Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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QUELQUE CHOSE EST EN TRAIN DE CHANGER...

jeudi 22 juin 2006

Quelque chose est en train de changer. Le jour de la mort de Banou et Zyad, une révolte populaire éclate et se développe en feu de broussailles. Dans toute la France, des jeunes expriment, comme ils le peuvent, leur colère légitime. L’incompréhension est totale dans le pays : Krivine (leader de la Ligue communiste révolutionnaire, LCR) fait des rondes avec des miliciens amateurs pour protéger sa voiture [1]. Lutte ouvrière (LO) qualifie les jeunes de “voyous” [2]. Le Parti communiste (PC) demande au pouvoir de maintenir l’ordre [3]. Le Parti socialiste (PS) approuve l’état d’urgence [4]. Les “anars” ne sont pas forcément plus clairs [5].

Quelque chose a changé. Aujourd’hui, ceux-là mêmes qui insultaient les populations de banlieue et appelaient à la répression (même le PS) sont obligés de reconnaître que la crise des banlieues de novembre 2005 avait une forte connotation sociale [6]. Certes, mieux vaut tard que jamais. Mais l’incompréhension dont ils ont fait preuve est structurelle. Elle se répète de mouvement en mouvement et constitue un frein puissant au développement des luttes. Entre temps, de ci de là, des mains inconnues ont mis le feu à bien des ANPE. Des dockers de base ont vigoureusement attaqué le Parlement européen de Strasbourg. Villepin a cherché à étendre à tous les jeunes l’immonde CNE, rebaptisé CPE, par une loi cyniquement intitulée “Pour l’égalité des chances”, une loi soi-disant destinée à répondre aux problèmes des jeunes de banlieue.

Bien que quelque chose ait changé, les politiciens ont repris, autour du projet de loi préparé par Villepin leur éternel numéro d’illusionnistes. Ils ont entamé une “bataille” parlementaire ponctuée de défilés syndicaux. Ils ont reproduit avec constance la même stratégie que précédemment, celle qui avait fait perdre, à la rentrée de 2005, la “bataille” du CNE. Car pour eux, la seule chose à “gagner” ce sont les prochaines élections. Les “luttes” qu’ils organisent à travers leurs complices syndicaux n’ont qu’un véritable objectif et un seul : chauffer les troupes pour qu’elles aillent voter le “jour J”. François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste ne cache même pas ce dessein. Au soir de la première manifestation de février, il déclarait : “Votez pour nous en 2007, et nous abrogerons le CPE”. L’autre leader de la LCR, le sémillant Besancenot ne cache pas non plus qu’il a le même objectif. Pour lui, la seule chose à faire, c’est de “réunir les forces de gauche” en vue des prochaines échéances électorales. Et le reste ne vaut pas tripette.

Bref, tous ces gens qui n’ont rien compris en novembre n’en comprennent pas beaucoup plus en mars.

Pourtant, quelque chose a changé. La période historique a changé. Le temps n’est plus aux rassemblements de foules, comme en 2002 pour faire voter “Chirac” et “sauver la démocratie”. Il n’est plus celui de la mobilisation frileuse de 2003 contre la réforme des retraites. Ce qui a changé, c’est l’irruption d’une nouvelle génération qui bouscule les règles du jeu et piétine le spectacle de la contestation. De quoi inquiéter sérieusement en peu de jours le patronat. D’ailleurs, c’est le MEDEF qui, après les premiers blocages économiques, a sifflé la fin de la partie et demandé au gouvernement d’arrêter les frais, et vite. Laurence Parisot, la patronne des patrons, s’est en effet, selon le quotidien économique “La Tribune” (7 avril) “émue du danger pour l’économie du pays... reçue hier matin par les parlementaires UMP, Laurence Parisot n’a pas manqué de réitérer ce message ... [elle] a conseillé à ses interlocuteurs de l’UMP de ne pas s’obstiner sur le CPE”. Et les politiciens au pouvoir n’ont pas résisté à cette injonction. Mais, cette partie qui vient de s’arrêter n’est possiblement que la fin de l’acte deux (le premier étant l’affaire des banlieues) d’une histoire à venir qui s’annonce riche en rebondissements.

