Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Révolution et contre-révolution en Espagne

mardi 18 juillet 2006

« SURTOUT, DITES BIEN EN FRANCE QUE C’EST AUTANT POUR VOUS QUE POUR NOUS QUE NOUS NOUS BATTONS. » DURRUTI, (à Osera, front de l’Ebre, été 1936.)

LA CONSPIRATION DU SILENCE

L’Histoire officielle (celle qui est enseignée dans les lycées) présente la guerre d’Espagne comme le simple affrontement de deux blocs militaires, d’un côté les natio­nalistes, de l’autre les républicains. C’est faire une sché­matisation bien simpliste de ce que vécut réellement l’Es­pagne de juillet 1936 à mars 1939 !

De même que le côté nationaliste connut (entre autres) les rivalités des carlistes et des phalangistes, de même le côté républicain fut divisé en révolutionnaires et contre­-révolutionnaires. Et c’est surtout l’aspect révolutionnaire de la guerre d’Espagne que cachent soigneusement tous ceux pour qui la conspiration du silence constitue la meil­leure défense de l’ordre social actuel et la plus sûre garantie de leurs privilèges personnels de richesse ou de pouvoir.

Car l’Espagne vécut la promesse d’une humanité nou­velle, d’une société libre, juste et égalitaire,. d’une société telle que l’ont toujours redoutée les privilégiés de toutes espèces. Si le silence est fait autour de cette promesse, c’est que la bourgeoisie (divisée en de nombreux partis politiques, mais unie quand il s’agit de préserver ses privi­lèges) a besoin de l’ignorance des masses pour perpétuer son régime ignoble d’exploitation et de domination de l’homme sur l’homme.

Nul doute que si les masses, trompées et abusées par la démagogie d’une multitude de politiciens de tous poils, comprenaient enfin la valeur de l’expérience révolution­naire espagnole, nul doute que c’en serait bientôt fini des révoltants régimes de privilèges que connaît la terre aujourd’hui. Cette expérience exceptionnelle d’une organi­sation économique et sociale véritablement socialiste, qui fut essentiellement l’œuvre des anarchistes et anarcho-syndicalistes espagnols sans qui le soulèvement militaire aurait triomphé en une semaine, cette expérience se répéterait, ferait tache d’huile pour enfin instaurer sur terre une vraie société communiste libertaire.

LA C.N.T. ET LA F.A.I.

Lorsque, le 17 juillet 1936, à partir du Maroc espagnol, les chefs militaires (Franco, Mola, Sanjurjo, Queipo de Llano, Goded, Yague, etc.), en liaison avec les dirigeants des partis de droite (Gil Robes, José Antonio Primo de Rivera, etc.) déclenchent le soulèvement de l’armée, il se dresse contre eux un prolétariat ouvrier et paysan qu’a rendu politiquement majeur le travail énorme d’éducation entrepris par la Confederacion Nacional del Trabajo (C. N.T.) depuis sa fondation en 1910 par de petits noyaux anarchistes, pour la plupart catalans.

Malgré de longues années d’illégalité et de répression féroce, la C.N.T. n’a pas cessé de maintenir la tradition d’un socialisme révolutionnaire et libertaire, héritier de la Première Internationale. Dans les syndicats, dans les athé­nées libertaires (véritables universités populaires), dans les groupes, dans les journaux, les brochures, les livres, dans ses puissantes grèves (pour la plupart de solidarité), dans ses actions légales ou clandestines, la C.N.T. a poursuivi avec une obstination admirable l’éducation révolutionnaire du peuple. Sans cesse elle a fait discuter le problème de la révolution, sans cesse elle en a approfondi l’étude en publiant des livres sur la reconstruction de la société, comme « Problemas econ6micos de la Revoluciôn espa­nola », de Gaston Leva] (1931), et « Comunismo Liber­tario », du docteur Isaac Puente (1932), ou « El Orga­nismo Econômico de la Revoluciôn », de Diego Abad de Santillân (mars 1936).

C’est sous la dictature de Primo de Rivera (1923-1931), alors que l’Union General de Trabajadores (U.G.T., cen­trale syndicale rivale de la C.N.T.) collabore avec le gou­vernement et facilite la répression qui s’abat sur l’anar­chisme, que se constitue en 1927 la puissante Federacion Anarquista Ibérica (F.A.I.), qui devient très vite l’âme et la conscience de la C.N.T. Sous son impulsion, des insur­rections anarchistes visant l’instauration du communisme libertaire sont tentées en janvier 1932 (bassin minier du Haut-Llobregat et du Cardoner), en janvier 1933 (Barce­lone, Casas Viejas), en décembre 1933 (Aragon).

Quant à la Fédération Ibérique des Jeunesses Libertai­res (F.LJ.L.) fondée en 1933, elle regroupe très vite un nombre impressionnant de jeunes et seconde au mieux les actions et la propagande de la C.N.T.-F.A.I. Tout cela a contribué à tremper dans l’acier la conscien­ce révolutionnaire du prolétariat espagnol. Forte en juillet 1936 de plus d’un million de militants, malgré seulement cinq mois de vie légale, la C.N.T.-F.A.I. est prête à passer à l’action et à pallier la lamentable passivité du gouverne­ment républicain. Les militants confédéraux sont idéolo­giquement préparés pour prendre l’initiative de jeter les bases d’une Espagne égalitaire et libre.

