Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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comment payer le travail carcéral ?

jeudi 27 février 2003

Prison. Le mot est à la mode. Pas un jour ne se passe sans qu’un politicien, plus ou moins véreux, n’en claironne les éloges.

Alors, puisqu’ils veulent qu’on en parle, parlons-en. Pour dire la vérité. Pour dénoncer la machine à broyer.

Dans notre dernier numéro, c’est de Benoît qu’il s’est agi. Benoît, éjecté de sa cellule juste pour qu’il ait le temps de mourir "dehors". Un cas pas du tout exceptionnel. Encore moins exceptionnel est le quasi-esclavage auquel sont réduits les prisonniers par l’Etat français. En toute légalité républicaine, bien sûr. Comme le précédent, ce texte a été écrit par un prisonnier. Nous en reproduisons l’essentiel, en omettant les lignes qui pourraient permettre d’en localiser l’auteur, et nous rappelons que depuis sa création, "Le Combat syndicaliste de Midi-Pyrénées" est envoyé gratuitement aux prisonniers politiques et sociaux intéressés. Ils peuvent nous le demander (ne pas oublier le numéro d’écrou).

Après des lustres d’exploitation extraordinaire, dans les hautes sphères de la pénitentiaire, un "brain storming" agite dangereusement les pauvres cervelles des responsables : Comment payer le travail carcéral ?

Et tout ce tracas, par la faute de quelques parlementaires qui surent fermer les yeux si longtemps. Mais, un jour, sans qu’on ne sache dire pourquoi celui-là, ils ont fini par s’indigner de la surexploitation ou plutôt de l’esclavage récurent dans les prisons du beau pays de France.

Il est vrai que dans des établissements, on dégotte des gars bossant 7 jours sur 7, jusqu’à 10 heures par jour pour quelques 70 euros à la fin du mois...

Comme partout, l’exploiteur profite de la misère pour faire chuter le prix de la force de travail. C’est la loi d’airain du capitalisme, n’est-ce pas ?

Et où y a-t-il plus de misère que dans les prisons ?

Lorsque le directeur de la Régie Industrielle des Etablissements Pénitentiaires fait la retape devant les chambres d’industrie, ne vante-t-il pas l’embellie d’une telle main d’oeuvre ? Pourquoi s’en priverait-il ?

Tout d’abord, une docilité garantie à toute épreuve.

Si un détenu quitte le boulot, dix candidats se présenteront le lendemain. Si le prisonnier refuse la tâche, s’il rompt le contrat qui n’a de contrat que le nom, il sera jeté au mitard, menacé de transfert et il perdra plusieurs mois de grâce en étant considéré comme une forte tête...

Secundo, une précarité totale qui ferait rêver les pires prédateurs du "Medef and Co". Le travailleur est payé à la tâche, comme dans les ateliers du 19ème siècle. Bien sûr aucun point retraite et, s’il arrive un accident, on ne lui payera pas d’arrêt maladie. On le remplace tout bonnement. Pas d’état d’âme. Même s’il a cotisé au prix fort pendant dix ans [1]. Pas un rond pour lui. Qu’il crève ! Et s’il ose la ramener, il faut qu’il sache que la grève est durement réprimée et, en tant que mouvement collectif, sévèrement punie par les tribunaux.

Quand ce n’est plus par la force du bâton que nous descendons dans les ateliers, c’est par la carotte que nous balade devant les naseaux le Juge d’Application des Peines. Car, si on travaille, on bénéficiera d’un mois supplémentaire de grâce. Alors on n’est pas très regardant. Et si on fait assez de pièces, qu’on bosse à fond en courbant l’échine, la paye ainsi engrangée nous permettra de "faire amende honorable", c’est le cas de le dire, puisque nous rembourserons à crédit les parties civiles.

A la Centrale de ..., le calcul est vite fait : le juge vous octroie un deuxième mois de grâce pour 190 euros déboursés par an. Drôle de comptabilité !

Quoiqu’on ait fait, quel que soit le crime, si on a un petit pécule, on pourra se faire pardonner par mensualités et, après une décennie de petits profits, gagner un an. En prison, l’hypocrisie est élevée au rang de vertu suprême !

Mais il y a des pauvres, des plus pauvres que nous, pour qui 1 euro représente un peu de nourriture supplémentaire. Non seulement pour eux mais surtout pour leurs mômes laissés à l’extérieur et souvent loin, en Colombie, en Afrique... Il y a tant de misère dans les prisons !

Dans ce pays où l’on paye les jours de liberté comme des paquets de sucre ou de spaghetti, tout ça ne leur dit pas comment payer les journées de travail !

Ici, on embauche à 7 heures et on débauche à 13 heures. On fait la journée continue dans notre journée continue de taulard. Et chaque été, nous avons cinq semaines de vacances si l’on peut dire, mais on ne partira pas à la mer... S’ils nous donnent des congés, ce n’est pas par bonté d’âme, ils n’ont simplement plus assez de personnel pour surveiller les ateliers et la détention... Jamais nos congés ne sont payés. Et cela 67 ans après les lois de 1936...

Depuis l’an dernier, la question de la rémunération du travail carcéral était en souffrance. Les rapports contradictoires se sont multipliés. Les commissions se succédèrent et les plus agités des fonctionnaires se démenèrent... Et puis un surfeur de la vague des tolérances zéro, le nouveau ministre, s’empressa d’éclairer le débat d’une pensée lumineuse : "En vérité je vous le dit, le travail en prison n’est pas un travail comme les autres". Conséquence toute logique, l’exception de cette exploitation perdurera. Nous ne sommes que des prisonniers, pas grand chose finalement. Pas tout à fait des hommes, même pas des ouvriers.

Ouf ! Enfin, tout est clair, le problème est à nouveau re-posé sur des bases saines...

Maintenant, comme l’inquisition détermina si les femmes ou les indiens d’Amérique avaient une âme, il faut qu’ils décident : sommes-nous des moitiés d’ouvrier donc à travail égal salaire de moitié, ou sommes-nous des tiers d’ouvriers ? Même pas un tiers-état. Rien. Et ce rien qui va au boulot chaque matin de la semaine aux mêmes heures que vous, travailleurs à part entière, se demande bien souvent où sont passés les songes de l’unité ouvrière.

Un prisonnier


[1] Un détenu cotise en pure perte pour les assurances, accident de travail, veuvage, vieillesse, maladie et maternité, RDS, CGS, et tutti quanti.


CNT-AIT



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