège C.N.T. dans les manifestations, elle participe également aux assemblées générales et aux quelques grèves qui ont eu lieu parfois dans le public, notamment dans les centres de tri de Lyon et de Bordeaux où des militants de la C.N.T. prirent la parole “pour expliquer la portée sociale et anti-militariste de la grève” [13]. Elle est d’ailleurs certainement la seule organisation syndicale à appeler à la grève générale, tout en étant consciente que l’écho de cet appel sera insignifiant. En 1992, c’est au cours des manifestations contre le Front National [14] que se forment des cortèges rouges et noirs. Ceux-ci se manifestent à nouveau lors des grandes manifestations pour la laïcité en 1993. En 1994, la C.N.T. participe à la manifestation nationale contre le chômage.

La participation de la C.N.T. à tous ces mouvements en tant que structure interprofessionnelle, si elle est volontairement la base de la C.N.T. pour certaines U.L., cela ne doit pas en revanche cacher une réalité, à savoir la difficulté pour les militants de développer des sections syndicales.

Il ne faut pas pour autant réduire la C.N.T. à un simple groupe idéologique qui se limiterait à brandir le drapeau rouge et noir de l’anarcho-syndicalisme, et cela sans réalité syndicale. En effet, à partir des syndicats interprofessionnels, des sections d’entreprises vont se créer. L’intérêt des interprofessionnels est de consolider une base militante avant que les effectifs ne se dispersent dans leurs sections professionnelles. La C.N.T. n’est donc pas seulement une composante du mouvement anarchiste français, elle est aussi une composante du syndicalisme français. Elle s’est toujours efforcée d’affirmer son identité syndicale, sans renier pour autant son affiliation à l’anarchisme. La fin des années soixante et le début des années quatre-vingt correspond en effet à une orientation syndicaliste ; orientation qui, comme nous allons le voir, connaît quelques succès mais aussi des limites.

2- La C.N.T., une organisation syndicale

a - L’affirmation de l’identité syndicale

Il faut avant tout souligner que la C.N.T. bénéficie de peu de sympathie au sein du milieu libertaire. Quand celui-ci n’est pas anti-syndicaliste, il est hostile à la C.N.T. considérée comme un groupe idéologique et non pas comme une organisation syndicale. Dans les années soixante-dix, les libertaires préférèrent rester dans leurs centrales traditionnelles, C.G.T. et F.O., ou, phénomène nouveau à partir de mai 68, entrent en grand nombre à la C.F.D.T. A cette période, les discours d’Edmond Maire sur l’autogestion attiraient beaucoup d’anarchistes (et également des trotskistes de tendance L.C.R.). La C.F.D.T. était donc devenue la centrale idéale aux yeux d’une grande partie de la génération de mai 68, avec laquelle il était difficile pour la C.N.T. de rivaliser. Celle-ci, lassée des critiques adressées par le milieu libertaire, veut prouver qu’il est possible de faire du syndicalisme à la C.N.T.

La première étape de cette orientation syndicaliste, c’est la campagne contre les élections prud’homales en 1979 [15]. Cette campagne de boycott repositionne en effet la C.N.T. comme une organisation syndicale française et non plus comme une annexe de la C.N.T. espagnole [16]. Ce repositionnement ne trouve cependant d’écho qu’au sein du mouvement libertaire [17] et il ne s’agit là que d’une activité de propagande.

