Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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INSPECTION ACADEMIQUE : LE BADGEAGE ou l’art de la carotte institutionnalisé

vendredi 19 novembre 2004

Qu’êtes-vous en train d’imaginer dans notre société si policée et si policière ? Non, nous n’avons pas encore notre plaque d’identité électronique accrochée au cou, ou mieux implantée dans la chair, mais ça approche !

Pour moi, le mot "badgeage" renvoie au feuilleton anglais où "le numéro 6" refusait de n’être qu’un numéro et cherchait à s’échapper de ce bel univers "le bonjour chez vous" (cf. la télé des années 70 et les chaînes câblées), où un big boss indifférent, avec pas même un petit pois dans la tête car en villégiature sous le ciel bleu, régentait la vie de chacun, nanti d’un numéro en guise d’identité.

Non, dans les entreprises et les ministères, on ne circule pas encore "badgé" comme dans une base militaire ou un centre nucléaire ! Non, pas encore. Et pourtant. "badgeage" = "action de badger". Qu’est-ce qu’un badge ? Non, pas un gadget ! On "marque" le bétail et la volaille, on "bague" les pigeons voyageurs. En France, on tatouait jusqu’au XIX° siècle les prostituées et les galériens sur l’épaule comme on tatoue le bétail, comme on a tatoué les déportés au poignet pendant la 2ème guerre mondiale, et comme on marque encore dans certains États les prisonniers, comme on tatouait (tatoue encore ?) les esclaves.

Au lycée (avant 1968), nous avions nos nom et classe brodés en rouge au revers de la poche de poitrine de notre blouse uniforme grège : premier marquage ; puis plus tard le marquage par broche des réunions de travail des entreprises, des syndicats, afin que chacun se reconnaisse, mais surtout les fameux badges électroniques pour accéder aux entreprises dites sécurisées - comme à l’armée. Aujourd’hui, c’est le marquage "new-look" : on chope un mot anglo-saxon pour en masquer la trivialité. Mais si ! Chez Renault, Ford et ailleurs, dès l’industrialisation de notre société, voyez Charlot dans "Les temps modernes", OUI, on y a eut droit. Non, on n’employait pas ce terme à base d’édulcorant. On disait tout simplement "je pointe, tu pointes, les ouvriers pointent, les employés pointent - et les patrons profitent".

Il est vrai que les naïfs peuvent croire (avant d’y être confrontés) à la vertu du pointage qu’on vient d’habiller du terme badin de badgeage. Ils y ont cru. Aux siècles passés, les garde-chiourmes (petits chefs) surveillaient le cheptel humain pour les patrons. Au fur et à mesure, la mécanisation, puis les nouvelles techniques instituées "pour le bien de l’humanité" au nom du progrès par d’autres humains, ont modernisé le pointage : "ça" se présente comme une banale carte style téléphonique sans puce visible et sans réclame = un banal rectangle plastique numéroté, contenant des données comme la fameuse "carte Vitale". Ce "ça" doit être présenté à une machine, comme le nouveau garde-à-vous du 2ème classe devant son adjudant ; ça enregistre les nom et prénom de l’employé et son heure de passage devant elle, machine infernale connectée à Big Boss, au Grand Manitou, pardon, au grand ordinateur de la boîte des salariés.

Pourquoi pas ? disent les naïfs. Ainsi, pensent-ils, plus de litige avec mes chefaillons puisque la machine enregistrera exactement à la seconde près l’heure à laquelle je suis arrivé, puis l’heure de mon déjeuner, celle à laquelle je rentre digérer au travail, puis celle à laquelle je repars me reposer quand la nuit est déjà dehors en hiver. Et si je déborde, chouette - rêvent-ils - j’aurai des heures supplémentaires, mon (petit) chef ne pourra plus contester mon temps de travail et je pourrai compenser tout de suite le retard du bus, les routes encombrées, le petit-qui-est-malade-et-j’ai-dû-appeler-la-voisine-pour-ne-pas-le-laisser-seul. Chouette, c’est ce que je croyais. Chouette que je me disais, si coup de bourre au travail (car de toutes façons j’y suis coincé) mais, grâce à la pointeuse, pardon, la "badgeuse" maintenant, ou j’aurai une prime (rêvons !), ou bien je gagnerai des heures qui, bout à bout, me permettront des jours de congé supplémentaires quand les petits ont des vacances ou quand je veux partir en amoureux...

