Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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Zéro de conduite !

mardi 3 octobre 2006

Injures répétées, coups, caillassages, incivilités, vols, obscénités, lacérages de vêtements, exhibitionnisme, destruction de biens, insultes à l’autorité, menaces de mort, plaies et blessures... Non, ce n’est pas la description de la vie dans un collège ordinaire... mais tout simplement le rappel des principaux faits d’arme des héros de “La Guerre des boutons” [1] , ces petits paysans bien de chez nous d’il y a un siècle à peine.

Fort heureusement pour lui, Pergaud est mort depuis longtemps. Il échappe ainsi à l’accusation d’incitation de mineurs à la violence qui lui pendrait au nez aujourd’hui ; et nous, nous échappons tout aussi heureusement aux titres qui, dans Marie-Âne, France-Chose ou Télé-Concon auraient immanquablement fait frissonner mémère, genre “Guerre civile en Franche-Comté”, “Le calvaire des Velrans” ou, pis encore, "Nettoyage ethnique à l’école primaire”. Par contre, le collégien qui commet de nos jours le dixième des exploits d’un Lebrac ou d’un Tintin n’échappe pas à une plainte, à l’enquête de police, au passage en justice et éventuellement à la prison, pour peut qu’il soit de milieu modeste. Pourquoi ? Parce que depuis quelques années nous sommes abreuvés, avec une insistance calculée, d’un message unique à propos des jeunes : ils sont violents, dangereux et doivent être vigoureusement réprimés.

Que des jeunes puissent être violents, envers eux-mêmes, envers des adultes ou des biens, parfois de façon insupportable, c’est un constat. Et comme je n’ai nulle propension à l’angélisme, je le dresse avec la rigueur qui convient. Mais, penser la violence comme la caractéristique de la jeunesse d’aujourd’hui, c’est une escroquerie intellectuelle et sociale qui repose sur un message totalitaire. Asséné par l’ensemble des médias et des pouvoirs publics, selon une stratégie importée des États-Unis, grâce à un tri scandaleux des “informations”, dans une optique grossissante et déformante, ce message rapporte moins des faits qu’il n’illustre une pensée unique, une pensée sécuritaire. Il se décline en fonction des lieux de vie des jeunes (il devient donc "violence dans les quartiers, à la plage ou à l’école”, en fonction des opportunités) et selon des variantes qui ont pour objet de ne pas lasser le public mais surtout de bien enfoncer le clou en alternant les éclairages. Ainsi, suivant le moment, la violence à l’école est-elle présentée comme un phénomène quasiment nouveau (“C’était pas comme ça avant”), de plus en plus répandu (“Y’en a partout, ma pauvre dame”), et qui concerne des élèves de plus en plus jeunes (“Même à la maternelle”).

Grossier et construit de toutes pièces, ce message peut facilement être battu en brèche, et la stratégie qui le soutient éventée.

UN PHENOMENE NOUVEAU ?

Du Petit Chose (1868) aux Désarrois de l’élève Torless, en passant par de nombreux autres témoignages, il suffit de se reporter à la littérature pour constater qu’il n’en est rien et observer, non sans amusement, d’ailleurs, que, de génération en génération, les mêmes reproches sont faits à la jeunesse. Montaigne, le sage Montaigne lui-même, n’y échappa point : les enfants de son époque furent, écrivit-il, “pires et plus malicieux que n’étaient les enfants du temps passé”.

Mais c’est l’histoire qui apporte les preuves concrètes. On peut affirmer qu’il n’y a pas un lycée qui, de sa création à nos jours, n’ait connu régulièrement ses vols, ses bagarres, ses coups sur la personne des maîtres et ses dégradations. Qui feuillette les archives scolaires s’en convainc. Voici, exemple parmi cent autres, le rapport d’un proviseur d’un des collèges royaux :

“Labadens et Lefranc sont convaincus d’être des corrupteurs, de provoquer leurs camarades à la révolte, de manquer habituellement de respect envers leurs maîtres, de commettre souvent des dégradations et de s’être emparés de plusieurs clefs pour pénétrer dans divers magasins de comestibles... Leur moralité et leur insubordination sont telles que je ne puis plus répondre des bonnes mœurs et du bon ordre de l’établissement sans les éloigner sur-le champ.” C’était le 6 mars 1822, en un siècle ou les choses allaient fréquemment beaucoup plus loin. Ainsi : "Vendredi et samedi... une insurrection... a éclaté dans l’internat. Les élèves ont chassé maîtres et professeurs, se sont réfugiés dans une salle, où ils se sont barricadés et dont on n’a pu ouvrir les portes qu’à la hache.” On croirait lire la dernière du Figaro, mais c’est dans la Gazette du Languedoc du 18 février 1850. Pour la petite histoire, précisons que, comme les insurgés étaient des petits de Ceci ou de Cela, les choses en restèrent là.

