mardi
7 juin 2005
Intéressant texte d’Yves Coleman, de la revue Ni Patrie Ni frontière dont nous vous recommandons la lecture.
http://www.mondialisme.org/article....
Du nationalisme des partis bourgeois de gauche et des manœuvres politiciennes de l’extrême gauche, trotskyste et libertaire
Pour toute personne qui s’intéresse à la vie politique en France depuis quelques années, un certain nombre de choses semblent ne jamais changer. Les politiciens bourgeois pensent que leur impérialisme est toujours aussi puissant qu’au XIXe siècle et au début du XXe siècle ; quant aux « révolutionnaires », ils croient encore que l’opinion de Marx sur la supériorité politique du mouvement ouvrier français serait encore valable, un siècle et demi plus tard.
Les politiciens bourgeois rêvent de Henri IV, Richelieu, Louis XIV, Napoléon, Poincarré, Léon Blum, Mendès France ou De Gaulle. Les militants révolutionnaires rêvent de Saint Just, Blanqui, Jaurès, voire pour certains de Pelloutier ou Louise Michel. Ils rêvent de la Commune de Paris ou des grèves générales de Juin 1936 ou de Mai 1968.
Mais, curieusement, aucune de ces tendances, pourtant radicalement opposées, ne veut tirer les conséquences politiques du fait que la France est devenue une puissance impérialiste secondaire. Pour une raison simple, et consternante : les réactionnaires, les réformistes et une partie de la gauche dite « révolutionnaire » partagent la même fierté nationale, même si leurs héros ne se sont jamais trouvés du même côté de la barricade.
Cet orgueil national, commun à la droite, à la gauche, voire à l’extrême gauche, puise des thèmes communs dans l’idéologie républicaine et laïque, le mythe de la mission universelle et universaliste de la France, le rappel permanent de l’apport des philosophes des Lumières, une vision idéalisée de la Résistance sous l’Occupation et enfin dans la nouvelle idéologie apparue avec la croissance du mouvement altermondialiste, l’idéologie du citoyennisme, de la démocratie participative, qui se résume à une croyance aveugle en les mensonges et les illusions de la démocratie bourgeoise. Bien sûr, tous les républicains et les laïques et même tous les citoyennistes ne sont pas des chauvins de la pire espèce. Mais même lorsqu’ils invoquent de vagues valeurs internationalistes, ils sont incapables de rompre avec l’idéologie bourgeoise qui a pris de si nombreuses formes durant l’histoire des luttes de classes en France. Cette idéologie est fondée sur le culte de l’Etat, la croyance en son rôle protecteur, progressiste, quasi messianique.
Durant la révolution de 1789, l’Etat français prétendait lutter contre toutes les monarchies européennes ; sous Napoléon, il prétendait consolider les conquêtes de la Révolution qui avaient été exportées en Espagne, en Italie, au Portugal, en Belgique, etc., à la force des baïonnettes ; au milieu du XIXe siècle, Napoléon III essaya une fois de plus de jouer la carte de l’union nationale et de nouer une alliance entre des classes antagonistes, ce que Marx appela justement le « bonapartisme ».
Durant les années 1930, un groupe d’économistes défendirent l’idée qu’il fallait une forte intervention de l’Etat dans l’économie pour juguler la crise internationale du capitalisme : membres de la SFIO, les « planistes » (comme on les appela alors parce qu’ils étaient de chauds partisans de la planification) offrirent ensuite leurs services au régime... du Maréchal Pétain. Pendant la Résistance et le gouvernement d’union nationale présidé par De Gaulle entre 1945 et 1947, on put assister à une autre version de l’unité nationale au nom de la « lutte contre le fascisme » puis de la reconstruction du capitalisme français. Depuis 1945 la gauche et la droite communient dans l’évocation des « conquêtes sociales de la Résistance », oubliant quel a été le prix de ces « conquêtes » : faire marner les ouvriers pour des salaires de misère, remplir les poches des patrons et de l’Etat pendant des décennies, soutenir toutes les aventures coloniales puis néocoloniales de l’impérialisme français.
Sous la Cinquième République, de 1958 à 1969, ce culte de l’Etat a pris de nouveau de l’ampleur notamment à travers les plans économiques et la figure charismatique du Général-Président dont la politique étrangère anti-américaine était soutenue par le Parti communiste français ; et durant les négociations sur le Programme commun dans les années 1970 et les deux premières années du gouvernement de la gauche unie 1981-1983 nous avons encore eu une version « de gauche » de cette idéologie nationaliste : la nationalisation de quelques banques, compagnies d’assurances et quelques industries clés allait « changer la vie » de tous les opprimés et les exploités.
