Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Qu’est-ce que la thérapie génique ?

décembre 2000

Il y a les 0GM (organismes génétiquement modifiés) que les industries semencières et agroalimentaires veulent nous faire avaler, pour s’offrir de juteux marchés, en nous disant que c’est pour protéger l’environnement et pour lutter contre la faim dans le monde ; 0GM dont on ne peut connaître les effets sur la santé sans jouer le rôle de cobayes, et dont on prévoit sans peine les dangers pour l’environnement... Et puis il y a la thérapie génique, qui n’a apparemment rien à voir, mais qui intéresse beaucoup les industries pharmaceutiques et qui devrait sauver l’humanité de ses tares et de ses maladies.

0GM et thérapies géniques sont deux applications des gros efforts de recherche en génétique, qui ont abouti au développement des techniques de génie génétique. Pour comprendre ce qu’est la " thérapie génique ", mieux vaut avoir quelques bases en génétique. Et, si ce n’est pas le cas, voici d’abord un petit résumé des connaissances scientifiques sur la question.

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Ouvrier Génétiquement modifié

Les gènes :

Tous les êtres vivants (végétaux et animaux) possèdent le même système de codage et d’expression de ce qu’on appelle l’ " information génétique ". Notre corps, par exemple, est constitué de milliards de cellules. Chacune contient un noyau, où se niche l’ADN, immense molécule (à la taille microscopique d’une cellule !) qui ressemble à une échelle torsadée. L’échelle d’ADN humain compte environ 3 milliards de "barreaux", composés de molécules particulières appelées "bases". La succession des bases est une sorte de code qui est lu dans les cellules et à partir duquel sont fabriquées les protéines indispensables à la vie.

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En fait, il semble qu’environ 95 % de la molécule d’ADN n’ait aucune fonction, les 5 % restants contenant tout de même 100 000 gènes chez l’homme.

Un gêne est un segment d’ADN qui contient l’ensemble du code nécessaire à la fabrication d’une protéine (et qui contient également des codes qui permettent et qui régulent cette fabrication).

Habituellement pelotonné sur lui-même en tortillons enchevêtrés les uns aux autres, l’ADN s’organise en bâtonnets appelés " chromosomes " lorsque la cellule se divise. Chaque chromosome est alors recopié à l’identique, les deux cellules " filles " emportant chacune une copie de l’ADN de la cellule initiale [1]. Aussitôt la division terminée, l’ADN reprend sa forme de tortillons enchevêtrés. Chaque humain possède 46 chromosomes, répartis en 22 paires de chromosomes dits ’homologues" (une paire provenant de sa mère, l’autre de son père) et une paire de chromosomes dits "sexuels" (XX chez la femme, XY chez l’homme, le chromosome X pouvant provenir de la mère ou du père, le chromosome Y seulement du père).

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Dans toutes les cellules, chaque gène est donc en double, puisque porté par chacun des deux chromosomes homologues. Mais ces gènes transmis par les deux parents peuvent être soit identiques, soit légèrement différents. Dans une population, la plupart des gènes sont en effet "polymorphes", c’est à dire qu’ils existent sous plusieurs versions (appelées "allèles"), chacun de ces allèles étant plus ou moins fréquent dans la population à chaque génération, selon le hasard des croisements. La plupart des allèles d’un même gène conduisent à la fabrication de la même protéine (qui remplit normalement son rôle dans l’organisme). Mais certains allèles sont défectueux, et ne permettent pas la fabrication de cette protéine, ou bien cette protéine ne peut remplir son rôle.

La "thérapie génique" :

Le principe de la thérapie génique a été imaginé pour guérir les maladies dites "génétiques", c’est à dire des maladies dont on a montré qu’elles étaient liées à la présence, chez les malades, d’un allèle défectueux, alors que, sous sa forme habituelle ("normale"), ce gène évite d’être atteint de cette maladie.

Ce principe est extrêmement simple en théorie. Si l’on connait le gène "responsable" d’une maladie génétique, il suffit d’introduire dans l’organisme une version "saine" de ce gène pour supprimer la maladie. La thérapie génique utilise donc les techniques de "génie génétique", qui permettent d’introduire dans une cellule un gène qu’elle ne possède pas ("transgenèse"), ou de modifier l’expression d’un gène déjà présent.