ECHEC AU PRONUNCIAMENTO

L’esprit de décision du prolétariat espagnol tranche avec l’insouciance de « son » gouvernement de Front Populaire ; lorsqu’on lui apprend le pronunciamento des militaires, le président du conseil, Casares Quiroga, ré­pond : « Ils se soulèvent ? Très bien, alors moi je vais me coucher ». Mais les leçons de la C.N.T.-F.A.I. n’ont pas été oubliées : les militants ont toujours pensé et agi par eux­-mêmes, ils sont actifs et capables d’initiatives, ils n’ont pas l’habitude d’attendre d’en haut les directives d’action. Alors, tandis que l’U.G.T. pleurniche auprès du gouverne­ment pour qu’il distribue des armes au peuple, les mili­tants cénétistes s’emparent de ces armes que le gouverne­ment refuse de donner : au soir du 18 juillet, le prolé­tariat, armé tant bien que mal, se met en grève générale illimitée.

Le 19 juillet, c’est la panique dans les ministères : trois gouvernements se succèdent, qui ne peuvent qu’assis­ter aux premières fusillades. Deux jours après, après des combats acharnés où nombre de militants ont trouvé une mort héroïque en montant à l’assaut des casernes à mains nues ou avec des armes de fortune, le prolétariat est vainqueur dans la plus grande partie de l’Espagne : les militaires n’ont pu se rendre maîtres que du Maroc espagnol, de la Vieille Castille, de la Navarre et de mor­ceaux de l’Aragon, de l’Andalousie et des Asturies.

L’honneur d’avoir écrasé la rébellion militaire revient entièrement aux anarchistes. Ni l’U.G.T., ni le P.C., ni le P.O.U.M. (Partido Obrero de Unificaciôn Marxista, d’ins­piration trotskyste), ni aucun parti républicain, ni la po­lice gouvernementale ne peuvent y prétendre. Luis Com­panys, le Président de la Généralité de Catalogne, ne s’y trompe pas quand il écrit à propos du 19 juillet : « L’attitude des anarchistes, au cours de cette journée, a été digne d’une admiration particulière. » Et, de son côté, le catalaniste Miravitlles peut écrire : « Dès l’ori­gine du conflit, les anarchistes sont descendus dans la rue et, suivis de petits groupes d’ouvriers, ils ont été les auteurs de la victoire. En vingt-quatre heures, l’armée espagnole était véritablement dissoute. C’est là le succès le plus foudroyant qui ait jamais été enregistré dans l’histoire d’une révolution. Et c’est le mouvement anar­chiste qui a donné ce résultat. »

LE PEUPLE EN ARMES

Mais la situation est tragique pour ces démocrates bourgeois à qui l’énergie de la C.N.T.-F.A.I. a sauvé la vie : leur Etat républicain n’existe plus. Dans ce combat prolétarien contre le soulèvement des généraux fascistes, il a littéralement éclaté. Armée et police n’existent plus, le peuple a pris les armes et entend bien les garder car il sait que, selon le mot de Blanqui, « qui a du fer a du pain ». Dès lors, une nouvelle structure sociale peut s’élaborer qui, sur le plan militaire, se traduit par la suppression de l’armée et la constitution de milices ouvrières. Etre des miliciens de la liberté et non des soldats sous l’uniforme, telle est l’aspiration profonde des masses populaires qui régit l’existence des milices. Dans les milices, le salut et les grades n’existent plus, la solde est égale pour tous, la liberté de discussion et de presse est totale, les commandants de chaque colonne sont élus en assemblées générales, le recrutement se fait sur la base du volontariat et non de la mobilisation. Les milices brisent les chaînes du prolétariat et incarnent sa volonté : l’armée est l’instrument du fascisme, les milices l’instru­ment de la révolution.

Les combats de rues sont à peine terminés que déjà les milices populaires quittent les villes et prennent con­tact avec les nationalistes. En Catalogne, tandis que la C.N.T.-F.A.I. donne initialement 13.000 hommes aux mili­ces, l’U.G.T., le P.O.U.M., le P.S.U.C. (affilié à la IIIe Inter­nationale) et la Généralité ne peuvent en fournir toutes ensemble que 9.000. Les anarchistes sont réellement l’élite et la masse des miliciens. En quelques jours, la colonne Durruti, partie de Barcelone, enlève aux fascistes Lerida, Fraga, Penalla, Bujaraloz, Osera, pour arriver aux portes de Saragosse, cependant que d’autres colonnes des « aguiluchos » de la C.N.T.-F.A.1. parviennent devant Huesca et Teruel.

Cependant que les milices se battent au front contre le fascisme, à l’arrière, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, le prolétariat met la main sur l’économie : comme le méritent tous ses ennemis de classe, il exproprie purement et simplement patrons et propriétaires qui ont fui à l’étranger ou en zone nationaliste. Les ouvriers prennent possession de l’entre­prise ou de l’usine au bénéfice de tous, les paysans font de même avec les grands domaines des propriétaires fonciers.

