Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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TOULOUSE 8 AOUT 2001 : UN BIEN ETRANGE PROCES

samedi 20 octobre 2001

AVERTISSEMENT

La loi n’autorise pas l’enregistrement des procès par un magnétophone ou une caméra.

Le texte qui de l’audience a donc été établi d’après des notes manuscrites prises au cours de séance. Malgré toute l’attention apportée, tant lors de la prise de notes que de la retranscription, pour que le texte soit aussi fidèle que possible au propos tenus, des imprécisions ou des erreurs peuvent s’être involontairement introduites. Certains propos n’ont pu être notés à temps, d’autres étaient inaudibles de la salle.

Nous demandons au lecteur de bien vouloir excuser ces imperfections et nous espérons malgré tout que le texte que nous publions lui permette de se faire une opinion par lui-même, en toute objectivité. Tel est notre but.

Nous remercions toutes les personnes qui ont participé à l’élaboration de ce document.

Nous avons publié en 1999 sous le titre "REYNERIE DECEMBRE 98, OU L’HISTOIRE D’UN MEURTRE, D’UNE VIOLENCE D’ETAT ET D’UNE RECUPERATION POLITIQUE ET MEDIATIQUE" une première brochure d’analyse des événements qui ont suivi la mort d’Habib. Cette brochure est toujours disponible à notre adresse. Le texte que nous publions en septembre 2001 sous le titre "TOULOUSE 8 AOUT 2001 UN BIEN ETRANGE PROCES" constitue une suite de la précédente brochure

Supplément à "La Lettre du CDES" N° de sept. 2001

CNT AIT 7 Rue St REMESY, 31000 TOULOUSE

Analyse d’un procès bien étrange

Bien étrange procès que celui du brigadier BOIS : procès avec un cadavre mais sans victime, avec sept témoins importants mais sans aucun présent à l’audience, avec une déposition truffée d’incohérences, sans que le Procureur n’en relève aucune dans ses réquisitions.

Etrange brigadier, en vérité, qui tire et ne se rend compte de rien. Qui tire à bout touchant mais n’entend ni explosion ni hurlement de douleur. Qui tire dans un espace clos, mais ne sent pas la poudre, ne voit pas le sang qui gicle. Qui tire avec un gros calibre, mais ne ressent aucun recul. Qui exerce, de son doigt, une pression de plus de 6 kg sur la gâchette, et qui ne s’aperçoit de rien. Etrange déposition, maintenue dur comme fer à l’audience, malgré les témoignages écrits de voisins qui, eux, ont entendu les détonations, malgré les expertises techniques, concluant toutes que le coup ne peut partir involontairement, malgré la démonstration de l’avocat anéantissant la thèse de Bois. Etonnante équipe de policiers, qui n’entend pas non plus les détonations. Qui ne déclare pas les coups de feu au commissariat en temps utile. Qui rend les balles de tout l’équipage en vrac (on ne pourra compter celles qui restent à chaque policier). Qui ne parvient pas à rattraper un enfant blessé à mort par une balle qui lui troue la poitrine de part en part, un enfant qui se vide de son sang. Etrange enquête, qui est menée au débuts par ceux-là même qui ont tiré. Qui laisse le présumé coupable des heures entières, totalement libre de ses mouvements, dans le commissariat même où se mène l’enquête (mais pour quoi y faire ?). Qui ne retrouve ni les taches de sang là où elles auraient du être, ni les projectiles. Qui ne vérifie pas des informations très graves, même rapportés par Le Monde, même quand l’avocat en fait la demande expresse.

Un procès en correctionnelle : un cadavre mais pas de victime !

L’avocat de la partie civile annonce la couleur dès le début de son intervention : " je n’ai pas employé le mot victime jusqu’ici, et je ne le ferai pas ". Le terme échappera pourtant une fois au procureur et une autre fois à l’un des avocats de la défense, qui évoquera le " cadavre de cette malheureuse victime ". Et c’est tout. Le mot ne sera plus employé. Disparue, la victime !

Par contre, si l’avocat de la partie civile parle de Habib comme d’une " manière de petit moineau ", pour insister sur la peur qu’il a dû ressentir, les deux avocats de la défense insistent, eux, sur le fait que Habib et Amine étaient en train de voler une voiture, qu’il s’agit d’une " certaine catégorie de délinquants qui refusent de s’arrêter ", que " certains jeunes partent du principe que le fonctionnaire n’osera pas tire ", l’un en arrivant même à renverser en quelque sorte les rôles pour parler du " procès d’un jeune qui refuse de se laisser interpeller " !

Un procès sans témoin à l’audience.

Mai le plus étrange, dans ce procès, ce ne sont pas les paroles, ce sont les silences, le silence des témoins -pas moins de sept personnes- aucune présente à l’audience, alors que :

-  trois autres policiers accompagnaient le brigadier Bois. A l’écoute des quelques extraits de leurs déclarations, on note des contradictions importantes avec les autres témoignages et avec celui du Brigadier Bois (exemple : le témoignage du stagiaire sur le signalement de son propre coup de feu à Bois ...). Des contradictions qui auraient peut-être pu faire éclater la lumière.

-  le concierge du lycée loge à proximité immédiate, à quelques mètres à peine de l’endroit des faits. Il a beaucoup vu et entendu. Interrogé pendant l’audience, n’aurait-il pu se rappeler certains détails supplémentaires, peut-être oubliés dans son témoignage écrit ?

-  un deuxième voisin a entendu les coups de feu, n’a-t-il vraiment rien entendu d’autre, rien vu ?

-  une personne a trouvé le cadavre d’Habib ensanglanté. A-t-elle parlé aux policiers ? Si oui, que leur a-t-elle dit ? Qu’ont-ils répondu ?

-  un jeune, Amine, était avec Habib au moment des faits. Lui aussi aurait pu fournir un riche témoignage.

Que de questions utiles à la manifestation de la vérité auraient pu être posées à l’audience ! Que de silences en réponse ! Sept lourds silences.

Un présumé coupable plein de remords mais qui ne se sent pas vraiment fautif...

D’après les avocats de la défense et le procureur, Henri Bois est un homme " en proie aux remords, qui vivra toute sa vie avec cette charge terrible d’avoir tué un homme ". Mais pendant tout le procès, Henri Bois semble moins préoccupé par ses remords que par son propre sort, quitte à camper sur ses contradictions. Une seule fois, à la demande du président du tribunal, il dit simplement " je suis père de famille, je sais ce que c’est ". Pour aussitôt après, préciser : " Sur les faits, je ne me sens pas vraiment fautif... Je regrette ce qui s’est passé, mais s’il ne m’avait pas entraîné dans la voiture, ce ne serait pas arrivé ". On n’imagine pourtant pas que Habib ait volontairement entraîné Bois dans la voiture. C’est bien Bois qui ne voulait pas le lâcher pendant qu’il tentait de s’enfuir ! Alors, de quels remords nous parle-t-on ? Nous n’avons pas entendu de sa bouche un mot d’excuse ni même un mot de compassion à l’égard de la famille, présente pendant tout le procès et d’une dignité exemplaire.

Mais pourquoi se sentirait-il fautif, s’il trouve normal de ne pas avoir signalé le coup de feu tiré en l’air par son collègue (pour le protéger), ni rien de ce qui s’était passé pendant la tentative d’arrestation (pour protéger qui ?). Seule déclaration au départ, le signalement des deux jeunes, avec cette précision : " ’on les a vus quitter le véhicule de loin ". Quand l’avocat de la partie civile lui demande s’il ne trouve pas que ça fait un peu beaucoup comme escamotage des faits, il répond " C’est pas un problème " ! En fait, peu de choses semblent lui poser problème. Il ne trouve pas curieux que les policiers entendent les moteurs et pas les détonations et les témoins l’inverse, même quand le président du tribunal lui oppose que les experts affirment que le bruit des deux moteurs ne peut pas couvrir le bruit de la détonation de son arme. Il s’en tient à ses déclarations, quoi qu’on lui rétorque. En réalité, il en dit le moins possible ; il ne répond rien quand l’avocat de la partie civile souligne les contradictions entre ses déclarations et les chocs relevés sur la voiture dans laquelle était Habib ; rien quand il démontre l’impossibilité d’armer son arme alors qu’il tenait Habib de sa main gauche ; rien sur le fait que les policiers aient perdu de vue les 2 jeunes alors que Habib a fait moins de 100 mètres entre la voiture et l’endroit où il s’est écroulé. Craignait-il de faire un faux pas au cours de l’audience ?

Un procureur extrêmement bienveillant :

Dès ses premières questions le procureur montre sa grande bienveillance à l’égard du présumé coupable, en soulignant que Bois est resté au commissariat de son plein gré et qu’il n’a donc bénéficié que d’une heure de " liberté ". Puis il fait remarquer que, même si Bois avait signalé son tir, il n’y aurait pas eu de renfort supplémentaire, laissant ainsi entendre que Habib serait mort quand même.

Son réquisitoire devient une plaidoirie quand il souligne que l’arrestation aurait pu être normale, qu’il suffisait à Habib de " sortir en levant les bras " ; que " à 2 reprises, le jeune Habib va amener son véhicule vers le brigadier Bois " ; que Habib " tente de s’enfuir une fois de trop. Le brigadier est entraîné, le brigadier chute, le coup part ". Le plus démonstratif là-dedans est la façon dont il finit par dire que Bois a tué tout en refusant de le dire : " Habib a été tué par une arme de Bois " !

On comprend mieux la philosophie qui sous-tend cette extrême bienveillance à la manière dont il élargit le problème en espérant que Lang (qui avait écrit à la famille de Habib) et les autres ministres "écrivent aussi aux familles des convoyeurs de fonds abattus froidement" et au rappel de ce que "en moyenne, un policier, un gendarme ou un convoyeur de fond est abattu par mois".

D’après lui, l’explication, c’est que Bois a eu peur. Peur d’un jeune non armé, coincé dans une voiture bloquée, acculé par trois autres policiers dont l’un brandissait son arme, peur d’un jeune, de petit gabarit, qu’il tenait par le blouson, un jeune qui ne pensait qu’à fuir !

Finalement, un goût amer d’escamotage ...

Ce procès, initialement annoncé pour le 22 août -une date bien étrange, en pleine vacances-, avancé au dernier moment au 8 août -un procédé et une date encore plus étranges- ; ce procès, longtemps attendu -deux ans et demi [1]- où l’on n’entend pas plus les détonations que les témoins à l’audience laisse un goût amer : celui de l’escamotage.

L’avocat de la partie civile a dressé la liste de ces escamotages dans sa plaidoirie. Il aurait pu y ajouter un dernier : à chaque entrée et sortie, le brigadier Bois était serré de si près par un groupe nourri de policiers qu’il était escamoté à la vue d’une bonne partie du public.

PROCES DE HENRI BOIS (8 AOUT 2001)

Ouverture de l’audience

Le Président ouvre l’audience à 9 heures en souhaitant que le débat se passe dans le calme, permette de déterminer la vérité, de savoir ce qui s’est passé. Un jeune homme a trouvé la mort. Le tribunal étudiera avec la plus grande vigilance le dossier et prendra le temps nécessaire à la réflexion. C’est pourquoi la décision ne sera pas rendue lors de cette audience. Il constate ensuite la présence du présumé coupable, de ses deux avocats (Maître Boguet et Maître Rossi-Lefèvre), de la partie civile, représentée par Maître Cohen, de la famille dans la salle. Il rappelle l’acte d’accusation : Henri Bois, né le 18 avril 1957, est poursuivi pour avoir, à Toulouse, par négligence, maladresse ou manquement à la sécurité causé la mort de Habib. Il demande s’il y a des déclarations préalables.

Me Cohen : Je souhaite informer le Tribunal que je lui demanderai de juger que les faits ont une qualification criminelle et qu’il aura lieu de se déclarer incompétent. Comme la question de la qualification ne peut résulter que de l’analyse des faits, je m’exprimerai en même temps sur les deux aspects.

Président : Cette question peut être soulevée à tout moment de l’audience. Il est nécessaire que les débats soient entamés pour cela. Le Tribunal joindra l’incident au fond.

Procureur : Pas de commentaire.