N’était l’exiguïté des pages qui accueillent cet article, il serait facile de multiplier les exemples. Toujours est-il que les caillassages (on disait alors lapidations), les coups, les injures... sont solidement attestés par des documents de première main tout au long des deux derniers siècles.

Pour en venir à l’époque moderne, il suffira aux plus anciens des lecteurs de convoquer leurs souvenirs. Celui qui signe ses lignes, ancien élève d’un lycée coté du centre-ville, pourrait conter plusieurs heures durant les facéties auxquelles il se livrait avec ses condisciples : carbonisation dans le poêle de l’étude du soir de chaussures de tennis chipées à des camarades, kidnapping dans les couloirs et suspension des petits sixièmes aux porte-manteaux de la salle de classe, chahuts organisés en allemand (fort drôles au demeurant), bombardement avec les fromages frais de la cantine de notre vieux prof de latin, qui avait la malchance de partager le patronyme d’un produit laitier assez insipide, interrupteurs cassés pour provoquer des court-circuits... J’arrête là l’énumération, non sans préciser qu’une majorité de ces galopins sont devenus depuis médecins, architectes ou professeurs d’université. L’un des plus agités d’entre nous est même, on me l’a affirmé récemment, commissaire principal de police...

A moins de se condamner à l’amnésie, force est de constater que ce que médias et gouvernement appellent “violence scolaire” (et que l’on qualifiait autrefois de sottises, polissonneries, indiscipline ou insubordination...) n’a rien de bien nouveau.

LES JEUNES PLUS VIOLENTS AUJOURD’HUI QU’AUTREFOIS ?

Ceux qui l’affirment le font sans preuves ou, plus grave, avec des preuves frelatées. En effet, les exemples cités plus haut montrent, si besoin en était, que la violence scolaire existait avec une belle constance en dix-huit cent et quelques. Or il faut rappeler qu’à cette époque seule une fraction de la jeunesse accédait à l’enseignement du deuxième degré. En règle générale, il n’y avait qu’un collège-lycée par département. Il accueillait un maximum de 200 à 500 élèves. Aujourd’hui, les collégiens et lycéens se comptent par millions. Si l’on pouvait avec précision rapporter le nombre d’actes violents à l’effectif de jeunes, il n’est décidément pas établi que l’on observerait une augmentation de la fréquence !