L’AUTOGESTION INDUSTRIELLE

Le mouvement de socialisation qui se développe dans la zone républicaine ne présente aucun caractère du socialisme d’Etat bureaucratique de type marxiste. Il n’est pas décrété d’en haut, il n’est pas le produit de la dic­tature d’un parti politique : il se base sur la collabora­tion des individus conscients et sur la coordination des organismes économiques fédérés.

Dans chaque entreprise, les travailleurs nomment un comité constitué d’un délégué du personnel de chaque section. Ce comité organise la production de l’entreprise en fonction des besoins de la population, tels que le conseil syndical local lui a communiqués.

Ce conseil syndical local est nommé par l’assemblée de tous les travailleurs, qui se réunissent tous les mois. Au cours de ces assemblées, on discute en commun des problèmes de gestion et on contrôle l’activité des délé­gués pendant leur mandat. S’ils n’ont pas appliqué les décisions de l’assemblée précédente, ou s’ils veulent jouer aux chefs, on les remplace aussitôt.

Les conseils syndicaux locaux, qui opèrent chacun dans leur branche d’industrie, nomment un comité inter­syndical qui est chargé, dans chaque localité, de coordon­ner toutes les activités. Enfin, les organisations locales sont fédérées sur la base de la région. Ainsi, la fédéra­tion régionale oriente, selon les besoins généraux, les activités de chaque localité qui, à son tour, oriente les activités de chaque unité de production industrielle.

D’autre part, les conseils locaux procèdent à un certain nombre de mesures qui améliorent les conditions de tra­vail et de vie de la population. C’est ainsi que de nombreux petits ateliers, qui se faisaient inutilement concur­rence, sont concentrés en de grands ateliers modernes aux conditions d’hygiène satisfaisantes : en Catalogne, par exemple, les fonderies sont réduites de 70 à 24. On se saisit également des églises : tandis que les curés sont envoyés à l’usine ou aux champs, on transforme celles-ci en hôpitaux, en écoles, en magasins socialisés ou même en garages.

C’est toute une nouvelle structure sociale qui voit le jour et qui réalise ce rêve vieux comme l’humanité : éli­miner les parasites et utiliser chaque chose au bénéfice de tous.

LES COLLECTIVITES AGRICOLES

Dans les campagnes, le mouvement de socialisation se développe avec plus de vigueur encore. Des centaines de collectivités agricoles s’organisent, dans lesquelles les paysans mettent en commun leurs terres et celles qu’ils ont expropriées, les outils, les bêtes, le travail. L’adhésion à la collectivité n’est pas obligatoire : chaque paysan peut, s’il le veut, rester- propriétaire de sa terre, mais à la condition qu’il n’emploie pas de travailleur salarié et qu’il ne laisse pas son terrain inculte. Malgré cette possibilité qui est laissée au paysan, on dénombre en 1936 au moins 450 collectivités en Aragon, 900 dans le Levant en 1937. En Nouvelle-Castille, région pourtant très catho­lique et de tradition réformiste, les paysans s’enthousias­ment à la pratique anarchiste : on compte 300 collecti­vités. L’Extramadure. l’Andalousie et les Asturies connais­sent des réalisations identiques tant qu’elles restent aux mains des antifascistes.

La gestion des communes agricoles se fait par un comité de coordination comprenant un délégué pour l’agriculture, un pour l’élevage, un pour les échanges, un pour les travaux publics et les transports, un pour l’enseignement, un pour l’hygiène et les services sani­taires. Tous ces délégués remplissent leurs fonctions après leur temps de travail normal, sauf un ou deux qui restent par nécessité en permanence à leur poste d’ad­ministration. De toutes façons, ils ne bénéficient d’aucun privilège économique et on peut les révoquer à tout moment, dès qu’ils ne donnent plus satisfaction (ce qui arrive rarement).

Les décisions sont prises en assemblées générales pour les problèmes importants, ou en réunion restreinte des délégués pour les affaires courantes. Lorsque tout le village adhère à la collectivité, le comité coordinateur devient le conseil municipal.

Les communes sont unies en fédérations cantonales, et celles-ci en fédérations régionales. Les administra­teurs des fédérations cantonales et régionales sont nommés du dedans et rendent compte de leur gestion aux assemblées générales des travailleurs ou de leurs délégués. Les échanges ont lieu soit directement de collectivité à collectivité, soit à travers l’organisation locale : les surplus de production sont envoyés au chef-lieu qui les expédie vers les régions industrielles, et celles-ci remet­tent l’équivalent en leurs produits. Hors des structures étatiques, la nouvelle vie s’organise selon la célèbre for­mule de la Première Internationale : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »

VIVRE LE COMMUNISME LIBERTAIRE

L’autogestion, aussi bien industrielle qu’agricole, remet le pouvoir de décision entre les mains des travailleurs eux-mêmes. Dès lors, le travail change de nature : il n’est plus esclavage au service du capital, il n’est pas une simple « nécessité vitale » comme l’a sèchement envisagé Marx. Les travailleurs eux-mêmes prenant en charge les entreprises, le travail devient force vitale, énergie à libérer, modalité libératrice, élément créateur de valeur existentielle. Ceci explique les résultats stupé­fiants qu’obtient en un temps record la nouvelle structure économique et sociale.