Interrogatoire du présumé coupable par le Président du Tribunal

Président : Les faits se sont produits le 13 décembre 1998 à 3 heures du matin, au milieu de la nuit. Le détail horaire sera fait plus tard. Monsieur Bois, ce jour là, vous étiez de service ?

Bois : J’étais implanté au Mirail... (réponse partiellement inaudible [2])

Président : Quelles sont les missions des policiers au Mirail ?

Bois : (partiellement inaudible) ... nous assurons la sécurité au Mirail, nous avons une mission de sécurisation.

Président  : Votre mission, ce soir-là, intervenait à la suite d’événements particuliers ?

Bois : C’était une mission de sécurisation en vue de surveiller les jets de pierre. Cela faisait une semaine qu’il y en avait.

Président  : Vous étiez le commandant de l’équipage Marin 45. Qui y avait-il ?

Bois : Il y avait le chauffeur Said Jean-Louis [3] un policier auxiliaire, Barrière Jean-Luc et un élève gardien Cros.

Président  : Quels sont leurs statuts respectifs ? Vous êtes le commandant ?

Bois  : Je suis le chef de bord, avec le policier auxiliaire en tant qu’intervenant, l’élève gardien en tant qu’observateur. Il ne peut pas intervenir.

Président : Sont-ils armés ?

Bois : Oui.

Président  : Vous êtes quatre et vous êtes avisés d’un incident particulier ?

Bois : Par radio : il s’était passé quelque chose Boulevard de Séverac.

Président : Qu’est-ce qui vous a été dit ?

Bois : (partiellement inaudible) ... un magasin Honda, par des individus à bord d’une 205 rouge.

Président  : Ils volaient un autre véhicule ?

Bois  : Non, pas à ce moment.

Président : Comment le commissariat a-t-il été avisé ?

Bois  : Je ne sais pas.

Président : Par le concierge du Lycée. Il s’est rendu compte qu’une voiture tournait et faisait bien des passages. Il a vu deux personnes descendre de la 205 rouge et aller vers une BMW. Il a prévenu le commissariat. Vous êtes intervenu à 3 h 20.

Bois  : On initiait à ce moment là notre point statique.

Président : Vous n’agissiez pas à l’extérieur ?

Bois  : Non.

Président  : Vous avez été envoyé Boulevard de Séverac et vous avez constaté la présence de la 205. Dans quelles conditions ?

Bois  : En s’approchant du magasin Honda, sur la droite, on a vu la 205 de l’autre côté par rapport à notre sens de marche. Un individu était dans la BM.

Président  : Et l’autre ?

Bois  : Dans la 205.

Président : Qu’avez-vous décidé ?

Bois : D’aller intervenir.

Président : De quelle manière ?

Bois : Le chauffeur a traversé le terre-plein central. Ils nous ont vus de loin. A ce moment, on met le gyrophare. Ils remontent dans le véhicule et ils partent. Le chauffeur tente de bloquer le véhicule.

Président  : Il le bloque.

Bois  : Oui.

Président  : Par quoi était-il bloqué ?

Bois  : Par notre voiture, des barrières mobiles un peu plus loin, et la BMW

Président  : Donc, le véhicule ne peut plus partir.

Bois  : Oui.

Président : Sur ce point, tous les témoignages sont comparables. Que se passe-t-il alors ? Les deux sont dans le véhicule qui ne peut plus partir. Ce véhicule est pris au piège. Que décidez-vous de faire ?

Bois  : Je descends de suite.

Président  : Vous avez sorti votre arme ?

Bois : Non.

Président  : Où étiez-vous dans le véhicule ?

Bois  : A la place du passager, à droite.

Président  : Et Barrière ?

Bois : A l’arrière gauche. L’élève gardien était bloqué : la portière était bloquée, non réparée.

Président  : L’élève gardien devait descendre ?

Bois : Oui. Ils descendent pour observer, et, si ça va mal, ils interviennent.

Président : Le chauffeur ?

Bois : Normalement, il reste dans la voiture, en liaison radio.

Président  : Vous descendez à droite, Barrière à Gauche. Quelle est votre intention ?

Bois  : D’interpeller les passagers.

Président : Comment réagissent-ils ?

Bois : La 205 repart sur l’arrière et percute la BMW.

Président  : Ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas passer ?

Bois : Oui. Je suis descendu à ce moment. Le véhicule repart à ce moment en marche avant vers moi.

Président  : Vers là où vous étiez placé. Est-ce que vous avez sorti votre arme ?

Bois  : Non.

Président  : Pourquoi ?

Bois  : Le véhicule était bloqué. Dans l’immédiat, il n’y avait pas de risque.

Président : Dans cette situation où vous intervenez pour prendre deux personnes, il n’y a pas un danger tel que vous ayez sorti votre arme ?

Bois  : On doit s’assurer de son arme.

Président  : C’est-à-dire ?

Bois  : Etre prêt au cas où.

Président : Vous l’armez, cette arme ?

Bois : Je suis en position de périposte [4] . L’arme n’est pas armée. La main est sur l’étui.

Président : Vous dites que le conducteur, après avoir tenté de sortir par l’arrière, a tenté de le faire vers l’avant. Peut-il vraiment sortir ?

Bois  : Oui, le véhicule de police était reparti. Au 1er contact, il a fait une marche arrière. Il n’était pas évident que la BM l’arrête.

Président  : Le rôle du chauffeur est de se positionner de façon alternative. Qui y a-t-il derrière vous ?

Bois  : Je peux pas le voir.

Président : Vous constituez l’obstacle. La voiture vient vers vous. Elle vous percute ?

Bois : C’est moi qui me pousse. Au moment où la voiture repart, je sors mon arme, quand elle recule. Je crie halte, police.

Président : Est-ce que vous placez l’arme en position de tir ?

Bois : Oui.

Président  : Y a-t-il deux manières de tirer ? Simple et double action ? C’est cela ? Double action : on met le chien de l’arme en arrière et on positionne la cartouche face au percuteur. On presse la détente, la percussion se fait ?

Bois : Ça se fait en deux coups mais en continu. En simple action, le chien est à l’arrière, on le met avec la main. Il y a moins de pression à faire.

Président  : Environ 6,5 kg pour la double action, moins de 2 kg pour la simple action. La détente est donc plus sensible. Quelles sont les hypothèses d’utilisation ?

Bois  : La première est la seule utilisée sur le terrain.

Président : La seule autorisée ?

Bois : En légitime défense, les réactions doivent être immédiates.

Président  : On nous dit que vos interventions se font en situation de double action. Vous vous êtes positionné en position de tir.

Bois  : Quand j’ai senti le danger. La voiture revenait.

Président  : Vous braquez la voiture à hauteur du pare-brise. Le chien n’est pas relevé ?

Bois : Oui.

Président : En double action ?

Bois : Quand on la sort, machinalement, le doigt est sur le chien. Je suis en position de riposte.

Président : Vous ne tirez pas le chien en arrière ?

Bois  : Non.

Président  : Quelle est la réaction du conducteur ?

Bois  : Si je ne sors pas, la voiture me renverse.

Président : Si vous êtes sorti, pourquoi la voiture ne part pas ?

Bois  : Le chauffeur revenait. La voiture a de nouveau reculé.

Président  : Vous étiez du côté conducteur ?

Bois  : Oui.

Président : Qu’est-ce que vous faites à ce moment-là ? Est-ce que vous voyez à qui vous avez à faire ?

Bois : Deux hommes.

Président  : Quelle est votre vision de la situation, quand vous les avez en face ?

Bois : Au départ, l’un est dans la BMW, l’autre dans la 205.

Président : Mais, à ce moment, vous avez l’impression de faire face à deux jeunes gens, vous êtes un policier d’expérience.

Bois  : Oui.

Président  : La voiture s’est immobilisée, car elle sait qu’elle ne peut plus partir.

Bois  : Elle donnait des à-coups en avant et en arrière. Du bras gauche, la vitre étant ouverte, je voulais arracher les fils, arrêter le véhicule.

Président  : Le conducteur a essayé de vous arracher le bras ?

Bois : Non.

Président : Le passager ?

Bois  : Il était sorti.

Président : Quand ?

Bois  : Je peux pas le dire.

Président  : Vous essayez d’arracher les clefs ou les fils. Votre arme est dans la voiture ?

Bois : Je suis en déséquilibre. L’arme est dehors.

Président  : Vous essayez d’atteindre le contact. De quel côté est-il ?

Bois  : C’était une voiture volée. Les fils sont en dessous.

Président : Il n’a pas tenté de vous en empêcher ?

Bois : C’est les secousses de la voiture qui m’ont empêché.

Président  : Vous l’avez déjà fait ?

Bois  : Oui, mais à l’arrêt.

Président  : Vous avez l’arme à la main. Comment est la portière de l’autre côté, ouverte ?

Bois  : Le véhicule a reculé et s’est immobilisé. Il fait crisser le moteur. Il ne peut plus avancer.

Président : Il a les roues bloquées dans le caniveau, d’après les témoignages, il est à cheval ?

Bois  : C’est possible.

Président  : On peut imaginer la difficulté de repartir, comment réagit le jeune garçon ?

Bois : Je me suis avancé.

Président  : Vous avez d’abord ouvert la portière ?

Bois  : Oui.

Président  : Quelle a été sa réaction ?

Bois : La portière en face était ouverte. Il est parti vers le côté passager. Je l’ai attrapé.

Président  : Vous entrez dans le véhicule ?

Bois  : Il m’a tiré vers le véhicule.

Président  : Vous savez ce que font vos hommes ? Un est coincé dans la voiture, l’autre est toujours au volant, il a fait les manœuvres. Le policier auxiliaire, où est-il ?

Bois  : Dans l’action, je ne le vois pas.

Président  : Si vous aviez été à sa place, qu’auriez-vous fait, quelle position auriez-vous pris ?

Bois  : Il avait pris la bonne. Il avait fait le tour de l’autre côté du véhicule, par l’arrière. C’est une triangulation comme on l’apprend à l’école.

Président  : Et il a eu un contact avec le passager. Dans la voiture, il y a le passager et vous. Il tente de s’échapper par la portière avant droite. Vous le saisissez par le blouson, quand ?

Bois  : J’ai ouvert la portière, je l’ai saisi de la main gauche. Il a commencé à passer par-dessus le siège passager, j’ai basculé dans le véhicule.

Président : Position de l’arme ?

Bois : Je ne sais pas exactement. J’ai essayé de me rattraper.

Président : Vous êtes rentré avec l’arme ?

Bois  : Je l’ai pas braqué, à aucun moment.

Président  : Je ne vous ai pas dit braqué. Vous êtes rentré avec le bras en avant ?

Bois  : Je ne sais pas si j’ai pas basculé. Je me suis affalé sur les coussins.

Président : Vous avez montré dans quelle position lors de la reconstitution. Retournons un peu en amont. Vous tenez toujours le blouson. A quel niveau ?

Bois  : Je ne peux pas dire.

Président  : Côté gauche ?

Bois  : Oui.

Président  : Vous n’êtes pas sorti. Vous avez été tiré.

Bois : Oui, dans son élan, il m’a tiré.

Président  : Vous savez que Barrière est sorti en même temps que vous. Vous pouvez penser que Barrière va le récupérer.

Bois  : Je n’ai aucun contact avec lui depuis le début.

Président : Vous êtes un policier d’expérience. Vous savez que quelqu’un est sorti en même temps que vous. Vous pouvez imaginer qu’il va agir.

Bois : Ça se passe très très vite, on peut pas dire. Ça se passe très vite.

Président : A l’intérieur, vous tenez toujours le blouson. Vous entendez un claquement.

Bois  : J’ai entendu le claquement, sans secousse dans la main, sans rien. J’ai lâché. Il est parti en courant. J’ai eu un moment de (il ne finit pas sa phrase).

Président  : Vous avez pensé à quoi ?

Bois  : J’ai pensé que j’avais tiré à ce moment-là. C’est un faible claquement.

Président  : Quelle différence faites-vous entre un claquement et une détonation ?

Bois  : Une détonation, ça s’entend.

Président  : Un claquement, c’est quand il n’y a pas de cartouche ?

Bois : On aurait dit un pétard mouillé. Le fait de le lâcher et qu’il parte, je me suis dit, c’est pas ça.

Président : Vous l’avez lâché car vous avez entendu ce claquement un peu ... insolite, pour employer un mot neutre. Vous ressortez pour voir ?

