Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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LES HOMMES AUX MAINS SANGLANTES

OU LE SYNDROME DE L’ILE DE PAQUES

jeudi 6 juin 2002

La manière de résoudre les conflits entre les hommes est caractéristique des sociétés dans lesquelles ils vivent. L’histoire du monde nous apprend qu’il y eut de multiples façons de le faire.

QUAND LA GUERRE IMPOSE SA LOI.

Si on ne se centre que sur les groupes humains qui fonctionnent ou qui ont fonctionné sur le mode de l’affrontement, on constate que très souvent ces pratiques sont codifiés, ritualisées. Le but alors n’est pas de tuer, mais suivant les cas, de voler des biens, de faire des pri-sonniers ou tout simplement de marquer des points symboliques face à l’adversaire. En général, dans ces cas, l’affrontement n’est pas direct, et reculer ou s’enfuir est communément admis.

Mais l’histoire nous montre aussi comment ces codes peuvent être bouleversés par des changements d’apparence minimes et comment il peut en résulter une militarisation de toute la société. Ce fut le cas des Zoulous, conduits par Chaka. Ce dernier invente perfectionne la sagaie et invente une arme meurtrière, l’ikwa, une lance-poignard destinée à déchirer profondément les entrailles. Cette nouvelle arme, infiniment plus "efficace" va permettre aux Zoulous de conquérir le sud de l’Afrique ; mais il fau-dra d’abord que Chaka anéantisse la réti-cence des zoulous à employer une arme aussi criminelle (pour le lieu et l’époque). Chaka le comprend de suite : une arme plus efficace ne suffit pas car le conditionnement psychologique est la condition première de l’efficacité militariste. Pour maintenir ce conditionnement permanent il faut modifier les règles de vie. Par exemple un mâle zoulou ne peut plus connaître de rapport sexuel avant de tuer un adversaire dans une bataille rangée [1]. Ni se marier avant 40 ans. Pour les Zoulous de la fin du XIXème siècle, la question de la guerre finit par conditionner tous les rapports sociaux y compris les plus intimes.

Pour ne prendre qu’un second exemple sans le développer, rappelons que l’affrontement en bataille rangée visant la destruction des forces adverses est, dans le monde antique méditer-ranéen, une innovation de la société grecque. Cette stratégie nouvelle a conditionné la vie quotidienne à Spartes, pas seulement celle des hoplites (spécia-listes de cette technique d’affrontement) mais de tous : les lois de Lycurgue, dictées sous l’empire de la "nécessité" militariste s’appliquaient et se répercu-taient à toute la société civile. [2]

LE CAPITALISME REND LA GUERRE ENCORE PLUS EFFICACE

Soyons justes, le capitalisme n’est pas l’unique générateur de conflits entre les hommes. Mais son mode de production et sa technologie ont transformé ici aussi les modalités de l’affrontement. Il rend les conflits infiniment plus meurtriers et donne à la guerre la priorité sur nos vies. Très logiquement, pour nous le faire accepter, il fabrique une idéologie justificative. Cette idéologie, dont le but essentiel est de prolonger sa survie en masquant division objective et essentiel-le qui existe entre les classes sociales, se fonde sur la recherche de particularismes artificiels. Suivant les besoins de la cause, ces "identités" se déclineront sur des bases géographiques, culturelles, ethniques ou religieuses... De plus, et comme par le passé, l’introduction d’armes plus meurtrières modifie la tactique militaire, crée une caste de spécialistes, dirige les rapports sociaux, et finit par créer une nouvelle caste dominante. Cette caste, née de la force et de la violence, se maintient par ces mêmes moyens. Comme toujours. des conflits internes pour le pouvoir vont la diviser, chaque fraction concurrente s’appuie sur une fiction communautariste, identitaire, et sa politique n’est plus que synonyme d’écrasement et de tuerie.

L’histoire de la civilisation pascuane pourrait être le symbole de ce processus auto-destructeur d’une civilisation. Nous sommes sur une île du Pacifique colonisée par une même souche d’individus polynésiens. L’invention d’une pointe de flèche en obsidienne très meurtrière, dénommée mataa, conduit à la constitution d’une caste de guerrier "les hommes aux mains sanglantes", c’est ainsi qu’ils s’appellent eux-mêmes. Tout un programme ! Cette caste devient dominante et se déchire en concurrents rivaux, elle entraîne les habitants dans des tueries sans fin. Pour justifier ces tueries, elle crée de nouvelles coutumes, des particularismes et des clans. Evaluée à son apogée à 7000 habitants, la population de l’île de Pâques est victime d’un auto-génocide. C’est un cas d’école, car coupée du monde, elle ne connaît pen-dant des siècles aucun risque d’invasion ou d’agression extérieure, et de ce fait l’existence de la caste militaire n’était pas justîfiée [3]. Pour parvenir au pouvoir et s’y maintenir, il fallait que par elle même elle crée les conditions de son existence et de sa domination. Sous l’influence de la classe dominante qui a sécrété une idéologie adéquate (la division clanique), le massacre sera complet. On comptera 120 survivants seulement lors de la découverte de l’île de Pâques par les explorateurs occidentaux [4].

Le syndrome initié par l’apparition d’une nouvelle technologie guerrière, donc d’une nouvelle tactique développée par une nouvelle caste guerrière qui devient dominante et qui sécrète une idéologie justificative de ses agissements assassins est valable pour toutes les périodes de l’histoire sous toutes les latitudes. Cet ensemble d’événements qui bouleversent la vie collective, qui créent des conduites auto-destructives (qu’elles soient individuelles ou de groupe) conduit logiquement à des catastrophes.