Alors qu’un nombre considérable d’hommes valides sont au front, les surfaces cultivées augmentent de 30 % et le rendement des récoltes est majoré, suivant les régions, de 30 à 50 %. Parallèlement, le cheptel est multiplié ; des porcheries, des étables et des écuries modernes sont construites en grand nombre ; l’eau courante, l’électricité et le téléphone sont étendus à tous les villages. Dans les villes, la production industrielle augmente, et seules les nécessités de la guerre empêchent de réduire d’une façon importante le temps de travail de chacun.

Un des aspects les plus remarquables de cette société en marche vers le communisme libertaire est le dévelop­pement de l’instruction primaire : partout des écoles sont fondées. A Barcelone, par exemple, le nombre des enfants scolarisés passe en trois mois de 30.000 à 155.000. En même temps, l’alphabétisation accélérée des adultes est entreprise, car le pays compte presque 50 % d’illettrés. Tandis que l’urbanisme est amélioré, la défense de la santé publique donne lieu à la socialisation de la méde­cine. C’est le syndicat unique sanitaire qui procède à la réorganisation de la branche médicale. Les médecins sont payés pour trois heures de travail obligatoire par jour, mais la plupart travaillent tout le reste du jour gra­tuitement. Des hôpitaux, des polycliniques, des dispensai­res, des sanatoria sont créés en grand nombre. Les médi­caments sont donnés gratuitement aux malades. Dans les collectivités, les mêmes moyens d’existence étant assurés à tous, la mendicité, la prostitution, la comédie des retraites et assurances disparaissent. Le moyen de rémunération généralement adopté est le salaire familial, qui augmente avec l’importance de la famille, quel que soit le nombre de producteurs de celle-ci. Dans certaines régions, on parvient même à supprimer l’argent (sous sa forme thésaurisable) qui est la source de toutes les inégalités sociales.

Ces résultats, sommairement décrits, d’une société en marche vers le communisme libertaire, démontrent incon­testablement la valeur des thèses soutenues par la C.N.T.-F.A.I. Ils prouvent la capacité politique des masses ouvrières et paysannes qui, éduquées dans l’anarchisme, savent voir clair : comme alternative socialiste au régime capitaliste, elles rejettent les propositions marxistes d’Etat totalitaire, d’autorité et d’économie dirigée par l’Etat. A une organisation sociale qui militarise tous les hom­mes et convertit l’Etat en un grand patron, une grande entremetteuse, elles préfèrent la liberté, l’autogestion et le fédéralisme libertaire des anarchistes, c’est-à-dire l’exploitation des mines, des champs, des usines et des ateliers par la classe laborieuse elle-même, librement organisée en conseils de producteurs et de consomma­teurs et en fédérations syndicales.

Les réalisations du prolétariat espagnol illustre bien ce propos de Durruti : « Nous n’avons pas le moins du monde peur des ruines... Nous allons hériter de la terre... Nous portons un monde nouveau ; là, dans nos cœurs, et ce monde grandit en cette minute même. »

UNE COLLECTIVITE PARMI D’AUTRES

Une anecdote, rapportée par Juan Gomez Casas dans son livre « Historia del Anarco-Sindicalismo Espanol » (paru en Espagne en 1968), illustre aussi bien la richesse créatrice des paysans espagnols que le dévouement inlassable qui habite les militants cénétistes.

Lorsque, après la fin de la guerre civile, le comte de Romanones revient dans ses possessions de Miralcampo et Azuqueca (province de Guadalajara), il s’attend à trouver détruits et rasés par le vandalisme révolution­naire ses domaines qu’il a abandonnés trois ans plus tôt. Quelle n’est pas sa surprise de contempler un spec­tacle totalement différent !

La physionomie des contrées environnantes est com­plètement transformée : les paysans ont dévié le cours d’une rivière pour irriguer les terres. Ils ont construit des fermes, un moulin, un splendide élevage de lapins, une porcherie contenant une centaine de bêtes, un magasin de ravitaillement où peuvent se fournir 800 personnes ; des réfectoires collectifs, des maisons pour les collecti­vistes mal logés, des écoles pour les enfants. Ils ont augmenté la surface cultivée ainsi que la production : la superficie des terres ensemencées d’orge est passée de 323 à 1.242 hectares, celles de blé de 1.938 à 4.522 hectares. En outre, par les meilleurs soins donnés aux vignes, la production de vin est passée de 485 à 727 hec­tolitres, tandis que la valeur de la production des melons s’est élevée de 196.000 à 300.000 pesetas et celle de la luzerne de 80.000 à 250.000 pesetas (pour une aug­mentation des prix n’atteignant même pas 10 %).