L’orientation syndicaliste ne se concrétise réellement qu’à Bordeaux, en 1982 et 1983. Pendant ces deux années, l’U.L. de Bordeaux connaît quatre conflits pendant lesquels les syndicats C.N.T. jouent un rôle important. Le premier conflit eut lieu dans une entreprise du bâtiment. Pendant ce conflit, la C.N.T. force la C.G.T. à accepter que les délégués soient élus en assemblées générales. La plupart de ces délégués sont des adhérents de la C.N.T. Ce conflit aura permis à la C.N.T. d’avoir une influence au sein de l’entreprise. Cette influence se manifeste lors des élections au comité d’entreprise qui eurent lieu après le conflit. En effet, la C.N.T. est le seul syndicat à appeler au boycott de ces élections, appel qui eut un écho dans la mesure où le taux d’abstention fut de 75% dans toute l’entreprise et de 100% là où la C.N.T. était présente [18]. Le second conflit fut celui des cinémas Concorde de Bordeaux dans lesquels la C.N.T. mena une grève assez dure avec boycott des cinémas. Autre grève à laquelle participa la C.N.T., celle de l’usine S.A.F.T. (métallurgie). Le syndicat de cette usine n’étant pas reconnu par la direction, il du pour pouvoir bénéficier des droits syndicaux (panneaux d’affichage, présence du délégué syndical aux réunions du comité d’entreprise) se présenter aux élections des délégués du personnel. Mais le principal conflit reste celui de la clinique des Orangers en 1983. Cette grève, si elle n’a rien de particulier en soi constitue cependant un symbole fort pour la C.N.T. puisque, étant le seul syndicat, c’est elle qui mène le conflit. Ce conflit a été porté au niveau de toute l’organisation et ne s’est pas limité à l’U.L. de Bordeaux. Il a mobilisé beaucoup de force militante [19]. A travers cette grève, la C.N.T. rencontre une certaine sympathie sur le plan local, puisqu’elle voit l’adhésion d’ambulanciers également en grève et qui étaient à la C.G.T. Ces adhésions sont importantes dans la mesure où il ne s’agit pas d’anarchistes qui rejoignent la C.N.T., mais de syndicalistes qui quittent la C.G.T. pour la C.N.T. C’est ce type d’adhésion, non idéologique, qui confirme l’identité syndicaliste de la C.N.T. L’utilisation maximale du conflit, au niveau national, eut un impact positif au sein du milieu libertaire. A la suite de ces deux années d’intense activité à Bordeaux [20], la C.N.T. n’était plus un simple groupuscule d’idéologues anarcho-syndicalistes et pouvait dès lors se faire reconnaître en tant que syndicat.

Mais ces conflits, sur le plan national, n’ont eu une importance que symbolique. Ils n’ont pas aboutit à une réelle implantation syndicale. L’implantation dans le privé est ainsi suspendue pendant quelques années. Le public constitue quant à lui l’occasion de devenir une organisation syndicale.

b) Le secteur public : un tremplin pour la C.N.T.

Le secteur public correspond en effet beaucoup plus à un fief d’implantation que le privé. Le syndicalisme bénéficiant d’une tolérance plus large dans le public que dans le privé, la C.N.T. eut plus de facilité à s’exprimer.

C’est l’éducation qui fut le premier secteur professionnel où la C.N.T. parvint à s’implanter. Le syndicat de l’éducation de Toulouse avait déjà commencé à publier en février 1979 Le Courrier de l’éducation libertaire. Ce journal devait servir à l’origine à maintenir une liaison entre des enseignants de Toulouse, Tarbes et Montauban réunis lors d’une réunion. Mais Le Courrier de l’éducation libertaire est très vite devenu un journal s’adressant non pas seulement aux cénétistes mais “à tous les autres libertaires du secteur éducation”. Entre 1979 et 1981, le tirage de ce journal passe de cent à six cent exemplaires. Outre ce journal qui ne concerne que le syndicat de l’éducation de Toulouse, la C.N.T. connaît une forte activité dans ce secteur entre 1980 et 1982. Au Havre et à Lille, elle participe en 1980 à la grève des M.I./S.E. (Maîtres d’Internat/Surveillants Externes) et des instituteurs. A Toulouse, en plus de l’activité de propagande, le syndicat participe “activement” à la grève des éducateurs spécialisés à travers une intersyndicale C.G.T./C.F.D.T./C.N.T. et une coordination des éducateurs en formation sur le plan national. En 1981 et 1982, la C.N.T. poursuit son orientation syndicale. En effet, la réforme de la fonction publique avec les lois Auroux permet à la C.N.T. de développer un discours syndicaliste contre l’intégration du syndicalisme, et d’apparaître ainsi comme une organisation syndicale dans l’éducation. La C.N.T. connaît alors de nouvelles adhésions dans ce secteur, mais qui restent cependant très faibles. Les sections dans le secteur de l’éducation se multiplient peu à peu dans la première moitié des années quatre-vingt, mais semble connaître un recul par la suite. L’implantation de la C.N.T. dans l’éducation semble s’être soldée par un échec dans cette première moitié des années quatre-vingt. En effet, quand ces syndicats ne disparaissent pas [21], ils se réorganisent souvent en structures plus larges, les syndicats Santé-Social-Education (S.S.E.), ce qui révèle leur faiblesse.

En revanche, le nombre de ces syndicats S.S.E. progresse quelque peu au début des années quatre-vingt-dix, donnant lieu en mars 1992 à la création d’une fédération S.S.E. Lors de la constitution de cette fédération, seulement cinq syndicats S.S.E. ou liés à l’éducation étaient présents. La création de cette fédération traduit la volonté pour la C.N.T. de se structurer selon le schéma traditionnel d’une confédération syndicale [22] et donc d’affirmer encore une fois son identité syndicale. Cette structure, qui certes traduit le développement de l’organisation mais dans le même temps un signe de faiblesse, n’en reste pas moins originale dans la mesure où elle fédère des syndicats qui n’ont parfois pas grand chose en commun.