Ce qui se passe maintenant dans le monde est un processus qui a débuté en Occident à partir des années 1860-70. Les normes de la production industrielle capitaliste s’appliquent dès lors à l’indus-trie militaire. Une débauche de masses humaines sacrifiées et des tonnes de matériel gâchés caractérisent le premier conflit mondial. Puis la conscription cède le pas à la spécialisation accrue du personnel militaire. Mais la mobilisation des esprits demeure nécessaire. La pro-pagande, à partir du deuxième conflit mondial se substitue au rôle de la loi antique. Autrefois la guerre imposait sa loi aux civils, maintenant elle agit plus subtilement par leur conditionnement. Dirigeants à la fois politiques, écono-miques et militaires, les élites des états ressemblent à ces "homrnes aux mains sanglantes" qui luttent pour leur pouvoir par clans ou "peuples" interposés. Ils nous impliquent et nous transforment en victimes potentielles. C’est le syndrome de l’Iles de Pâques, dans lequel la seule perspective politique devient le meurtre du voisin. Le conflit israelo-palestinien en est un terrible exemple.

VICTIMES D’UN PLEONASME

La classe dominante issue de la guerre, vit de la guerre et se justifie par elle. La paix ne subsiste donc que par intervalles. Dans le monde la guerre est endémique pour des raisons obéissant aux besoins des dirigeants.

C’est ainsi que la guerre est deve-nue une question qui domine nos vies de plus en plus tout en étant un problème qui nous échappe puisque nous n’avons aucune prise sur son déroulement. C’est ce que les médias soulignent lorsqu’ils évoquent des "victimes imnocentes". Personnellement je ne les ai jamais entendus parler de "victimes coupables". Et je pense que ce pléonasme largement employé est révélateur de la situation dans laquelle nous sommes. Victimes et innocents, c’est-à-dire irresponsables, les médias nous renvoient illico dans le giron de l’état protecteur. celui-là même qui organise et perpétue les massacres, nous devons nous en remettre à lui pour nous protéger Illogique certes, mais c’est le rôle de l’idéologie de la justifica-tion de nous le faire accepter. Cela per-met à Bush d’affûter son ikwa-mata sous la forme de bombinettes nucléaires, évi-demment destinées à nous protéger. Cela permet à tous les "hommes aux mains sanglantes" de justifier les prochaines tueries, bien sûr pour notre bien. Mais sachons nous poser la question de nos propres responsabilités. Les victimes de n’importe quelle action guerrière contre des civils (et il faut entendre ici tant celles conduites par les états existants que par ceux en formation) sont des gens que la propagande a rendu acteurs pas-sifs de leur propre destruction puisqu’ils s’en sont remis à leur Etat-clanique pour se protéger.

NOTRE RESPONSABILITE

La boucherie quotidienne qui nous est imposée est le résultat dramatique de l’inconscience collective qui caractérise les habitants de la planète. Les responsabilités de la bourgeoisie dirigeante en ce qui concerne les facteurs de guerre sont claires. Mais qu’en est-il de nous tous, nous qui constituons la majeure partie de la popula-tion ?

Abordons—nous correctement la ques-tion ? Par exemple, quand ont parle de la responsabilité des travailleurs, c’est généralement sous un angle partiel. Un tel, pacifiste, accusera tel autre, ouvrier dans un arsenal, de produire du matériel de mort. Posons-nous la question la res-ponsabilité des ouvriers dans les usines d’armement est-elle, dans le fond, supé-rieure à celle d’autres ouvriers (qui, par leurs impôts, par leurs votes, et tout sim-plement parce qu’ils ne sont pas prêts à entrer dans la lutte collective pour chan-ger le monde) contribuent à la pérennisa-tion de la situation.

Nous devons assumer collectivement notre responsabilité dans la marche des événements car, dans les guerres efficaces comme le sont les guerres capitalistes, il est inutile de raisonner en terme de bien ou de mal, d’innocents ou de cou-pables. Il y a ceux qui se sont préparés à l’affrontement, les "hommes aux mains sanglantes", les cannibales, et ceux qui n’y sont pas préparés, les victimes pas-sives. Les habitants de la planète doivent se préparer à en finir avec cette situation. Non pas en rentrant dans la logique de la justification de l’existence des états natio-naux ou régionaux soi-disant chargés de nous défendre parce que nous serions des inaptes. Non pas en abordant le problème de façon partielle ("pour la paix ", "contre les armes", ou pour "un peuple". "un état palestinien, hébreux, alsacien, français ou taliban") mais en le faisant globalement. En expliquant d’abord en quoi les théories particularistes font le jeu des fractions rivales de la bourgeoisie. En permettant ensuite à toutes les vic-times potentielles de se retrouver dans un projet collectif de transformation sociale.

Gwenaël


[1] Le refoulement des pulsions sexuelles est utilisé par toutes les dictatures pour asservir l’individu. Il permet de développer l’agressivité contre "l’adversaire désigné" en même temps que la soumission vis-à-vis du "maître".

[2] "Guerre et violence dans la Grèce antique", A. Bernard. Hachette. 199 ?

[3] Au sens où l’on justifie généralement cette caste.

[4] "Histoire de la guerre", J. Keegan. L’esprit frappeur, 2000.


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