En 2005 avec la prétendue campagne du « Non de gauche », soutenue par les guignols de la « gauche du PS » et une partie du mouvement altermondialiste, sans oublier l’inévitable LCR, nous avons assisté à un nouvel essor de l’orgueil national et de l’idéologie étatiste comme en témoignent leurs tracts et leur propagande. La campagne pour le « Non de gauche » a vu ressurgir chez les électeurs et les sympathisants de gauche les formes les plus ambiguës de l’anti-américanisme au nom de la dénonciation de l’OTAN ou de l’OMC, ainsi que les sentiments xénophobes contre le tristement fameux « plombier polonais » (on vient d’ailleurs d’apprendre, après les élections bien sûr, qu’il n’y aurait en fait en France que 150 plombiers polonais) ou l’industrie textile chinoise (le lundi 29 mai 2005, lors d’une émission-bilan du référendum sur le TCE sur France 2, un responsable CGT eut le cynisme et le culot de dénoncer la « concurrence chinoise » sans mentionner une seule fois le sort des 19 millions d’ouvriers chinois du textile surexploités dans ce pays). C’est pourquoi il est particulièrement indécent de voir l’extrême gauche prétendre que le non de gauche serait « internationaliste » alors qu’ elle a été incapable, en l’espace d’un an, d’organiser la moindre campagne, le moindre meeting, à l’échelle européenne regroupant les forces révolutionnaires des différents pays de l’UE pour critiquer le contenu du Traité constitutionnel et en expliquer les enjeux réels pour tous les prolétaires européens, pas simplement pour les prolétaires français.
Loin d’être une « victoire » de la classe ouvrière ou la « revanche des classes populaires sur Maastricht » (dixit Alternative libertaire) la pseudo « victoire du non » est le fruit d’une alliance contre nature dans les urnes entre les 5 millions d’électeurs Le Pen et de Villiers (dont les positions xénophobes et racistes ne sont plus à démontrer) avec les 8 millions d’électeurs PC et PS. Une telle « victoire » n’a rien à voir avec la défense des intérêts des exploités. Il faut avoir un certain culot et un énorme mépris pour l’intelligence des gens pour affirmer que le Non aurait « marginalisé l’extrême droite » comme le prétend Alternative libertaire. Ce sont les mêmes qui nous expliquaient qu’il fallait voter Chirac en 2003 parce que les 5 millions d’électeurs de Le Pen représentaient un danger « fasciste » et qui aujourd’hui nous expliquent que ces 5 millions d’électeurs dangereux se seraient évanouis en fumée... dans le camp du oui peut-être ?
D’ailleurs nos anarcho-électoralistes se dévoilent de façon bien naïve lorsqu’ils écrivent sans rire que la « victoire du Non » serait une « petite victoire sociale » et une « grande victoire symbolique ». Symbolique, vous avez bien lu. Voilà à quoi en sont réduits les révolutionnaires aujourd’hui : à se réjouir de victoires électorales, qui plus est symboliques ou de l’ « immense espoir » (LC R) soulevé par les résultats d’un vote. D’ailleurs nos terribles révolutionnaires ne parlent plus de renverser l’Etat bourgeois, de former des conseils ouvriers : ils veulent une « rupture avec le capitalisme » (LCR) tout comme Mitterrand avant 1981 ou « faire trembler le capitalisme » (Alternative libertaire). Restons symboliques, quoi.
Quant à la prétendue « autre Europe sociale, démocratique, écologiste et féministe », elle n’a aucune chance de jaillir des urnes et d’un soutien critique aux politicards de gauche. Pas plus qu’une « Assemblée constituante », élue à la proportionnelle, qui donnerait une représentation solide au Front national et à ses 5 millions d’électeurs, sans compter toutes les autres forces réactionnaires qui pourraient librement s’y exprimer. Ni un nouveau Forum social européen qui permettrait à toutes sortes de politiciens de gauche discrédités de se faire une virginité.
Les militants d’extrême gauche doivent avoir bien peu confiance en la force et la justesse de leurs idées pour croire qu’une pseudo-victoire électorale va « gonfler le moral des classes populaires » (Alternative libertaire). C’est exactement le raisonnement que tenaient d’ailleurs la LCR ou le PT en 1981 quand ils expliquaient que la venue de Mitterrand au pouvoir allait soulever l’espoir des « masses » et que celles-ci « déborderaient les appareils ». On a vu le résultat : croissance exponentielle du chômage, casse de la sidérurgie, des mines, des chantiers navals, de l’automobile, dégradation générale de tous les prétendus « services publics », attaques systématiques contre les travailleurs immigrés, essor du Front national et de l’expression publique des idées et comportements racistes, etc.
Les ouvriers et les employés qui font voté Non (tout comme d’ailleurs ceux qui ont voté oui) n’ont pour le moment AUCUNE AUTRE PERSPECTIVE politique que le retour de la gauche qui a mené une politique anti-ouvrière chaque fois qu’elle est venue au pouvoir.