La C.N.T. poursuit cependant son développement dans le domaine de l’éducation. Quelques syndicats d’enseignants se créent, mais la nouveauté réside surtout dans l’organisation des étudiants au sein de la C.N.T. Si les statuts avaient envisagé l’organisation des jeunes au sein de la C.N.T. avec la constitution de Jeunesses Syndicalistes Révolutionnaires comme cela avait été le cas à la fin des années soixante, la possibilité de créer des syndicats étudiants n’avait pas été posée [23]. C’est à Caen qu’une structure étudiante apparaît pour la première fois en 1991 sous le nom de Coordination Libertaire Etudiante, mais elle se limite à cette ville. C’est l’année suivante que l’implantation de la C.N.T. dans l’éducation à travers les jeunes se confirme avec la création en juin 1992 de la F.A.U. (Formation Action Universitaire) [24]. A ses débuts, ce syndicat n’existe que dans la région parisienne et est surtout présent à l’université de Paris X (Nanterre). La F.A.U. est partie prenante du syndicat des travailleurs de l’éducation de la région parisienne. Dans sa plate-forme [25], la F.A.U. se positionne aux “antipodes du corporatisme universitaire” et a entre autres pour but “de faire le lien entre le monde du travail et de l’éducation”. Elle se refuse à être “un syndicat étudiant corporatiste et jamais elle ne limitera son action au seul créneau de l’enseignement”. Ce syndicat connaît quelques activités lors de la lutte contre les expulsés de Vincennes et lors des manifestations contre le C.I.P. en 1993. Son implantation reste cependant localisée et il faut attendre le mouvement de novembre-décembre 1995 pour qu’elle devienne une composante non négligeable du paysage syndical étudiant.

A l’inverse de l’éducation, la C.N.T. connaît un développement croissant et continu dans le secteur des P.T.T. Les P.T.T. peuvent en effet être considérés comme le principal fer de lance pour la C.N.T. Ce secteur représente à partir du milieu des années quatre-vingts un fort potentiel de développement syndical pour la C.N.T., comme cela a été le cas pour la C.F.T.C. ou pour F.O., et comme ça le sera par la suite pour S.U.D. Il est cependant plus réaliste de comparer la situation de la C.N.T. à celle que connaît dans le même temps le S.U.D.-P.T.T. Le fait que ces deux organisations syndicales connaissent un développement dans les P.T.T. tient certainement à la présence d’une extrême-gauche (trotskistes de la L.C.R. ou anarchistes) dans ce secteur. Dans les P.T.T., cette extrême-gauche était organisée essentiellement à la C.F.D.T. pour les raisons que nous avons vues précédemment. Si ce sont des anciens de la C.F.D.T. qui créent S.U.D.-P.T.T. [26], ce sont également, pour une bonne partie, des anciens de la C.F.D.T. qui renforcent la C.N.T.-P.T.T. Le secteur des P.T.T. est ainsi l’illustration et la scène d’une recomposition syndicale par l’action de militants issus de l’extrême-gauche [27].