Impressionné, le comte demande qui sont les auteurs de ces réalisations ; on lui répond que ce sont les paysans. Il cherche les responsables de la collectivité ; ceux-ci sont en fuite ou en prison. Il exige des noms : on lui cite celui d’un militant appartenant au Syndicat du Bâtiment de la C.N.T., Jeronimo Gomez Abril, à qui la Fédération Régionale des Paysans du Centre de l’Espa­gne (c’est-à-dire de Castille) avait confié la mise en marche de la collectivité. Celui-ci est en prison. Le comte de Romanones, leader monarchiste influent, obtient sa mise en liberté, puis il lui offre l’administration de toutes ses propriétés. Au risque de retomber sous l’impitoyable répression du régime franquiste, Gomez Abril refuse : il estime sa tâche accomplie et achevée par la défaite de la révolution, tout l’or du monde ne lui fera pas trahir ses frères de classe. Gomez Abril est un bon exemple de la conscience révolutionnaire du prolétariat espagnol : toujours prêt à servir le peuple, mais jamais à le com­mander.

REVERS MILITAIRES

Cependant que l’autogestion démontre ses immenses possibilités, l’été 1936 s’achève dans une série de défaites militaires. Le courage, l’enthousiasme et l’esprit de sacrifice des milices, qui ont permis de reconquérir l’Ara­gon jusqu’à Huesca et Saragosse, d’arrêter Mola à Somo­sierra et Guadarrama, de reprendre Albacete, ne suffisent pas à compenser la pénurie d’armes et de munitions, ni la trahison de nombreux officiers républicains qui, comme à Badajoz, passent à l’ennemi au moment où celui-ci attaque.

La prise de Saragosse par les fascistes a privé le camp républicain d’importantes réserves d’armes, de munitions, ainsi que de nombreuses usines d’armement. C’est sou­vent avec des moyens de fortune que les républicains affrontent le feu ennemi : fusils de chasse, bâtons de dynamite, voitures blindées au ciment, etc. Ceci explique que les nationalistes s’emparent tour à tour de Merida, Badajoz, Irun, San Sebastian, Tolède.

Le 12 octobre, la première ligne de défense de Madrid tombe. Seule l’arrivée des Brigades internationales et de la colonne Durruti (en provenance du front d’Aragon) peut sauver la capitale : les combats font rage à la Cité Universitaire et au parc de l’Ouest, le secteur le plus dangereux, que Durruti a réclamé pour sa colonne. Le 21 novembre, tandis que la 11e Brigade internationale contre-attaque et permet au front de se stabiliser, Durruti, cette belle tête impérieuse « qui riait comme un gosse et pleurait devant la tragédie humaine », est foudroyé dans la Cité Universitaire. Mais Madrid est sauvée : fin novembre, l’étreinte se desserre et Franco doit attaquer ailleurs.

Face à l’offensive nationaliste, alimentée en hommes et matériel par Hitler et Mussolini (celui-ci n’hésite pas à envoyer le contingent italien en Espagne), le camp républicain ne peut plus espérer de soutien qu’en pro­venance de l’U.R.S.S., les démocraties libérales (France, Angleterre, etc.) refusant d’intervenir. De ce fait, l’aide russe devient un facteur politique déterminant : le Parti Communiste Espagnol acquiert une importance sans rap­port avec le nombre de ses militants, et Staline com­mence à préparer l’élimination physique de l’anarchisme espagnol dont il voit d’un mauvais oeil les formidables succès.

QUE FAIRE ?

Confrontés à cette délicate situation politique, les anarchistes sont divisés. Une partie pense qu’il faut tran­siger et réaliser contre le fascisme l’union sacrée de toutes les forces républicaines, quitte à mettre provisoirement la révolution sur une voie de garage : pour ceux-ci, il faut d’abord gagner la guerre pour pouvoir faire la révolution.

Une autre partie des anarchistes, qui trouve en Camillo Berneri son théoricien le plus remarquable, préconise une ligne politique plus pure. Ceux-là pensent qu’il faut, avant tout, tenir compte des conditions politico-sociales de la victoire : seule la guerre révolutionnaire peut pro­voquer la défaite de Franco.

-  Expulsion immédiate des représentants diplomatiques portugais, allemands et italiens et confiscation des biens appartenant aux bourgeois de ces pays résidant en Espagne.

-  Renouvellement immédiat de tout le corps diploma­tique espagnol.

-  Contrôle sévère des nouveaux inscrits dans les syn­dicats et les partis et élimination sans pitié des résidus fascistes qui obligent à conserver trop d’hommes armés à l’arrière.

-  Envoi d’agitateurs au Maroc pour susciter une révolte autonomiste qui coupera Franco de ses bases opération­nelles.

-  Envoi sur le front de propagandistes arabes pour saper, par radio et par tracts, le moral des Maures.

-  Utilisation rationnelle dans l’industrie de guerre des techniciens étrangers venus en Espagne combattre le fascisme.

-  Intensification des guérillas à l’intérieur de la zone nationaliste.

-  Réalisation de l’unité de commandement par un Comité National de défense chargé de la coordination générale des milices.

Telles sont les judicieuses propositions que formule Berneri. Concilier les nécessités de la guerre, la volonté de la révolution et les aspirations de l’anarchisme : c’est de la résolution de ce problème que dépend la victoire.

