mercredi
18 janvier 2006
Fin 2005, j’ai été très surpris de constater que des “libertaires” appelaient à participer à une manifestation régionaliste à Carcassonne. Outre qu’ils ont été réduits à prendre la queue d’un cortège dominé par les politiques locaux, ils ont, me semble-t-il oublié le sens des idées dont ils se réclament. Tout d’abord, cela a été assez développé dans ce journal pour que je n’ai pas à y revenir, la nation, la région sont des entités inter-classistes que nous récusons. De plus, dans une perspective anarchiste la notion d’État n’a pas, par l’essence, de raison d’être. Aussi, toute revendication nationaliste est-elle à proscrire. Par extension, l’anarchisme s’oppose au régionalisme qui n’est que la reproduction, à une échelle moindre, de l’État.
Les régionalistes font référence au territoire. Initialement entendu comme un espace physiquement délimité, et borné par des frontières, c’est également un support d’une culture et d’une histoire, d’un ensemble de savoirs partagés et admis par les individus qui s’y trouvent. C’est un objet construit socialement (au sens que les sociologues donnent à ces termes), historiquement d’une part mais également et surtout synchroniquement, un lieu de rencontre et d’échange.
La notion d’État, de Nation ou de Région cherche à encadrer ce concept à travers des schèmes bureaucratiques et liberticides, dont le rôle est de marquer une différence nette entre ce qui se trouve à l’intérieur et ce qui se trouve à l’extérieur des frontières arbitrairement délimitées. Mais nous ne devons pas nous limiter à ces cadres de pensées préétablis et imposés. Il n’est de frontière que pour permettre au dirigeants (qu’ils soient rois, présidents, conseillers régionaux, possédants…) d’exercer leur pouvoir sur une surface donnée et sur les individus qui s’y trouvent.
Dans une perspective libertaire, le territoire est donc entendu comme un construit social, évoluant sans cesse au rythme des individus qui le forment, et les limites de ce territoire fluctuent donc de façon synchronique en fonction des personnes qui le composent. Nous pouvons alors dire que le territoire se rapporte à un réseau d’acteurs désireux de participer à une réalisation collective.
Les principes libertaires visent à une finalité apatride des liens sociaux. Pour l’heure, dans la société capitaliste que nous connaissons, elle ne peut être qu’internationale. Notre lutte est celle des dominés contre les dominants, celle des ouvriers contre les patrons. L’exploitation de l’Homme par l’Homme ne connaît pas de frontières, nous non plus !
Soulignons ici que les différences, culturelles, sont des richesses, du fait des échanges qui peuvent en découler. Raison de plus pour lutter contre toute forme d’uniformisation de la culture et contre son encadrement par une structure étatique, qu’elle soit nationale ou régionale. De ce point de vue, il faut interroger le régionalisme sur ses prétendues valeurs d’émancipation. Désirons-nous devenir des individus libres et singuliers ou rester à jamais emprisonnés derrière des barrières frontalières, dont les drapeaux (qu’ils soient bleu-blanc-rouge, frappés de la croix occitane ou autre), les chants (patriotiques, quelle que soit la taille de la patrie) et autres expressions plus ou moins folkloriques ne sont que les symboles de la dictature communautaire sur l’individu ?
Certains éprouvent une oppression et s’inquiètent pour la survie de leur patrimoine culturel, historique et langagier. Ils appellent, pour le sauvegarder, à la constitution d’entités régionalistes. Ce faisant, ils ne feront que recréer une structure identique à celle qui les oppresse, mais qui est simplement plus grande. Or, le despotisme n’est pas une question de taille. L’écrasement par un État de la diversité culturelle ne tient pas au caractère national ou régional de celui-ci mais à son caractère d’État. Vouloir en reconstituer un “plus petit” pour sauvegarder quoi que ce soit, s’est simplement s’exposer à avoir des maîtres plus proches mais tout aussi oppresseurs. Pour qui veut sauvegarder un quelconque patrimoine culturel, il faut pousser le raisonnement jusqu’à son terme et replacer l’individu comme cellule première de l’organisme social.
Dans une projection anarchiste, chaque réseau d’individus se retrouve alors libre de cultiver, d’utiliser, de transmettre ou d’échanger avec d’autres des notions qui lui tiennent à cœur et qu’il désire voir perdurer.
La confusion entre mouvements indépendentistes (ou, disons-le clairement, identitaires) et mouvements libertaires peut apparaître sans gravité au premier abord, car il s’agit dans les deux cas de mouvements qui s’opposent à l’État national. Mais là s’arrête la comparaison, là est le seul point commun. Car les uns cherchent à construire, quels que soient les mots qu’ils utilisent pour le désigner, un nouvel État, tandis que les autres visent à l’extinction de tous les États.
Enfin, il est facile de balayer cet argument de cirque selon lequel “il faut être dans les mouvements régionalistes car l’extrême droite y est et il ne faut pas lui laisser le terrain libre”. Tout d’abord, il y a beaucoup d’autres terrains qu’il serait bon que les libertaires occupent pour s’opposer au fascisme (ne serait-ce qu’en termes d’efficacité !). Ensuite, il n’y a pas à s’étonner que des groupuscules fascistes se positionnent pour une résurgence populiste du sentiment patriotico-régional, maintenant que le sentiment patriotico-national est tellement usé que presque plus personne ne s’en réclame [1]. Ce type de concept, tout comme celui de territoire fermé, appartient à leur idéologie. Sous couvert de préservation d’une culture, ils ne font qu’ériger des murs et des frontières, mettre en exergue le concept “d’étranger”, développer la xénophobie, s’opposer aux brassages entre individus, … De telles attitudes ne se combattent pas en développant le même fond idéologique qu’eux mais au contraire en lui faisant pièce.
Doudou
[1] C’est pourquoi, dans un sursaut, l’État national rend obligatoire l’enseignement de La Marseillaise, emprisonne qui la siffle...
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