Le développement de la C.N.T. dans les P.T.T. ne devient réel qu’à la fin des années quatre-vingts. Son implantation auparavant était limitée à Paris, alors seule ville à posséder un syndicat dans les P.T.T. Puis, en 1987, après la création un an plus tôt de la fédération P.T.T., on compte cinq syndicats C.N.T.-P.T.T. Lors du congrès de 1991, onze syndicats P.T.T. sont recensés dont trois pour la région parisienne. Le secteur des P.T.T. constitue alors le principal lieu d’implantation de la C.N.T. A en croire un texte d’un militant des P.T.T., “le secteur P.T.T. représente environ 1/3 de la confédération en adhérent(e)s” [28]. Afin de comprendre l’importance des P.T.T. dans certaines localités, il est intéressant de s’arrêter sur l’exemple lyonnais qui illustre le développement de la C.N.T. Si dans de nombreuses villes, c’est le modèle interprofessionnel qui a prévalu pour se développer, à Lyon c’est le schéma inverse qui s’est réalisé [29]. Après leur exclusion de la C.F.D.T. en 1977, des travailleurs des P.T.T. créent en 1978 un Syndicat Autogestionnaire des Travailleurs (S.A.T.). Mais, en 1985, ce syndicat ouvertement anarcho-syndicaliste qui regroupa jusqu’à soixante adhérents fut dissout suite à sa non-reconnaissance juridique. Sept anciens adhérents de ce syndicat décident alors de créer une C.N.T.-P.T.T. Ce syndicat implanté dans un centre de tri de Lyon, celui de Montrochet, connaît un développement lors des grèves de novembre 1987 contre le projet de Longuet visant la privatisation des télécoms et de la poste. La C.N.T. anime une grève de 12 jours dans ce centre de tri, ce qui lui vaut la sympathie de nombreux travailleurs, notamment à cause de l’attitude des autres syndicats qui mettaient en grève les autres centres de tri un à un. Le deuxième moment fort pour ce syndicat est la fermeture du centre de tri de Montrochet en octobre 1993. La C.N.T. lance alors une grève qui dura un mois avec occupation des locaux. Le syndicat C.N.T.-P.T.T. de Lyon poursuit son travail également en-dehors des P.T.T. en maintenant une présence dans les manifestations d’ordre politique, notamment contre la guerre du Golfe. Cette participation aux manifestations générales qui facilitent la propagande connaît un succès en 1994 lorsque cinq personnes décidèrent de créer un syndicat interprofessionnel. Le développement de la C.N.T. lyonnaise trouve ainsi son origine dans la C.N.T.-P.T.T.

La C.N.T. a donc connu un développement dans le secteur public et principalement dans les P.T.T. Cependant, la C.N.T. est encore loin de peser sur le champ syndical. Si au cours des années quatre-vingts, la C.N.T. a voulu prouver qu’il était possible de faire du syndicalisme dans son organisation, cette orientation n’est plus pour certains syndicats la priorité. Le désir de construire une organisation selon les structures traditionnelles du syndicalisme (sections syndicales, fédérations) est remis en cause.

AUTRES CHAPITRES :

La CNT-AIT, une histoire à écrire http://cnt-ait.info/article.php3?id...

I. Une courte apogée (1945 - années 1950) http://cnt-ait.info/article.php3?id...

II. L’isolement de la C.N.T. (années 1950-1973) http://cnt-ait.info/article.php3?id...

En Résumé http://cnt-ait.info/article.php3?id...


[1] Il faut noter que lors des congrès, aux côtés des syndicats interprofessionnels qui prennent part aux votes, les sections syndicales comme le S.U.B. de Toulouse votent également. Autrement dit, les militants qui votent pour le syndicat interprofessionnel sont les mêmes qui votent pour les sections syndicales. Un militant adhère donc parfois à deux syndicat : le syndicat interprofessionnel et au syndicat correspondant à sa profession (quand celui-ci existe, car les militants ne créent pas systématiquement un syndicat fantôme sur leur lieu de travail).

[2] Compte-rendu du XVème congrès de l’A.I.T.

[3] Le groupe basé rue de la Tour d’Auvergne a continué son activité sous le nom de CNT 2ème UR. Il a fusionné avec la CNT-AIT en mars 2006.

[4] Sur ces douze villes, elle cesse d’exister dans certaines d’entre elles comme Lorient et Pau pour y réapparaître plus tard.

[5] Attention, cela ne signifie pas qu’il n’y ait qu’un seul militant, même si cette situation se retrouve parfois.

[6] La quatrième ville où cette continuité s’observe également et qui ne figurait pas dans le rapport de la trésorerie confédérale, c’est Marseille

[7] Ce gonflement des effectifs s’observe à nouveaux dans un article du Monde, où la C.N.T.-Vignoles avance le nombre de 3 000, cf. Le Monde du 7 août 1999. Ces chiffres sont totalement mensongers. A l’époque où ces articles sont parus, il est plus réaliste d’évaluer les effectifs de la C.N.T.-Vignoles entre 1000 et 1500 adhérents. Le cortège de la C.N.T. à Paris, à l’occasion du 1er mai 2000, certes imposant (supérieur à celui de la C.G.T.) donne l’illusion d’une importante organisation. Or, ce cortège était composé de nombreux sympathisants, de militants de syndicats étrangers tels que la C.G.T. espagnole et la S.A.C. suédoise. De plus, le fait de doter un grand nombre de militants de banderoles et de drapeaux rouges et noirs donne l’impression d’une foule compacte et d’une forte densité.

[8] Estimation de militants.

[9] Cette formulation est celle BROCHIER Jean-Luc et DELOUCHE Hervé. Les nouveaux sans-culottes. Enquête sur l’extrême-gauche. Grasset, 2000. 286 p.