LES ANARCHISTES AU GOUVERNEMENT

Malheureusement, c’est l’opinion incarnée par Horacio Prieto, alors secrétaire du Comité National de la C.N.T., qui prévaut. Le 4 novembre 1936, pour rassurer l’opinion internationale, pour donner des gages de bonne volonté aux organisations républicaines modérées, pour faire pro­fiter les milices C.N.T.-F.A.I. des armes qui arrivent d’Union Soviétique depuis octobre, pour enrayer les sabotages dont sont victimes les milices et les entreprise autogérées de la part du gouvernement, la nouvelle éclate dans le monde entier : la C.N.T. dispose désormais de quatre portefeuilles au gouvernement.

L’expérience va montrer qu’en mettant sous le bois­seau leurs convictions anti-étatistes, les anarchistes pré­cipitent ce qu’ils veulent empêcher : l’écrasement de la révolution et le renforcement de l’Etat.

LA MILITARISATION DES MILICES

Le renforcement de l’Etat se traduit d’abord par la reconstruction d’une armée à ses ordres. Les défaites de la fin de l’été 1936 ont permis aux partis politiques de mener une campagne monstre contre les milices et pour l’armée. La première tentative gouvernementale en ce sens est le décret du 29 septembre 1936 qui mobilise deux classes.

L’opposition anarchiste est si forte que cette tentative échoue, surtout en Catalogne.

Mais la pénurie d’armes et de munitions pèse lourde­ment dans la balance : le gouvernement, qui a la haute main sur les armes livrées par l’U.R.S.S., peut faire tous les chantages. Les colonnes anarchistes qui refusent de se « militariser » et de s’intégrer dans l’Armée Populaire se voient supprimer toute livraison d’armes. L’une après l’autre, elles se résignent, pour ne pas manquer d’armes ni de munitions. La présence de militants cénétistes au gouvernement, à partir du 4 novembre, leur fait espérer que cette militarisation ne s’effectuera pas trop aux dépens des droits acquis par le prolétariat le 19 juillet. Vain espoir ! Les ministres anarchistes sont impuis­sants. Non seulement les grades et galons réapparais­sent, la hiérarchie des soldes est rétablie, l’ancien Code de Justice Militaire remis en vigueur, les conseils de sol­dats et l’éligibilité des commandants supprimés, mais encore les divisions anarchistes qui, tiennent le iront d’Aragon sont réduites par l’état-major à affronter le plus souvent à mains nues les mitrailleuses fascistes : c’est pour se voir reprocher ensuit leur « inertie ».

La militarisation des milices, où les partis politiques hostiles à la révolution placent leur espoir pour l’issue victorieuse de la guerre, porte en elle-même une des raisons primordiales de la défaite finale : nombre de paysans et d’ouvriers, qui se sont engagés dans les milices dans l’enthousiasme révolutionnaire de juillet, comprennent que la militarisation marque le retour à l’ancien ordre de choses. Alors, pourquoi se battre ? Cette guerre n’est plus celle du prolétariat pour son émancipation, elle devient celle de deux fractions rivales de la bourgeoisie. Découragés, des milliers de miliciens rentrent chez eux : c’est, par exemple, le cas de la Colonne de Fer qui tombe, après sa militarisation, de 20.000 miliciens à moins de 4.000 soldats.

LE SABOTAGE DE L’AUTOGESTION

Mais la militarisation des milices n’est qu’un aspect de l’attaque générale lancée contre les révolutionnaires. Une autre offensive, bien plus importante par ses consé­quences, a lieu en même temps, sur le plan économique, contre les collectivités autogérées. Cette attaque est l’œuvre de tous les partis politiques que compte l’Espagne Républicaine, de l’Union Républicaine au Parti Commu­niste, qui se servent de l’autorité croissante du Gouver­nement pour jeter des bâtons dans les roues de l’auto­gestion.

Ainsi, le 7 octobre 1936, le communiste Uribe, ministre de l’Agriculture, signe-t-il un décret qui, tout en légali­sant une partie des collectivisations rurales, soumet à des règles très rigides et très complexes la validation de la plupart de ces collectivisations. Ce décret démo­ralise les paysans collectivistes qui craignent désormais de voir restituer à leurs anciens propriétaires les terres expropriées par la révolution. Le même Uribe, abusant de ses pouvoirs de ministre, s’ingénie constamment à priver les collectivités des engrais d’importation qu’il distribue aux exploitants privés.

Au lieu de s’adresser aux collectivités textiles auto­gérées de Catalogne, le gouvernement achète à l’étranger les uniformes destinés à l’Armée Populaire. Il nationalise les transports, ce qui lui permet d’approvisionner cer­taines entreprises et « d’oublier » de livrer les com­mandes faites par d’autres. Il refuse tout crédit aux usines autogérées, même après que la C.N.T. ait offert en garan­tie d’avances le milliard de dépôts des Caisses d’Epargne catalanes. Lorsque le communiste Comorera devient mi­nistre de l’Economie, en juin 1937, il prive les usines autogérées des matières premières qu’il prodigue au sec­teur privé, ce qui contraint la plupart de ces usines à tourner au ralenti, surtout en Catalogne où nombre d’entre elles ne peuvent plus travailler désormais que trois jours par semaine.

