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samedi 13 août 2005

Que viennent faire dans les manifs ces mégaphones et autres sonos embarquées dans des camions ? Leur rôle dans les plus grosses manifestations lycéennes, par exemple, était clair. Il suffit de comparer celles du mercredi 13 avril et du jeudi 14 avril : autant la première était mobile, taquinant sans cesse les CRS, les débordant parfois, cherchant à rejoindre la Sorbonne, alors qu’il n’y avait que mille personnes, autant la seconde, avec ses sept mille manifestants, était soigneusement encadrée, notamment par la sono d’un camion, d’un seul camion, où s’agitaient trois lycéens faisant le spectacle, attirant et concentrant l’attention des manifestants.

La réussite d’une manifestation serait-elle inversement proportionnelle à la densité de mégaphones et de sonos ? Voilà ce que laissent entendre les petites manifestations, organisées par les coordinations, mais aussi les très grosses, où de larges portions du cortège échappent aux organisateurs, où les sonos n’ont pas les moyens d’encadrer tous les manifestants. Le 13 avril dernier, par exemple, on pouvait discuter avec des passants, prendre à partie les grands médias, lancer ou relayer des slogans improvisés, et échanger avec d’autres, pas d’accord, qui venaient discuter ces slogans. Et puis, tout simplement, on pouvait parler avec ses voisins.

Car les sonos ne se contentent pas d’imposer des slogans. Comme toujours lorsque beaucoup de gens se rassemblent pour ne pas faire grand-chose, on leur passe de la musique. Ainsi, le côté « festif » et bon enfant de la manifestation donne aux autorités les gages de son caractère inoffensif. « Nous ne sommes pas méchants », tel est le seul véritable message transmis par les organisateurs, tandis que derrière les camions qui vomissent leurs décibels, souvent protégés par un service d’ordre agressif, on se traîne, accablés, ou alors on se démène, on se donne du mal, on ne veut pas être en reste. Et pendant que se dégonflent les ballons, les sonos hurlent les ordres de dispersion.

Non, décidément, les mégaphones, du moins tels qu’ils sont utilisés, et les sonos, dans tous les cas, sont nos ennemis. On mesure mal le rôle qu’ils jouent, à diffuser toujours les mêmes refrains, les mêmes slogans, ce pauvre pittoresque de manif impuissant à susciter autre chose qu’un peu de pitié ou d’agacement, cette contestation formatée, démobilisatrice, depuis longtemps apprivoisée, désamorcée - et à empêcher dans le même temps jusqu’à la moindre discussion à plus d’un mètre à la ronde. Pourtant, comme l’écrit Fredric Jameson, « dans les années 1960, beaucoup de personnes découvrirent que la foule qui anime un mouvement révolutionnaire ne se compose pas d’une somme de visages anonymes, d’une masse d’individus indissociables les uns des autres. L’individu ne disparaît pas dans la collectivité, au contraire, il s’y développe, s’y affirme et y prend une toute nouvelle dimension. C’est une expérience qui s’est progressivement effacée des mémoires, et qui n’a pas résisté au retour en force de l’individualisme sous toutes ses formes » (cité dans Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures).

On voit ce qu’il reste à faire.

Laurent, pour le SG du soviet

Tiré de Négatif

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