Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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COLLECTIVISATIONS : L’OEUVRE CONSTRUCTIVE DE LA REVOLUTION ESPAGNOLE

mercredi 19 juillet 2006

La C.N.T. d’Espagne (Confederacion Nacional del Trabajo, section espagnole de l’Association Internationale des Travailleurs) s’était construite sur un objectif : liquider le capitalisme et l’État et les remplacer par une société libre, reposant sur une économie autogérée égalitaire et solidaire. Dès les origines de la C.N. T., les militants anarchosyndicalistes avaient étudié la question économique et sociale, analysé les difficultés qui surgiraient inévitablement lors d’une révolution, inventé des solutions, popularisé leurs idées dans la population par de multiples discutions, conférences, publications . Surtout, par la lutte quotidienne et une réflexion critique constante ils avaient développé à l`extrême leur capacité à conjuguer autonomie d’action individuelle et organisation fédérative.

"C’est à la campagne que la réalisation du Communisme Libertaire revêt la plus grande simplicité car elle se réduit à mettre en vigueur la Commune Libre" [1], écrivait Puente. De fait, en Aragon, Catalogne, Levant, Castille, Andalousie, Estrémadure,... les Collectivisations se répandirent comme une traînée de poudre. En Aragon par exemple, il y avait 36 collectivités en février 37 et 57 en juin de la même année. Le chiffre de 400 fut rapidement atteint. Dans la région du Levant (Valence), on dénombrait plus de 500 collectivités en 1938. Elles eurent pour mode de fonctionnement spontané de constituer des groupes de travailleurs, qui se partageaient les cultures ou les terres. Également spontané fut la réunion des délégués élus par ces groupes dans le but d’orienter le travail général. En plus de ces réunions, de celles des groupes spécialisés dans telle ou telle tâche, avaient lieu des réunions de la Collectivité toute entière : assemblées générales hebdomadaires, bimensuelles ou mensuelles selon les cas. On s’y prononçait sur l’activité des mandatés nommés par la Collectivité, sur les cas spéciaux, sur les difficultés imprévues... Tous ceux qui avaient adhéré à la Collectivité, hommes et femmes, qu’ils fussent producteurs ou non, intervenaient dans le débat et participaient aux décisions. Souvent même les "individualistes" (personnes qui n’avaient pas rejoint la Collectivité et qui gardaient leur propriété individuelle  ; la seule limite étant qu’ils ne pouvaient avoir plus de terre qu’ils n’en pouvaient cultiver) pouvaient se prononcer et voter dans ces assemblées.

La solidarité portée au degré extrême était la règle générale des Collectivités agraires. Non seulement le droit de tous à la vie était assuré, mais dans les fédérations de collectivités le principe de l’appui mutuel était toujours plus développé grâce aux fonds communs dont profitaient les zones moins favorisées. Les Collectivités étaient en pratique des structures qui appliquaient le grand principe communiste libertaire "De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins". Dans les Collectivités qui avaient aboli l’argent, chaque membre recevait directement la quantité de ressources matérielles nécessaires. Là où l’argent avait encore été maintenu, c’était un salaire familial qui était versé. Des expériences de "monnaie fondante" (ne permettant pas la capitalisation) furent également faites. La méthode technique de répartition différait en fonction des choix faits par l’assemblée générale des collectivistes, mais le principe moral et les résultats pratiques étaient les mêmes.

La collectivisation ne s’arrêta pas aux portes des villes. Au moment de la révolution il s’agit de `prendre possession collective des usines, ateliers et chantiers, des logements, des édifices et des terres, des services publics et des marchandises et matières premières emmagasinés"`( 2). Dans de multiples industries (métallurgie, bâtiment, textile... ) les usines furent collectivisés et les assemblées générales de producteurs géraient leur fonctionnement. Le travail fut rationalisé dans un objectif social. Toutes les observations démontrent que, loin de s’effondrer, la production des usines autogérées, dans ce pays en guerre, soit se maintint au niveau antérieur, soit, souvent, se développa. Dans de nombreux cas, les transports et les services (coiffeurs, restauration, distribution... ) furent également socialisés et les collectivisations urbaines complétèrent leur action en créant d’autres lieux de socialisation de l’économie comme des coopératives de consommation.

Une conquête d’énorme importance dans ce pays écrasé pendant des siècles par la religion a été le droit de la femme à la vie, quelles que fussent ses fonctions sociales. De même, les enfants ont vu leur droit reconnu spontanément, non comme une aumône accordée par l’État, mais comme l’exercice d’un droit que nul ne pensait plus nier. Les Collectivités n’ont pas été l’oeuvre exclusive des anarchosyndicalistes, bien qu’elles se soient construites sur les bases préconisées par eux. L’élan que les anarcho-syndical i s tes avaient su créer leur a permis souvent de recueillir la participation spontanée de personnes venues d’horizons les plus divers (socialistes, républicains ou mêmes catholiques en Estrémadure par exemple).

Les Collectivités se heurtèrent à de nombreux obstacles, dus à l’opposition que leur manifestaient certains propriétaires mais surtout l’ensemble des partis et les organisations syndicales conservatrices (socialistes, républicains, communistes... [2]) et bien sûr le gouvernement. Cependant, les échecs furent peu nombreux. Dans ses enquêtes, Gaston Leval [3], qui s’est particulièrement intéressé à la question déclare "J’ai rencontré seulement deux insuccès : celui de Baltanâ et celui d’Ainsa, au nord de I’Aragon".

Les Collectivités ne furent vaincues que par la force militaire. A la fois celle des troupes fascistes de Franco qui détruisaient les Collectivités au fur et à mesure de leur avancée et, à l’intérieur des frontières de la république par les bataillons du Parti Communiste. Ce dernier équipé et soutenu financièrement par Staline avait constitué des brigades (Brigade Karl Marx dans la province de Huesca, Brigade Maria Companys dans celle de Terruel...) qui, loin de combattre l’armée de Franco  [4] lançaient leurs chars d’assaut contre les paysans désarmés des Collectivités. Ecrasés par la force brutale, les Collectivistes espagnols ont cependant démontré pendant des mois, à la face du monde, en plein XXème siècle qu’une autre économie et qu’une autre société étaient réellement possibles.

Francesito


[1] Une des plus connues fut la brochure "El Comunismo Libertario" d’Isaac Puente, publiée en 1932.

[2] Le POUM lui-même, quoique composé de marxistes hétérodoxes, opposés à la fois à Staline et à Trotski, ne bascula dans le camp de la révolution qu’après avoir été exclu du Gouvernement de la Généralitat Catalane. En juin 37 un manifeste de sa section aragonaise attaquait encore les Collectivités.

[3] Gaston LEVAL, "Ne Fraco Ne Stalin, le colletivita anarchiche spagnole nelle lotta contro Franco e la reazione staliniana", Milan, 1962. L’essentiel de cet article (en particulier les exemples et les chiffres) est tiré de cette source.

[4] Elles refusèrent par exemple de participer à la bataille pour la reprise de Huesca et désertèrent dans celles de Vinel del Rio et d’autres communes de la région carbonifère de Utriglios.


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