Bois  : Je ressors en reculant.

Président  : Que voyez-vous ?

Bois  : Je le vois partir. J’ai pas entendu un cri de douleur.

Président  : Que faites-vous ?

Bois  : Le chauffeur vient me reprendre, je range l’arme dans l’étui, on reprend Barrière juste après.

Président  : Et Cros ?

Bois : Il est sorti.

Président  : Pourquoi ? Il a réussi à se libérer ?

Bois : Je ne sais pas.

Président : Vous partez dans quelle direction ?

Bois : Dans la direction indiquée par le chauffeur.

Président : Comment ça se passe ?

Bois  : On s’arrête pour reprendre Cros et un peu plus loin Barrière.

Président : Tout le monde monte dans la voiture ?

Bois  : Oui.

Président  : Vous partez vers la rue Painlevé ?

Bois  : C’est Barrière qui dit qu’ils sont partis par-là.

Président : Vous tournez à droite. Que faites-vous ?

Bois  : On cherche dans le coin. On passe un message radio pour le dire.

Président  : Tout de suite ?

Bois  : Dès qu’on remonte dans la voiture. On signale deux individus en fuite en direction de la rue Painlevé.

Président  : Vous ne dites rien d’autre ?

Bois  : Oui.

Président  : Vous dites que Barrière a tiré avec son arme ?

Bois : Un coup parti en l’air.

Président : Il vous le dit avant ou après que vous appeliez le commissariat central ?

Bois  : Après.

Président : Qu’est-ce que vous lui dites à ce moment-là ?

Bois : Il ne m’a pas dit qu’il y avait eu contact. Il m’a dit que le coup était parti en l’air. Il n’y avait pas de blessé.

Président  : Quelle différence y a-t-il entre un coup tiré en l’air et un coup parti en l’air ?

Bois  : Dans le deuxième cas, c’est accidentel, dans le premier, volontaire.

Président  : Comment étiez-vous sûr que c’était en l’air, puisque c’était involontaire ?

Bois  : Dans la succession des faits... (il ne finit pas sa phrase).

Président  : S’il vous avait dit "J’ai tiré avec mon arme", auriez-vous demandé des explications ?

Bois : Tout à fait, pour savoir s’il n’y avait pas de blessé. Là, ça s’est enchaîné comme ça.

Président : Ça ne vous a pas interrogé davantage ? Vous entendez un claquement. Vous vous demandez si vous n’avez pas tiré. Vous êtes rassuré. Quand on vous dit qu’on a tiré, vous rapprochez ce tir du claquement ?

Bois  : Oui, c’était très éloigné. J’étais dans la voiture.

Président  : Vous poursuivez combien de temps ?

Bois  : Cinq minutes. On revient sur les lieux.

Président  : Pourquoi ?

Bois  : Pour faire évacuer les deux véhicules.

Président  : Vous faites des recherches particulières sur les lieux ?

Bois  : Non.

Président  : Quand avez vous retrouvé l’étui de la cartouche ?

Bois  : C’est lui qui l’a cherché.

Président  : Reparlez-nous de cet incident.

Bois : Y’avait pas de blessé. On les a vus repartir. Sur le fait de la cartouche, il était ennuyé, à cause de son concours.

Président  : Vous n’aviez pas parlé de la déclaration ? Lorsque vous revenez sur les lieux, est-ce que vous n’en parlez pas ? Vous vous en êtes ouvert aux autres ?

Bois  : (Pas de réponse).

Président : Ma question est simple : qu’avez-vous dit ?

Bois  : T’en fais pas, y’a rien, y’a pas de blessé, on n’en parle pas.

Président  : Comment peut-on ne pas en parler ? Vous avez des cartouches en dotation. Vous devez rendre compte. J’imagine que c’est pas sur une simple déclaration. On doit contrôler votre stock. Comment aurait-il fait ?

Bois : Il se serait débrouillé.

Président  : Ça se passe comme ça ?

Bois : Je peux pas le dire. On était dans le contexte. Pas de blessé. Deux individus à rechercher.

Président : En principe, ça pourrait passer ? On peut se poser la question car, quand on a cherché les cartouches de Cros, on n’a rien trouvé : tout a été remis dans le même lot. Peut-on s’affranchir d’une telle déclaration ? Vous vous en êtes affranchi. Peut-on le faire utilement, sans risque, sans danger. Est-ce qu’on peut masquer le manque d’une cartouche ?

Bois : Ça arrive qu’on en perde.

Président : Qu’est-ce que vous faites ? Barrière vous a présenté l’étui retrouvé. Vous évoquez la situation avec lui. Vous dites "on va rien dire", ensuite ?

Bois : (réponse inaudible).

Président  : Vous laissez vos deux adjoints là pour faire des recherches administratives concernant les deux véhicules ?

Bois : Oui.

Président  : Ils ne sont pas chargés de continuer les recherches ?

Bois  : Non, c’est le chauffeur et moi. On prend le même chemin. On est appelé assez rapidement par le commissariat pour des jeunes gens interpellés pour un vol. On s’y est rendu pour les reconnaître.

Président  : Vous constatez qu’il ne peut pas s’agir des personnes que vous poursuivez.

Bois : Oui.

Président  : Pourquoi ?

Bois  : C’était pas le gabarit, la silhouette.

Président  : Que faites-vous, pourquoi ?

Bois  : On se dirige vers les lieux pour récupérer les deux autres. Entre temps, le responsable de l’établissement avait appelé le propriétaire de la BM.

Président  : Ensuite ?

Bois  : On récupère les collègues. Et puis on est appelé pour conduire un équipage sur un accident.

Président  : Vous êtes revenu une 3ème fois ?

Bois  : Non, une 2ème. On a posé les collègues et puis on est revenu. On a fait une patrouille. On revient dans le secteur.

Président  : Pourquoi, vous cherchez ?

Bois : On a contrôlé deux jeunes sur la voie ferrée. Ils n’avaient rien à voir. On est allé refaire un tour, parce que parfois, ils se cachent. C’est à ce moment qu’une dame nous a averti (passage inaudible) on descend du véhicule, on va voir. On est à proximité des lieux (passage inaudible).

Président  : Vous constatez qu’il y a une personne décédée. Vous l’identifiez ?

Bois  : On voit un trou au bras.

Président  : Vous faites le rapprochement avec votre affaire. Vous le trouvez entre le lieu de l’intervention et la rue Painlevé, sur le côté droit. Que faites-vous ?

Bois  : Barrière blanchit. A ce moment là, je vais dans la voiture.

Président  : Pourquoi ?

Bois  : (courte réponse, inaudible en totalité).

Président  : Barrière se dit que c’est peut-être son tir. Et vous ?

Bois  : Je suis allé pour vérifier.

Président  : Vous y pensiez, à votre arme ?

Bois  : Non.

Président  : Comment un policier, qui entend un claquement, dans une situation d’intervention difficile, avec l’arme à la main, dans une position qui n’est pas facile à contrôler, alors que vous doutez -puisque vous lâchez prise- ne vérifie pas tout de suite l’arme ? Même quand vous remontez dans la voiture ? Pourquoi, quand Barrière vous dit qu’un tir est parti vous n’avez pas un petit doute ?

Bois  : A partir du moment où il est parti en courant, et j’ai pas eu de sensation de recul. Je peux pas dire.

Président : Le professionnel que vous êtes n’aurait pas dû vérifier ?

Bois  : A froid, oui. Là on partait à la poursuite de quelqu’un. J’allais pas manipuler dans la voiture. La sensation que j’avais peut-être tiré a de suite disparue, surtout avec la poursuite.

Président  : Dans votre déposition vous dites "j’ai pensé que j’avais tiré,... je l’ai vu s’enfuir,... le policier auxiliaire m’a dit qu’un coup de feu était parti". S’il ne vous l’avait pas dit ?

Bois : Dans une situation de poursuite... rien ne le laissait penser.

Président  : Vous vous rendez compte que votre arme a tiré à ce moment là.

Bois : J’ai une cartouche qui a été percutée.

Président  : Que faites-vous ?

Bois : (réponse totalement inaudible).

Président  : Qu’ont fait les collègues ?

Bois  : (réponse totalement inaudible).

Président  : Comment ça s’est passé ?

Bois  : Les collègues sont venus, avec les autorités. Il y avait du monde.

Président  : Qu’avez-vous fait ?

Bois  : J’ai expliqué ce qui s’est passé. J’ai remis mon arme de suite.

Président  : Celle de Barrière ?

Bois : Je sais pas.

Président  : Je vous rappelle la déposition de votre collègue Barrière : "mon arme est tombée... (il a perdu une chaussure, il vérifie son arme)... il manque une cartouche, j’en informe immédiatement Bois". Il a armé son arme dès qu’il est sorti de la voiture. C’était normal, selon vous ?

Bois  : Il agissait par rapport à la situation dans la mesure où j’étais en danger.

Président : Le chauffeur dit qu’il n’a rien entendu du tout car il a un moteur diesel bruyant et la 205 faisait hurler le moteur. Est-ce qu’il vous parle de quelque chose ?

Bois  : Non.

Président  : Il indique qu’il a vu partir les deux en courant. Les deux partent ensemble, mais personne ne les a vus finalement. Barrière dit dans sa déposition "j’en ai vu tourner un, pas sûr les deux". Vos hommes disent qu’ils n’ont rien entendu. Nous avons affaire à des gens qui sont sur place, qui n’entendent rien. Or, il y a deux témoins qui, eux, entendent quelque chose. Monsieur Longeau [5]habite dans un immeuble : "J’ai entendu des personnes parler fort, des crissements de frein, deux coups de feu de manière suivie, très rapidement dans le temps". Il ne dit pas que la voiture hurlait. Il dit "j’ai entendu deux coups de feu". L’autre témoin, Monsieur Vago, concierge du lycée, qui avait appelé la police par le 17, a entendu des chocs : "j’ai vu les jeunes courir, au moins un, j’ai le souvenir d’avoir entendu un ou deux bruits sourds à partir du moment où je les ai vus partir". Nous avons deux témoins, alors que vous n’avez rien entendu, sauf Barrière, qui a entendu la détonation de son arme.

Bois : J’ai entendu ce claquement, c’est tout. Quand on est en situation... (passage inaudible). C’est la vérité, je vous le jure (court silence). Sachant que l’on a touché quelqu’un on ne peut pas ne pas le dire.

Président : Si vous aviez mesuré que votre balle avait blessé, vous ne l’auriez pas caché ?

Bois  : La proximité que nous avions dans la voiture. Si je l’avais touché, il aurait eu des douleurs...

Président : Les experts ont entendu la signature acoustique des deux armes. S’agissant de la vôtre, le coup a été tiré à bout touchant, sans espace entre l’arme et la voiture. "La signature acoustique est différente suivant que le tir est à bout touchant ou pas. Le bruit engendré par le moteur de la 205 et de la R 19 ne peut pas couvrir le bruit de l’arme, même si le moteur est emballé, même si le tir a eu lieu à bout touchant".

Bois : (début inaudible) j’aurais eu une secousse, j’aurais percuté. Je n’ai eu aucune secousse.

Président  : C’est un 19 millimètres, une arme imposante. Vous n’étiez pas en position de tir facile. Même en l’absence de réaction dans la main porteuse, vous n’auriez pas dû vérifier ?

Bois  : Ce n’était pas le bruit de la détonation qu’on entend d’habitude.

Président  : Le tir a été entendu. C’est ce que disent les experts. Et deux témoins l’ont entendu.

Bois : (bredouillements incompréhensibles).

Président : Les experts disent, pour l’arme de Barrière "le pistolet 6.48 : aucun coup de feu ne peut partir accidentellement". Pour la vôtre "...un 357..., aucun coup de feu ne peut partir accidentellement". Les deux types de tir exigent une pression de 1,9 kg et le deuxième de plus de 6 kg. Vous n’aviez pas tiré le chien en arrière, vous étiez donc en situation de double action et vous deviez donc exercer une pression de plus de 6 kg. Pour 1,9, la pression doit être très légère, pour l’autre...

Bois : Dans la chute, j’ai essayé de me rétablir, est-ce que le chien n’a pas pu s’accrocher à un coussin ?

Président  : Vous auriez été en simple action.

