samedi
2 janvier 2010
Biographie de Saïl Mohamed (Ameriane ben Amezaine, 1894-1953), anarchiste algérien et pionnier de la lutte anti-coloniale.
Étranges étrangers
Kabyles de la Chapelle et des quais de javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies...
Apatrides dAubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manoeuvres désoeuvrés...
Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés...
Etranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.
Jacques Prévert
Ce poème de Prévert extrait de Paroles symbolise le combat d’une vie, celui de Saïl Mohamed. Saïl Mohamed, Ameriane ben Amezaine, est né le 14 octobre 1894 à Taourit-Béni-Ouglis, en Kabylie. Comme beaucoup d’Algériens, il a peu fréquenté l’école. Chauffeur-mécanicien de profession, il fut toute sa vie assoiffé de culture. Il vécut avec Madeleine Sagot. On sait peu de choses de sa jeunesse ; on apprend par un témoignage qu’il donne au Semeur de Normandie, le journal d’A. Barbé, qu’il est interné pour insoumission puis pour désertion pendant la première guerre mondiale. Ses sympathies pour le mouvement libertaire sont déjà affirmées.
Dès la reconstitution du mouvement libertaire, à la sortie de la première guerre mondiale, il adhère à l’Union anarchiste. Saïl est alors un militant de base. En 1923, avec son ami Sliman Kiouane - chansonnier de son état -, il fonde le Comité de défense des indigènes algériens. Les porteurs de valises n’existaient pas encore, mais ces deux Algériens avaient pris conscience de la misère de leur peuple. Dès ses premiers articles, Saïl dénonce la misère des colonisés et l’exploitation coloniale. Dès lors, il devient l’un des meilleurs connaisseurs de la situation nord-africaine. Les articles lorsqu’il ne sont pas signés par lui, sont de Victor Spielman ou de Vigné d’Octon. Saïl ne fait pas que dénoncer par voie de presse la misère des indigènes algériens, il organise avec ses compagnons du groupe du XVIIIème des meetings sur l’exploitation des Nord-Africains. Ces meetings ont une particularité ; ils sont à la fois en français et en arabe. C’est ainsi qu’il tonne régulièrement « contre les marabouts qui bernent les populations ».
Après avoir multiplié les activités, Saïl s’installe à Aulnay-sous-Bois comme mécanicien. Il y fonde un groupe et va devenir l’un de ses animateurs les plus efficaces. Il n’abandonne pas la lutte pour la reconnaissance du droit des Algériens à vivre libres. En 1929, il est le secrétaire d’un nouveau comité : le Comité de défense des Algériens contre les provocations du centenaire. La France s’apprête à célébrer le centenaire de la conquête de l’Algérie (5 juillet 1830). L’ensemble des tendances du mouvement anarchiste - l’Union anarchiste, la Confédération générale du travail syndicaliste révolutionnaire (CGT-SR) et l’Association des Fédéralistes anarchistes - dénonce le colonialisme assassin, la mascarade sanglante. Les anarchistes protestent contre les farces du centenaire, répondant : « La civilisation ? Progrès ’ ? Nous disons nous : assassinat ! ». Par la suite, Saïl adhère à la CGT-SR, dans laquelle il crée la Section des indigènes algériens. Il lance de nombreux appels aux travailleurs algériens. L’année suivante, lors de l’exposition coloniale, le mouvement anarchiste reprend sa campagne contre le colonialisme. Saïl est une fois de plus au premier rang des contestataires.
En janvier 1932, il devient le gérant de L’Éveil social, le journal du peuple dans lequel il signait des articles sous les pseudonymes de Léger et de Georges. Lors de la parution d’un article antimilitariste à la fin de l’année, cette responsabilité lui vaut des poursuites judiciaires pour « provocation de militaire à la désobéissance ». Le Secours rouge international, organisation satellite du Parti communiste, lui apporte son soutien qu’il rejette au nom des victimes du stalinisme.
