Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Procès à Montpellier

samedi 6 juillet 2002

J’avais jamais été au tribunal. Les copains m’ont dit : "Cette fois, tu viens, c’est pour Jean-Louis, et en plus, c’est pour diffamation" [1]. La diffamation, c’est quand tu te plains que le patron t’écrase la gueule. Si tu le dis trop fort, il peut te mettre au tribunal. Si tu l’écris dans un tract syndical, c’est encore pire. Pour Jean-Louis, c’était écrit dans un tract. Alors, j’y suis allé.

On est arrivé presque à la bourre. Heureusement, dans la rue, il y avait une banderole rouge-et-noire. "C’est là". On a couru un peu jusqu’à la grille. D’un côté, il y avait nous, une délégation d’anarcho-syndicalistes, les mains dans les poches, de l’autre côté, une délégation de CRS, armés. On est rentré quand même. Dedans, c’était très chic. Avec du mobilier de qualité. Surtout les fauteuils des avocats, bien rembourrés. Ceux des juges étaient pas mal non plus, mais ceux-là, j’ai pas pu les toucher. Nous on était sur des bancs. Derrière nous, dans le fond, y’avait des scolaires.

Pile poil on venait de s’asseoir, il a fallu se relever, pour l’entrée des juges. La séance a commencé par un procès en diffamation. J’ai cru que c’était le nôtre. Mais, ça n’avait rien à voir. Encore que. C’était un patron contre un salarié, mais pas un normal, un cadre. L’avocat a expliqué que ce qu’il avait dit (le cadre), c’était peut-être des injures mais pas des diffamations, et que comme le type était poursuivi pour diffamation et pas pour injures, il fallait le relâcher. Et toc. Il a été relâché. Trop fort l’avocat. Après est passé un architecte. Un très gros cabinet. Il avait légèrement arrondi le chèque d’un client. Pas beaucoup, à peu près comme ma feuille de paye. La Présidente lui a dit devant tout le monde : "Vous avez pas honte de ce que vous avez fait ?". Moi, je croyais qu’il avait la honte de sa vie. Pas du tout. Il s’est pas dégonflé et lui a répondu du tac au tac "C’était ça ou je lui cassais la gueule ". Dans mon dos un des gamins a fait : "T’as raison. T’avais qu’à mettre trois zéro de plus au chèque et à lui casser les dents après, comme ça il l’aurait fermée, sa gueule".

L’architecte aussi s’en est bien tiré une amende et le remboursement de la fraude. Le petit malin de derrière il a ajouté : "Quand je serais grand, je ferais architecte, c’est trop cool comme métier". C’est fou ce qu’ils apprennent vite à cet âge. Ça vaut la peine de les amener au tribunal pour qu’ils attrapent de l’instruction.

Ce qui a cassé l’ambiance, c’est quand les autres types, ceux qui sont pas architecte, ont commencé à défiler : Un chômeur qui avait abandonné sa famille sans payer de pension, un mec qui avait tiré un portable en bousculant une nana dans un escalier mécanique, un troisième homme avec une histoire de port d’arme.... Ceux-là, ils sont arrivés les menottes aux poignets et ils sont partis idem, détachés juste le temps de l’interrogatoire. Encore qu’un, il a failli ne pas être détaché. Le policier, va que je tourne et retourne la clef, n’arrivait pas à ouvrir les menottes. Au bout de cinq minutes, toute la salle ricanait. Un autre (un inculpé) avait l’air de rien comprendre. Il parlait à peine français. Après ça a été la distribution des peines. Du ferme. Et puis y’a eu une pause. On est sorti, papoter dans le hall. On avait les renseignements généraux tout autour de nous, pour bien entendre ce qu’on disait.

A la reprise, ça a été enfin le procès de Jean-Louis. Le patron de Jean-Louis, c’est des fédérations d’associations de défense des oiseaux de la nature. Apparemment, les salariés font pas partie de la nature, parce qu’elles les défendent pas beaucoup. "Vous êtes poursuivi, a dit la juge, pour avoir à Montpellier en étant l’auteur de placards signés CNT porté des allégations partant atteinte à l’honneur et à la considération de...". Mais de qui, au fait ? Des associations ? des oiseaux ? des présidents d’association ? L’avocat de la défense a commencé par dire que lui non plus, il avait pas compris de l’honneur de qui on lui parlait, que c’était pas clair dans la procédure et que ceux qui avaient porté plainte n’étaient pas mandatés pour le faire. Pour les amis des piafs, "la plainte a été déposée le 16 juin 2000" "nous avons le procès verbal de l’assemblée générale ordinaire décidant de se porter partie civile. Il est en date du 25 juin 2000". Ça fait un peu désordre Entre le 16 et le 25 "la prescription était acquise". Donc l’A.G. ne pouvait pas avaliser la plainte. Un autre truc rigolo : "Les membres du Comité de l’Aude, apparemment nouvellement constitué, ont participé au vote sans suivre les dispositions statutaires. La candidature de ce comité en tant qu’adhérent devait être étudiée d’abord par le CA puis adoptée par l’AG". Bref, ils ont voté avant de faire partie de la maison, pour faire nombre. Pour l’autre asso, les amis de la nature, "le PV de l’AG permettant l’action en justice n’est pas régulier", les signataires sont pas les bons. "Il y a donc défaut de qualité, défaut de pouvoir". Sur le fond, "la plainte reprend in extenso le tract et ne dit pas ce qui est considéré comme diffamatoire".