Bois  : C’est très difficile, c’est dans l’action. Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que le claquement n’était pas une détonation.

Président  : Mais elles ont été entendues par deux personnes et par le passager de la 205. Le coup a été tiré dans le véhicule sans qu’on ait retrouvé un impact de balle. Les premiers légistes avaient conclu "blessure à bout touchant. Coup d’arrière en avant, de haut en bas, de droite à gauche derrière l’épaule, de l’épaule au thorax". C’était en contradiction avec vos déclarations. Si cela avait été tiré comme ça, la balle aurait dû être dans le véhicule. Les nouvelles expertises, après études sur les tissus, études de la trajectoire, des orifices, des vêtements de la victime, indiquent "coup parti dans le thorax, sorti par l’épaule", selon un schéma inverse des premiers experts. Avec cette dernière conclusion, ce que vous dites peut prendre du sens. La porte ayant été ouverte de l’autre côté, la balle est allée se perdre en l’air, vers les locaux du lycée. On ne l’a pas retrouvée. Compte tenu des blessures occasionnées au jeune homme et de votre position, couché sur le ventre, la balle a pu sortir par la portière. Il n’y a pas de grand doute sur ces expertises corporelles. Il y a avait une difficulté sur les rapports audio entre l’équipage et le commissariat central. Cette bande a été écoutée de manière complète. Il n’y avait qu’une retransmission partielle dans le dossier. Mais il n’y avait rien de particulier. Sur les housses de la voiture, on a retrouvé des traces de brûlure, donc, le coup a été tiré dedans. Le départ de l’enquête a été bien tardif. La première audition n’a été faite qu’aux alentours de 20 h.

Me Cohen  : 22 heures, le 13 décembre.

Président  : Passons au témoignage du passager de la voiture. Il a déclaré la situation de vol : "Il conduisait. Il ne pouvait pas s’échapper. Le brigadier l’a braqué. Il a ouvert la portière... J’ai couru, j’ai entendu deux coups de feu, j’ai vu Habib sortir. Je l’ai vu courir au ralenti. Un autre policier m’a couru après, en me tirant dessus trois fois. Je n’ai pas vu Habib tourner dans la rue. J’avais peur. Je me suis caché. Habib ne pouvait pas s’échapper. (Le président répète :) Habib ne pouvait pas s’échapper. Le brigadier l’a braqué. J’ai entendu deux coups de feu". Le premier, c’était certainement le vôtre, le deuxième, celui de l’auxiliaire. Par contre, personne ne confirme les autres tirs, aucun élément matériel ne le confirme. Ce fait de dire plus que ce qui se serait passé ne discrédite pas les deux détonations, que d’autres témoins ont entendues. (Il donne la parole à l’avocat de la partie civile).

Questions de Me Cohen au présumé coupable

Me Cohen : Revenons sur le compte-rendu d’intervention : il résulte de la retranscription de la bande enregistrée, sauf erreur de ma part -c’est pour ça que j’ai souhaité qu’elle soit entendue intégralement- sur la cotte D 22 : "3 h 34 - Marin 45 fournit un signalement à un équipage non identifié... 2 nord-africains à bord, cheveux rasés, petite taille, corpulence moyenne... on les a vus quitter le véhicule de loin". Est-ce que Bois reconnaît ce message ?

Bois  : Oui.

Me Cohen  : Le deuxième message est à 4 h 53 "un homme saigne, demande SAMU, Bd de Séverac, n°41". Ce sont les seuls messages. C’est pour cela que j’ai demandé la retranscription intégrale. Nous y reviendrons. (S’adressant à Bois :) Vous devez vous livrer de temps en temps à des exercices de tir ?

Bois  : Oui.

Me Cohen  : Pouvez-vous nous dire combien et combien de munitions vous êtes autorisé à tirer ?

Bois : C’est variable, ça peut être consécutif. Trois fois en juillet. Après j’en ai pas fait d’autre.

Me Cohen  : Vous êtes intervenu en décembre, arrivé à Toulouse trois mois avant. A quand remonte votre dernier exercice ?

Bois  : En arrivant à Toulouse.

Me Cohen  : Lorsque vous les faites, comment ça se passe ?

Bois : (réponse inaudible).

Me Cohen : Les oreilles ne sont pas protégées ?

Bois  : Oui.

Me Cohen  : Pourquoi ?

Bois : Pour le bruit.

Me Cohen : Quels sont les effets physiques générés par un tir, sur le tireur ?

Bois  : Le bruit, une secousse.

Me Cohen  : Une odeur ?

Bois  : Dans les stands, non.

Me Cohen  : Parce qu’ils sont grands. Pensez-vous que si nous tirons un coup de feu dans une pièce de quelques mètres carrés, on va ressentir une odeur ?

Bois  : (réponse inaudible).

Me Cohen  : Lorsque vous êtes intervenu et lorsqu’un de vos hommes a été entendu, il a déclaré, il s’agit de Jean-Louis Said, le conducteur, en décrivant la... -Monsieur le président, je n’ai pas employé le mot victime jusqu’ici, et je ne le ferai pas- le jeune "j’ai nettement vu le passager de la 205, de type nord africain, avec une casquette, un blouson de type parka marron clair". Vous, vous êtes au contact, vous êtes à moins d’un mètre du véhicule. La visibilité était bonne. Ce garçon avec lequel vous avez lutté physiquement, ce garçon, vous ne l’identifierez pas dans le jeune que vous retrouvez dans le caniveau ! Vous avez, Monsieur Bois, été entendu le 13 décembre à 7 h 40. Là, tout le monde sait que vous avez tiré. Très curieusement, la date de fin de l’audition n’est pas mentionnée. Mais elle a dû être rapide : elle ne fait que deux pages et demi. Vous vous êtes retiré ensuite.

Bois  : (réaction inaudible).

Président  : La garde à vue a débuté à 20 h 30.

Me Cohen : Donc, il est environ 9 heures. Les autres fonctionnaires sont entendus à 7 h 40 et, vers 9 h, ils sont libres. Lorsqu’on vous interpelle et place en garde à vue, c’est le 14 décembre, à 0 h 15. Vous avez, pendant toute la journée du 13 et une partie de la nuit, bénéficié de votre liberté de mouvement. Le Président a révélé ce qu’on va appeler un premier escamotage : l’auxiliaire a tiré en l’air. Mais, pour ne pas risquer de faire ennuyer ce garçon, on escamote le fait, sans aucune arrière-pensée, bien sûr. A 3 h 34 lorsque vous rendez compte, "on les a vus partir de loin", dites-vous simplement, vous escamotez une deuxième fois des faits. Vous ne trouvez pas que ça fait beaucoup ?

Bois  : C’est pas un problème.

Me Cohen : Il y a eu des chocs entre véhicules, un corps à corps, un coup de feu,... et une petite entente passée à quatre. Et vous nous dites que ce n’est pas un escamotage ! Vous dites que le moteur de la 205 s’est emballé et faisait un bruit extraordinaire. Les fonctionnaires de police qui sont intervenus ont la même version. Les fonctionnaires entendent le bruit du véhicule mais pas les détonations et les témoins, eux, entendent les détonations mais pas le bruit des véhicules. Philippe Longeau qui est dans son appartement, fenêtres ouvertes -c’est pas un fonctionnaire de police- déclare "j’ai entendu des crissements de pneus". Il n’a pas entendu de moteur emballé. "J’ai entendu des cris, j’ai entendu des voix". Ne trouvez-vous pas curieux que les fonctionnaires entendent les moteurs et pas les détonations et les témoins l’inverse ?

Bois  : Non.

Me Cohen : Vous voici dans le cadre de vos activités professionnelles, en tous points honorables, même si ces événements ont gauchi quelque chose en vous, je pense que vous êtes un honnête homme. Vous avez employé aujourd’hui le mot légitime défense. N’en parlez plus. Vous savez qu’il ne s’agit que d’une bévue de vocabulaire. Parlons de ce véhicule qui va d’avant en arrière, qui fait un bruit assourdissant, qui a heurté un véhicule de service, qui a manqué de vous écraser... Voici les constatations faites en présence du garagiste : "un choc sur l’angle avant de l’aile droite, à hauteur du feu de clignotement, brisé. Phare avant droit également brisé". A l’arrière, ni les parties fragiles ni d’autres n’ont été brisées. A l’avant, c’est seul le côté droit. Et vous, vous n’êtes pas intervenu côté conducteur ?

Bois  : Oui.

Me Cohen : Donc, à gauche, et pas là où le choc léger s’est produit. Vous êtes là, il y a un conducteur, dont on sait qu’il n’est pas un malabar. Personne ne pense être en danger, car on pense être sur un vol à la roulotte -on parle de "roulottiers" dans le message qui vous les signale- Personne n’est en état de légitime défense. Avez-vous le sentiment que votre arme vous a échappé des mains ?

Bois  : Non.

(Le président prie Me Cohen d’être plus précis dans ses questions).

Me Cohen  : Monsieur le Président, je n’ai pas d’illusion, mais j’ai confiance. Ce qui nous reste dans cette affaire, c’est l’histoire. Le brigadier Bois sera peut-être condamné pour homicide involontaire. Mais nous savons tous qu’il s’est passé quelque chose. Un jour, il ne restera plus que nos questions et nos réponses. Veuillez me permettre de les formuler comme je les ressens. Monsieur Bois, vous n’avez jamais lâché l’arme. Pouvez vous nous présenter le mouvement qui a été le vôtre pour relever le chien ?

(Bois s’exécute).

Me Cohen  : Mais vous utilisez la main gauche !...

Bois : (silence pesant).

Me Cohen :... Donc, vous n’avez pas pu armer le chien, puisque vous teniez le garçon par la main gauche ! A défaut, dites-moi comment il peut passer de double à simple action, en faisant glisser l’arme sur le fauteuil ! C’est impossible. Vous avez tiré en double action, car vous ne pouviez pas faire autrement. Vous avez conservé le doigt sur la gâchette constamment.

Bois  : (début de phrase inaudible) c’est un réflexe. On ne met pas le doigt sur la double détente.

Me Cohen : Par professionnalisme, on le met sur le pontet, et donc, on ne peut pas actionner la double détente. (Me Cohen se tourne alors vers Me Rossi-Lefèvre, avocat de la défense, qu’il soupçonne de souffler les réponses :) Allez-y, donnez la réponse à votre client ! (S’en suit une protestation de Me Cohen, demandant à ne pas être interrompu, quelques explications entre les avocats et le Président, puis deux questions de Me Cohen et deux réponses de Bois, inaudibles de la salle).

Me Cohen reprend : Vous avez entendu le claquement, on a ouvert les portes et ils sont partis. Le boulevard de Séverac est rectiligne, large, la visibilité était bonne. Il n’y avait pas de circulation. Un premier individu s’enfuit. On ne le rattrape pas. Le deuxième sort du véhicule. Comment pouvez-vous le perdre de vue : il y a un chauffeur attentif, deux autres fonctionnaires sont en position. Il fait moins de 100 mètres. Il est blessé. Vous êtes quatre, dotés d’un véhicule. Et vous le perdez de vue ! Vous vous êtes concertés !

Bois : Il n’y a eu aucune concertement. Il y avait du brouillard. J’étais dans le véhicule. J’en suis sorti. Je sais pas pour les collègues. Il n’y a pas eu de concertation.

Me Cohen  : (le début est inaudible) quand on vous signale qu’il y a un corps, vous examinez votre arme ?

Bois  : Après avoir vu le corps. La dame a dit "Y’a quelqu’un qui est pas bien sous la voiture".

Me Cohen  : Vous avez une arme à barillet ?

Bois  : Oui.

Me Cohen : Combien de temps faut-il pour constater si c’est vous qui avez tiré ?

Bois  : (pas de réponse).

Me Cohen  : Moins d’une seconde ! Est-ce qu’en remontant dans le véhicule vous n’auriez pas pu vérifier ?

Bois  : (réponse inaudible).

Me Cohen : Monsieur le Président, j’en ai terminé.

Le Président passe alors la parole au Procureur de la République.

Questions du Procureur de la République au présumé coupable

Procureur : Qu’avez-vous fait de votre journée du 13 décembre ?

Bois  : Je ne me souviens pas des horaires, je suis rentré à la maison une heure de temps.

Procureur  : Quand êtes-vous parti du commissariat ?