Le transfert de gène nécessite plusieurs étapes :1) l’identification du gène que l’on veut transférer, par exemple celui qui permet la synthèse de la protéine qui fait défaut chez le malade ; 2) l’isolement de ce gène et des séquences indispensables à sa régulation, en découpant l’ADN à l’aide d’enzymes ; 4) l’insertion de cette "construction génique" dans un "vecteur", généralement un virus désactivé, c’est à dire auquel on a retiré les gènes permettant sa multiplication ; 5) l’injection de ces virus modifiés dans des cultures de cellules prélevées sur le malade ; 6) la réadministration des cellules modifiées par le virus, dans l’organe où on les avait prélevées chez le malade.

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Le principe est simple, mais la démarche est longue et pleine d’embûches : il faut d’abord localiser le gène impliqué sur la chaîne d’ADN, en analysant à la fois la transmission de la maladie et de gènes "marqueurs" (sorte de repères dont on connaît maintenant l’emplacement) dans des familles entières.

Aujourd’hui, plus de 5 000 maladies génétiques sont connues, dont 1 600 semblent sous la dépendance d’un seul gène "majeur" (les autres sont sous la dépendance de plusieurs gènes, ce qui brouille énormément les pistes). Ce gène a été localisé pour environ 500 d’entre elles2. Il faut ensuite analyser le gène en cause, le cloner (le multiplier), puis réaliser la "construction génique" qui renferme, en plus du gène, les séquences nécessaires à son expression. Cette construction, qui ne peut pénétrer seule dans les cellules, doit être insérée dans un virus désactivé, où la place est limitée. Pour que la construction passe ensuite dans les cellules, il faut que celles-ci soient en train de se diviser ... Ceci fait que, quand une cellule sur cent intègre le gène thérapeutique, c’est un succès.

Une fois ces étapes franchies, on assiste le plus souvent à une diminution rapide de l’expression du gène, puis à sa réduction au silence, du fait de mécanismes de régulation complexes et encore mal connus. Autrement dit, actuellement, cette opération ne marche que partiellement et pendant une période très limitée.

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Les nombreux travaux et les essais thérapeutiques montrent finalement qu’il semble difficile de guérir des malades en manipulant simplement des gènes, sans comprendre le rôle des protéines dont ils recèlent les codes, sans comprendre à quelles cellules, quels organes elles sont indispensables, pourquoi et comment leur absence entraîne un mauvais fonctionnement. Or, seul un très petit nombre de gènes sont déjà identifiés. Encore moins nombreux sont ceux dont on connaît la protéine qu’ils codent. Rarissimes sont ceux dont on sait quel rôle joue cette protéine dans l’organisme.

C’est pourquoi on n’en est encore qu’au stade des essais cliniques, souvent même au premier stade celui qui doit démontrer que l’approche est faisable et n’est pas nocive.

Contrairement à ce qui serait logique sur un plan purement scientifique, la plupart de ces essais (62%) ne porte pas sur des maladies " monogénètiques ", mais sur des cancers. Il est vrai que les besoins dans ce domaine sont très grands, que les patients pouvant participer aux essais sont nombreux et que l’on peut se "contenter" d’un effet transitoire. Et surtout, que, du fait des besoins, les industries pharmaceutiques peuvent espérer de gros bénéfices.

Les conséquences :

Un peu comme pour les 0GM, ce ne sont en effet pas les techniques qui sont nocives en elles-mêmes, mais leur utilisation, actuelle ou en projet, qui est aussi leur raison d’être, ou du moins, la raison de leur financement et de leur développement rapide. Certains chercheurs eux-mêmes sont responsables ou actionnaires d’entreprises de biotechnologies et organisent les battages médiatiques pour s’assurer une publicité gratuite et stimuler le cours des actions de leur start-up en bourse...