En 1934, éclate "l’affaire Saïl Mohamed". La manifestation des ligues du 6 février 1934 entraîne une réaction dans l’ensemble du mouvement ouvrier. Saïl trouve des armes, les conserve. Le 3 mars, il est arrêté pour « délit de port d’arme prohibée ». Le mouvement ouvrier lui apporte son soutien, à l’exception du Parti communiste qui le dénonce comme un agent provocateur. Condamné à un mois de prison, puis à un autre mois pour « détention d’armes de guerre », il reste quatre mois en prison.
A sa libération, Saïl ne désarme pas et reprend son combat. L’Éveil social fusionne avec Terre libre (organe mensuel de l’Alliance libre des anarchistes du Midi), composé sur les presses de l’imprimerie La Laborieuse, d’André et Dori Prudhommaux. Terre libre applique le principe du fédéralisme libertaire, il existe des pages nationales et des pages régionales. Saïl fut responsable de l’édition nord-africaine - malheureusement nous n’avons retrouvé à ce jour aucun numéro de cette édition. Saïl tente de reconstruire le Groupe anarchiste des indigènes algériens ; différents appels du groupe paraissent dans le presse libertaire. Dans le même temps, Saïl continue de militer à l’Union anarchiste, il prend part aux débats organisationnels qui traversent le mouvement. Saïl est partisan d’une organisation qui regroupe l’ensemble des anarchistes décidés à agir. Durant le Front Populaire, il reprend position. Il développe son analyse en tenant compte des leçons espagnoles et de l’action qu’il mène à Aulnay-sous-Bois : « Sachez que si notre groupe dépasse cent cinquante copains à l’heure actuelle, c’est parce que ses animateurs ne sont pas "des rigolos" mais des anarchistes sans compromission et que, s’ils sont de différentes écoles, ils ne connaissent avant tout qu’un seul idéal et une Anarchie » (La Voix libertaire n° 349, 29 janvier 1937, Lettre fraternelle au camarade Planche).
Après le soulèvement franquiste et le début de la Révolution espagnole, nombre de militants anarchistes de toutes tendances sont partis rejoindre le Groupe international de la colonne Durruti [1] Saïl est un des tous premiers volontaires étrangers à rejoindre la Colonne Durruti. Il a alors 42 ans. Le Groupe international est réparti en centuries linguistiques : les Allemands portent le nom de centurie Erich Müsham, les Français celui de Sébastien-Faure. Saïl rejoint cette dernière au mois de septembre 1936. En octobre 1936, il devient le délégué général des Groupes 2trangers, en remplacement de Bethomieu tombé à Perdiguera. Blessé à la main durant le mois de novembre, il rentre en France en décembre, après avoir envoyé de nombreuses lettres décrivant les situations du mouvement anarchiste en Espagne. Dès la guérison de sa blessure, il participe aux conférences organisées par l’Union anarchiste sur les réalisations et les conquêtes de la Révolution.
Immédiatement après cette tournée, il participe au meeting tenu le 17 mars à la Mutualité, par l’ensemble des organisations de la gauche révolutionnaire, pour protester contre l’interdiction de l’Étoile nord-africaine, conduite par Messali Hadj, et contre la répression des manifestations en Tunisie qui a fait seize morts.
Du 11 au 13 novembre 1937, Saïl participe au congrès de l’Union anarchiste, dans leque il intervient pour rappeler les conditions de lutte en Espagne. Lucien Feuilllade, qui a retranscrit les propos de cette séance du congrès, a remplacé les propos de Saïl, qui comme à son habitude utilise des termes crus : « Pour avoir un fusil, j’aurais léché le cul d’un garde mobile », par « ..., j’aurais fait toutes les concessions ». (Le Libertaire n’ 575, 11 novembre 1937).
Saïl continue son travail de militant. A nouveau arrêté pour « provocation de militaire », il est condamné en décembre 1938 à 18 mois de prison. Au début de la seconde guerre mondiale , il est encore arrêté, une perquisition entraîne la dispersion de sa bibliothèque, il est conduit au camp de Riom d’où il semble qu’il se soit échappé. Il fabrique des faux papiers pendant l’occupation.