Bois  : J’ai quitté le commissariat en soirée.

Procureur  : Vous y êtes resté bien que non placé en garde à vue, volontairement. Vous êtes donc resté uniquement 1 heure en liberté, de votre plein gré. Connaissiez-vous la victime ?

Bois : Non.

Procureur : Vous avait-il été signalé particulièrement ?

Bois  : Non.

Procureur : Il vous a été reproché de ne pas avoir vérifié l’arme. Si vous l’aviez fait ?

Bois  : Là, j’aurais avisé qu’il y avait eu un coup de feu, en signalant qu’il n’y avait pas de blessé.

Procureur  : Donc, il n’y aurait pas eu de renfort supplémentaire ?

Bois  : Oui.

Le Procureur ayant achevé son interrogatoire, le Président donne la parole au premier avocat de la défense.

Questions des avocats de la défense au présumé coupable

Me Rossi-Lefèvre  : Vous êtes fonctionnaire depuis 15 ans. Vous n’avez jamais eu l’occasion de tirer en service et de sortir votre arme ?

Bois  : Oui.

Me Rossi-Lefèvre  : Quel type de mission aviez-vous avant d’être muté à Toulouse ?

Bois : J’étais à Paris, à la BAC, service de nuit.

Me Rossi-Lefèvre  : Si ce n’est dans l’ambiance particulière des stands de tir, vous n’avez jamais entendu votre arme ?

Bois  : Non, jamais.

Me Rossi-Lefèvre  : Dans quelles circonstances êtes-vous arrivé à Toulouse ?

Bois : J’ai été muté au 1er septembre, avec un nouvel armement, mais le même type d’arme.

Me Rossi-Lefèvre  : C’est donc une arme relativement nouvelle. La dernière fois que vous aviez tiré en exercice, c’était en juillet.

Bois  : Non, j’ai tiré à Toulouse, j’ai fait une séance.

Me Rossi-Lefèvre : Une erreur a été commise par mon confrère en affirmant qu’il n’y avait pas de message sur la cote D 22 entre les deux heures citées. J’ai assisté à l’audition complète de la bande. Nous pouvons confirmer qu’il y a eu des messages entres ces deux heures, pour différentes péripéties autres. C’est une retranscription partielle le 13 décembre à 17 h, et pas la retranscription complète. Vous confirmez que la 205 a avancé, reculé, avancé. Il a été dit que le choc aurait eu lieu seulement à l’angle gauche, ce qui pourrait laisser entendre que, lorsque vous dites qu’ils reculaient vers la BMW, vous ne dites pas la vérité. La pièce D 18-10, portant les constatations faites sur la BMW indiquent l’existence de nombreux chocs sur le bas de caisse, la portière... Le pare-chocs arrière est arraché. L’audition et la plainte du propriétaire montrent que la colonne de direction était cassée, la façade radio volée,...Cela correspond-il à l’état de la BMW ?

Bois  : Oui.

(Me Rossi-Lefèvre passe alors la parole à Me Boguet, l’autre avocat de la défense.)

Me Boguet  : Affinons l’avant drame. Vous êtes intervenu à bord d’un véhicule, avec quatre membres d’équipage. Comment est ce véhicule ?

Bois  : C’est un véhicule de série.

Me Boguet : Avec de grandes inscriptions sérigraphiées "Police". Vos tenues étaient des tenues de service ?

Bois  : Oui.

Me Boguet  : A un moment donné, vous êtes dirigé par le commissariat central, sur des indications un peu floues, sur un magasin de cycle. Vous intervenez en face, avec le gyrophare allumé. Dans quel état d’esprit se trouve alors un fonctionnaire de police avec 16 ans d’expérience ?

Bois  : On craint toujours la violence, une réaction.

Me Boguet  : Est-ce que c’est une situation réputée chaude ?

Bois : Surtout la nuit, on voit pas les choses comme le jour, on est obligé d’être en situation chaude (sic).

Me Boguet : Vous êtes chef de bord, vous descendez désarmé, car vous considérez que la situation est pratiquement terminée.

Bois : Oui, le véhicule est pratiquement bloqué.

Me Boguet : Vous intervenez désarmé à un moment donné. A un moment donné, vous considérez devoir faire usage de votre arme. Vous vous placez en périposte. Qu’est-ce qui vous inspire le dispositif mis en place ?

Bois  : C’était une triangulation sur le lieu de l’action. Un est en protection, l’arme à la main, le troisième est en liaison dans la voiture.

Me Boguet  : Avez-vous fait les choses correctement, par rapport aux enseignements théoriques ?

Bois  : Oui.

Me Boguet : A un moment donné donc, il y a deux fonctionnaires en tenue, un véhicule sérigraphié. Une sommation est adressée au conducteur "Halte, Police !". Quelle réaction vous oppose-t-on ?

Bois  : Les choses ne s’arrêtent pas.

Le Président reprend la parole.

Reprise de l’interrogatoire par le Président du Tribunal

Président : Passons aux éléments de personnalité. Depuis quand êtes-vous dans la police, quels postes avez-vous occupés ?

Bois  : Depuis octobre 82, à la BAC.

Président  : Les deux expertises psychiatriques ou psychologiques n’apportent pas d’éléments défavorables. "Peu réactif, pas de difficulté avec les autres... très affecté par cet incident... n’est pas violent, toute sa vie le démontre... s’occupe des jeunes... homme normal, sans particularité pathologique de la personnalité". Dans quelle situation êtes-vous actuellement ?

Bois  : Suspension avec traitement, depuis les faits. Je suis marié, avec un enfant.

Président  : Qu’avez-vous à dire par rapport à l’inculpation ?

Bois  : Je suis père de famille. Je sais ce que c’est (passage inaudible de la salle). Si les choses pouvaient se refaire... La situation n’a pas été maîtrisée.

Président  : C’est-à-dire ?

Bois  : Je parle de l’action, je ne sais pas ce qui s’est passé.

Président  : Vous êtes poursuivi pour une infraction de type involontaire. Estimez-vous avoir commis des fautes de négligence professionnelle ?

Bois  : La situation n’est jamais la même qu’à l’école. Sur les faits, je ne me sens pas vraiment fautif. La situation a échappé. Mais je n’ai pas averti du tir mes collègues. Je regrette ce qui s’est passé, mais, s’il ne m’avait pas entraîné dans la voiture, ce ne serait pas arrivé.

Président  : Vous ne vous posez pas de question sur les modalités de votre intervention ? Fallait-il le saisir, dans une voiture, l’arme à la main ?

Bois  : (début inaudible) dans le feu de l’action, les choses se passent vite.

Président : Dans quelle situation êtes vous autorisé à vous servir de votre arme ?

Bois  : En légitime défense. Sinon, on est autorisé à la sortir, pas à s’en servir.

(A la demande de la partie civile, le Président décide une suspension de séance de quelques minutes. Il donnera ensuite la parole à la partie civile. Suivant l’heure de fin de la plaidoirie, les débats continueront ou seront suspendus pour le déjeuner.)

Plaidoirie de Maître Cohen pour la partie civile

"Lorsque je suis arrivé sur le trottoir, j’ai fait quelques mètres et là, j’ai vu un bras qui dépassait d’une voiture en stationnement. Une partie de ce bras était tourné vers la chaussée. Au début je ne savais pas ce que c’était". C’était Habib. Il était tombé par terre, mais ce n’est pas "la faute à Voltaire", le nez dans le ruisseau, mais ce n’est pas "la faute à Rousseau [6]. Alors, la faute à qui ? C’est la seule question qui mérite réponse. Non pas en termes de sanction, car la sanction n’intéresse pas ceux qui aiment et qui savent que ce n’est pas avec une condamnation, un châtiment que l’on efface le sang, c’est avec les larmes, et seulement comme ça. La réponse, ce n’est pas la sanction, c’est simplement ce que proposait Jack Lang lorsqu’il écrivait le 28 décembre 98 aux parents "perdre un enfant, est l’épreuve la plus dramatique qui soit... j’espère que toute la lumière sera apportée sur les circonstances de la mort de votre enfant et que sa mémoire pourra être honorée". C’est la seule réponse. La seule façon de sortir de l’ombre, de ne plus être dans l’ombre, c’est la lumière. C’est tout ce que nous attendons, nous, l’avocat bien sûr, la famille évidemment, mais, par delà, les hommes et les femmes de ce pays, ceux qui croient à la démocratie, ceux qui ne jettent pas la pierre sur les fonctionnaires de police et ceux qui n’ont pas l’intention de leur jeter la pierre. La lumière, pas la sanction. Et surtout pas la parodie. Je vous disais que j’avais confiance, mais que je n’avais pas d’illusion, parce que, toujours, le système vient à bout des hommes, d’autant plus facilement qu’il ne les reconnaît pas dans leur statut. Pour le système, Habib restera "un jeune, les cheveux rasés, nord africain". Il n’a jamais été condamné, mais il est coupable parce qu’il est Habib. Le système ne les reconnaît pas dans leur statut et leur en fabrique un autre. C’est tellement simple de remplacer Habib par une formule abstraite "un jeune nord africain d’un quartier défavorisé, les cheveux rasés". C’est tellement plus facile que de se rappeler l’effroi, la peur.

Qui a eu peur ? Le brigadier de police, armé, professionnel, accompagné par trois autres policiers ? Qui a eu peur, lui ou la manière de petit moineau, braqué sur le volant, coincé entre un mur et deux véhicules, avec un homme, et dans sa main, une arme. Est-ce qu’il n’a pas senti cette pression ? (élevant la voix :) Qui avait peur ? Et c’est tellement plus facile de dire "les hommes mûrs, armés, responsables, professionnels, avaient peur". Personne ne lira l’effroi dans les yeux de cet adolescent. Personne ne rendra compte de sa terreur quand il a entendu la détonation, car, lui, il l’a entendue. Personne ne décrira sa souffrance quand il s’est mis à courir et que ses forces l’ont abandonné. Cent mètres de plus, et c’était fini. La face dans le caniveau. Le froid. Et puis plus rien. Qui a eu peur ? (long silence.)

Les choses peuvent aller de ce train encore. Car on peut continuer à dire, à écrire -même si on ne le pense pas- que ce sont les fonctionnaires de police qui on eut peur, que c’est dans leurs yeux qu’on lit l’effroi, et qu’il faut, de temps en temps, qu’un homme, qu’un très jeune homme en meure. Mais ! Mais s’il est en situation régulière ? Mais, s’il n’a pas de passé judiciaire ? N’est-ce pas cela d’abord, la sécurité ? On la doit à tous ! La lumière, c’est d’abord de dire et de juger qu’Habib a eu peur. Aucun des fonctionnaires ne s’est senti en légitime défense, jamais le mot n’a été prononcé : il ne pourrait être question un seul moment de se hasarder sur cette voie de traverse là. Peur de quoi ? De ceux que le procès verbal appelle constamment "des roulottiers", qui étaient en train de s’affairer à voler -non un véhicule- mais, parce qu’ils sont des roulottiers, ce qu’il y a à l’intérieur. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient deux et eux quatre ? Pourquoi ? Parce qu’à l’arrière, un véhicule de police était venu se positionner ? Alors, on a compris de suite : la légitime défense n’était pas possible. Il a fallu trouver autre chose. Mais quoi ? L’escamotage.

Monsieur le président, Messieurs du Tribunal, je le comprends et j’ai presque envie de dire qu’ils ont eu raison, puisque les Magistrats ont accepté l’escamotage. Pouvaient-ils faire autrement, les juges ? Je ne le pense pas. Etaient-ils seulement présents, les juges ?

Lorsqu’on découvre le corps, on sait que cet adolescent a été tué par des fonctionnaires de police. Il y avait au Palais de Justice un juge d’instruction, un juge de permanence. L’affaire n’était-elle pas assez grave pour qu’on l’informe immédiatement, pas assez importante pour qu’on l’informe, lui qui était là pour ça ? Non.