La façon dont la gauche nous explique aujourd’hui la prétendue « victoire du Non » témoigne une fois de plus du nationalisme incurable qui imprègne ses dirigeants. En effet, qu’ont déclaré les dirigeants de la pseudo-gauche du Parti socialiste dimanche 28 mai dès qu’ils ont appris les résultats des élections ? « Je suis fier d’être français » (Henri Emmanuelli), « Notre pays a une haute idée de la politique et refuse une économie de marché sans aucune règle » (Marie-Thérèse Lienemann), « La rupture avec le capitalisme est un songe creux » (Arnaud Montebourg). Citons enfin les déclarations du trio Dolez-Filoche-Généreux qui a fait un tour de France et près de 90 meetings pour le « non de gauche ». Nos trois compères se réjouissent de l’ « allégresse » du « peuple français » qui a manifesté dans les rues « comme en mai 1981 ». Nos trois mouquetaires socialos oublient de mentionner tous les coups portés à la classe ouvrière par la gauche au pouvoir depuis ces mêmes manifestations de liesse. Fidèles à la tradition du nationalisme français le plus arrogant, nos trois « socialistes de gauche » osent écrire que « le non français a créé la possibilité d’une authentique refondation démocratique de l’Europe. Il dit au reste de l’Europe que les pro-européens ont le droit de dire Non sans menacer la construction européenne », « La France doit donner l’impulsion nécessaire pour une nouvelle renégociation », etc.
Non seulement nos trois branquignols se gargarisent de « la France » et de la « construction européenne », non seulement ils font le même raisonnement que Chirac en croyannt encore que la France serait la « tête politique « de l’Europe, mais en plus ils cachent sciemment que leur construction européenne, qu’elle soit menée par des sociaux-libéraux ou des sociaux-démocrates, est et sera une tentative de construire une nouvelle puissance impérialiste aux contours inédits. Certes, on ignore encore si cette future puissance impérialiste européenne verra vraiment le jour et quelles instutions politiques définitives elle se donnera, mais l’UE possède déjà sa monnaie et devra un jour posséder une armée unique, ultramoderne, prête à intervenir sur tous les continents, si elle veut jouer pleinement son rôle face à l’impérialisme américain et aux puissances capitalistes émergentes en Asie, l’Inde et l’Asie.
La pseudo-gauche du PS a déjà un beau programme : l’ « unité de toutes les tendances socialistes », l’ « unité de la gauche » et une « nouvelle constitution démocratique européenne ». En d’autres termes, ils veulent avoir des strapontins dans le prochain gouvernement bourgeois de gauche et prendre part à la direction de l’impérialisme européen en lui donnant une façade démocratique. Le PCF, quant à lui, continue à se vautrer dans le respect et le culte de l’Etat puisqu’il demande à Chirac (à Chirac !) de « porter avec force la voix de notre peuple et de demander la renégociation du traité avec un véritable débat populaire en Europe ».
ATTAC n’est pas non plus en mal de chauvinisme puisqu’elle propose de réaliser un tour d’Europe « pour expliquer le non français » comme si les Européens étaient trop cons et avaient attendu les altermondains pour comprendre ce qui était en jeu dans la construction de l’impérialisme européen.
Face à ces manœuvres politiciennes grossières qui aboutiront sans doute à remettre en selle un politicien « social-libéral » (en clair bourgeois) comme Fabius, l’extrême gauche n’a fondamentalement pas d’autre politique à proposer que d’appeler à la victoire de la gauche en 2007, tout en enrobant cet appel de leurs coquetteries hypocrites habituelles.
Les militants du Parti des travailleurs ont certes leurs propres comités mais soyons sûrs qu’ils appelleront à voter PC-PS. Lutte ouvrière ne s’est pas mouillée dans les comités du Non mais cette organisation a quand même appelé à voter Non lors du référendum et appellera certainement à voter PC, voire PS, en 2007, comme elle le fait à presque toutes les élections. Quant à la LCR, elle a participé aux comités du non aux côtés des opposants du PS et des Verts, et des militants du PCF. Déjà deux jours avant la « victoire » du Non certains dirigeants de la LCR confiaient à Libération qu’ils entendaient faire vivre les comités du non après les élections pour pousser la gauche au pouvoir. Et ce n’est pas Clémentine Autain, apparentée PCF, qui allait les contredire, puisque le lundi 29 mai elle affirmait, d’un air gourmand et matois, sur I-télé, qu’il ne fallait « pas tout de suite parler des présidentielles de 2007 » sinon on allait couler les comités du non. Bel aveu qui dévoile les arrière-pensées de tous ces prétendus adversaires du « social-libéralisme » !
Les manœuvriers de la gauche et de l’extrême gauche vont faire monter lentement la mayonnaise avec l’appui des altermondialistes et peut-être même de certains libertaires pour finalement sortir de leur chapeau Fabius (ou Bové, pourquoi pas ?) aux présidentielles. Mais que gagneront les travailleurs à miser sur ces chevaux-là ? D’amères désillusions et de nouveaux coups dans la gueule s’ils ne se mobilisent pour leurs propres intérêts de classe sans écouter les sirènes électoralistes. La lutte sera longue et difficile mais elle ne passera ni par les urnes ni par les combinaisons politiciennes que nous font miroiter la gauche et l’extrême gauche.
Y.C.
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