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samedi 23 février 2002

En allant à ma boite aux lettres, j’y trouve ma voisine, la toubib du quartier. Elle me sort : "Tiens, Dédé, ça va t’amuser", et me tend un courrier de sa mutuelle, la MACSF(Mutuelle d’assurance du corps sanitaire français). Je lis. Bigre, ils n’y vont pas par quatre chemins : "Un vol ou tentative de vol toutes les minutes et de plus en plus d’agressions dans les cabinets médicaux". Je fais part de mes condoléances à la victime potentielle et je lui offre un kleenex. Installée depuis 15 ans dans notre quartier plein d’ouvriers et d’immigrés, elle se bidonne avec moi et a du mal à calculer le nombre de minutes dangereuses auxquelles elle a survécu.

Ma toubib, une cible vivante ... pour les publicitaires

Heureusement, son assureur, le groupe MACSF vole à son secours avec "Protection vol". C’est assez lourd et répétitif, style "Ecole de commerce -première année" ou "BTS - Force de vente". Titre : "Pour faire face à la montée de la délinquance". Sous-titre : "Les professions de santé cibles des vols et des agressions". Texte : "Nul n’est à l’abri des cambrioleurs, vandales et délin-quants, spécialement les professions sensibles comme la vôtre ! En effet les médias se font de plus en plus l’écho d’agressions répétées ....". Bref, ma toubib est une cible vivante.

C’est inquiétant, mais en y mettant le prix, elle s’en sortira : 1700 Fr de frais d’installation et entre 276 et 468 Fr par mois pour le suivi. "Curieux, ajouta-t-elle, qu’un assureur fasse la publicité pour un système de sécurité. C’est comme s’il me "conseillait" telle voiture à la place d’une autre, ou si la sécu faisait de la publicité pour telle ou telle clinique ... Y aurait-il des intérêts cachés derrière tout cela ?". Bonne question.

Justement, dans la Dépêche du 1er juin, il y a le flot quotidien de propagande. Sur cinq colonnes, dans la rubrique "Délinquance", un titre saute aux yeux "Face au sentiment d’insécurité, Toulouse s’organise". Remarquez, c’est pas pire que "Toulouse- Vintimille, voyage dans le train de la peur" (sic), ou "Les gens ont peur" (re-sic) mais ça répond à la question de ma toubib. Oui, il y a des intérêts cachés, lisez : " Le boum des sociétés de surveillance. En 20 ans, plus de deux mille emplois ont été créés par les sociétés spécialisées dans la sécurité". Le journal ajoute que, "dans les pages jaunes, il y a 105 sociétés de gardiennage". Bonne idée. Je me précipite sur les pages jaunes et je donne quelques coups de fil, pour connaître les tarifs. Au tarif de la prestation, on mesure les bénéfices des patrons. Et c’est pas les seuls : "Les petits collectifs alliant sécurité et cadre de vie ont envahi l’agglomération toulousaine. On se bouscule pour habiter dans ces îlots de sécurité". La gestion de ces "îlots" est une nouvelle ... île au trésor !

Avec tous ces assureurs, installateurs d’alarmes, constructeurs, banques (pour les prêts imposés par les surcoût sécuritaires) gestionnaires d’immeubles, sociétés de gardiennage... c’est "par ici la monnaie" . C’est fou ce qu’il y a comme patrons à qui l’insécurité profite.

Si la presse ne parlait pas tout le temps d’insécurité, sûr qu’ils la payeraient pour qu’elle le fasse...

Qui dit publicité dit commerce. Les petits commerçants ne veulent pas être en reste. Ils ont lancé une pétition, appelé à une manifestation. La presse locale ne leur a pas ménagé son soutien. Pendant des semaines, elle a pilonné sur le sujet, annonçant 100, 200 000 signatures. Le résultat a été beaucoup plus modeste, même pas la moitié. Et encore, faut voir comment. Marcelle, par exemple, se l’est faite extorquer, sa signature. Primo, elle n’avait pas ses lunettes pour lire le texte, deusio, comme elle dit tout le temps "les commerçants devraient d’abord s’occuper de rendre honnêtement la monnaie". Mais bon, elle avait pas envie de se fâcher avec la boulangère, alors, elle a signé. A 75 ans, on peut comprendre.

Bref, pour la pétition, ça n’a pas été terrible ; mais pour la manif, ça a été une véritable déculotté. La veille, toujours sur cinq colonnes, La Dépêche, qui accentuait le forcing, annonçait au moins cinq à dix mille personnes pour cette "protestation unique en France contre la multiplication des agressions". Il y en a eu dans la réalité ... deux à trois cents. Ridicule. Les milliers d’agressés avaient oublié de venir ? Ils avaient pas lu le journal ?

Toute vérité n’est pas bonne à imprimer ...

Comme ça commençait à nous chauffer, au syndicat, on s’est fendu d’un communiqué "officiel CNT-AIT". On le fait pas souvent, mais ça le méritait. Envoyé par fax et recommandé à La Dépêche ; jamais publié. Alors, rien que pour vous, voici ce texte :

"L’échec cuisant de la manifestation sécuritaire d’une minorité de commerçants de 29 mai (à peine quelques centaines de manifestants) démontre le fossé qui existe entre le discours artificiel des médias et des politiques sur l’insécurité et les préoccupations essentielles de la population. Aujourd’hui, la véritable insécurité, ce sont les licenciés de Marks et Spencer, de Valéo, de Péchiney, de Motorola ... et de multiples autres entreprises de la région qui la vivent.

L’insécurité, ceux qui la vivent, ce sont tous les précaires, tous les salariés qui sont des licenciés en sursis alors que leurs entreprises font des bénéfices monstrueux. De plus, nous constatons qu’alors que les besoins sont criants dans le domaine de la santé, du logement, de l’éducation, des transports en commun les nouveaux emplois créés par le gouvernement le sont presque uniquement dans la police, au mépris des besoins sociaux de la population"

Dédé

CNT-AIT


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