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mercredi 10 décembre 2003

Joie, "partage", "multiplication des pains par Jésus", "aspersion rituelle de sel", "nos églises", "premiers chrétiens", "soir de Noël", "référence à la Trinité", "Pâques" … j’arrête là les citations, mais il y en a eu comme ça un bon paquet. Non, je n’étais ni à la messe ni à confesse. Il s’agissait d’une réunion officielle à laquelle m’avait expédiée mon employeur. Ces propos sirupeux de cucuterie bien-pensante étaient ceux des représentants du "Gouvernement de la république", venus apprendre aux pauvres à manger comme il faut ...

Ce prêche constituait en effet la présentation de l’indigeste programme "Alimentation et insertion" [1] du "Secrétariat d’État à la lutte contre la précarité et l’exclusion" (riez pas, ce machin existe vraiment) en tournée missionnaire en province [2].

A un moment où le pouvoir en fait des tonnes sur la laïcité dans les écoles, on se dit qu’il pourrait commencer par lui-même ! Un grand bain de laïcité dans les cabinets ministériels ferait assurément le plus grand bien et ça nous aurait fait échapper à l’ambiance de constipation générale qui régnait dans la salle. Une salle où il n’y avait pas le moindre miséreux puisque le sous-ministère entendait s’adresser aux militants caritatifs et à leurs employés. Il venait leur présenter les supports de communication de cette campagne grandiose : "Un grand calendrier à afficher dans les locaux des associations" et un "calendrier en format réduit" pour les pauvres. On allait quand même pas leur en donner un grand ! Quant aux cinq rations quotidiennes de fruits et légumes recommandées par le même ministère [3], les pauvres pourront toujours les regarder sur les photos du calendrier, mais certainement pas se les acheter, vu les coupes sombres dans les budgets sociaux.

Outre le calendrier, les penseurs du ministère ont présenté une autre opération géniale : "1 resto pour 2". Au-delà de l’idée simplette d’offrir un repas au restaurant à une "personne en voie de réinsertion sociale" accompagnée de quelqu’un -une seule fois dans sa vie, faut pas exagérer non plus-, ce qui est franchement génial, plein d’humanité et de simplicité administrative, c’est l’organisation prévue : "L’UMIH (Union des Métiers de l’Industrie de l’Hôtellerie) adresse une liste des restaurateurs partenaires répertoriés par département au Secrétariat d’État. Le Secrétariat d’État et la DGAS (Direction Générale des Affaires Sociales) diffusent la liste des restaurateurs partenaires aux DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales). La DDASS répartie ces invitations par CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale). Le CHRS confie les invitations à un travailleur social. Le travailleur social réserve par téléphone et fax la table auprès des restaurateurs. Le restaurateur reçoit le client et son invité. A la fin du repas, le client signe symboliquement la note. Le restaurateur prend contact avec le travailleur social pour lui faire part de ses observations, en lui faxant le formulaire imprimé de l’invitation. Le travailleur social rend compte à l’équipe pédagogique du CHRS. Le CHRS fait un rapport d’évaluation à la DDASS". Après ça, la DDASS remonte bien entendu ces informations capitales à la DGAS. La DGAS rend compte au Secrétariat d’Etat. Ouf !

Mais, ce n’est pas tout. Si ce qui précède ne vous a pas coupé l’appétit, le "Formulaire d’invitation" que le restaurateur remplira pour chaque convive a de quoi vous rendre définitivement anorexique !

Quand les pauvres boufferont, le gargotier notera leur ponctualité ou s’ils se grattent le nez entre deux plats, ou encore s’ils parlent politique pendant le repas. Tout ça au nom du "respect de la dignité de chacun" dont causent les curés de Raffarin dans la Charte qu’ils nous ont distribuée ! Au fait, savez-vous qui ils ont trouvé comme principal partenaire de cette opération ? Le groupe ACCOR [4] qui "offre des couverts" … avec le même respect qu’il "offre" ses chambres d’hôtel au gouvernement lorsqu’il expulse des centaines de sans-papiers. La sous-ministre peut dormir tranquille : avec ACCOR les "Formulaires d’invitation" seront bien remplis !

# Lolita Negra

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Formulaire Invitation
Nom du restaurant :....................
Nom et prénom (du convive) :.....
Jour : .................. heure : ..........
Points forts et points faibles :
Réservation : respectée, non respectée (personnes non venues)
Ponctualité : respectée, non respectée (gros retard)
Supplément : lesquels ? ...........
Observations complémentaires : ......................................................................................................

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[1] Ministère des affaires sociales du travail et de la solidarité. Secrétariat d’État à la lutte contre la précarité et l’exclusion. Circulaire du 30 septembre 2003 adressée aux Préfets.

[2] Toulouse, Bordeaux, Rennes, Lille, Marseille, Lyon et Strasbourg.

[3] Dans le "Plan National Nutrition Santé". Il s’agit des préconisations minimales pour toute la population.

[4] Cette circulaire pourrait s’appeler la "Circulaire ACCOR". Elle se gêne pas pour faire la promotion de ce groupe : son sigle n’y apparaît pas moins de quatre fois (ce qui constitue sûrement un record dans un texte officiel).

CNT-AIT


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