Un magistrat du parquet s’est déplacé. Un magistrat, mais pas un juge. Un magistrat du parquet qui, de manière tout à fait honorable, a mené l’enquête. Mais un magistrat qui est en relation avec les services de police judiciaire de manière constante ; qui, parce qu’il est de bonne foi, ne peut imaginer qu’on a déjà tenté ou réussi à escamoter. C’est un autre magistrat du Parquet, et le plus haut placé, qui écrivait, le même jour que Jack Lang -quelle curieuse coïncidence, quels signes nous envoie l’histoire !- le 28 décembre, à l’adresse du bâtonnier "Me Cohen estime qu’il sera difficile d’y voir plus clair, la situation ayant été nettoyée. Faute de sa part de produire des justificatifs, des poursuites seront engagées". Habib a osé mourir. Les fonctionnaires de police n’ont rien vu, rien entendu, n’ont pas rendu compte. J’ai donc répondu par l’intermédiaire du bâtonnier : "Il me paraît au moins possible de citer Le Monde du 16 décembre : selon certaines sources policières, deux d’entre eux seraient revenus récupérer les douilles.... Peut-être le Procureur requerra-t-il des enquêtes sur les sources policières ? Le Monde écrit que deux policiers se seraient rendus sur les lieux pour effacer les preuves. Comment n’a-t-on pas investigué sur ces sources ?" Je n’ai pas été poursuivi -car on m’aurait livré une tribune- mais les investigations n’ont pas été menées. Et l’ombre marquait ainsi un premier point contre la lumière.

Le 17 décembre 98, ayant pris connaissance de l’article du Monde, j’écrivais au Juge d’Instruction qu’il me semblait insolite qu’elle n’ait pas été informée immédiatement. "Est-il imaginable qu’aucune trace -douille, trace de sang, trace des impacts...- n’ait été retrouvée ? Et que penser de l’affirmation péremptoire faite, au nom du brigadier Bois et relatée dans la presse", -car il y avait un témoin, Amine, et qui pouvait livrer la vérité. Il fallait donc discréditer le témoin-, le 16 décembre : "Je ne pense pas que le témoin se présente, et, s’il se présente, il n’apportera rien à la procédure car il n’a pu rien voir". Il s’agit des propos prêtés à Bois. Un concert s’est élevé pour faire taire Amine. Il fait partie de ceux qui font peur. De ces hordes qui terrorisent les fonctionnaires de police. C’est un menteur, un tricheur. On vous l’avait dit avant même qu’il soit venu. C’était la deuxième série de points pris par l’ombre contre la lumière. Si l’ombre gagne deux fois, on n’est plus très loin de la nuit. L’écoute de la bande enregistrée aurait permis de révéler la transmission d’autres messages. Lorsqu’à la cote D 22, des officiers de police judiciaire retranscrivent la bande, ils doivent retranscrire tout ce qui est utile. La bande a été écoutée (en élevant la voix) à ma demande pendant 6 heures. Il semblait invraisemblable qu’il y ait eu tant de silence sur l’intervention elle-même : au moment où ils sont arrivés, les autres étaient partis, d’après la bande ! Auditionner la bande ne serait pas bon pour la famille de la victime, m’écrit le juge ! Il m’écrit : "Le contenu de la bande a été retranscrit dans son intégralité... la retranscription fait apparaître divers blancs... sans qu’il soit nécessaire de leur donner du sens... il en ressort que la retranscription se suffit à elle-même -il est inutile de l’entendre- car cela pourrait revêtir un caractère indécent en présence des membres de la famille". (S’adressant au tribunal :) Vous auriez osé écrire ça ? La Chambre d’accusation m’a suivi. Nous avons écouté la bande, nous avons constaté 6 heures de silence. On ne dit mot de l’intervention.

Lorsqu’ils sont intervenus, il y a un fonctionnaire, un agent public, qui dit qu’il lui semble bien qu’il a tiré. Pourquoi Henri Bois, dont les états de service sont irréprochables, prend la décision d’escamoter cette chose sans incidence ? Ni vu ni connu, on escamote. Et puis on s’en va. Et une passante trouve ce jour là le corps de Habib. Alors, on réalise qu’on a tiré. Que faire ? On ne peut plus le dire, car il aurait fallu le dire avant. L’escamotage des petites choses peut avoir des conséquences extrêmes. S’il l’avait dit au début, on intervenait immédiatement, on découvrait Habib à moins de 100 mètres. Mais non, parce qu’on avait escamoté, Habib s’est vidé de son sang. Que faut-il faire avec ce cadavre ? Il fallait dire "j’ai tiré dans un moment d’affolement". Il aurait fallu le dire de suite, faire des recherches de suite. Le magistrat se serait déplacé. Trop tard pour le premier coup de feu, trop tard pour la vie, trop tard pour la lumière. Alors, ils sont venus. Combien de temps ont-ils passé à rechercher la douille non retrouvée ? 1 heure 30, de 10 h 15 à 11 h 45, dans un périmètre de tout le lieu d’intervention : 100 mètres en avant et en arrière, la totalité de la cour du lycée, dont le PV relate qu’elle est immense. Savaient-ils déjà qu’ils ne retrouveraient rien, avaient-ils décidé de ne rien retrouver ? Alors, il est minuit lorsqu’on s’avise de placer Henri Bois en garde à vue. Il a été entendu à 7 h 30. L’audition a duré une heure. Puis il a été libre. Je ne prétends pas qu’il ait mis ce temps à profit. Mais l’escamotage a été fait. Escamotage, les messages radios. Escamotage, la détonation. Escamotage lorsqu’on prétend qu’un adolescent court et qu’il est mortellement blessé, qu’on le laisse mourir, qu’on prétend qu’il est parti rue Painlevé. L’escamotage, c’est le bruit du moteur. (Silence prolongé.) C’est fini, c’est la nuit, c’est la troisième victoire de l’ombre sur la lumière.

J’ai une inébranlable confiance dans les magistrats. C’est pourquoi je leur ai écrit "Parce que je nourris les plus vives inquiétudes par rapport à une enquête qui ne serait pas faite par des services extérieurs, je demande un changement d’équipe". J’ai déposé plainte avec constitution de partie civile pour homicide. Vous savez que la plainte n’a pas été instruite. Je serais fondé à le demander. Ce serait faire de la procédure. (Silence) Je me moque de la procédure. (Se tournant vers les avocats de la défense :) Je vous le dis à vous, car nous avons fait un bout de chemin ensemble, je me moque de l’instruction. Si Bois doit retrouver le chemin de sa liberté pleine et entière, tant mieux. Mais (élevant la voix) je demande la lumière. Il nous dirait "j’ai tiré", on répondrait "Dieu te pardonne", et c’est fini. Vous le savez bien, vous le savez tous, mais c’est trop tard.

Dans cette nuit, peu à peu, les bruits se sont fondus, les étoiles se sont éteintes. Le mouvement du véhicule 205 ? Coincé contre un mur -pas des barrières mobiles- et sur lequel les seuls dégâts sont ceux que j’ai signalés- on peut dire tout ce qu’on veut sur la BM- il ne lui était pas matériellement possible d’aller d’avant en arrière.

La sécurité pour les enfants bloquait la 3ème portière du véhicule de police. Malheureusement, la sécurité n’était pas pour tous les enfants ce soir-là.

Le brigadier Bois dit tenir l’arme par le pontet, c’est-à-dire à deux grands centimètres de la détente. Le doigt ne doit pas glisser. Il n’est pas en légitime défense. Le véhicule est coincé. Il ne peut partir ni devant ni derrière. Ils sont quatre. Ils sont armés. Le doigt sur le ponté, c’est dans les livres. Il a constaté que ce véhicule n’arrivait pas à démarrer. Tous les témoins l’indiquent. Le véhicule n’avançait pas, ou alors, quelques embardées qui démontraient qu’on ne pouvait partir. Alors, il veut s’emparer de celui qui est au volant et qui a peur, parce qu’il a vu l’arme, a entendu une première détonation, parce qu’il sait qu’il va peut être mourir dans cette cage. (Elevant la voix :) Mais laissez-le sortir, puisque vous êtes deux derrière ! Que vous avez un véhicule ! (Silence) Non. (Silence) Il le faut. Tout de suite. Ici. Immédiatement.

Le coup de feu peut partir accidentellement ? Non. Tous les experts le disent : ça ne part pas accidentellement. Cognez cette arme contre n’importe qu’elle surface, essayez de la racler. Vous n’arriverez pas à libérer le chien. Essayez tout de suite, publiquement. Et, comme il n’a pas pu être relevé, il faut une pression de 6 kg. Si vous avez le doigt sur le pontet, ça ne peut pas partir. Il faut qu’il soit sur la double détente.

On n’a pas voulu sa mort. On l’a tué. Il ne s’est pas tué. Il n’a pas été tué. Henri Bois, brigadier de police l’a tué. Ce n’est pas la faute à Voltaire, ce n’est pas la faute à Rousseau.

Il a entendu le bruit assourdissant de la détonation, il a senti l’odeur de la poudre -car, dans l’habitacle, cela ne peut pas ne pas se sentir, ou alors c’est qu’on a tiré dehors- il a senti le recul. Il a laissé Habib lui échapper, car il s’est dit "peut-être que je ne l’ai pas touché"... et comme on l’a vu partir... Il était 3 h 30. C’était au mois de décembre. Il faisait nuit. Cette nuit, Monsieur le Président, ce n’est pas bien sûr celle de Manolete, dont on a dit qu’elle plongeait l’Espagne dans une nuit où elle est encore, cette nuit, c’est celle de ceux qui pensent qu’après la mort, il faut donner la lumière, celle de ceux qui n’ont pas fini de pleurer, celle de ceux qui pleureront demain. Celle dont je ne suis pas totalement remis et dont je sais que vous n’avez pas totalement les moyens de nous faire sortir, mais je sais que vous en avez la volonté. Mais je sais qu’il est trop tard, parce que, parfois, l’escamotage, l’ombre l’emporte sur la lumière.

Je vous prie de déclarer la constitution de partie civile recevable, de dire que les faits sont criminels et relèvent d’une autre juridiction. Si vous vous déclarez compétent, je vous prie de renvoyer la partie civile plus tard, sur un procès civil.

(Il est environ 13 heures. Le Président décide de suspendre l’audience et de la reprendre à 14 heures.)

AUDIENCE DE L’APRES-MIDI

(Le Président donne la parole au Procureur).

Réquisitoire du Procureur de la République

Monsieur le Président, Messieurs du Tribunal, mes premiers mots seront pour la famille, les parents, frères et sœurs de Habib, auxquels je tiens à dire combien nous comprenons tous leur douleur. "Si la mort est un moment, la douleur est un siècle" disait Jean-Baptiste Lassay [7] . Cette douleur, vous en témoignez devant les magistrats du Tribunal Correctionnel devant lequel vous demandez que justice soit faite. Votre dignité dans l’épreuve, preuve que vous avez su et vous savez raison garder, croyez que tous les magistrats qui ont eu à connaître de cette procédure vous en remercient par ma bouche. Vous avez exprimé votre désaccord quant à la qualification des faits retenus par le Parquet et qui, jusqu’à ce jour, n’avait pas été demandé, puisque aucune demande de requalification n’a été faite en 25 mois. Vous estimez que le Tribunal Correctionnel doit se déclarer incompétent au motif qu’il ne s’agirait pas d’homicide involontaire mais de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, crime prévu par l’article 222-7 du code pénal, passible d’un emprisonnement de 20 ans. On dit au terme de l’exposé que le policier a tiré volontairement, mais qu’il n’avait pas l’intention de tuer. Cette théorie n’est pas soutenable. Si on admet que le policier a tiré volontairement, il faut considérer qu’en fonction de la dangerosité de l’arme, de la nature du tir à bout touchant, de la localisation des blessures du poumon droit à l’épaule gauche, s’il avait tiré comme cela, cela n’aurait pas été pour blesser mais pour tuer. Je vais prouver que ce n’était pas le cas. Rappelons que les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, c’est par exemple, de tirer dans les jambes et la personne meurt, faute de soins. Sinon, c’est l’homicide volontaire. Ce n’était pas l’intention du policier qui, en 16 ans, n’a encouru aucune sanction -à part pour avoir égaré un brassard de police.