Dès la Libération, Saïl reconstitue le groupe d’Aulnay-sous-Bois, et essaye de reformer des comités d’anarchistes algériens. Il tient dans Le Libertaire une chronique de la situation en Algérie. En 1951, il est nommé responsable au sein de la commission syndicale aux questions nord-africaines. Il produit une série d’articles sur « le calvaire des indigènes algériens ». Saïl Mohamed meurt à la fin avril 1953.
Extrait d’un article de Benjamin STORA :
Les héritiers de la tradition anticoloniale
Face aux défenseurs de la présence française au Maghreb, de petits courants du mouvement ouvrier français se dressent. Qui sont-ils ?
On retrouve les continuateurs de la tradition anticoloniale[25] dans un « Comité contre la guerre et l’union sacrée » dont la première réunion se tient à Saint-Denis les 10 et 11 août 35[26]. Ils entendent poursuivre leur bataille contre le « militarisme et le service militaire à deux ans », contre la « guerre impérialiste », dont l’agression italienne contre l’Éthiopie fournit à leurs yeux un exemple. Aux côtés d’un certain nombre d’écrivains, tels Jean Giono, Magdeleine Paz[27], Henry Poulaille, Simone Weil, se regroupent donc les socialistes de gauche de Marceau Pivert[28], les trotskystes, les syndicalistes-révolutionnaires de La Révolution Prolétarienne[29], les libertaires de l’Union Anarchiste et des militants de la Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire (C.G.T.S.R.), petite organisation anarcho-syndicaliste. Ce sont eux principalement que nous allons suivre.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, le mouvement anarchiste spécifique se reconstitue péniblement. Il connaît un regain d’activité grâce à ses militants syndicalistes occupant des responsabilités importantes. Mis en minorité au Congrès de Lille de la C.G.T. en 1921, les anarchistes commettront l’erreur de quitter la C.G.T.U.[30] nouvellement créée, pour fonder une nouvelle organisation syndicale, la C.G.T.S.R. qui ira en périclitant avant de disparaître en 1939. Le premier numéro de son organe, Le Combat Syndicaliste, paraît en décembre 26, avec une périodicité irrégulière, jusqu’en avril 33 (n° 62). La nouvelle série qui va jusqu’au numéro 200 (19 mars 37) est en revanche d’une remarquable régularité[31]. La chronique « Tribune algérienne », dans les années 30-32, fait état de campagnes menées par ses sections syndicales, en particulier dans le bâtiment. Samuel Jospin, dans un mémoire consacré à la C.G.T.S.R., indique que ses effectifs varient entre 1.000 et 6.000 militants[32].
Chronologiquement, la Fédération anarchiste de la région parisienne fut sans doute la première organisation politique française à s’intéresser aux travailleurs nord-africains et à mettre sur pied un Comité d’action pour la défense des indigènes, et ce dès 1923. Elle condamna énergiquement le Centenaire de la Conquête de l’Algérie en 1930 et affirma des positions nettement hostiles au colonialisme. Le groupe libertaire de Marseille mena une campagne sur « le sort de la colonie algérienne de l’Afrique du Nord », mais se heurta à l’indifférence à peu près généralisée[36]. On les retrouve au début de l’année 35, menant campagne « contre la religion » et « la politique » avec un tract distribué en arabe à Paris :
Aux travailleurs algériens ! Bravo ! Tu commences à te réveiller, tu entres dans la lutte sociale après avoir compris que tu es trop opprimé. Mais, hélas ! Croyant te libérer de la peste française qui te ronge, tu veux te rejeter vers le choléra islamique, qui te détruira pareillement, ou vers la politique, qui te dévorera [...] Anarchistes, nous te disons : À bas tous les gouvernements et tous les exploiteurs, qu’ils soient roumis ou musulmans, car tous veulent vivre sur le dos des travailleurs [...]
Pour le groupe des Anarchistes indigènes algériens : Saïl Mohamed[37].
