Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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NON, LA JUSTICE NE DYSFONCTIONNE PAS

Les leçons du procès d’Outreau

lundi 26 juillet 2004

Les journaux n’ont même pas donné son nom. Tout ce qu’on sait, s’est qu’il est mort en prison, de misère psychologique, en préventive, où il n’aurait jamais dû aller. Odile a eu plus de chance, si l’on peut dire : infirmière scolaire, elle a été virée de l’Éducation nationale, on lui a arraché ses enfants et on les a placé. Son aîné ne l’a pas supporté, il a fait une tentative de suicide gravissime, en avalant des lames de rasoir. Bien sûr, elle aussi a été embastillée. Alain, son conjoint est ruiné, il répète sans cesse "Ce qui m’est arrivé peut vous arriver demain". Roselyne, la boulangère ambulante ne peut plus travailler. Karine n’a pas eu le droit de voir son fils pendant deux ans.

Odile, Alain, Roselyne, mais aussi Pierre, Dominique, Franck, Sandrine, Daniel... au total 13 personnes traînées aux Assises. Elles ont perdu leur travail ou leur foyer, parfois les deux. Elles ont été montrées du doigt par la justice, jetées dans les immondes prisons de la République, salies par la presse. Pour rien.

La justice les a détruit psychologiquement, a fait exploser leur vie, celle de leurs enfants, celle de leurs proches. Strictement pour rien.

Que la justice arrive encore à en condamner quelques uns pour sauver la face ou qu’ils soient tous relaxés, l’abominable spectacle judiciaire d’Outreau apporte un démenti cinglant à la minorité qui pense encore qu’elle peut avoir "confiance dans la justice de mon pays". Chaque jour qui passe démontre en effet la légèreté coupable des magistrats qui ont brisé tant de vies. Chaque jour qui passe prouve que chacun d’entre nous, sans raison, peut-être broyé par la justice.

Mais qu’on ne parle pas de "dysfonctionnement". Ce que montre Outreau, c’est le fonctionnement habituel, normal pourrait-on écrire avec juste une dose de cynisme, de la justice. Outreau, c’est juste un agrandissement, comme avec une loupe, qui montre combien la justice est sans pitiée pour la "France d’en bas" ; alors que tant d’autres affaires montre combien elle met d’acharnement à protéger les privilégiés.

La crédibilité d’un témoignage n’est pas fonction du témoin mais de l’accusé

Quand deux policiers confirment qu’un Procureur était présent dans un acte essentiel de procédure, contrairement aux déclarations de ce dernier, quand un restaurateur confirme que, oui, il a bien vu ce même procureur avec une des principales victimes de proxénétisme dans l’affaire dans l’affaire dont il est question... tout ceci est balayé d’un revers de manche. Au pire ce ne sont que mensonges, au mieux (quand il s’agit de policiers) de troubles de mémoire. En tout cas, la justice n’en tient aucun compte, le Procureur peut continuer à requérir des peines exemplaires au nom de la morale et du peuple français, et les victimes les plus gênantes se retrouvent mises en examen pour "faux témoignage". Mais, si le dernier des flics accuse un pauvre bougre de rébellion, alors là, il est crû sur simple parole. Mais quand de malheureux enfants, traumatisés par le drame que leur ont fait vivre leurs parents et sous influence, accusent n’importe qui, crac, les suspects sont jetés aux oubliettes pour trois ans. Que conduit dans un super marché, un des enfants d’Outreau "reconnaisse" en série des clients inconnus comme ses violeurs ; qu’un autre ou le même désigne nommément comme un violeur supplémentaire un malheureux hydrocéphale, incapable de se déshabiller seul et de plus totalement impuissant, n’y change rien. Que les contradictions et les fausses reconnaissances se multiplient, tout cela est sans importance. Au trou, les innocents. Pour les gens modestes, pas de présomption d’innocence.

Quand il n’y a pas de preuves matérielles, ça ne fait rien ;