On devait s’y attendre, le principal moteur de ces recherches étant la recherche de profits ; le développement des tests, beaucoup plus simple et plus rapide que le développement de méthodes efficaces de lutte contre les maladies, conduit directement à la discrimination dans le système de santé. Aux USA, où l’assurance est totalement privée, les assureurs ont le droit de faire subir des tests génétiques et de moduler leurs primes en fonction des résultats. En 1991 une famille a même vu son contrat résilié au prétexte que l’un des enfants était atteint d’une maladie génétique, qui, pourtant, ne constituait même pas un risque aggravé pour l’assureur. Cette famille a eu toutes les peines à retrouver une compagnie qui accepte de l’assurer, et encore, l’enfant atteint en est exclu [2]. Dans le même ordre d’idée, le développement du diagnostic précoce, sur embryons, permet aux familles "à risque" (dont les deux parents portent par exemple un allèle déficient) de savoir si leur futur enfant a hérité de ces deux mauvais allèles et sera donc atteint de la maladie qu’ils portent Cela leur permet donc de choisir de mener ou non la grossesse à son terme. Paradoxalement, cela leur permet aussi d’envisager une descendance, risque qu’ils n’auraient peut-être pas pris s’il n’y avait aucun moyen de savoir avant la naissance de l’enfant.

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Mais le choix leur revient-il toujours, si leur assureur leur rappelle qu’ils ont certes le droit d’élever un enfant malade, mais que rien ne l’oblige, lui, à lui assurer une couverture maladie, connaissant le surcoût que cela représentera ?

Une autre conséquence, plus insidieuse, est le tournant qui se fait dans notre conception de la vie. De plus en plus, on s’habitue à raisonner notre survie en termes statistiques : je fume, donc j’ai tant de % de "chances" d’avoir un cancer du poumon. Je suis porteuse de l’allèle BRCAl, donc j’ai tant de % de chances d’avoir le cancer du sein. Des américaines, qui avaient fait ce test et avaient découvert qu’elles étaient porteuses de cet allèle, se sont fait retirer les deux seins, espérant ainsi "conjurer le sort". Car il s’agit bien d’une sorte de sort, de destin, quelque chose de prédéterminé, qui déresponsabilise totalement la société et l’individu, tout en permettant à la première de se décharger complètement sur le second pour en assumer les conséquences. Il est clair qu’il s’agit d’une arnaque les individus acceptent cette conception parce qu’elle les déculpabilise, sans s’ apercevoir que cela sert avant tout à promouvoir et développer un mode de société égoïste et individualiste.

Pourtant, de très nombreux exemples montrent que le rôle des gènes dans ce qu’est un individu à un moment donné de son histoire est complètement dénaturé dans cette conception.

Critiques :

À commencer par les interactions entre les gènes eux-mêmes, qui modulent considérablement l’effet de chacun. Par exemple, si on produit une mutation d’un certain gène chez la mouche du vinaigre (la drosophile, mascotte des généticiens) la forme de l’oeil se modifie nettement ; mais cette modification peut être "corrigée" par une autre mutation, sur un autre gène. La mouche qui a subi ces deux mutations a alors un oeil "normal". Pour l’instant, on ne connaît pas grand-chose de ces interactions complexes entre gènes, si ce n’est qu’elles jouent un rôle important dans l’expression des gènes en question.

Mais l’environnement du génome joue également un très grand rôle, à commencer par le cytoplasme, c’est à dire tout ce qui se trouve dans la cellule à l’extérieur du noyau. La célèbre brebis "Dolly" en est une preuve vivante, bien que ni les scientifiques ni les médias ne se soient appesantis sur ce "détail". En effet, elle s’est développée à partir d’une cellule très particulière : le noyau provenait d’une cellule adulte, déjà "différenciée", c’ est à dire dont une partie seulement du matériel génétique s’exprime, et qui ne peut donner que des cellules du même type quand elle se divise. Ce noyau a été installé dans un ovule, dont on avait d’abord retiré le propre noyau. Si la chimère obtenue a donné une brebis bien vivante, c’est que le génome de la cellule différenciée (qui a perdu sa "totipotence", c’est à dire sa capacité à produire des cellules de tous les tissus et organes) a été "reprogrammé" par le cytoplasme de l’ovule où il avait été transféré. Ceci est bien une preuve éclatante que l’embryon n’est pas programmé dans les gènes, mais qu’il est, dès le départ, le résultat d’interactions complexes à l’intérieur de la première cellule puis entre les cellules [3] !