Car décidément, rien n’est plus comme avant. Cette génération ci, qui n’a connu que la crise, que l’alternance d’une gauche et d’une droite jouant continuellement la même comédie, que la soi-disant fin de l’histoire, que la résurgence du népotisme, du national-régionalisme, bref que l’exaltation des idéologies réactionnaires et autoritaires ; cette génération sait qu’elle n’a pas grand chose à perdre. Cette société ne lui offre plus ces perspectives individuelles, certes minables, mais qui ont permis d’acheter les générations antérieures. Dépouillée des ses illusions, voici une génération prête pour de grandes ambitions collectives, et -qui sait- pour l’aventure révolutionnaire.

Décidément, quelque chose vient de changer. Face au spectre du capitalisme se dresse enfin, aux yeux du monde, le rêve, encore imprécis, d’un autre futur.

En cette fin de mois de mars, en ce début printanier d’avril, dans toutes les villes du pays, parfois dans les plus modestes bourgades, une fraction importante de la population vient de toucher du doigt une autre réalité, de sortir du spectacle virtuel des médias. L’apprentissage programmé de la soumission vient de faire place à celui de l’action directe et du “pouvoir faire” par soi-même. Et cela ouvre bien des espérances. Voici enfin des Assemblées générales (AG) qui, à leur niveau, localement, débattent et ensuite prennent de vraies décisions. Et ces décisions, au fur et à mesure, donnent corps à une force collective impressionnante. En deux mois, en deux petits mois, ces AG se sont ouvertes à tous les révoltés, pas seulement aux étudiants, mais aussi aux lycéens, aux chômeurs, aux précaires et aux salariés, et même ça et là, aux “voyous” de banlieue. Elles ont su passer du blocage des facultés et de quelques lieux symboliques (comme les ANPE) à celui des carrefours des villes avant de s’orienter vers le blocage des rouages de l’économie, en attendant, un jour peut-être prochain, de pouvoir bloquer le pays.

Tiré du Combat Syndicaliste de Midi-Pyrénée n°95, par la CNT-AIT de Toulouse


[1] A ce moment, Krivine rencontre un journaliste de Marianne (12 nov. 05) et lui fait “le récit de ces nuits folles où à soixante, ils font des rondes jusqu’à deux heures du matin” pour protéger sa copropriété de la colère des jeunes.

[2] Arlette Laguiller, pour qui la révolte des banlieues “est peut être le fait de voyous ou de trafiquants” dénonce l’”absence de conscience sociale et de solidarité” des jeunes (édito de Lutte Ouvrière 4 et 11 nov. 05).

[3] “Les responsables des violences et des dégradations doivent être sanctionnés” (Communiqué du Parti communiste français, 03 nov. 05).

[4] Le Parti socialiste a d’abord approuvé cette monstruosité qu’est l’état d’urgence avant de protester mollement contre sa reconduction.

[5] Alternative libertaire (AL) “regrette” la violence des manifestants. Pour la Fédération anarchiste : “il y a des raisons de se révolter, mais brûler des voitures, ... ne fait que du tort.” (Communiqué, 08 nov. 05). Aux Vignoles on récuse ”les comportements irresponsables” (éditorial, site web des Vignoles d’Aquitaine, siège du bureau national) .

[6] En ce qui nous concerne, voici ce que nous écrivions à cette époque. Nous n’avons pas eu besoin de changer d’avis : “Cette révolte était-elle ou non légitime ? Pour nous, à la CNT-AIT, c’était la seule question à se poser. Si oui, il fallait en assumer clairement les contradictions, et avoir le courage politique d’en payer éventuellement les conséquences. C’est ce que nous avons fait. Cela, parce que nous sommes persuadés que la place des militants révolutionnaires est avec les révoltés, lorsque cette révolte est légitime, et parce que ce n’est que de cette place que nous pourrons, avec eux, dépasser les contradictions inhérentes à toute révolte et passer de la révolte à la révolution”. (Combat syndicaliste de Midi- Pyrénées, n°93)


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