"Hors, il faut que la preuve soit précise afin que le prévenu puisse s’expliquer sur un fait précis. A partir du moment où il y a tout le tract, il y a pour le prévenu impossibilité à présenter une défense cohérente".

Les patrons sont pas venus. Ils étaient représentés par deux avocats, un grand costaud et un petit, plus maigre. C’est le plus grand qui démarre. Il raconte : "C’est un très vieux salarié, engagé en 84. A peine engagé, il s’attire les foudres de son employeur" (Normal il a commencé tout de suite à essayer d’organiser les autres salariés. Ça s’appelle du syndicalisme). Et en plus, il a "mauvais caractère " (Il serait pas un peu anarchiste, ce Jean-Louis ?). "De 84 à2000, il n’a pas arrêté de harceler son employeur" (Harceler le patron ?, Tient, nous on pensait que c’était l’inverse). "En mars 2000, devant la Maison de l’Environnement, on trouve une dénonciation anonyme reprenant des lettres des employés adressés à leur employeur" Jean-Louis, désigné coupable présomptif, est "convoqué à un entretien préalable". "Et là, c’est la goutte d’eau. Quand il se présente, à l’intérieur de l’établissement sont collés des affiches" et il y a distribution de tract. Les affiches et des tracts sont signés CNT. L’avocat continue "c’est une association anarchiste, sans nom, sans président". Au secours, le concombre masqué attaque, c’est l’association sans nom ! Moi j’avais toujours cru que "CNT", c’était un nom, que ça voulait dire quelque chose. Et bien non, pas pour les amis des oiseaux et de la nature. Par contre, "sans président", ça, c’est vrai. ça lui en bouche un coin à l’avocat. Il le répète plusieurs fois. "Sans président" ! Vous vous rendez compte ! Bien, tout ça, c’est que des anarchistes sans nom et sans président mais il en conclut que "ce n’est pas un combat anarchiste". Alors là, c’est à moi que ça en bouche un coin. Qui il est, lui, pour dire que c’est un combat anarcho-syndicaliste ou pas ? Et il continue "On est loin de Louise Michel et de (il cherche un deuxième nom) de (ça vient pas) de (ça vient toujours pas, pour un spécialiste en anarcho-syndicalisme, c’est un peu court...). Il redémarre "c’est un combat petit bourgeois", "un combat prud’homal" ( ???). "Même si le juge d’instruction a été inondé de lettres, et de tracts de plusieurs pays". "L’auteur de la diffamation ne peut pas être un syndicat il n’y a pas de syndicat"(Il dit qu’ils ont vérifié à la préfecture : la CNT n’est pas déclarée). Donc, le coupable, c’est un individu tout seul, cet individu, c’est Jean-Louis.

C’est le tour du deuxième avocat des patrons. Il va enfin développer ce qu’on reproche concrètement à Jean-Louis. Et bien, non. Il nous raconte la vie des Saints, pardon, des patrons. Ils connaissent le Préfet et tout plein de personnalités ("au moins une cinquantaine") qui siègent dans leurs association. C’est donc des gens bien. Ils ont même fait des études. Ils "se dévouent au bien public". Ils ne travaillent pas pour l’argent car c’est des bénévoles. Ils demandent 150000 francs de dommages (ils sont pas encore passé à l’euro) pour chaque association.

"J’attendais ce jour avec impatience", c’est l’avocat de Jean-Louis qui attaque, "pour savoir qu’elle était la précision sur laquelle il faudrait s ’expliquer. J’ai entendu mes confrères. il n’y a pas eu cinq minutes de précision sur ce qu’on lui reproche. Pour porter des accusations fallacieuses contre mon client, il y a eu vingt minutes au moins"."La CNT est un syndicat, légitimement constitué et déposé" (un syndicat, ça se dépose pas à la préfecture mais à la mairie !). Les salariés des deux asso ayant des difficultés, la CNT "a décidé de porter son opinion devant le siège de ces associations". Rien que de très normal donc. Par contre "Les délibérations des associations sont hors délais. Elles ont délibéré sur cette affaire urgente, qui soi disant les met en péril, trois mois après !". "Tout cela a été dicté pour la seule raison de retarder le procès prud’homal" (pour licenciement abusif : les prud’hommes attendent la décision du pénal pour indemniser Jean-Louis). La plaidoirie finie, la présidente annonce que pour le verdict, il faudra attendre le 10 juillet. Alors, on attend.

Virgile


[1] lire : Les associations d’environnement : Des patrons comme les autres !


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