mercredi
5 décembre 2001
L’Algerie est en guerre depuis sept ans. Totalitarisme d’etat contre totalitarisme religieux. Le nombre de morts donne par les croque-morts officiels est de 500 000.
Sept ans de luttes de pouvoir entre des clans ! 200 morts par jour Et cela ne s’arretera pas tant que l’appropriation des biens, de tous les biens, par une clique ou l’autre ne sera pas realisee. Apres cela, la guerre se terminera peut-etre, a moins qu’un soulevement social ne se produise, tant est immense le delabrement des conditions de vie du peuple. Derriere cette guerre, qui s’habille de democratie ou d’islamisme, se cache un cynique depecage de l’Algerie. Et cela, les medias prennent soin de ne jamais en parler. Alors, de retour d’Alger et de quelques villes du sud, je veux denoncer l’autre face de cette guerre, celle de l’argent, du profit, de l’exploitation, du pillage.
Grace a cette guerre, le FMI (Fonds monetaire international) met en place en toute tranquillite un plan de restructuration qui consiste a liberaliser le marche, privatiser les entreprises, licencier les travailleurs (70 000 licenciements en quatre ans). Sous Boumediene et consorts, grace aux ressources energetiques du pays (gaz, petrole), le peuple, s’il n’avait pas droit a l’opulence du clan au pouvoir, ne mourait pas de faim. L’etat subventionnait tous les produits d’importation de premiere necessite, l’ecole etait reellement gratuite, ainsi que la sante. Le khalife Boumediene et sa cohorte de militaires regnaient en peres et maitres, sans instabilite politique, sans soulevements sociaux. A l’heure de la mondialisation, cette lutte de pouvoir etait certainement la bienvenue. Rien n’est autant inhibiteur que la peur. "La terreur rend les peuples muets", bien des dictateurs vous le diront. Grace a cette guerre, des concessions petrolieres ont ete cedees aux capitalistes americains, allemands, canadiens, francais et Italiens. Dans ces sites, pas un attentat, pas un faux barrage, pas une boucherie, pas un carnage. Le petrole et le gaz coulent a flots. La surveillance est infaillible. Les Americains ont amene dans leurs bagages leurs propres chiens de garde. Aucun civil ne peut y penetrer sans un sauf-conduit. "Un pays dans le pays." On a decouvert des gisements d’or dans le Sahara central. Une entreprise d’exploitation a deja ete mise en place en partenariat avec les Sud-africains. Durant l’hiver 1998-99, une equipe d’Americains, de Canadiens et d’Australiens a ete invitee par les autorites algeriennes pour la visite d’autres sites et pour la negociation des concessions futures. Il parait que ceux-la sont plus gourmands et ne veulent pas des traditionnels 49 % des parts de l’entreprise, mais 50 %.
Grace a cette guerre, des militaires et des representants de l’etat se sont accapares tous les gros marches (pharmaceutique, immobilier, cafe, sucre, bananes), et la societe nationale de production de medicaments (ENPHARM), apres avoir ete coulee par cette clique, a ete mise en Bourse en fevrier 1999, les gros actionnaires etant toujours les memes militaires et politicards.
Grace a cette guerre, les multinationales, Coca-Cola, Daewoo, se sont enfin implantees en Algerie.
Grace a cette guerre, et avec l’aide du FMI, l’inflation a atteint des proportions insupportables pour la plupart des gens. Et ce n’est pas fini, ce n’est que le debut. La misere s’est installee partout. Il n’existe plus de classe moyenne. Il y a les riches, les tres riches, il y a les moyennement pauvres et il y a les totalement demunis. Le fosse entre riches et pauvres se creuse a une allure vertigineuse.