Tout cela atteint les forces vives de l’économie nou­velle, démoralise les combattants du front, renforce dan­gereusement les classes moyennes et fait en définitive le jeu des nationalistes. Empêtrés dans leur politique collaborationniste, les anarchistes protestent vainement, et le chantage à l’armement qui leur est fait les empêche de prendre une attitude plus dure. De Moscou, Staline assiste au recul de la C.N.T : F.A.I. et à l’ascension fulgu­rante du P. C.

LA MONTEE DES COMMUNISTES

A la veille de la guerre civile, le P.C. espagnol est rachitique : il compte moins de 30.000 membres et n’est pas parvenu à contrôler l’U.G :T. que le Parti Socialiste tient sous sa coupe. D’autre part, il ne peut pas toucher le prolétariat révolutionnaire qui suit la C.N.T.-F.A.I. Pour se développer et contrecarrer les succès anarchistes il ne peut que soutenir une politique réactionnaire de défense de la propriété privée et de respect de la légalité bourgeoise.

Le 17 décembre 1936, la « Pravda » écrit : « En Cata­logne, l’élimination des trotskystes et des anarcho-syndi­calistes a déjà commencé ; elle sera conduite avec la même énergie qu’en U.R.S.S. » A la même époque, Uribe prononce un discours où il assure aux petits proprié­taires individualistes que les fusils du P.C. sont à leur disposition. Dans toutes les villes de l’Espagne républi­caine, le P.C. se manifeste comme l’adversaire principal des milices et de l’autogestion. Fort en outre des livrai­sons d’armes russes, il ne tarde pas à cueillir les fruits de sa politique.

Le P.C. recrute en masse parmi les éléments les plus conservateurs du bloc républicain : personnel militaire et administratif, petits bourgeois et paysans aisés, employés. On voit même, à Valence, adhérer les anciens de la C.E.D.A. (Confédération Espagnole des Droites Autono­mes). Parti de moins de 30.000 membres, le P. C. passe en un an à plus d’un million d’inscrits. Sur ce total, il n’y a que très peu de prolétaires : une statistique montre qu’en 1938, à Madrid, il n’y a que 10.160 syndiqués sur 63.426 inscrits, c’est-à-dire qu’il n’y a que 10.160 per­sonnes pouvant faire partie d’une organisation de classe du prolétariat. Peu à peu, le P.C. s’empare de tous les postes les plus importants de l’Etat républicain. Grâce au commis­saire général Alvarez del Vayo, il parvient à coloniser le Commissariat Politique et, par cet intermédiaire, accroît considérablement son influence dans l’Armée Populaire. Ce sont des communistes qui contrôlent les services de la censure et du chiffre. Déjà ils constituent un Etat dans l’Etat. Et lorsque le S.LM. (Servicio de Investigacion Militar) est créé par un décret du 15 août 1937, les com­munistes, aidés par les « techniciens » de la N.K.V.D.[ancêtre du !KGB, ndCNT-AIT] dépêchés par Staline, n’ont aucune peine à mettre la main dessus. Police politique toute-puissante, disposant de plus de 6.000 agents, de prisons et de camps de concentration, décidant arrestations et exécutions sans enquête ni jugement, le S.LM. rend d’appréciables servi­ces au P, C. en éliminant nombre de ceux qui osent s’opposer à lui.

LES JOURNEES DE MAI

Après la militarisation des milices, après les multiples sabotages dont sont victimes les collectivités autogestion­naires, il est inévitable que monte la tension et que celle-ci dégénère en affrontement armé. De multiples accrochages ont lieu entre communistes et anarchistes. Mais aucun n’atteint la violence que prennent, à Barce­lone, les journées de mai 1937.

Le 3 mai 1937, un commissaire communiste, Rodriguez Salas, se présente au Central Téléphonique de Barcelone avec trois camions chargés de gardes. Il tente d’arrêter les militants anarchistes qui occupent et font fonctionner le Central, mais la colère populaire, une nouvelle fois provoquée, explose : aussitôt la grève générale s’abat sur Barcelone qui se couvre de barricades. On tire de tous côtés. Il faut l’intervention des ministres anarchistes, prisonniers de leur politique, pour que le calme revienne le 6 mai. Les communistes ont pu constater la puissance que conservent les anarchistes, mais ceux-ci ont laissé échapper l’occasion de renverser une situation qui ne cesse d’évoluer à leur désavantage.

Le bilan officiel des combats (certainement très au­ dessous de la vérité) s’élève à 500 tués et 1.000 blessés. Parmi les victimes, on trouve le cadavre de Camillo Berneri : enlevé chez lui par un commando communiste, il a été abattu de sang-froid pour ses idées révolution­naires. Sa mort apparaît comme le symbole de la déroute anarchiste devant le machiavélisme communiste. On se rend compte que la prédiction du 17 décembre de la « Pravda » n’était pas un vain mort.

L’ATTAQUE DES COLLECTIVITES

Mais l’entreprise insensée d’écrasement de la révolu­tion que les communistes ont commencée ne va pas s’arrêter là. En août 1937, une attaque de grande enver­gure est déclenchée contre l’Aragon, région entièrement organisée par les anarchistes.