Cela, c’est la théorie pour faire avaler la pilule du pointage. C’est un faux-semblant, cela a la couleur de l’illusion, du conte pour petits enfants qui vous est monté à la tête parce que vous avez cru en son emballage !

C’est comme cela que j’ai entendu, lu les syndicats traditionnels (ceux qui touchent les dividendes des patrons et ont des représentants salariés du patronat) réclamer la machine-pointage-libération du travailleur ! Comme si la classe exploitée réclamait à cors et à cris un asservissement de plus, comme si elle se réclamait de l’ère de la brouette (le nombre d’heures encore travaillées, de façon à avoir l’esprit bien occupé par la survie) combinée à l’ère du progrès électronique pour le plus grand profit des exploiteurs, dans la crainte (comme l’esclave enfin libre) de ne savoir quoi faire de sa liberté !...

En réalité, il y a les "plages" qui dorent au soleil et celles qui se calculent dans nos têtes. Celles de nos vacances, remisons-les encore un peu plus car il faut d’abord (ex)purger celles de notre pointage. N’oublions pas les subtilités des règlements intérieurs des boîtes ! Alors JE, si j’arrive plus tôt ? Si je me débrouille à manger en une demi-heure ? Si je pars beaucoup plus tard ? Si je déborde au bout d’un mois par rapport à mon quota mensuel ? Eh bien, ne désespérez pas, il y aura l’aumône en contrepartie. Quoi, une insulte ? Que nenni, un don, une générosité patronale comme le su-sucre du maître au chien, allant avec la laisse qui nous est octroyée*. Que je vous explique.

La boîte, votre boîte d’emploi qui vous met si bien en boîte, ouvre à 8 h, le concierge (pardon, il n’y a plus que le gardien ou le portier, puisque nous n’usons plus dans notre monde que de mots édulcorés pour faire illusion, pour faire distingué) a ouvert dès 7 h 30. Le boulot est là, et, comme chacun a sa tâche, vous avez décidé de commencer à l’ouverture et vous "pointez" en conséquence. Bon, OK : la bête infernale, la pointeuse, a enregistré illico votre heure d’arrivée et vos coordonnées. Puis vous ne partirez déjeuner qu’à 12 h 30 (plus exactement, vous avez porté votre frichti, alors vous déjeunez sur place avec les collègues) et vous repointerez à 13 h, et puis vous repartirez à 18 h.

Bon, mais vous avez omis les fameuses "plages" horaires ! Si la machine a bien enregistré les heures exactes de vos pointages, elle n’en a pas enregistré pour autant le total car vous n’êtes pas dans les normes : vous avez "le droit" de pointer avant l’heure, mais "on" ne vous comptera le début de votre travail qu’à 8 h (½ h offerte au patron), et à l’heure du repas, la machine enregistre au minimum 1 h d’arrêt. Là, vous vous dites "la prochaine fois, je ne pointe qu’une fois" - malheureux ! On vous décompterait alors le temps maximum d’arrêt possible à l’heure du déjeuner, 2 h 30 ! Quant au soir, bon, à partir de 17 h, vous avez le "droit" (si votre chef le permet, et en vous entendant avec votre collègue) de partir pour la machine. Mais si vous avez pointé après 19 h (comme certains jours de surplus de travail), il faudra que votre chef de service rédige un courrier spécial pour que l’on accepte de vous compter le temps travaillé en plus.