Le rôle de l’environnement ne s’arrête évidemment pas là. Au contraire, le développement de l’embryon puis de l’adulte, à chaque étape de la vie, sera influencé par les situations dans lesquelles il se produit. On sait tous que la taille à l’âge adulte est fortement influencée par celle des parents, mais on sait tous qu’elle dépend aussi de l’alimentation (carence ou abondance) et des éventuelles maladies survenues pendant la croissance. On sait tous que les vrais jumeaux (qui ont les mêmes gènes) se ressemblent énormément, mais de moins en moins avec l’âge et qu’ils n’ont pas forcément les mêmes maladies.

Bertrand Jordan(2) cite l’exemple de populations d’archipels du Pacifique sud, qui, soumis au régime hamburgers plus frites plus coca-cola, se retrouvent majoritairement obèses et atteintes de diabète. Elles doivent certes être porteuses d’allèles qui favorisent le stockage des graisses (ce qui a peut-être favorisé leur survie dans des conditions moins fastes), mais aucune de ces personnes ne serait obèse ou diabétique avec un régime moins calorique !

Malgré cela, la recherche de profits et le besoin généralisé de déresponsabilisation (inavoué par les individus mais de plus en plus revendiqué par la société) font que les succès remportés par la génétique pour les maladies où le rôle d’un gène est déterminant conduisent aussitôt à la généralisation des conclusions à toutes les maladies qui sont susceptibles de rapporter de gros bénéfices (cancers, obésités, diabètes...).

Pire, mais inévitable puisque ce qui attire dans le "déterminisme génétique", c’est un peu le mythe du destin, on trouve partout l’idée que les comportements aussi seraient déterminés génétiquement. De gros battages médiatiques sont ainsi organisés autour du "chromosome du crime", du "gène de l’homosexualité" ou du "gène de l’alcoolisme", sans aucun fondement. À chaque fois, il ne s’agit que d’une équipe de chercheurs qui croit avoir trouvé que certains "marqueurs chromosomiques" se retrouvent en plus grande proportion chez les criminels, les homosexuels ou les alcooliques étudiés que chez des personnes de référence. Et à chaque fois, quand une autre équipe cherche à obtenir les mêmes résultats sur d’autres groupes de personnes, cela ne donne plus rien. Le plus étonnant serait que cela donne quelque chose. Et le plus révélateur de l’abusif et inquiétant rôle de la génétique dans nos sociétés, c’est que tant d’équipes cherchent à trouver une relation si simpliste entre gènes et comportement. Pourquoi toutes les relations pourtant évidentes et bien visibles entre les situations familiales, les expériences vécues, les conditions de vie et les comportements adoptés sont aussitôt oubliées, dès qu’apparaît l’ombre d’un gène "responsable" ?

Finalement, il se peut que la thérapie génique puisse guérir certaines maladies, pour lesquelles le rôle d’un gène est prédominant, et c’est tant mieux. Ils se peut même que, comme l’a affirmé lors d’une conférence l’actuel directeur du Généthon, on arrive à soigner des cancers par thérapie génique sans comprendre comment ça marche. Mais il est sûr que la tendance généralisée à tout expliquer par un rédhibitoire "c’est dans les gènes !" est une absurdité sans nom qui n’a de raison d’être que la promotion d’une société individualiste et déresponsabilisante.

L’Eugène Noir & Rouge.

Le Combat Syndicaliste, nov.-déc. 2000


[1] Ceci est vrai pour toutes les cellules sauf pour la fabrication des spermatozoïdes et des ovules aux cours de laquelle se font des brassages chromosomiques.

[2] "Les imposteurs de la génétique", de Bertrand Jordan aux éditions du Seuil, 2000.

[3] "La fin du tout génétique ? Vers de nouveaux paradigmes en biologie", de Henri Atlan, INRA Ed., Paris, 1999.


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