Deuxièmement, pour aussi incroyable que cela puisse paraître, à ce jour, pas une seule étude sérieuse (j’entends par là, comparative à plusieurs années d’intervalle et selon un protocole scientifiquement validé) n’établit une augmentation de cette fameuse violence scolaire. Les statistiques du ministère de l’Éducation sont d’une indigence conceptuelle totale. Il faut être le dernier des cancres pour leur prêter la moindre valeur. Pourquoi ? Parce que, comme le disait mon maître d’école en tirant l’oreille de celui qui se risquait à commettre une telle balourdise, “on n’additionne pas des cornichons avec des bananes”. Or les statistiques des ministères de l’Éducation et de l’intérieur non seulement additionnent les bananes avec des cornichons, mais les multiplient. Car, pour convaincre le bon peuple que la violence augmente, les scribouillards du ministère cataloguent dans la rubrique violence tout et n’importe quoi. Aux véritables actes de violence, ils ajoutent les pécadilles les plus insignifiantes (avoir mangé le goûter d’un camarade, avoir versé du Mir dans les toilettes pour les faire mousser, avoir traité la CPE de “grosse vache”... Il n’y manque que le raton laveur de Prévert ! Les “chiffres de la violence” n’ont ni queue ni tête. Et, au moindre incident, l’Éducation nationale incite au dépôt de plainte. C’est une directive qu’ont reçue tous les chefs d’établissement. Comme si les conflits entre adultes et adolescents devaient systématiquement se régler dans un tribunal. Comme si la dimension juridique résumait les relations humaines, les relations éducatives ! Il y a là un appauvrissement de la pensée atterrant dans un ministère chargé, en principe, d’éducation. Toutes les autres structures officielles poussent dans le même sens. S’y ajoute la vénalité, puisqu’on fait miroiter aux victimes la possibilité de laver leur honneur en obtenant de substantielles espèces sonnantes et trébuchantes. On obtient au total une surdéclaration qui traduit l’évolution des institutions vers un “tout judiciaire - tout répressif”, mais ne donne pas quelque autre information que ce soit. Troisièmement, il existe une contradiction accablante dans le discours ministériel : il affirme d’un côté ce qu’il nie de l’autre. Je m’explique. Pratiqué de tout temps dans les classes préparatoires (CPGE), grandes écoles et universités, le bizutage s’était démocratisé depuis deux ou trois décennies jusqu’à contaminer de nombreux lycées. Parfois, comme aux Arts et Métiers, l’“usinage” imposé aux plus jeunes, se poursuivait toute l’année. Dans d’autres cas, les humiliations, les attouchements sexuels et même les viols étaient pratique courante. Toutes formes confondues, le bizutage [2] concernait donc des centaines de milliers de jeunes chaque année. Il a été interdit et le gouvernement s’est félicité de l’avoir fait disparaître sur les deux ou trois dernières années. Je suis tout enclin à le croire, et j’applaudis des deux mains. Mais qu’on m’explique comment, alors que plusieurs dizaines de milliers d’actes de violence ont disparu, la violence scolaire a quand même augmenté dans la même période ! Les obsédés du sécuritarisme sont dans la plus profonde contradiction : soit leurs mesures ont été efficaces et donc la violence scolaire a baissé de plusieurs centaines de milliers de cas depuis deux ou trois ans, soit la violence scolaire a continué d’augmenter et donc leur politique est parfaitement inefficace [3].

SONT-ILS VIOLENTS DES LA MATERNELLE ? [4]

C’est la tarte à la crème. Le ridicule de cette affirmation éclate dès qu’on analyse son contenu. En voici un exemple, entendu sur France-Info tout récemment (je cite de mémoire) : “Racket à la maternelle : un enfant en a obligé un autre a lui donner ses bonbons en le frappant. Les parents de la victime ont porté plainte.” Cette affaire est parfaitement significative. Elle met en lumière l’énorme exagération verbale des médias, l’enflure à laquelle ils se livrent : qu’on ose qualifier de racket le fait qu’un enfant de quatre ans pique des bonbons à un autre est une monstruosité sémantique. Cet enfant n’est pas plus un racketteur que le type qui vous marche légèrement sur le pied dans le métro n’est un tortionnaire nazi. Cette inflation verbale est une manipulation psychologique : en affublant volontairement un fait mineur d’une qualification majeure, on manipule l’opinion, on lui enlève son sens critique. On inculque l’idée qu’il y a du “racket à la maternelle” (ce qui est horrible), alors qu’en réalité, tout simplement, un gros bébé de 4 ans a piqué les bonbons d’un autre (ce qui ne devrait épouvanter personne). De la même façon, le moindre gros mot devient une violence verbale traumatisante, et la plus banale bagarre d’adolescents, une tentative de meurtre [5]. Deuxième remarque : qu’on puisse seulement imaginer porter plainte pour un vol de bonbons à la maternelle montre bien la profondeur de l’intoxication médiatique : elle a fait perdre le sens de toute proportion. Troisième et dernière remarque : qu’un journaliste donne cette “information” sans éclater de rire finirait par vous faire regretter que le ridicule ne tue pas.

LES RAISONS DE CETTE INTOXICATION MÉDIATIQUE

Tout ce qui précède montre que le discours médiatico-officiel repose sur la plus grande confusion. Si on voulait la dissiper, il faudrait d’abord définir ce qu’on entend par violence et exclure de cette définition tout ce qui manifestement n’en relève pas. Que des enfants jouent, se bousculent, fassent du bruit, disent des gros mots... prouve qu’ils sont simplement des enfants ! Ils grandissent en se confrontant à leurs pairs, aux parents et aux autres adultes. Mais, se confronter, ce n’est sûrement pas se faire écraser à tous les coups ! L’objectif est au contraire de réussir à trouver un équilibre positif entre soi et les autres. C’est ça l’éducation, l’inverse du matraquage. Vouloir empêcher par des mesures de police l’apparition du moindre différend, vouloir traîner le plus petit conflit au commissariat ou au tribunal est une monstruosité sur le plan éducatif et ne peut qu’aboutir à des catastrophes sociales sur le moyen terme.