Il n’est pas inutile de vous préciser que le matin, il faut rentrer avant 9 h 15 - même si le boulot n’est pas urgent et que vous auriez préféré aller vous promener. Vous n’êtes pas un quidam, un individu libre mais un SALARIE ou plus exactement un salarié-astreint-au-pointage ! Au delà de 9 h 15, c’est encore pour votre pomme... sauf si votre praticien, sauf si l’agent du corps médical a accepté de noter sur un beau certificat daté et signé que c’était un rendez-vous patenté avec horaire précis (comme chez les flics) : dans ce cas, cadeau, vous avez droit à votre ½ h journée payée (autrement il faut produire un certificat et récupérer le temps perdu entre 9 h 15 et votre arrivée au turbin). Bel illogisme jusqu’à l’absurde : pourquoi vous presser d’arriver alors au travail après le rendez-vous médical, puisqu’il peut vous être fait cadeau de la demi-journée si vous savez présenter un certificat médical bien rédigé ?

Ah les subtilités administratives ! En somme, le pointage n’est pas inventé pour soulager les employés mais pour les contrôler. Il a au moins permis la création d’un emploi, celui de contrôleur des enregistrements des pointages dans votre boîte, lui qui envoie chaque jour à chaque salarié, à faire contresigner aussi par son chef de service, une feuille par manquement aux fameuses plages horaires !

Puis-je vous conter l’histoire de ceux et celles qui pointent, entrent au travail et prennent pendant ½ h le café, ou passent leurs coups de fil avant l’arrivée des chefs ? Et l’histoire de ceux qui pointent et repartent faire une course ou « une démarche » ? Et puis celle de ceux et celles qui confient leur fameux badge à un collègue comme échange de bons services : aujourd’hui je pointe pour toi à l’heure et tu peux arriver tranquillement après l’horaire du matin, après celui du déjeuner ou partir avant l’horaire prévu du repas ou celui minimal de sortie le soir !

La vergogne n’est certes pas de gagner des plages de liberté dans le système toujours plus castrant et logique avec lui-même. Le comble est peut-être celui qui clame avoir "fait 50 h de plus" dans le trimestre... parce qu’il a su confier régulièrement à un tiers son badge, et fait remarquer que le règlement ne lui permet que la récupération d’1 journée par mois, non cumulable...

C’est ainsi que, dans l’individualisation de notre société, quand les syndicats ont proposé aux patrons puis accepté les nouveaux pointages, il n’y eut pas de voix protestant contre ce nouvel asservissement, tous chantaient les louanges du pointage égalitaire, et nul ne témoigna alors, que je sache, d’un quelconque doute, croyant (comme les femmes grâce à Moulinex) à leur liberté agrandie !!! Que l’on se prostitue pour le travail quel qu’il soit, oui je le sais, nous le savons - mais là encore les syndicats traditionnels ont démontré leur double rôle en acceptant de faire passer cet asservissement supplémentaire pour un progrès. Heureusement, on peut encore gruger les machines - jusqu’à quand ? J’’ai entendu un tiers suggérer (parce qu’oubliant de bonne foi de pointer) l’idée d’une puce électronique sous la peau pour badger - d’ailleurs n’oublions pas que, dans les prisons modernes, la porte s’ouvre au son d’une voix, à l’empreinte d’une main ou d’une pupille, parce qu’elle a en mémoire les données des individus ! À quand ce système infaillible pour le contrôle des travailleurs entrant et sortant ? (il restera encore les fenêtres du rez-de-chaussée et les portes de secours pour s’échapper - sauf s’ils nous y mettent des barreaux sous le prétexte des cambriolages possibles).

En somme, imaginer que le pointage est une libération, c’est encore prendre des vessies pour des lanternes : "ils" nous tendent ce subterfuge comme on tend la carotte à l’âne au bout du bâton (et s’il rechigne, battre bien sûr l’âne avec ce même bâton qu’il a porté lui-même). C’est toujours la politique de celui qui domine l’autre "pour son bien".

A BAS LES ENCARTAGES, les pointeuses dites badgeuses, et autres machines infernales ! Moraine

* Je vous prie de relire la fable de La Fontaine "le loup et le chien" : nonoss = laisse et privation de liberté. Mais comment vivre autrement dans la société actuelle ? Compromis, compromission - moi le premier.

Texte extrait du BIB (Buleltin Inter Boite) CNT AIT

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