En effet comment peut-on-s’en sortir lorsque le salaire d’un smicard est de 5 000 dinars, celui d’un cadre moyen de 15 000 dinars, alors que la baguette de pain coà »te 9 dinars, le litre de lait 22, le kilo de semoule 40, le kilo de riz 60, les pates 70, les legumes secs entre 50 et 80, le kilo de viande 500, les crevettes entre 500 et 1 000, le poulet 150, la sardine (le poisson des pauvres dans les annees 70-80) 70, et l’oeuf 6 dinars ? Comment peut-on se soigner lorsqu’une ordonnance medicale des plus banales (les soins pour une grippe ou une angine) revient au bas mot a 1 000 dinars et que la securite sociale n’en rembourse que 20 a 40 % ? Une amie medecin m’a dit que les gens n’achetaient plus que les medicaments les plus "necessaires". Pour le reste, "prends ton mal en patience !" Comme l’etat se desengage de plus en plus de tous les services publics (sante, education, logement, emploi ....), il y a aussi le probleme dramatique du logement qui n’a fait qu’empirer depuis la guerre. Avec la privatisation et la liberalisation du marche, les prix des loyers se sont envoles ! Pour un F2 dans la banlieue pauvre d’Alger, on paie entre 8 000 et 13 000 dinars par mois. Certaines agences font des contrats d’un an renouvelables et exigent le prix d’une annee de loyer d’avance
Pour s’en sortir, il reste encore le reseau familial, quand les enfants sont en age de travailler, et s’ils arrivent a decrocher un boulot. Sinon, il reste le systeme D. Dans tout Alger, il y a des jeunes qui vendent des cigarettes au detail parce que les gens ne peuvent plus se permettre de s’acheter un paquet entier. Il y a la vente a la sauvette de tout et de rien (bien sà »r des articles d’importation). Il y a ces vieilles femmes et ces petits enfants qui vendent, autour des marches Closel et Messonier, du pain, du couscous, des bricoles. Il y a la mendicite, qui, en quatre ans, s’est repandue partout dans Alger. Des enfants entre 8 et 12 ans, des vieux, des vieilles femmes qui arpentent les rues a longueur de journee, qui rentrent dans les magasins, les restos, les agences de voyage et a qui on n’a pas encore le courage de dire d’aller mendier dehors. Il y a aussi ceux qui ont pete les plombs, les "fous", de plus en plus nombreux, qui errent en gueulant en parlant, en tenant des discours politiques pas si incoherents qu’on pourrait le penser.
Et tout cela n’est que le debut, le pire n’est pas encore arrive. Il reste encore au pouvoir a s’accaparer le foncier. Les textes relatifs a la privatisation des terres sont ficeles. Mais qui en seront les beneficiaires ?
Les fellahs, qui ont travaille ces terres pendant la periode de la revolution agraire avec le slogan "la terre est a celui qui la travaille" ? Les anciens proprietaires d’avant la guerre d’independance (puisque, a cette epoque, le systeme social etait de type "tribal" et que les terres communautaires appartenaient aux tribus) ? Ou les grosses fortunes liees au pouvoir (militaires et autres mafias) ? Il faut peut-etre souligner ici que le fameux "triangle de la mort", comme la presse occidentale le nomme, n’est rien d’autre que la grande plaine de la Mitidja : les terres les plus fertiles d’Algerie. Est-ce une tactique de la guerre economique qui consiste par la terreur et les massacres de familles entieres a vider ces terres de ses occupants pour faciliter leur appropriation par ceux qui sont en train de se partager le pays ?
Ce qui se cache derriere cette guerre, comme derriere toutes les autres, d’ailleurs (la guerre du Golfe, le Kosovo, le Rwanda, la Palestine occupee), ce sont des interets economiques et des enjeux geostrategiques. Un nouveau partage du monde est en train de se faire, avec une lutte acharnee entre Americains et Europeens. Les peuples peuvent crever, de bombes, de coups de sabre ou de faim (30 millions de personnes meurent chaque annee de faim Voila le plus grand des genocides de notre siecle, mais cela leur importe peu. Ce qui les interesse, c’est d’etablir leur nouvel ordre policier et economique, avec la complicite des gouvernants sur place, qu’ils soient fachos, integristes ou totalitaires, et la collaboration active des medias, qui taisent tout cela consciemment.
Je voudrais terminer par une phrase que m’a dite un ami d’Alger. "Plus que tout c’est le tissu social, la solidarite, la convivialite, la chaleur, le sens de l’hospitalite que l’on est en train de detruire.". Et, quand ce sera totalement fait, ils auront reussi leur coup. Chacun ne pensera qu’a sa peau pour sortir de la galere. Nous deviendrons des individualistes. Et l’individualisme est l’une des bases fondamentales du capitalisme.
Fadila
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