Si l’on se centre sur les véritables violences, il faut constater qu’elles sont beaucoup plus rares qu’on ne le dit et qu’il n’existe probablement pas de solution miracle pour y faire face. Mais les sciences sociales apportent un éclairage du plus grand intérêt. Elles établissent que la violence des jeunes est très souvent, pour ne pas dire toujours, une violence en retour. C’est-à-dire une façon de répondre aux violences qu’ils subissent eux-mêmes (violences dans la famille, violences des institutions, violences et injustices de la société...), et qu’ils exercent d’ailleurs plus contre eux-mêmes que contre les autres. C’est pourquoi (en partie) le suicide est si fréquent chez les jeunes. Si les pouvoirs publics cherchaient réellement à désamorcer la violence des jeunes, il faudrait d’abord qu’ils luttent contre les violences faites aux jeunes.

Mais là n’est pas leur véritable souci. La rengaine sur la “violence des jeunes” joue un rôle autrement important : une société injuste à besoin de boucs émissaires pour détourner l’attention. Plus les médias parlent de violence dans les écoles, et moins ils parlent de la violence des licenciements, de l’horreur de la précarité, de la profondeur de la misère. Et, plus une société est injuste, plus les privilégiés ont besoin de la protection d’un appareil policier. Pour faire admettre à la population que l’État a le droit de mettre des barrières partout, des caméras à chaque coin de rue et des flics jusque dans les couloirs des HLM, il faut d’abord lui faire peur. L’exploitation éhontée du thème de la violence des jeunes sert à faire accepter un flicage de la société, un contrôle de l’ensemble de la population. Les possédants craignent toujours la révolte du peuple, ils se donnent les moyens de la réprimer si besoin était. C’est cela que cache l’idéologie de la “tolérance zéro” [6], c’est-à-dire une intolérance absolue mais parfaitement ciblée : les Bush juniors, les Blair, les Chevènement et leurs zélotes répriment violemment les pauvres, les expédient à la mort (même quand ils sont innocents), rouvrent des bagnes pour enfant (ou envisagent de le faire) ; mais ne trouvent rien à reprocher aux flics qui assassinent un Noir “par erreur”, laissent filer les criminels endurcis comme Pinochet ou se gobergent avec des escrocs de haut vol. Mais qui donc sont les véritables violents ? Qui sont les véritables dangers publics ? Peilharot.


[1] Dans ce “roman de ma douzième année”, Pergaud précise bien. “J’ai voulu restituer un instant de ma vie d’enfant, de notre vie enthousiaste et brutale de vigoureux sauvageons (sic).”

[2] Toutes les formes de bizutage sont-elles des violences ? C’est bien sûr une question de définition. Mais il serait contradictoire que ceux qui nous présentent comme une violence insupportable le vol d’une sucette nous expliquent qu’imposer à un jeune de se promener en ville en couches-culottes n’en est pas une...

[3] Car cela prouverait que la violence, éradiquée brutalement sous une forme (le bizutage), serait réapparue immédiatement sous une autre forme, à un niveau au moins équivalent.

[4] Je parle de la situation française. Aux États-Unis, on le verra plus loin, il en est autrement, et pour cause.

[5] A comparer à la présentation des faits et au vocabulaire employé par les médias quand c’est un représentant du pouvoir qui tue un jeune sans raison.

[6] Ils justifient cet appel incessant à la répression par son “efficacité”, dont les “résultats” seraient visibles aux États-Unis. Ainsi, dans Marianne, fer de lance de la pensée unique sécuritaire (7 février 2000), un “spécialiste de la sécurité urbaine” (ça existe) félicite les States d’avoir “jugulé la violence” grâce à l’intolérance absolue. Pas de chance : il n’avait presque pas fini de publier son texte qu’un enfant de 6 ans assassinait une petite copine du même âge d’un coup de revolver. C’est bien la peine d’être spécialiste. On remarquera que les États-Unis sont le seul pays développé qui ait réussi à ce jour à faire s’entre-tuer des enfants dès la maternelle. C’est une conséquence directe de la politique d’intolérance absolue. Encore bravo aux brillants idéologues qui la diffusent des deux côtés de l’Atlantique.


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