Ce soir-là, Habib et Amine avaient volé un véhicule 205 -je le prends du témoignage d’Amine- qui faisait un bruit anormal "et nous avions l’intention de voler un 2ème véhicule et d’abandonner le 1er". Il ne s’agit donc pas de roulottiers. L’intention de garçons est de prendre la BMW, l’intention est bien établie. Les policiers sont appelés à 3 h 29. L’arrestation peut être normale si, au lieu de tenter de s’enfuir, le jeune Habib, qui venait d’être élargi de la Maison d’Arrêt -certes jamais condamné. Son geste s’explique comme cela, tentant le tout pour le tout. Etant pris dans la nasse, il lui suffisait de sortir en levant les bras. A deux reprises, le jeune Habib va amener son véhicule vers le brigadier Bois qui va, la 2ème fois, sortir son arme et s’en servir. Il va s’approcher du véhicule, portière fermée. Habib tente des mouvements d’avant en arrière, sans réussir à passer la vitesse, sur 5 ou 6 mètres. Le brigadier ne tire toujours pas. Quand le véhicule s’immobilise, Bois ouvre la portière, saisit le vêtement de Habib de la main gauche. Ce dernier tente de s’enfuir une fois de trop. Le brigadier est entraîné, le brigadier chute, le coup part. Ce matin, le coup a été analysé au ralenti, en disséquant chaque acte commis par chacun. Là, tout se passe très vite. Cette impression de vitesse ne correspond pas à la dissection des faits, cette impression de ralenti n’existe pas dans la réalité. Il y a échauffourée, avec des échanges de mouvements. Bois entend un claquement. On peut le contester. Ment-il sur ce point, ne ment-il pas ? Je ne sais pas. A aucun moment il ne ressort du dossier qu’il a eu l’intention d’appuyer sur la détente. Il le voit s’enfuir en courant et il est soulagé car il n’interprète plus le claquement comme un coup de feu. Il y a eu des manquements graves. Quand il est mis au courant par Barrière du contact, du départ du coup... Ce coup n’aurait pas dû être occulté. Il y avait déjà eu usage involontaire d’une arme. En policier expérimenté qu’il est, il aurait dû vérifier que son arme n’avait pas été utilisée. Il se passe 1 h 20 (3 h 30 à 4 h 50). L’audition de la bande faite au commissariat, en présence des avocats, permet de déterminer qu’il n’y a eu aucun message de Marin 45. Pendant 1 h 20, cet équipage a cherché. 45 minutes avant la découverte du corps, ils sont informés par la radio que trois nord-africains ont été arrêtés pour vol de voiture. Ils se précipitent au commissariat, pour voir si deux d’entre eux sont les mêmes. A aucun moment on ne peut donner à Bois l’intention de tirer.

Habib a été tué par une arme de Bois. Alors que les premiers légistes ont donné une version erronée, les expertises de l’IRCGN [8] ont confirmé ce que disait Bois : la balle est passée du thorax droit à l’épaule gauche, conformément à la version des faits qu’il donne.

Escamotage, oui. Mais je ne pense pas escamotage délibéré. Il s’agit de protéger un auxiliaire. Cet escamotage est regrettable mais pas fautif. Plus, qu’il n’ait pas vérifié que sont arme avait tiré. La conviction profonde résultait du fait que Habib est parti en courant. Il aurait dû vérifier son arme, c’était le minimum à faire quand on a entendu un claquement qui pouvait sortir de son arme. L’intention, les violences volontaires,... n’y sont pas. C’est dans ces conditions que je vous demande de confirmer les poursuites sur la base de l’article 221-6 du Code pénal, faits passibles de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende. Il vous appartient de dire qu’elle est la peine juste et équitable. Vous aurez à considérer qu’un jeune homme de 17 ans a perdu la vie. C’est dramatique. C’est bien que Jack Lang ait écrit à la famille. J’espère que Lang et les autres ministres écrivent aussi aux familles des convoyeurs de fonds abattus froidement. (Le Procureur est interrompu par une forte réaction de la salle. Le Président rappelle la salle à l’ordre. Le Procureur reprend :) Quand il y a une mort regrettable, on s’incline devant elle. Et ce doit être fait au plus haut niveau. Je maintiens ce que j’ai dit. Ce garçon a eu peur. En moyenne, un policier, gendarme ou convoyeur de fond est abattu par mois et il s’agit de sauvegarder la vie de chacun. Il a fallu un malheureux concours de circonstances pour qu’un seul coup de feu ait abattu Habib.

Je note que les expertises psychiatriques du prévenu ont témoigné qu’il était un homme exempt de toute pathologie mentale, en proie aux remords, à la culpabilisation, qui vivra toute sa vie avec cette charge terrible d’avoir tué un homme. Cet homme n’est pas un délinquant au sens habituel. Faut-il l’envoyer en prison avec des délinquants, des assassins, ou le condamner à 3 ans, le maximum, en l’assortissant du sursis. (Le Procureur finit son intervention en citant Jean Cocteau "il faut haïr la haine" et en demandant avec Gérard de Nerval "mort, où est ta victoire ?").

Président  : Vous demandez trois ans, éventuellement assortis de sursis ?

Procureur  : Vous apprécierez.

Plaidoirie de Maître Rossi-Lefèvre, premier avocat de la défense

Saint Paul écrivait dans une épître aux Corinthiens "Je n’ai pas toujours fait le bien que je voulais faire, mais j’ai parfois fait malheureusement le mal que je ne voulais pas faire". Cette réflexion, à la fin de la vie de St Paul, s’applique très précisément au dossier de celui-ci (désignant d’un geste Bois).

Il a été longuement exposé par l’avocat de la partie civile ce qui est présenté comme des manquements. Un mot est revenu, comme un leitmotiv "escamotage". J’ai noté qu’il a été repris une fois par Monsieur le Procureur. Je vais le reprendre ici pour montrer qu’il n’a rien à voir avec le dossier. Personne ne nie l’existence du drame. La vérité du dossier s’appuie sur les faits et pas sur une lecture différente, le lendemain et les jours qui ont suivi le drame. Lorsqu’il vous est indiqué que le lendemain des faits, on a cherché pendant 1 h 30 la douille et qu’on ne la pas retrouvée, c’est une contre-vérité. La douille de Barrière a été retrouvée par celui-ci, la douille de Bois était dans l’arme. Lorsqu’on plaide que des traces à l’avant de la 205 ont été occasionnées par les policiers, ce n’est pas un escamotage, c’est une contre-vérité. C’est Amine qui le dit "le véhicule de police a heurté la 205". Lorsque l’avocat de la partie civile dit qu’il est probablement faux que la 205 ait fait des allers et retours, c’est une contre-vérité. Il a été démontré que la BMW n’était pas abîmée avant les faits et qu’elle l’était après, dans une zone compatible avec la trajectoire de la 205. Cette BMW a été immédiatement récupérée par son propriétaire. Il s’agit donc bien, une fois de plus, d’une contre-vérité. Lorsqu’il dit qu’il s’agit d’un escamotage, redonnons la parole à Amine sur le choc de la BMW "A ce moment Habib fait une marche arrière et percute la BMW".

Lorsqu’on dit que cela n’a pas été déclaré, c’est vrai. Mais dès que Bois a conscience d’avoir tiré, il a immédiatement signalé le tir et prévenu l’autorité. Il s’agit d’une contre-vérité de la partie civile. Lorsque la partie civile dit que l’universalité des magistrats -sauf ceux du présent tribunal- ont couvert parce qu’il n’est pas normal que le juge n’ait pas été prévenu -alors que sur la cote D 1 il est noté que le Substitut de permanence était sur les lieux vers 5 h 40- il ne s’agit pas d’un escamotage mais d’une contre-vérité. Lorsqu’on dit qu’on a demandé, sans succès, au magistrat instructeur, que l’enquête soit confiée à un service différent de celui auquel appartient Bois, il s’agit d’une contre-vérité. Dès les premières heures, l’inspection générale, ceux qu’on appelle les "bœufs-carottes, les mangeurs de flics", dépêchée en avion, vient à Toulouse. Les vérifications ont été confiées à des services extérieurs à celui de Monsieur Bois.

On en vient aux escamotages de la partie civile qui s’appuie sur des atermoiements, des erreurs. Les médecins experts avaient commis une erreur relative à la trajectoire de la balle. Forte de ces conclusions, actuellement battues en brèche, elle a saisi d’un émoi tout le monde, la cité. Vous avez constaté que les courriers de la partie civile étaient datés du 14 au 18 décembre, quand nous n’avions pas les nécessaires vérifications techniques du dossier. Nouvel escamotage sur tout le travail de la justice, méticuleux et bien mené. Lorsqu’on vous dit enfin de vous poser la question de votre compétence -car le coup de feu aurait été tiré volontairement mais sans intention de donner la mort- et donc de vous déclarer incompétent, on escamote tout simplement la démonstration du caractère du tir. Pourquoi faire tant de secousses, supporter qu’il soit écrit devant le tribunal "Police partout, justice nulle part", doit-on revenir aux errements des premiers jours ou ne peut-on s’interroger sur les faits ?

Il est important de faire ce qui était proposé par Me Cohen : il ne faut pas prendre Habib et en faire une formule. Nous sommes d’accord, bien évidemment. Mais, si on doit décrire Habib, bien évidemment décrire Amine, il faut se rappeler la genèse. On nous a décrit un jeune comme un moineau dans un véhicule. Mais, mon Dieu, que faisaient-il là tous les deux à 3 h 30 du matin ? En tant que père de famille, je m’interroge. Amine fournit la réponse. Il s’agit d’un samedi soir "samedi soir, je suis allé au stade avec Habib. On n’a pas pu voir le match, j’avais pas assez d’argent pour rentrer. Sur le parking du stade, il y avait une 205 déjà volée. On l’a prise. En passant devant le parking on a vu une BMW. Moi je surveillais, Habib a ouvert la portière". Je suis d’accord, on ne doit pas résumer Habib à une petite frappe, mais on ne doit pas faire non plus l’inverse, commettre l’erreur de penser que deux jeunes gens se promènent et, tout naturellement, prennent un véhicule, parce que cela leur convient, et décident, tout naturellement -ces jeunes normaux, qu’on nous décrit comme l’archétype du jeune de 16/17 ans- d’ouvrir une BMW, de neutraliser l’alarme...

Président  : (Coupant l’avocat :) Maître, nous ne faisons pas le procès du jeune.

Me Rossi-Lefèvre : Je fais la genèse de cette situation : c’est avant tout la présence de ces deux jeunes à ce moment là. Il n’y a pas de doute sur les faits, la façon dont ils se sont passés. Situation de crise, de stress extrême. Tout le monde a eu peur. Nous sommes devant une réaction de fuite devant les forces de police. Ce qui est intéressant, c’est la durée de tout cela. Entre le moment où la Renault 19 de la police arrive et le coup de feu : 20 secondes. Ce matin, on a disséqué, analysé ce laps de temps en trois heures, les faits tiennent en 10 à 15 secondes. (Solennel, il donne un coup du plat de la main sur son banc :) C’est maintenant. (Quelques secondes après, il en redonne un autre :) C’est fini. Voilà le temps qui s’est passé entre le moment ou Bois descend, la 205 avance et recule, Bois essaie de rentrer dans le véhicule et tire. Il y a de la part de Henri Bois une parfaite cohérence avec lui-même et les faits vérifiés malgré la première expertise. Il y a une présentation extrêmement précise. Il est important de dire ce dont nous sommes sûrs : le coup de feu a été tiré à bout touchant, ce qui exclue tout coup de feu dans la fuite. Nous sommes sûrs de la trajectoire de la balle, indiscutablement. Nous savons également que le coup de feu était tiré dans le véhicule. Le projectile n’a pas été retrouvé, mais cela n’a pas grand intérêt, puisque la trajectoire est déterminée. Nous savons enfin quelles sont les qualités professionnelles de Bois, Monsieur le Procureur en a parlé rapidement. Il faut y revenir. Le brigadier Bois a commencé au bas de l’échelle. Il a une expérience de BAC de nuit dans une mégapole, un peu plus dangereuse que Toulouse. Il a des notations excellentes, 7 lettres de félicitations dans son dossier. Vu la rigueur avec laquelle les forces de police sont contrôlées, il a eu une amende -20 ou 40 francs- pour avoir égaré un brassard de police. Cette unique sanction montre avec quel soin ils sont suivis et contrôlés.

