Actualité de l’Anarcho-syndicalisme

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De la réforme en général et de l’état en particulier

mardi 15 octobre 2002

"La réforme de l’Etat est un enjeu essentiel de la modernisation de la fonction publique"
(Un ministre à la con)

Le sujet à la mode, lorsque l’on parle de notre éternel (mais pas immortel, il ne perd rien pour attendre) maître à tous, l’Etat, c’est sa réforme. Il n’y a pas un parti politique ou un syndicat en France qui ne glose sur le sujet : au secours ! l’Etat est malade ! Réformons-le vite avant... avant quoi au juste ?

Peu importe, on réforme. C’est l’essentiel.

Par exemple, il a été publié au Journal Officiel de la République Française du 2 mai 2002 un décret, je cite, relatif aux conditions générales d’évaluation de notation et d ’avancement des fonctionnaires de d ’Etat (décret n0 2002-682 du 29 avril 2002) [1]. Pour la petite histoire, remarquons qu’il s’agit d’un texte signé et publié entre les deux tours des récentes élections grotesquentielles, celles opposant le Clown Blanc et l’ignoble Bozzo (le Clown Blanc a gagné, bien sûr)... et qui n’en est que plus opportunément passé inaperçu.

Pour qui ne connaîtrait pas la félicité creuse de la condition des fonctionnaires, il faut en rappeler certaines institutions avant d’en venir à l’avancement.

Formellement, la situation du fonctionnaire ne dépend pas de contrats, comme dans le secteur "privé" ; il n’a donc pas de contrat de travail individuel et ne dépend pas d’une éventuelle convention collective négociée pour ses avantages sociaux. Le fonctionnaire est dit dans une situation statutaire, c’est à dire que la totalité de son régime d’exploitation vient de sa soumission à des règles édictées par l’Etat seul, avec, bien sûr l’avis des syndicats représentatifs, voire même leur aval (moyennant deux ou trois broutilles).

Dans ce cadre, sous le "statut général", qui détermine les principes communs du travail dans le service public, chaque "métier" de la fonction publique fait l’objet d’un statut particulier qui détermine sa place dans la hiérarchie, les fonctions auquel il correspond ainsi que les modalités de recrutement et de carrière. Les agents soumis au même statut sont dits former un "corps" (ou, parfois, un "cadre d’emploi").

Pour faire un parallèle avec la situation du secteur privé, c’est un peu comme si les conventions collectives étaient établies selon les fonctions des salariés et les niveaux hiérarchiques plutôt que par secteur d’activité et par entreprise.

Les statuts particuliers règlent les carrières, et donc les possibilités d’avancement. A cet effet, les corps sont subdivisés hiérarchiquement en "grades" (comme dans l’armée !) qui ont eux-mêmes une hiérarchie progressive de rémunérations à l’ancienneté (les "échelons"). Bien sûr, plus on monte en grade, mieux (enfin, un peu moins mesquins) sont les échelons.

Pour monter d’échelon, et surtout pour monter en grade, il ne s’agit pas seulement de se voir vieillir au travail, mais de le faire avec la bienveillance de ses chefs, c’est à dire de se faire bien noter. Périodiquement, le supérieur hiérarchique établit la fiche de nota-tion de chacun de ses subordonnés, sur laquelle il porte son appréciation de leur travail. Et c’est la qu’intervient notre réforme.

Jusqu’ici, la notation devait se faire de manière abstraite sur une année, au vu des qualités du travail de l’employé en général ; ça n’était pas terrible, mais avait au moins le mérite d’être collectif, puisque la référence d’appréciation était le milieu de travail global. Le nouveau décret prévoit en revanche un système à base d’entretiens périodiques individualisés, avec des critères spécifiques d’évaluation selon le corps et le "profil" de l’employé, ajouté à une période d’évaluation qui peut aller jusqu’à deux ans

En résumé, on a légalisé la pratique de vous harceler individuellement et de vous faire mariner dans le jus de la productivité jusqu’à deux ans avant de faire tomber le couperet de la note. C’est la généralisation d’une pratique de mise sous pression se répandant dans les services publics comme dans le secteur privé, et que, notamment, les travailleurs de la Poste ont réussi à faire condamner devant les propres tribunaux de l’Etat. Qu’importe, et peu importe aussi que ce système, qui divise les travailleurs et divinise la hiérarchie, ouvre la porte aux pratiques de harcèlement moral au travail...