[10] Abréviation de syndicat inter-corporatif.

[11] Nous entendons par là, les activités réalisées dans les entreprises, sur le lieu de travail.

[12] Ces journaux étaient des suppléments à Espoir et n’ont pas connu une longue vie. A partir de la fin des années quatre-vingt, on voit renaître des journaux régionaux : Guerre sociale publié par la C.N.T. Doubs ; La lettre du C.D.E.S. par Toulouse ; Il vit souvent la nuit (faisant allusion au chat noir) par la C.N.T. Pau.

[13] Le Combat syndicaliste, n°108, janvier 1991. La C.N.T. n’est cependant pas la seule organisation syndicale à s’être mobilisée.

[14] Ces manifestations anti-F.N. rassemblant souvent un grand nombre de jeunes, on peut se demander si la participation de la C.N.T. à celles-ci ne lui aurait pas facilité la venue des jeunes.

[15] La C.N.T. lance à nouveau cette campagne lors des élections prud’homales suivantes (1983, 1987, 1991). Le slogan de ces campagnes est que “les prud’hommes ne défendent pas les travailleurs, ils les jugent”.

[16] Cette situation cessa à la mort de Franco, lorsque la C.N.T. espagnole redevient une organisation légale.

[17] D’après des militants, la F.A. aurait tenté de freiner cet écho, dans la mesure où la C.N.T. était quasiment boycottée sur Radio-Libertaire.

[18] Ces chiffres sont donnés par l’U.L. de Bordeaux à l’occasion du congrès de 1987.

[19] Des militants de Toulouse se sont rendus une semaine sur les lieux de la grève pour soutenir les infirmières.

[20] Nous ne faisons ici qu’énumérer les différents conflits. Ces mouvements se sont accompagnés par la suite d’une forte répression patronale (procès, licenciements). L’U.L. de Bordeaux tira un bilan assez critique de ces deux années de conflits. Compte-rendu d’activités des syndicats pour le 18ème congrès confédéral.

[21] Dans des villes comme Troyes et Nogent-le-Rotrou, nouveaux lieux d’implantation de la C.N.T., ces nouveaux adhérents se sont immédiatement organisés en syndicat de l’éducation et ce sans base militante. Leur existence fut alors éphémère (deux, trois ans).

[22] Nous verrons que cette structuration ne fait pas l’unanimité au sein de la C.N.T. et qu’elle est un des objets de la division qui donna lieu à la scission.

[23] L’existence de syndicat étudiant au sein d’une organisation syndicale constitue une nouveauté. Il existera par la suite des syndicats S.U.D. étudiant, mais S.U.D. n’étant pas une confédération, la C.N.T. reste la seule confédération à organiser en son sein des étudiants.

[24] Bien que la F.A.U. a entre autre pour but de regrouper “les étudiants, les I.A.T.O.S.S., les professeurs...” (plate-forme), sa composante est essentiellement étudiante.

[25] Cette plate-forme est publiée dans le Combat syndicaliste, n°124, juin 1992.

[26] Anciens de la C.F.D.T. mais aussi pour certains d’entre eux des membres de la L.C.R. comme Christophe Aguiton.

[27] Ce constat ne signifie pas pour autant que S.U.D.-P.T.T. et C.N.T.-P.T.T. sont identiques sur le plan idéologique ou syndical. Au contraire, leurs pratiques syndicales telle que se présenter ou non aux élections des commissions administratives paritaires suffisent à les différencier.

[28] Alternative syndicaliste, n°2, octobre 1992. Nous tenons à émettre une hypothèse qui nous semble intéressante. En 1989, au moment où S.U.D.-P.T.T. se crée, les deux organisations qui représentent une sorte de gauche du syndicalisme sont assez concurrentes, S.U.D. ne pouvant prévoir le succès qu’il aura plus tard. Si la C.N.T.-P.T.T. s’était présentée aux élections des C.A.P., il aurait été probable qu’elle vole la vedette à S.U.D. ou du moins qu’elle se montre embarrassante pour le développement de ce dernier. Cette idée a certainement dû traverser l’esprit des dirigeants de S.U.D.-P.T.T. D’où, peut-être, l’intérêt d’envisager le regroupement des deux organisations au sein d’un syndicat plus large.

[29] D’après l’article de BEN. “histoire de l’anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire à Lyon de 1971 à 1999”, in La Griffe, n°17, juin 2000. pp. 11-14 et des militants de la C.N.T.-P.T.T. de Lyon.


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