quand il y en a, ça ne fait rien non plus

A Outreau, les déclarations des accusateurs étaient affirmatives : pendant les partouses on faisait des vidéos, des photos pornos. D’ailleurs Daniel tenait un sex-shop. Il devait se faire bien des sous avec tout ça. Mieux encore, des rapports sexuels avec des animaux étaient imposés aux enfants et une petite fille ajoute qu’elle a été violée "par devant". Comble de l’horreur, une autre fillette (ce point est extrêmement variable selon les versions et les moments) avait été tuée, mise sous un lit, puis enterrée au bas de l’immeuble... Où sont les photos, le corps, les animaux ? Envolés ! Aucune trace, aucune preuve matérielle. Envolé, le sex-shop de Daniel. Il n’a jamais existé. Daniel est serrurier. C’était facile à vérifier. Mais ça fait rien, en tôle, le Daniel. Et les photos, avec les partouzards, où sont-elles ? Envolées ! Et les films vidéo, avec les enfants et leurs tortionnaires ? Envolés eux aussi. Rien, on n’a rien retrouvé ; des perquisitions en série n’ont rien ramené. Il n’y avait rien. Et la petite fille violée ? L’expertise montre qu’elle est toujours vierge. Quant à celle qui a été tuée, on n’a pas trouvé une goutte de son sang sous aucun lit et encore moins son corps. Pas plus qu’on n’a retrouvé le moindre poil d’animal là où il fallait pas. Rien. Aucun élément matériel. Ah ...si... un concernant Alain : son coiffeur a déposé sous serment qu’Alain avait changé de coiffure ! Ça, pour la police, c’est une preuve solide, une vraie. A l’audience, les photos "avant" et "après" ont été projetées : Alain avait les cheveux plus courts de deux centimètres. Au trou, Alain. A Outreau, on est allé "préventivement" en prison pour une coupe de cheveux. Mais Maurice a échappé à la prison pendant très longtemps. Pourtant, lui, il avait laissé des quantités de traces écrites de ses forfaits : nommé numéro deux de la Préfecture de la Gironde, après avoir prêté serment d’allégeance au maréchal Pétain, Maurice Papon a eu en effet sous sa responsabilité le service des "questions juives", chargé de préparer les rafles des juifs apatrides. Quelques semaines après sa prise de fonction, 447 juifs dont 73 enfants de moins de seize ans étaient expédiés vers la mort. Ce n’était que le début de la sinistre histoire de Papon. Les documents administratifs irréfutables abondent. Et alors ? Il aura fallu plus d’un demi-siècle pour que, talonnée par les victimes, la justice daigne en tenir un tout petit peu compte. [1]

Enquête : à charge pour les uns, à décharge pour les autres ...

En droit, l’instruction doit être à charge et à décharge. Dans la réalité, pour les uns elle est dans un sens, pour les privilégiés dans l’autre. A Outreau, c’est bien sûr à charge que ça s’est passé : les enfants n’ont jamais été confrontés avec ceux qu’ils accusaient, les actes d’instruction demandés par la défense ont été refusés, les multiples incohérences du dossier ont été "oubliées". Et Fabrice Burgaud, le magistrat instructeur a obtenu une brillante promotion au parquet de Paris, section antiterroriste !

Pour Papon, l’instruction était à décharge : les tonnes d’archives apportées par les plaignants étaient toujours jugées insuffisantes par la justice. Il en a fallu, des vérifications ! Dans l’affaire Alègre, c’est encore plus fort, c’est carrément de l’instruction défensive ! Les preuves sont carrément niées. Deux exemples : quand on trouve le corps de Martine Matias dans son appartement incendié, il y a du sang un peu partout. Son soutien-gorge, déchiré, est retrouvé dans le couloir de même que des restes d’arme de poing. Le corps, carbonisé, est arqué en arrière exactement comme si les poignets avaient été attachés au chevilles dans le dos. L’autopsie retrouve des traces de brûlures électriques dans l’anus, des traces de chloroforme dans l’estomac et dans la plèvre .... La justice décide que c’est un suicide par ingestion de médicaments, des traces de somnifère étant trouvées dans son sang.

Deuxième exemple : le corps de Valérie Tariotte est retrouvé ligoté sur son lit. Ses mains sont liées sur le bas ventre. Elle a un tissu enfoncé dans sa gorge, un autre dans sa bouche et un troisième bâillonne ses lèvres. Des empreintes digitales de Patrice Alègre sont retrouvées sur un objet lui appartenant. [2] La justice conclut tout aussi imperturbablement au suicide. Les preuves matérielles les plus flagrantes n’existent plus quand du beau monde est en cause !

Faux et vrais malades

Et si par cas, malgré cette série impressionnante de protection il arrive que la justice soit contrainte par l’opinion de condamner un de ces messieurs, il ne reste pas longtemps en prison. La moindre démangeaison cutanée ou un vieux rhumatisme deviennent autant d’affections graves imposant une libération. Cela fera deux ans à la rentrée, le soi-disant grabataire Papon quittait sur ses deux pieds la prison. A ce jour, il est toujours en pleine forme. Le Floch-Prigent, Sirven sont également sortis. A ce jour, ça va aussi pour eux. Quant aux autres, aux véritables malades, ils continuent à croupir derrière les barreaux. Moins de 90 d’entre eux ont bénéficié d’une libération. Beaucoup pour mourir quelques jours après.

# Fred


[1] Bernard Violet, "Le dossier Papon", Flammarion, 1997.

[2] Michel Roussel, "Homicide 31, au coeur de l’affaire Alègre", Denoël 2004


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