Ce n’est pas tout. Dans l’ancien système, déjà, les "bons éléments" pouvaient se voir attribuer des "bonifications d’ancienneté", c’est-à-dire des mois fictifs qui permettent de changer d’échelon avant l’heure. La moitié la mieux noté des agents d’un corps se voyait accordée de 1 à 3 mois de bonus, ceux recevant 2 ou 3 mois étant limités aux 30 % les "meilleurs". Cela donnait, après d’usuelles tractations syndicales, un barème croissant qui étalait un tant soit peu les majorations sur les heureux élus.

Patatras ! Désormais, les attributions seront automatiques (adieu, "dialogue" social !) : les 20 % considérés les meilleurs bénéficieront tous de 3 mois de bonus par an, 30 % d’un seul mois, les 50 % restant pouvant aller paître. Avec des changements d’échelon généralement prévus tous les deux ou trois ans, cela signifie que l’on créé désormais une fonction publique à deux vitesses, avec une élite qui aura une carrière accélérée en moyenne d’un quart (à quel prix ?). Les 80 % restant se traîneront, avec, parfois, une aumône pour ceux dont "la valeur professionnelle est reconnue" (dixit le nouveau décret).

Existent également les "majorations d’ancienneté", mois de pénalité auxquels sont condamnés les moins bien notés, et qui retardent l’avancement d’échelon. Charognerie supplémentaire, le nouveau décret permet que ces mois de peine soient reportés en bonifications d’un mois supplémentaires...

La promotion de grade dépend elle aussi de la notation. Il existe bien une procédure de concours professionnel, où l’employeur est obligé de promouvoir les candidats reçus, mais elle n’est pratiquement pas utilisée [2]

Bien au contraire, l’Etat privilégie les modalités où la pression sur ses agents reste la plus forte. Le plus courant est celui de la promotion dite "au choix", qui consiste, pour la hiérarchie, à établir en rapport avec les notations un tableau d’avancement comprenant les agents qui pourront être promus, suivant un classement "au mérite", pour autant que des postes s’avèrent disponibles. Est également répandue la procédure de l’examen professionnel, qui additionne des épreuves... et la prise en compte par le jury de la notation du fonctionnaire. En gros tout est fait pour que le "mérite" ne s’estime qu’au travers des yeux des "supérieurs".

Au premier abord, une réforme de la carrière des fonctionnaires, ça n’a pas l’air essentiel même si, il faut l’avouer, l’auteur de cet article y est intéressé. L’avancement, ça a toujours été une vilaine carotte maniée par les chefs avec le gros bâton de la notation

Pour en percevoir le véritable enjeu, il faut se souvenir que lors des dernières négociations sur les traitements des agents publics, le ministre de la fonction publique a rétorqué aux syndicats que les revaloriser en fonction de l’augmentation des prix était inutile, puisque les fonctionnaires "bénéficient" de possibilités de promotions... Bloquer les traitements sous prétexte de hausses à l’ancienneté et retarder au maximum celles-ci, ça n’est jamais qu’une manière de baisser les payes sans en avoir l’air.

Quid des réformes qu’on nous pond avec une régularité de métronome (gauche-droite-gauche-droite-etc.) ? Eh bien, la docilité aux exigences de l’entreprise... oups, pardon, du service public. Obtenir toujours plus et lâcher toujours moins ; les bourges, patrons et ministres, ça ne connaît pas beaucoup de manière de régner.

En creusant un peu, la "réforme de l’Etat" s’éclaire sous son vrai jour : en mettre plein la gueule aux salariés du service public. Pas plus, pas moins.

Dove, U.L. CNT-AIT Marseille

Union Locale Marseille
Vieille Bourse du Travail
13, rue de l’Académie
13001 Marseille
Tèl./répondeur : 04 91 33 28 50

Article du Combat Syndicaliste, n°182, juillet / août 2002


[1] Celui-ci ne concerne toutefois pas certaines catégories de fonctionnaires de l’Etat qui bénéficient de régimes de notation et d’avancement spécifiques, parmi lesquels les enseignants et les hauts fonctionnaires.

[2] Sauf pour les promotions dans un corps hiérar-chiquement supérieur, où elle est de droit commun


CNT-AIT



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