C’est d’abord un décret gouvernemental qui dissout le Conseil d’Aragon. Immédiatement, la 11e division du com­mandant communiste Enrique Lister (qui s’était déjà signalé par sa hargne contre les collectivités de Castille), appuyée par des tanks, passe à l’action contre les collec­tivités aragonaises : des centaines de militants anar­chistes sont arrêtés, les locaux de la C.N.T : F.A.I. sont détruits et ses journaux locaux interdits, les greniers sont pillés. 30 % des collectivités sont entièrement détruites, bâtiments incendiés, collectivistes en fuite, en prison ou morts. Sous la menace, Lister contraint les paysans à se partager les terres et à signer des actes de propriété. Dans le Levant et en Castille, des attaques similaires sont perpétrées contre les collectivités, quoique sur une moins grande échelle, moins « scientifiquement ».

Pourtant, dès que les tanks communistes repartent, mal­gré les risques qu’ils courent, les paysans aragonais brû­lent les actes signés sous la contrainte et parviennent à reconstituer, avec ce qu’ils peuvent sauver de cette tragédie, 70 % des anciennes collectivités. Cette fidélité à la collectivisation montre à quel point les paysans ont su acquérir une conscience socialiste.

Il n’en reste pas moins que l’économie collectiviste a été rudement touchée. Si les collectivités autogérées continuent à vivoter, surtout dans l’agriculture, la réaction bourgeoise intérieure au camp républicain a cette fois bel et bien triomphé. L’Etat Républicain a recouvré ses anciennes prérogatives. Le Parti Communiste est tout puissant. De nombreux propriétaires, jusqu’alors à l’étran­ger, reviennent récupérer leurs biens. La bureaucratie s’introduit partout. Les anarchistes, égarés dans leur poli­tique ministérialiste, ne peuvent plus renverser la vapeur.

Désormais, il n’est plus question d’une Révolution Sociale en Espagne, mais seulement d’une Guerre Civile. Et ceux qui se sont montrés si efficaces dans l’écrase­ment de la Révolution seront incapables de gagner la Guerre. La Révolution était le nerf de la Guerre, et ils l’ont coupé...

ET AUJOURD’HUI ?

Plus de trente ans après l’entrée de Franco dans Ma­drid, la Révolution Sociale et la Guerre Civile pèsent encore lourdement sur la situation intérieure de l’Espagne. Malgré le développement considérable du tourisme, malgré l’aide financière des U.S.A., l’économie capitaliste espagnole, durement atteinte par la guerre, n’a pas trouvé l’essor suffisant pour atteindre à la société de consom­mation. Seules les classes au pouvoir (politique et éco­nomique) bénéficient des progrès réalisés, et la condition du prolétariat n’a guère changé en trente ans : quelques trois millions de travailleurs émigrés sont là pour en témoigner. Ce retard économique, allié à la combativité exceptionnelle du prolétariat éduqué par un siècle de propagande anarchiste, explique bien des choses. En 1969, année où le gouvernement a été contraint de décréter l’état d’exception, on a compté plus de mille grèves. Ce qui est remarquable, c’est que 60 % de ces grèves ont eu des motifs politico-sociaux, seulement 19 °/o s’assignant pour but des revendications de salaire. L’entrée en jeu de nouvelles générations réserve de bien mauvaises surprises au capitalisme espagnol et inter­national. L’expérience autogestionnaire de 1936-1939, les formidables résultats obtenus et l’exemplaire don de soi des militants anarchistes ne sont pas près de s’effacer de la mémoire collective du prolétariat. Et ce qu’essaie de cacher le fascisme, la C.N.T.-F.A.I. le divulgue clan­destinement. La moindre libéralisation du régime sera exploitée au mieux par nos frères espagnols pour révéler dans ses moindres détails à la jeunesse studieuse l’his­toire du passé et ses aboutissements du présent.

Complètement discrédité par son rôle réactionnaire durant la guerre, le P.C. espagnol ne trouve plus guère d’audience qu’auprès des chrétiens et des phalangistes de gauche. Sa stratégie erronée de « réconciliation natio­nale » qu’il développa hier, et celle d’alliance avec la bourgeoisie « non-monopoliste » qu’il développe aujour­d’hui, le font de plus en plus apparaître comme un facteur de perpétuation du régime. Et ce n’est certes pas la livraison de charbon de la Pologne, début 1970, pour briser la grève de 35.000 mineurs asturiens, qui redorera le blason du paradis soviétique qu’il propose. Quant aux autres formations de gauche, leur incompréhension totale de l’œuvre reconstructrice entreprise durant la guerre ne peut pas leur faire espérer une véritable audience dans le prolétariat révolutionnaire, quelle que soit la phraséo­logie qu’elles emploient.

Si le renouveau de l’anarchisme dans le monde dépend en partie du pourrissement idéologique des Partis Com­munistes nationaux, en Espagne la C.N.T.-F.A.I. n’a pas besoin de cette usure progressive du marxisme : aux yeux de la jeunesse espagnole, l’anarchisme apparaît d’ores et déjà comme le seul idéal qui mérite toujours que l’on y consacre sa vie.

GROUPE EUGENE-VARLIN - O.R.A. - NICE Première édition : Espoir CNT-AIT, Toulouse, sans dates


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