Les faits que vous avez à juger sont involontaires, intervenus dans le service normal, sur les lieux de la commission indiscutable d’un délit, dans une ambiance de stress réciproque, indiscutable. A aucun moment il n’a pu avoir conscience d’avoir blessé Habib, vu la vitesse avec laquelle il a pris la fuite. S’il avait conscience d’avoir blessé quelqu’un, il aurait agi différemment. A aucun moment, le Brigadier Bois, avant d’avoir vu le cadavre de cette malheureuse victime a pu penser l’avoir blessé.

Plaidoirie de Maître Boguet deuxième avocat de la défense

Chaque procès est un moment que l’on consacre à la vérité. Je sacrifierai aussi à l’usage de la citation. Puisqu’il a été question de lumière, je rappellerai que "La lumière des bûchers n’a jamais éclairé les ténèbres". Une voiture qui brûle dans une rue, une phrase qu’on lance : c’est la lumière des bûchers. La justice raisonne dans le calme et la sérénité. Nous avons recherché de qui pourrait permettre de moins douter. Je ne prétends pas détenir la vérité, mais j’ai entendu ce matin des choses qui ne correspondent pas aux choses que nous savons tous.

(Se tournant vers les parents :) La mort de votre fils est un drame. Personne ici ne cherchera à vous l’enlever, pas même lui (il désigne Bois), surtout pas lui. Ce procès doit être consacré à Henri Bois, auteur présumé de l’homicide involontaire, aux parents le la victime, car c’est le meilleur moyen que le deuil puisse s’accomplir. Ce n’est pas le procès d’une jeunesse qui s’abreuve d’un certain nombre de messages et qui nous les vomit. Ce n’est pas non plus le procès des 600 commerçants qui envoient une pétition disant "Vous avez peut-être bien fait". Il y a beaucoup de choses à faire concernant les protocoles d’intervention ; cela appartient à l’action syndicale. C’est sa charge. La famille et lui, ils ont la charge de souffrir.

(Se tournant vers les magistrats :) La presse s’est posé des questions par rapport à la durée de ce dossier. On a fait la différence entre deux affaires, celle de Henri Bois qui donne la mort à Habib, la 2ème, celle du jeune Chabou, qui tente de donner la mort à un fonctionnaire de police, en tirant de ses fenêtres. Il est passé au assises. Oui, et c’est normal. Deux situations rigoureusement différentes, ce qui fait que le jeune Chabou, dans une affaire qui ne nécessitait pas d’enquête poussée, soit rapidement fixé sur son sort. C’est tout à l’honneur de la justice, comme les deux ans et demi passés à l’affaire Bois. Parce que, aujourd’hui, avec l’ensemble du dossier, le tribunal sera suffisamment éclairé. On peut toujours se navrer que tel ou tel point de détail n’ait pas fait l’objet de recherches plus approfondies. J’ai entendu parler de deux policiers allant rechercher des traces. Je ne sais pas. Je sais qu’une douille était restée à l’intérieur du barillet, l’autre récupérée par le policier auxiliaire. Le coup mortel est parti d’un 9 mm, celui du Brigadier Bois.

(Se tournant vers la trentaine de policiers en civil qui occupent presque tout le côté droit et vers les journalistes :) Vous savez, la justice doit prendre son temps. Il y a dans cette salle des fonctionnaires de police, victimes de faits graves qui attendent encore. Plusieurs noms me reviennent en mémoire (Il les cite). Dans ce domaine, c’est de ma faute et de celle de la partie civile si nous avons attendu deux ans.

Président  : Me Boguet, voulez-vous vous adresser au tribunal, pas à la salle.

Me Boguet : (Se tournant vers le Président :) C’est le rôle de votre tribunal de saisir les dossiers bouclés. Quelle est la réalité des fonctionnaires de police et des délinquants, même débutants ? Il faut un début à tout. Vous avez affaire à un fonctionnaire de police dont le dossier est exemplaire. On se prendrait à rêver d’un clonage, si c’était possible. Dans des conditions similaires, parfois plus dangereuses, Bois a toujours agi avec sang-froid, pondération. Il est décrit par sa hiérarchie comme très serein et par les experts psychiatres comme un individu intelligent, exprimant des remords.

Les instructions à l’école de police, sur la base du manuel, dont j’ai un exemplaire, annonent qu’il faut agir avec courtoisie, calme et fermeté. Il doivent intervenir lorsque les biens et les personnes sont menacés. Il y a un protocole qui structure de façon très stricte les interventions. Hier, c’était un code-couleur : vert, courtoisie élémentaire ; orange, rouge, ça monte. Aujourd’hui : attitude, position de l’arme en fonction du climat : calme apparent, présomption de danger, danger reconnu, danger actuel, agression armée. Le fonctionnaire peut se mettre en position d’usage pour lui -légitime défense- les tiers, les membres de son équipage. Il est le chef de bord, responsable de son équipage. Il agit comme agent interpellateur, laissant les autres accomplir les tâches annexes -appeler les renforts, couvrir...-.

Soyons clair : Henri Bois est coupable et vous le condamnerez sur la base de l’article 221-6 et des nouvelles dispositions de la loi du 15 juillet 2001 car les lois les plus douces sont d’application immédiate. Il y a délit par manque de prudence s’il est établi qu’on n’a pas réalisé toutes les diligences nécessaires. Henri Bois a commis des fautes, pas toutes celles qu’on lui reproche. Au moment de son interpellation, il faut déterminer si son attitude l’a mis en situation de dérapage. Avant de rentrer dans le véhicule, l’intervention est parfaite. Appelé pour un magasin de motocyclettes, il comprend qu’il faut intervenir en face, où deux individus tentent de forcer une BMW. Deux personnes s’agitent dans la 205. Quand la R19 se présente pour bloquer le passage, il y a collision entre les deux véhicules, ce qui entraîne le bris du phare avant de la 205. Faire l’état des chocs qui figuraient sur la 205 aurait pris trois heures. L’arrière était effondré, c’était une ruine, contrairement à ce qui s’est dit ici ce matin. Il y a eu ces mouvements de caisse qui ont fait que la situation a évolué dans un registre de gravité. Il est en présomption de danger, il doit avoir débridé son arme à l’étui et mettre la main dessus. C’est le moment où on décide de passer à l’action. C’est chaud. C’est pas encore bouillant, mais c’est chaud, car la 205 GTI va exécuter des manœuvres violentes. Elle va avancer vers le fonctionnaire. A ce moment, l’arme doit être pointée en direction du danger, d’après le manuel. Le véhicule étant une arme par destination, il a le droit de mettre le doigt sur la détente.

Dans un monde parfait, il faudrait ensuite rengainer. Impossible. Une demi-seconde plus tard, il tente d’arracher les fils. A-t-il manqué de maîtrise ? S’il avait tiré à travers le pare-brise ? S’il avait braqué le chauffeur ? Non, personne ne le dit. Il essaye de cravater -comme on dit en langage professionnel- l’individu. C’est là que le fonctionnaire ne comprend plus. Il ne sait pas quelle est la détermination des individus qu’il a en face. Il essaye de procéder à l’interpellation d’individus qui sont braqués par des armes. On leur a fait des sommations. Ce sont des fonctionnaires en tenue. Le jeune Amine tente son va-tout. Il percute le policier auxiliaire en position. Un coup va partir. Parce qu’on pratique l’extrême ! Un ministre de l’intérieur parlait de "sauvageons". J’ai horreur du terme. Mais certains jeunes partent du principe que le fonctionnaire n’osera pas tirer. Ils repoussent les limites de l’intervention, dans des limites qui ne sont pas dans le manuel qui ne repose que sur la dissuasion. Et s’ils ne se calment pas, comment on fait ? Lui, il est bien embêté. C’est le procès d’un jeune qui refuse de se laisser interpeller. C’est toute la nuance qui fait que des fonctionnaires de police sont en situation de crise.

Nous avons 20 ans de retard sur les pays anglo-saxons, car le revolver est une arme dangereuse. Il y a un an, un fonctionnaire de police a accroché le chien de son arme et s’est tiré une balle dans la jambe. Il n’y a pas de sécurité. La simple et la double action ne sont pas des sécurités. La simple action peut provoquer le feu. Tout ça, c’est la réalité. Henri Bois n’est pas un innocent agent de police, c’est un bon flic, doté des moyens que reçoivent aujourd’hui les fonctionnaires de police pour agir. C’est ce genre de détails qui, accumulés, dinit par provoquer une réalité invraisemblable. Tout ça accumulé a fait poser de nombreuses questions. Aujourd’hui, tout est clair. Dès le début, Henri Bois a maintenu une thèse que les premiers éléments ne venaient pas corroborer. Aujourd’hui, les dernières expertises médico-légales ont rétabli une vérité compatible. La seule dissimulation que l’on puisse lui reprocher n’intéresse pas votre tribunal. Quelle importance qu’il ait ou pas signalé ? Tout cela est postérieur. Ce que nous savons, c’est que tout devient compatible. Dans le cadre d’une reconstitution, on sait qu’il faut 40 secondes -une éternité- pour regagner le coin de la rue Painlevé, pour faire 300 mètres. C’est Barrière qui le dit, avant de perdre, une deuxième fois, sa chaussure. Les conditions de visibilité n’étaient pas idéales. Les images qui ont été prises par la suite, lors des événements, montrent qu’il faisait sombre. "Les deux individus se faisaient suite. Je pense que le premier avait déjà tourné rue Painlevé" nous dit Barrière. 40 secondes qui permettent à Amine de disparaître en escaladant un garage. Pourquoi Habib n’aurait pas fait la même chose ? Bois le voit partir en courant, Barrière aussi. Ils pensent tous les quatre que Habib a disparu pareil. L’audition des bandes est explicite. Il fait le lien de suite -Delta Charlie Delta : DCD- ! C’est un officier de police qui n’avait jamais tiré en 16 ans.

Aujourd’hui, Henri Bois, dont la vocation a toujours été de servir la justice de son pays, de se porter à l’aide des autres, revendique le droit d’avoir peur. Quand il a raccroché son uniforme, c’est un père de famille, un citoyen. J’interviens souvent devant votre tribunal pour de nombreux policiers qui ont été victimes. Henri Bois a commis des fautes.

Mais il est un hussard bleu de la République. Ils sont payés pour ça, ils le font. Aujourd’hui, Monsieur le Procureur, vous avez semblé hésiter. Je crois à l’utilité de la peine. Henri Bois va vivre toute sa vie avec ses remords, comme depuis le premier jour de l’enquête. Il n’a rien à faire en prison, parce que cette sanction présenterait un caractère inutile, dans les conditions dans lesquelles les faits ont été commis -par rapport à d’autres affaires. Il faut rappeler que cette interpellation dangereuse correspond, aujourd’hui, à une certaine catégorie de délinquants qui refusent de s’arrêter. Nous n’avons pas assez d’effectifs à la police, à la BAC, pas assez de flash-ball...

Vous le jugerez pour des manquements qui résultent d’un concours malheureux de circonstances.

Président  : L’affaire est mise en délibéré, comme toutes les affaires qui méritent une réflexion importante. La décision sera rendue le jeudi 6 septembre à 14 heures. Je renvoie pour l’intérêt civil au jeudi 11 octobre. Je remercie toutes les personnes présentes dans la salle d’avoir permis que l’audience se tienne dans des conditions de calme et de sérénité. (Il est 15 h 30).

(Après un délibéré, le policier Bois a été condamné à 3 ans de prison avec sursis. à notre connaissance, il n’a pas fait appel.)

Supplément à "La Lettre du CDES" N° de sept. 2001

CNT AIT 7 Rue St REMESY, 31000 TOULOUSE


[1] 1 Le brigadier avait le temps : depuis que Habib est mort, il est en liberté, suspendu avec maintien de son salaire, c’est à dire comme en congés payés. On se prend à rêver que tous les présumés coupables aient un jour droit au même sort...

[2] Le présumé coupable parle face au tribunal, le dos tourné au public.

[3] Les noms propres n’étant pas épelés à l’audience. Leur orthographe -et pour les moins souvent cités leur phonétique- est donnée sous toute réserve.

[4] Terme technique, retranscrit sous toute réserve.

[5] Voir note 3.

[6] Gavroche, qui sera lui aussi abattu d’un coup de feu, chante "Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau" (V. Hugo, "Les Misérables").

[7] Citation et auteur peu audibles, donnés sous réserve.

[8] Sigle donné sous réserve.


CNT-AIT



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