Obsédés par l’idée de la propagande, où la verve polémique l’emporte le plus souvent sur la rigueur de l’analyse, les anarchistes ont-ils réussi à faire connaître largement leurs positions grâce à leurs journaux et à leurs brochures ? On ne saurait le dire précisément. Pendant le Front populaire, il y a en tout cas grossissement des effectifs du mouvement anarchiste. Ainsi apparaît dans Le Combat Syndicaliste l’activité d’une section des Métaux à Oran en 37. L’existence de petits groupes anarchistes est signalée à Alger en 35, à Oran en 36, à Sidi-Bel-Abbès en 38[38]. Au Congrès de Paris de l’Union anarchiste en 37, où 120 délégués expriment 74 groupes, deux délégués représentent Alger. C’est une première par rapport aux quatre précédents Congrès. Leur existence au Maghreb peut donc paraître dérisoire ; elle est néanmoins établie par l’écho des campagnes que l’on trouve dans leurs journaux. Ainsi exigent-ils dans ceux-ci en 36, la libération de quarante militants anarchistes d’origine espagnole arrêtés à Oran et Casablanca[39].
[25] Sur l’anticolonialisme anarchiste et ouvrier au début du siècle, cf. C.-R. Ageron, L’anticolonialisme en France de 1871 à 1914, P.U.F., 1973 et plus spécialement p. 32-35.
[26] Lire, dans le n° 7 : Arnaud Blouin : « Le pacifisme du noyau syndicaliste révolutionnaire de La Révolution prolétarienne (1914-1939) » ; Vincent Chambarlhac : « 1914-193... Une mémoire brisée ? Entre marginalisation et fidélité, le combat des pacifistes de la Grande Guerre dans les années 30 ». [n.d.l.r.]
[27] Cf. l’article de A. Mathieu sur M. Paz. [n.d.l.r.]
[28] Marceau Pivert (1895-1958) était le leader du courant de la Gauche révolutionnaire à la S.F.I.O.
[29] Cf. l’article d’A. Blouin déjà cité. [n.d.l.r.]
[30] Opposés à l’alignement de la C.G.T.U. sur le P.C.F., les anarchistes se regroupent en 1926 dans la Confédération Générale du Travail-Syndicaliste révolutionnaire.
[31] Collections déposées au Centre d’Études et de Recherches du Mouvement Trotskyste et Révolutionnaire International (CERMTRI).
[32] Samuel Jospin, La c.g.ts.r. à travers son journal Le Combat syndicaliste, 1926-1937, Maîtrise, Université de Paris I, 1974.
[33] De 1929 à 1939, quatre organisations ont existé en France : l’Union anarchiste-communiste révolutionnaire qui en 34 devient l’Union anarchiste ; l’Association des fédéralistes anarchistes ; la Fédération anarchiste de langue française ; la Fédération Communiste Libertaire (Cf. Alain Droguet, Le mouvement anarchiste-communiste de 1929 à 1939 vu à travers ses Congrès, Maîtrise, Université de Paris I, 1972).
[34] Le Libertaire, respectivement 25 novembre 1929 et 2 octobre 1936.
[35] Mohamed Saïl (1894-1953) et Slimane Kiouane (1896-1971) étaient les principaux animateurs du Comité d’action pour la défense des indigènes algériens fondé par la Fédération anarchiste de la région parisienne.
[36] Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, Alger, SNED, 1980, t. I, p. 258.
[37] Tract reproduit dans Le Combat Syndicaliste, 25 janvier 1935.
[38] In Françoise Vanacker, Le Mouvement anarchiste à travers Le Libertaire (1934-1939), Maîtrise, Université de Paris I, 1971.
[39] « Sauvons les camarades d’Oran et de Casablanca », Le Combat syndicaliste, 8 mai 1936 ; « Appel pour les emprisonnés d’Oran », ibid., 29 mai 1936.
http://www.univ-paris13.fr/benjaminstora/lhistoire/217-la-gauche-socialiste-revolutionnaire-et-la-question-du-maghreb-au-moment-du-front-populaire-1935-1938-
[1] il ne faut pas confondre, comme le font sciemment certains historiens marxiste, ce Groupe International avec les Brigades Internationales, organisation aux ordres du fascisme rouge stalinien et de ses instruments : l’Internationale communiste et le Guépéou.
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